Brève Histoire du Cinéma Québécois
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Selon les logiques économiques qui régissent le cinéma depuis ses origines, la cinématographie québécoise n’aurait jamais dû voir le jour. Dans le sous-continent nord-américain où, à partir de 1910, s’est rapidement développé l’épicentre du cinéma commercial mondial – Hollywood – il n’y avait, a priori, pas de place pour d’autres productions. Et encore moins pour un cinéma francophone. Les quelque sept millions de Canadiens (dont six millions de Québécois) parlant français représentent environ 2% de la population nord-américaine et dix fois moins que la population française où, sans subventions diverses et variées, le cinéma n’est globalement pas rentable.
Avant de fabriquer la seconde cinématographie francophone par l’importance du nombre de productions, ceux que l’on appelait encore des Canadiens français ont commencé par découvrir le cinéma français. Et cela s’est fait rapidement puisque le 27 juin 1896, six mois après les premières projections parisiennes, des productions des frères Lumière sont présentées à Montréal. Dix ans plus tard, Léo Ernest Ouimet, le pionnier du cinéma francophone nord-américain, ouvre le premier cinéma de la Province francophone. À côté de films étasuniens, Ouimet y projette des productions de la firme Pathé et quelques très courts-métrages qu’il réalise lui-même.
Pour continuer son travail de réalisateur, de producteur, de distributeur et d’exploitant, Ouimet doit faire face à un puissant ennemi : l’Église catholique, alors toute-puissante dans cette société refermée sur elle-même. Ici comme ailleurs, l’Église qui posséda longtemps le monopole des images voyait d’un très mauvais œil le développement du cinéma. Dès 1911, elle obtient l’édiction des premières lois sur la censure cinématographique. En 1918, l’influent abbé Lionel Groulx considère dans son journal L’Action française que le cinéma est « le pire agent de dénationalisation ». Dix ans plus tard, suite au tragique incendie d’un cinéma montréalais où périrent 78 enfants, l’institution religieuse se réjouit de l’interdiction totale de l’accès des salles de cinéma aux moins de 16 ans. Mais l’Église perd sa principale bataille, celle qui aurait mis fin aux activités de Ouimet et de ses confrères : la fermeture des salles de cinéma le dimanche, le « Jour du seigneur » qui était alors le seul où l’immense majorité des gens avait le temps de se rendre au cinématographe.
Le balbutiant cinéma francophone doit faire face à une autre menace qui, elle, n’a jamais faibli : celle qui vient des États-Unis. Dès 1920, Hollywood décrète unilatéralement que le Canada fait partie de son « domestic market ». Depuis cette date et malgré plusieurs tentatives de remettre en cause cette décision impériale, il n’y a plus de frontières dans le domaine cinématographique entre les États-Unis et le Canada. Aujourd’hui encore, les films étasuniens sortent simultanément dans les deux pays et leurs recettes sont comptabilisées dans un « box-office » unique. Cette situation n’empêche toutefois pas le tournage en 1922 du premier long-métrage québécois, Madeleine de Verchères. De ce film consacré à une mythique héroïne québécoise réalisé par J.-A. Hormier, il ne subsiste que quelques photos de tournage et des articles de presse conservés par la Cinémathèque québécoise. Il en est de même pour le second long-métrage québécois de l’époque du muet.
Comprenant qu’ils ne pourront s’opposer durablement au développement de l’image animée, certains ecclésiastiques décident d’utiliser cet art de masse au profit de leur idéologie. Ainsi, Monseigneur Albert Tessier tourne les premiers documentaires québécois. Un peu plus tard, en 1937, l’abbé Maurice Proulx réalise le premier long-métrage, En pays neuf. Mais une poignée de films ne font pas une cinématographie et l’on peut affirmer que, jusqu’au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, s’il y a du cinéma au Québec, il n’y a pas encore de cinématographie québécoise.
D’un point de vue cinématographique, l’année 1939, au Canada, est marquée par la création de l’Office National du Film (ONF/NFB). Le gouvernement de ce pays, qui, comme on l’a souvent et justement écrit a trop de Géographie et pas assez d’Histoire, veut donner une image du Canada aux Canadiens et à l’extérieur. Pour ces raisons politiques, il confie la création de toutes pièces d’une institution cinématographique nationale à un grand documentariste britannique, John Grierson. Après les années de guerre où elle va surtout servir à fabriquer des œuvres de propagande en faveur des alliés et malgré l’anticommuniste chasse aux sorcières qui s’abat sur son fondateur puis sur son successeur, l’ONF devient le creuset d’une importante activité novatrice dans le domaine du documentaire et dans celui de l’animation. Mais il faut attendre le milieu des années 50 et le déménagement de cette institution initialement installée à Ottawa pour que l’ONF joue un rôle déterminant dans l’émergence du cinéma québécois.
Les Québécois n’attendent pas ce déménagement pour tenter de lancer leur cinématographie. Dès 1943, l’Abbé Jean-Marie Poitevin réalise À la croisée des chemins, le premier long-métrage de fiction québécois parlant. L’année suivante est fondée à Montréal la très catholique société de production Renaissance film. Elle confie immédiatement à Fedor Ozep, un cinéaste d’origine russe à la carrière internationale, le tournage d’un long-métrage de fiction, Le Père Chopin. Une seconde société tout aussi bien pensante, Québec productions, produit en 1946, à Montréal, Un homme et son péché de Paul Gury. Ces films et la plupart de ceux qui les suivent connaissent un certain succès. Ainsi, l’édifiant La Petite Aurore, l’enfant martyr de Jean-Yves Bigas est vu par de nombreux « Canadiens français ».
L’arrivée de l’ONF à Montréal en 1956 constitue un véritable tournant dans l’histoire du cinéma francophone en Amérique du Nord. L’année suivante, une polémique éclate à l’intérieur et à l’extérieur de cet organisme sur le peu de place laissée aux réalisateurs et aux techniciens francophones. En 1958, deux d’entre eux, Gilles Groulx et Michel Brault, réalisent un court-métrage documentaire qui marque la naissance de l’école du cinéma direct qui connaît une fulgurante heure de gloire au début des années 60. Pour la suite du monde, un long-métrage signé Pierre Perrault, Michel Brault et Marcel Carrière, sélectionné au Festival de Cannes en 1964, marque l’apogée de ce mouvement aux ramifications internationales.
À la même époque, plusieurs jeunes cinéastes venus eux aussi de l’école documentaire se lancent dans la fiction dans un style proche de celui de la Nouvelle Vague. Ainsi, en 1963, Claude Jutra signe À tout prendre. L’année suivante c’est au tour de Gilles Groulx de passer avec armes et bagages à la fiction avec Le Chat dans le sac. Gilles Carle fait de même en 1965 pour La Vie heureuse de Léopold Z. D’autres jeunes hommes pressés et sans expériences font aussi parler d’eux. Ainsi Denys Arcand qui, avec Denis Héroux et Stéphane Venne, réalise Seul ou avec d’autres, sélectionné lors de la première Semaine de la critique du Festival de Cannes ou Jean Pierre Lefebvre qui signe en 1965 Le Révolutionnaire.
Durant la très agitée année 1968, le Québec rapidement et énergiquement laïcisé par la révolution tranquille alors en voie d’achèvement produit son premier film érotique officiel, Valérie de Denis Héroux. Les tragiques évènements d’Octobre 1970 marquent profondément les Québécois et tout particulièrement la communauté cinématographique. Alors qu’il n’existe aucun long-métrage de fiction québécois (ni canadien d’ailleurs) sur des moment aussi importants de l’Histoire des Francophones d’Amérique du Nord que la déportation des Acadiens (1755), la bataille des plaines d’Abraham (1759) et un seul sur les émeutes contre la conscription (1918), les événements de l’automne 1970 inspirent plus ou moins directement plusieurs œuvres marquantes ; de Bingo de Jean-Claude Lord (1974) à Octobre de Pierre Falardeau (1994) en passant par Les Ordres de Michel Brault (Prix de la mise en scène du Festival de Cannes en 1975) ou Les Années de rêve de Jean-Claude Labrecque (1984).
Au milieu des années 70, le cinéma québécois connaît ses premiers succès à l’étranger. C’est le cas de films de Gilles Carle (Les Mâles, La Vraie nature de Bernadette, La Mort d’un bûcheron qui révèle Carole Laure…), mais aussi d’œuvres signées Denys Arcand, Jean Beaudin, Francis Mankiewicz ou du jeune André Forcier. Après de nombreuses manifestations, les artisans du cinéma obtiennent la création d’un Institut Québécois du Cinéma. Beaucoup d’artistes s’engagent derrière le Premier gouvernement indépendantiste qui arrive au pouvoir en 1976. L’euphorie est de courte durée. Des difficultés économiques, l’échec du premier référendum sur l’indépendance (seuls 40% des Québécois votent Oui), une certaine sclérose créatrice sont les principales raisons avancées pour expliquer les difficultés rencontrées par le cinéma québécois au début des années 80. Cette crise n’empêche toutefois pas l’émergence d’une nouvelle génération de cinéastes plus hétérogène et plus féminine que la précédente : Léa Pool, Micheline Lanctôt, Tahina Rached, Paul Tana, Jean Beaudry, François Bouvier, Yves Simoneau, Jean-Claude Lauzon, André Malançon...
Le succès international du Déclin de l’empire américain (1986) suivi de celui de Jésus de Montréal (1989), deux films de Denys Arcand, relancent pour un temps le cinéma québécois qui connaît une nouvelle crise de croissance dans les années 1990. Depuis le début du millénaire, cette cinématographie largement francophone qui produit une centaine de courts et de longs-métrages chaque année réussit à coups de reprises de classiques d’autrefois et de films de genre à attirer de plus en plus de spectateurs dans ce qui fut la Belle Province. Certaines de ces œuvres arrivent à s’exporter avec succès. C’est le cas des Invasions barbares (la suite du Déclin de l’Empire américain), de La Grande séduction du jeune Jean-François Pouliot ou de C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée…
Bibliographie
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