Les relations entre les champs culturels béninois et français
Suite à la lecture des romans de l’auteur béninois Florent Coauo Zotti, et après avoir pris en considération les contextes socio-historiques des ouvrages des écrivains africains francophones, j’ai conçu l’idée de réfléchir sur ce thème, d’étudier les rapports entre les "champs culturels" béninois et français en m’appuyant sur l’une des théories du sociologue Pierre Bourdieu. Il est très intéressant d’examiner les rapports entre deux cultures hétérogènes pour pouvoir comprendre en profondeur leur rôle dans la société d’aujourd’hui..
La notion de "champ culturel" de Bourdieu peut-être très utile puisque comme l’on sait, ce terme découle de ses études sur le "champ"1qui, est "un système de positions individuelles (habitus identique) qui se définissent par la structure et le volume du capital détenu. Il s’agit d’un capital économique (actions, terres, travail, revenu, patrimoine), d’un capital culturel (connaissances, qualifications, acquises dans la famille et à l'école), d’un capital social (amis, relations, réseaux), et d’un capital symbolique (réputation, considération, etc.)"2
Dès lors, la structure du champ est déterminée par l’inégalité des positions individuelles quant au capital détenu : ainsi, il arrive qu’à l’intérieur du territoire, se vérifient des luttes entre sujets dominants et dominés. En effet, "ces luttes pour la dominance créent des manœuvres de conservation pour ceux qui dominent, et de contestation et de subversion pour ceux qui sont dominés." (ibid.)
Par ailleurs, ce que Bourdieu appelle habitus est "un système de dispositions durables (habitudes de penser, de faire, postures corporelles, manières d’être, de penser, de dire) que les individus ont intériorisées et qui les déterminent inconsciemment. L’habitus est le produit d’une appartenance sociale et l’habitus primaire est construit durant l’enfance au sein de la famille, selon sa situation sociale et hiérarchique. Sur cet habitus fondamental se greffent des habitus secondaires, le scolaire, le professionnel, le social du groupe d’appartenance (le même que le familial, celui résultant de la mobilité sociale de la personne)". (ibid.)3
Par conséquent, c’est en étudiant l’ensemble de la théorie esquissée ci-dessus qu’on peut comprendre quel type de relations s’établit entre les champs culturels béninois et français ; de là, si par "champ culturel" on entend le capital culturel contenu dans cet espace et les luttes qui y prennent place, on pourra affirmer que la langue et la littérature françaises représentent le capital culturel des deux champs (car elles font partie des connaissances acquises dans la famille et à l’école), en formant ainsi des inégalités entre parties dominantes (françaises) et parties dominées (béninoises), même si, on verra le cas inverse aussi, c’est-à-dire que la langue et la littérature béninoises peuvent se servir parfois de la langue et de la littérature françaises.
Ainsi, je vais poursuivre ma réflexion en expliquant ce que j’ai affirmé jusqu’à présent et l’importance des relations entre ces deux cultures du point de vue linguistique notamment, car la langue représente la voie d’accès principale pour comprendre leur croisement et pour en montrer les dépendances ; mais, pour mieux approfondir cet aspect, il sera nécessaire de distinguer dans la question de la langue, trois niveaux spécifiques : le linguistique même, le littéraire et l’éditorial.
1. Niveau linguistique
Si on imagine le moment de l’introduction de la culture française en Afrique de l’Ouest, et en particulier le cas de son arrivée au Bénin, on peut aussitôt penser à l’installation des colonies françaises pendant la fin du XIXe siècle sur le territoire du Royaume du Dahomey (ancien nom du Bénin).4
En effet, à travers le système de gouvernement colonial on a pu assister à la francisation des populations africaines, précisément par la création d’écoles coloniales où l’un des principaux instruments pour « éduquer » les gens était, au début, l’enseignement de la langue.
À ce propos, Adrien Huannou, Professeur à l’Université Nationale du Bénin, déclare : "Si l’on tient à sa légitimation officielle dans l’univers linguistique ouest-africain, on peut affirmer que chez nous au Bénin, elle a aujourd’hui 155 ans, car les premiers embryons essentiellement initiés par les missionnaires protestants et catholiques remontent à 1843."5
C’est donc dans la perspective linguistique que l’on peut comprendre d’abord l’entrée culturelle du monde français dans le continent noir.
Pourtant, on ne peut pas imaginer que la langue française avait été introduite au début comme une langue seconde, puisque son rôle principal était d’être un outil de communication entre étrangers et autochtones.
En particulier, elle représentait aussi un instrument pour évangéliser le peuple africain, et pour ce dernier, c’était un moyen d’imitation et de renouvellement ainsi, Huannou affirme :
[…] le vœu des missionnaires était l’expansion de la foi par l’expansion linguistique. Dans leur esprit, le français devait simplement servir comme langue d’usage, dans celui des apprenants, la perception n’était plus là : on allait à l’école apprendre le français pour ressembler aux premiers qui y sont allés. On peut donc dire que, plus ou moins pernicieusement, à la motivation instrumentale affichée vient se superposer une motivation intégratrice. (ibid., p. 13)
Par la suite, on peut attester que le système colonial français, dès son apparition au Bénin, avait immédiatement imposé ses règles à l’intérieur de l’enseignement scolaire africain dans le but de faire connaître sa propre langue et de civiliser les "indigènes" :
En 1890, la France a ordonné à toutes les écoles missionnaires des Etablissements Français du Bénin d’enseigner en langue française, et a engagé des mesures protectionnistes dans cette optique : elle offre gratuitement des subsides financiers, des locaux et de la main-d’œuvre à ceux qui obéissent.
Ensuite, on apprend que pour assurer le monopole total de l’enseignement, une note circulaire a été prise le 1er Juillet 1914 à Dakar au sujet de l’enseignement privé ; elle stipule que l’enseignement doit être pensé "comme instrument de la cause française". (Ibid., p. 15)
On signale ensuite la demande de manuels scolaires par les missionnaires français en Afrique ; dans ces textes on montrait un univers socioculturel totalement étranger aux élèves béninois, mais en même temps on voulait donner un fort sentiment d’intégration; dans ce cas, pour réaliser une étude spécifique, il faudrait tenir compte qu’il y avait plusieurs types de scolarisation (les élèves qui allaient à l’école pouvaient appartenir aux classes élitaires mais ils provenaient des familles plus pauvres aussi), donc les niveaux d’enseignement et d’apprentissage pouvaient être différents :
Chez les jeunes Béninois scolarisés, un nouvel esprit commençait à prendre corps. Chacun se convainc de plus en plus que pour survivre, linguistiquement parlant, il faut savoir parler français. Selon les archives d’histoires, cette nouvelle conscience linguistique est largement partagée par les premières élites, mais aussi par les populations paysannes à travers toute l’Afrique francophone jusqu’aux indépendances au moins. Par exemple, dans les grandes villes du Bénin, les expériences d’alphabétisation en langues nationales ont régulièrement échoué au profit des cours d’adultes en français. (Ibid. p. 19)
Toutefois, au Bénin aussi, ainsi que Massoumou nous le montre pour le Congo, il y a des opinions différentes sur l’usage de la langue française à cause de plusieurs facteurs (comme on vient justement de le remarquer) :
Les Congolais ont des opinions très variables sur le français et son usage. Ces opinions dépendent de la situation individuelle, de la zone d’habitation et du niveau scolaire ou universitaire. Dans les zones rurales, caractérisées par une certaine homogénéité linguistique et un usage limité du français, celui qui parle ou qui écrit français représente un modèle social. En ville, s’établit une différence entre les analphabètes et les scolarisés. Les premiers ressentent un vide, un dénuement à cause de leur incapacité à s’exprimer en français. Les jeunes filles analphabètes (16-25 ans) pensent que la langue française ouvre les portes du mariage, de l’apprentissage d’un métier, de la lecture de la Bible en français. Ils rejettent cette langue en invoquant son caractère étranger ou en lui reprochant d’être la langue du colon. Pour eux, les scolarisés manquent de discernement et font preuve d’une vantardise insupportable. Mais ces jeunes reconnaissent l’importance institutionnelle de cette langue par sa vertu à assurer une promotion sociale. Les maladresses d’expression commises trahissent leur bas niveau d’étude. Chez les scolarisés, la langue française est davantage perçue comme un instrument. Sa difficulté structurelle et fonctionnelle est souvent mise en exergue pour excuser certaines maladresses d’expression.6
Pour mieux comprendre comment les Béninois ont appris et utilisé la langue française chez eux, il faut remarquer qu’on distingue trois catégories de français au Bénin :
Il s'agit d'abord du français standard correspondant à celui qui est enseigné dans les écoles et utilisé dans les familles considérées comme scolarisées; c'est donc un français qui respecte scrupuleusement les règles de la langue, même de la part de ceux qui ont appris les rudiments du français à l'extérieur de l'école. Mais, dans la rue ou au marché, c'est un français populaire, presque argotique, qui est utilisé; on l'appelle le français d'Afrique et il est surtout utilisé à Cotonou. Outre les termes argotiques, cette variété est caractérisée par les erreurs dans l'attribution des genres (masculin/féminin), le problème du choix entre les verbes avoir et être dans la conjugaison aux temps composés («il a tombé», «j'ai parti», etc.), les énoncés nominaux («moi venir», «toi rien comprendre»), sans oublier les interférences linguistiques (ou mélanges des langues). La troisième variété de français correspond à ce qu'on appelle le français «snobé» de Cotonou. C'est un français mal compris, destiné surtout à épater, dans lequel on trouve des fautes systématiques et imprévisibles, le tout dans un style hypercorrectif avec l'emploi du subjonctif et l'utilisation délibérée de mots rares.7
Voici la liste des principaux manuels utilisés par les enseignants qui montre bien la situation générale de l’école :
- Manuel de l’instituteur d’Afrique noire
- Méthode rapide pour apprendre le français aux Noirs
- Pédagogie à l’usage de l’instituteur africain
- Livre de lecture courante pour les écoles d’Afrique Occidentale française
- Nouvelle pédagogie pour les écoles africaines
- Livre unique de français pour les écoles françaises d’Afrique
- Manuel de lecture de l’écolier africain8
Néanmoins, il y a eu des périodes pendant lesquelles une certaine réaction s’est vérifiée de la part des populations béninoises à la domination du système éducatif français et donc à l’imposition de la langue française ; en particulier, cela est arrivé une dizaine d’années après l’indépendance, grâce à la vaste campagne d’alphabétisation en langues nationales proposée par l’UNESCO au sein de laquelle un certain nombre d’experts avaient tenté d’encourager une certaine limitation du rôle et du statut de la langue française. En effet, en 1971, une réunion spécifique a été convoquée en vue de la composition d’une commission nationale de linguistique, qui était censée définir des objectifs précis :
- « préparer un séminaire national ou régional (avec la collaboration d’autres Etats africains) sur la transcription des langues dahoméennes ;
- se pencher sur les littératures et cultures qui véhiculent nos langues pour savoir quels traitements leur réserver, en vue de leur nécessaire introduction dans notre système ;
- élaborer un programme décennal de la promotion des langues africaines en collaboration avec l’UNESCO ». (Ibid. p. 20-21)
De plus, on peut affirmer que le programme ci-dessus se réaliserait principalement au moment de la Révolution du 26 octobre 1972 au Bénin, quand le nouveau chef d’État proposerait une nouvelle politique linguistique fondée sur les points suivants (page 9 du rapport déposé par la commission) : "Il s’agira d’abord d’introduire nos langues nationales comme des matières, c’est-à-dire de les enseigner au même titre que les autres disciplines ; il s’agira ensuite d’introduire nos langues nationales comme véhicule du savoir, c’est-à-dire d’enseigner les différentes disciplines dans nos langues". (Ibid. p. 22)
À ce propos, il faut remarquer qu’on doit distinguer entre les décisions prises ensuite par l’État en ce qui concerne le statut de la langue et les décisions individuelles; en effet, tout naturellement les élèves avaient montré une forte désaffection pour toutes les disciplines enseignées en français ; malgré cela, après la période révolutionnaire, le français a récupéré son ancienne influence, et il a obtenu de nouveau ses privilèges par rapport aux autres langues en usage dans le pays.
Par conséquent aujourd’hui, pour travailler et pour participer à la vie publique au Bénin, il faut obligatoirement connaître la langue française (Ibid. p. 23):
au Bénin, le français n’est pas seulement une langue de travail devenue indispensable dans la vie quotidienne, c’est véritablement une langue de culture. Les Béninois en ont fait leur langue. Pays carrefour, le Bénin est et ne peut être qu’une terre de dialogue. Dialogue des cultures avant tout, dialogue des peuples qui les ont créées, dialogue avec les pays ayant en commun l’usage du français, mais aussi avec tous les pays du monde. Instrument privilégié de ce dialogue, le français permet au Bénin de faire connaître au monde extérieur son patrimoine culturel national.9
Ainsi, après avoir illustré le rapport entre langues béninoises et langue française, on a pu appréhender le type de dépendance présent depuis longtemps entre partie béninoise dominée et partie française dominante.
2. Niveau littéraire
À présent, pour approfondir la théorie du « champ » de Bourdieu, il s’agit d’envisager ces relations, non seulement d’un point de vue linguistique, mais aussi littéraire.
Même pour cela il faut noter qu’il existe une différence entre ce qui est décidé par les institutions et ce qui se passe au niveau privé : en ce qui concerne l’introduction de la littérature au Bénin on peut se rattacher au discours précédent sur la revendication de la langue béninoise, vu que les premières productions littéraires dans ce pays sont orales et surtout, qu’elles sont caractérisées par les différents dialectes et idiomes locaux existants : "la littérature orale est l’une des principales sources génératrices de la littérature béninoise écrite ; elle est une source d’inspiration permanente : des écrivains (romanciers, auteurs dramatiques, auteurs de légendes ou de contes) de toutes les époques et de toutes les générations s’y sont abreuvés". (Ibid. p. 12)
En revanche, on verra ensuite que la littérature béninoise écrite est, presque exclusivement, une littérature de langue française.
On remarque que, depuis l’époque coloniale et après l’indépendance de 1960, l’un des moyens de diffusion de la production littéraire a été la presse, comme l’explique Adrien Huannou :
au Bénin, la naissance de la presse écrite a précédé celle de la littérature proprement dite ; l’Echo du Dahomey, premier journal privé publié dans la Colonie du Dahomey et Dépendances (colonie crée par la France en 1894) fut lancé le 23 juillet 1905, alors que le premier ouvrage proprement littéraire publié par un auteur béninois parut seulement en 1929 : il s’agit de l’Esclave, premier roman de Félix Couchoro. (Ibid. p. 10)
Alors, on peut se rendre compte que d’un côté, il y avait et même il y a l’intention de la part des Béninois de garder leurs propres traditions et origines, mais de l’autre, il leur a fallu s’immerger au cœur de la culture française pour faire entendre leur voix et pour être compris par un monde "autre" si puissant par rapport au monde africain.
2.1 Une analyse d’exploration chez l’auteur béninois Florent Couao Zotti
Pour mieux comprendre les rapports entre les deux "champs" (béninois et français) il est utile d’introduire le témoignage d’un auteur contemporain du Bénin en utilisant ses réponses à un questionnaire sur les études littéraires dans son pays. Ainsi, j’ai eu le plaisir de correspondre avec Florent Couao Zotti, romancier et auteur de plusieurs ouvrages de théâtre né en 1965. Cet écrivain a obtenu sa maîtrise en lettres modernes en 1988 et en 1990, avec la fin du régime dictatorial et l’apparition de nombreux journaux indépendants, il a commencé à écrire pour le « Canard du Golfe », revue bimensuelle de satire. À présent, il est enseignant de lettres à Cotonou. Son œuvre se caractérise par l’analyse de la société contemporaine du Bénin dont il cherche à mettre en évidence les contradictions et les aspects les plus sombres. En 1995 il publie « Ce soleil où j'ai toujours soif », une pièce théâtrale dans laquelle il pose des questions sur la capacité des pays africains à mettre en place une vraie démocratie après les régimes dictatoriaux. En 1996, il écrit « Un enfant dans la guerre », en réfléchissant sur les conséquences des politiques menées par ces gouvernements et sur les conflits qui ensanglantent son pays. Dans ce roman de jeunesse, l’auteur critique la guerre et il met en lumière son inutile cruauté. Ensuite, il accomplit un véritable examen de sa société dans « Notre pain de chaque nuit » (1998), dans lequel il décrit la déchéance humaine par de sordides histoires de prostitution et de corruption. Il poursuit son analyse sociale dans « L'Homme dit fou et la mauvaise foi des hommes », paru en 2000, dans lequel l’auteur raconte la ville de Cotonou et sa misère en dix nouvelles. En 2001, il retourne au théâtre et il publie « La diseuse de mal-espérance », pièce inspirée de « Notre Dame de Paris » de Victor Hugo et située dans l’Afrique d’aujourd’hui.10Ensuite, il publie « Les fantômes du Brésil » (2006), histoire tragique d’une jeune fille de la communauté des Agouda, composée de descendants d’esclaves revenus du Brésil à la fin du XIXe siècle dont il nous montre la fierté de faire partie d’une culture hybride et le fort sentiment de supériorité sur leurs compatriotes, accusés d’avoir vendu leurs ancêtres aux négriers occidentaux.11
En outre, on peut affirmer que l’œuvre de cet auteur est marquée par un style très original, à la fois réaliste et fantastique, par une écriture recherchée mais parfois assez simple, riche en images, avec une allure plutôt rapide, qui mettent en scène des histoires très captivantes.
Bref, on reste fascinés en lisant ses ouvrages et c’est pourquoi il aurait été l’une des personnes parmi les plus indiquées pour répondre à propos des programmes littéraires établis par le système scolaire au Bénin (même si, pour accomplir une étude plus précise, il faudrait poser ces questions à un plus vaste nombre d’auteurs), étant donné en outre qu’il a fréquenté l’école africaine et il habite au Bénin, il connaît aussi bien la langue de son pays natal que la langue française, et il est devenu enseignant et écrivain.
Voici notre correspondance, les questions que je lui ai posées et ses réponses :
Erica Tacchino : "Quels sont les programmes étudiés au collège, au lycée et à l’université ? Quel genre de littérature étudie-t-on?"13
Florent Coauo Zotti : "Chère amie, celafait bien des années que j'ai quitté le milieu universitaire de mon pays; mais, comme il m'arrive, de temps en temps, de m'y rendre invité par des professeurs de littérature, je me rends compte que les programmes n'ont pas véritablement connu de transformation par rapport il y a vingt ans. Les littératures françaises et africaines y sont enseignées, dans leurs différentes déclinaisons (thématiques, périodisations, géographies ou aires culturelles, etc...) Mais en plus de la littérature orale, il est souvent fait mention des textes issus de la nouvelle génération des écrivains africains: comme mes oeuvres qui sont étudiées et font l'objet de mémoires de maîtrise."
Erica Tacchino : "Et quels sont les auteurs les plus étudiés dans votre pays ?"
Florent Coauo Zotti : "Au collège, les programmes sont demeurés les mêmes depuis ...trente ans. Je me rappelle, quand je faisais la classe de 5ème (1978), on avait porté déjà au programme le recueil de nouvelles de mon compatriote Jean Pliya (« L'arbre fétiche »). L'année d'après, ce fut « La secrétaire particulière », une pièce théâtrale du même auteur inscrite pour les classes de 4ème. Dix ans plus tard, c'est le roman « Les Tresseurs de corde » (toujours du même auteur) qui a été imposé aux terminales. Seul, un autre écrivain béninois de la même génération, Olympe Bhêly Quenum, peut se targuer d'avoir réussi à faire inscrire son roman «
Un piège sans fin » en classe de première. Des ouvrages d'autres écrivains africains et certains classiques français sont au programme au collège":
- « Sous l’orage » de Seydou Badian (malien) en Seconde
- « L’esclave » de Félix Couchoro en Seconde
- « La Condition Humaine » d’André Malraux en Terminale
- « Les Bouts de bois de Dieu » de Sembène Ousmane (sénégalais) en Terminale
- « Les Fourberies de Scapin » de Molière en Sixième
- « Le Bourgeois gentilhomme » de Molière en Cinquième
- « Le pagne noir » de Bernard Dadié (ivoirien) en Cinquième
- « L’enfant et la rivière » de Henri Bosco en Quatrième
Il ajoute : "Il y a sans doute d'autres textes dont les titres m'échappent, mais à partir de cette description, vous avez une idée sommaire des programmes de littérature à l'université et dans les lycées et collèges."
En plus, Couao Zotti affirme : "Il faut ajouter des efforts de recherches que font bon nombre d’étudiants et de professeurs pour réhabiliter les genres oraux, les contes, les légendes, les mythes, les épopées, puisés dans les traditions orales des différentes aires culturelles du pays et édités sous formes d’ouvrages en langues béninoises."
En analysant le panorama littéraire que cet écrivain nous a décrit, on peut tout de suite relever les relations avec le monde littéraire français ; cependant, on peut affirmer qu’il existe un certain équilibre entre les deux littératures, béninoise et française, car on étudie à la fois des auteurs béninois, ou bien des africains en général, et des ouvrages d’écrivains français parmi les plus célèbres.
Cependant, si on retourne à notre réflexion sur le rapport d’opposition dominant/dominé, on pourra affirmer que cette supériorité "éclate" dans les livres de ces écrivains africains, surtout si on considère leurs textes sous un point de vue linguistique : en effet, toutes les œuvres qu’on a indiquées ci-dessus sont écrites en langue française, même celles qui ont été rédigées par des auteurs africains.
Comme on disait précédemment, la littérature béninoise écrite est presque exclusivement une littérature de langue française, même s’il y a quelques tentatives de rétablir les genres oraux en langues africaines par la publication de quelques recueils de poèmes en langue locale, etc.
Toutefois, lorsqu’on lit un roman de ces auteurs qui publient leurs ouvrages en français et qui vivent en Afrique, on s’aperçoit qu’ils écrivent parfaitement le français, leur langue officielle ; il serait intéressant de se demander si un peuple qui parle fon, adja, bariba ou yoruba (langues nationales) et qui écrit en français perçoit ce dernier comme une langue étrangère ou comme sa propre langue écrite ; on peut croire que ces écrivains peuvent la percevoir désormais comme leur propre langue, en particulier un auteur comme Florent Coauo Zotti, qui fait partie des romanciers de la dernière génération ; en effet, dès sa naissance il entend parler français et il utilise le français (qui était déjà langue officielle), et le fait qu’il l’ait étudié à l’école et qu’il l’emploie pour écrire ses romans, démontre qu’il considère la langue française au même niveau que la langue africaine, même s’il n’est pas né ou n’a pas vécu en France.13 Comme l’affirme Massoumou pour le Congo (mais on peut en tenir compte pour le Bénin aussi), le français n’est plus considéré comme une langue « autre » depuis longtemps :
Le français ne peut plus être perçu comme une langue étrangère. Il fait partie de l’univers linguistique congolais. En ville, plusieurs enfants ont le français comme première langue et des adultes analphabètes arrivent à parler en français grâce à une acquisition informelle dans la rue, sur le lieu de travail, etc. Le multilinguisme compris comme la connaissance multiple de langues chez un même individu est effectif chez la majorité des locuteurs.14
Par ailleurs, tout le monde pense d’habitude que les écrivains africains utilisent le français pour s’adresser à un public international, mais ce n’est pas uniquement pour cette raison, surtout au Bénin où il existe de nombreuses ethnies disparates, le français devient la langue véhiculaire qui permet de se faire comprendre par tous, en particulier par leurs concitoyens.
Cependant, on peut aussi remarquer qu’ils emploient quand même leurs langues lorsqu’ils insèrent au milieu de la narration des mots en une des langues africaines. En effet, comme le déclare encore Omer Massoumou, on se trouve face à un mélange de codes :
Ainsi le français s’emploie dans le cadre privé ou familial et inversement les langues véhiculaires ou vernaculaires interviennent à la place du français dans l’administration ou dans les espaces scolaires ou universitaires. Même le domaine de la littérature n’échappe pas au phénomène de mélanges des codes. (Ibid., p. 53)
Par ailleurs, Bruno Maurer note par exemple l’existence chez Henri Lopes (écrivain congolais) d’une écriture entre deux sinon plusieurs langues :
Le plurilinguisme prévalait dans l’enfance du narrateur : l’Oncle du narrateur, Ngantsiala, est interprète employé par les colons français ; sa mère et sa tante parlent parfois une langue inconnue de lui, forme ancienne de kigangoulou, parlée seulement par les vieux et dans certaines occasions rituelles ; enfin, l’alternance des langues, manifeste entre le narrateur et son cousin lors de leur rencontre en France, renvoie à une pratique courante du discours alterné dans leur jeunesse. (Ibid.)
En analysant cet aspect on peut se demander dans quelle mesure ils sont conscients d’utiliser des mots africains quand ils sont en train d’écrire en français ; comme l’affirme l’écrivain et poète franco-tunisien Abdelwahab Meddeb, bilingue, lorsqu’il décrit le travail quasi inconscient du bilinguisme dans le texte écrit finalement en français : "Quand j'écris dans une langue, l'autre langue dans la première se réserve; elle y travaille quelque part, délibérément et à mon insu. La présence de la langue absente, dans la langue où j'écris, peut au reste ordonner une poétique."15 Donc, on remarque pourquoi parfois certains mots qui appartiennent à la langue première peuvent affleurer soit inconsciemment soit volontairement à l’exposé écrit; et parfois les auteurs insèrent des mots africains exprès, pour à la fois récupérer leur langue et ne pas oublier leur identité d’africains, et aussi puisqu’ils emploient le français comme moyen pour se faire connaître et surtout pour se faire comprendre ; le français devient un véhicule entre les deux cultures qui, sans ce précieux outil, ne pourraient pas se rapprocher.
Or, ces écrivains ont une grande responsabilité, car ils cherchent à "combattre" un sens d’infériorité par rapport à la culture européenne ; en effet, une tendance de la classe opprimée est de regarder l’autre, la dominante, comme quelque chose de supérieur.
Bref, le but de la plupart des auteurs africains qui écrivent en français est de dépasser ce sentiment de subalternité, même si, effectivement, ils mettent en scène un paradoxe, car ils communiquent à travers la langue dominante -un conflit pour eux- puisque le français correspond au produit de l’instruction coloniale et se réfère indéniablement aux modèles de l’université occidentale.
2.2 L’importance du « marché linguistique » et le choix d’utiliser le français hexagonal dans la littérature africaine francophone
Pour mieux expliquer ce qu’on a affirmé jusqu’à présent, il serait utile de citer les mots de Bourdieu en ce qui concerne la dynamique entre norme exogène vs normes endogènes (langue coloniale vs langues colonisées) ; il approfondit cette force en relation à la notion de marché linguistique défini comme « l’espace social dans lequel se déroule la négociation entre les forces linguistiques en jeu. »16Il affirme : « Lorsqu’une langue domine le marché, c’est par rapport à elle, prise comme norme, que se définissent les prix attribués aux autres expressions et du même coup la valeur des différentes compétences. » (Ibid.) Et comme l'éclaircit Chiara Molinari dans « Parcours d’écritures francophones »17en reprenant les idées de Bourdieu :
Tel est le cas du français hexagonal : fort de la légitimité qui lui est conférée par les conditions socio-historiques qui préexistent, le français standard s’impose en tant que norme prescriptive à laquelle les autres variétés doivent s’assujettir et en fonction de laquelle elles seront évaluées. L’idéologie de l’unilinguisme unificateur s’accompagne, inévitablement, du refus de la pluralité linguistique et normative qui caractérise l’espace francophone : au nom de la Norme, l’hétérogénéité et la variation sont dévalorisées et stigmatisées. La relation entre norme légitime et variétés est donc une relation de forces symboliques. Le français hexagonal devient un capital symbolique qui confère à ceux qui le maîtrisent un pouvoir sur la langue et sur les utilisateurs et dont l’efficacité dépend de la reconnaissance qui lui est accordée. Son efficacité est garantie par l’efficacité des mécanismes qui assurent sa reproduction ainsi que par l’unité du marché auquel il appartient. L’imposition du français hexagonal dans les territoires colonisés trouve donc dans l’idéologie coloniale, ainsi que dans la structure sociale qui en découle, non seulement sa justification mais aussi la condition même de sa permanence et de son pouvoir.
Pour nous tenir à la métaphore économique, les constellations francophones que nous examinerons représentent autant de marchés linguistiques dans lesquels le français hexagonal, légitimé par les conditions socio-historiques qui l’ont produit ainsi que par l’autorité de ceux qui le représentent, est perçu en tant que capital linguistique : « parler de capital, nous informe Bourdieu, c’est dire qu’il y a des profits linguistiques […]»18, ceux-ci consistant essentiellement dans la possibilité que le capital fournit de s’élever dans la structure sociale et ethnique. (Ibid.)
Ainsi, en retournant au discours qu’on a développé précédemment sur le choix de l’écrivain africain d’écrire en français, on peut confirmer ce qu’on a soutenu, en suivant les explications de Chiara Molinari quand elle écrit à propos de l’écrivain malien Amadou Hampâté Bâ (1900-1991),
Le recours au français hexagonal pourrait donc être lu comme un signe de soumission à la puissance coloniale et, par conséquent, d’acceptation de la culture qu’elle véhicule au détriment des langues et des cultures ethniques. Si cette hypothèse était validée, l’on pourrait parler d’une glottophagie accomplie.
Toutefois, si seules les langues africaines peuvent permettre de pénétrer l’âme réelle de l’Afrique et qu’un éloignement excessif ne peut qu’entraîner une « dépersonnalisation », le recours au français hexagonal de la part d’Hampâté Bâ est loin de produire l’annihilation de ses origines ethniques, culturelles ou linguistiques. Au contraire, il s’avère être un outil de médiation emprunté en vue d’aboutir non pas à une perte mais un enrichissement : ouverture et intégration sont supposées favoriser une communication et une circulation égalitaire entre les identités ethniques qui participent à cet échange et cela d’autant plus que l’intégration de nouveaux facteurs culturels et identitaires est une disposition naturelle chez les Peuls (tribu d’origine de l’écrivain) et chez les Africains en général sans que cela puisse nuire à leur identité d’origine. De plus, la réduction de la richesse de l’oralité malienne aux structures plus rigides de l’écriture occidentale s’expliquerait aussi par la prise en compte d’un public occidental auquel l’écrivain se propose de faire connaître une culture autre. 19
3. Niveau éditorial (champ littéraire et champ économique)
Maintenant, il faut ajouter des considérations qui concernent, par contre, les relations entre deux champs différents : le champ littéraire et le champ économique.
Bourdieu affirme que le champ littéraire se trouve en position dominée par rapport au champ du pouvoir, dans ce cas celui économique ; en effet, l’ordre littéraire représenterait un défi à toutes les formes d’économisme, car il se présente comme un monde économique renversé, c’est-à-dire que "ceux qui y entrent ont intérêt au désintéressement" 20; et il dit encore qu’il faudrait analyser, dans cette logique, les relations entre les écrivains ou les artistes et les éditeurs ou les directeurs de galerie, en expliquant ensuite :
Du fait de la hiérarchie qui s’établit dans les rapports entre leurs détenteurs, les champs de production culturelle occupent une position dominée, temporellement, au sein du champ du pouvoir. Pour si affranchis qu’ils puissent être des contraintes et des demandes externes, ils sont traversés par la nécessité des champs englobants, celle du profit, économique ou politique. Il s’ensuit qu’ils sont, à chaque moment, le lieu d’une lutte entre les deux principes de hiérarchisation, le principe hétéronome, favorable à ceux qui dominent le champ économiquement et politiquement (par exemple, l’art bourgeois) et le principe autonome (par exemple, l’art pour l’art), qui porte ses défenseurs les plus radicaux à faire de l’échec temporel un signe d’élection et du succès un signe de compromission avec le siècle.
L’état du rapport de forces dans cette lutte dépend de l’autonomie dont dispose globalement le champ, c’est-à-dire du degré auquel ses normes et ses sanctions propres parviennent à s’imposer à l’ensemble des producteurs de biens culturels et à ceux-là mêmes qui, occupant la position temporellement dominante dans le champ de production culturelle (auteurs de pièces ou de romans à succès) ou aspirant à l’occuper, sont les plus proches des occupants de la position homologue dans le champ du pouvoir, donc les plus sensibles aux demandes externes et les plus hétéronomes. (Ibid., p. 355)
Donc, même à l’intérieur de ces domaines s’instaurent des rapports de dépendance : on peut s’en apercevoir tout de suite, lorsqu’on pense aux auteurs africains, qui se trouvent déjà en position dominée pour les raisons qu’on a illustrées jusqu’à présent, et à leurs ouvrages qui sont pour la plupart diffusés par des maisons d’édition françaises ; en effet, ces dernières font partie du principe hétéronome, vu qu’elles dominent le champ économique et détiennent ainsi le pouvoir décisionnel qui gère le marché littéraire.
Pour expliquer cette problématique, il est intéressant de reconstruire d’abord l’histoire de l’apparition des premières éditions africaines, de montrer leur rôle dans la société béninoise et d’en dénoter la condition actuelle :
S’il est vrai que les premières imprimeries installées sur le territoire du Dahomey datent de 1920, il faudra attendre les années quarante pour assister à la publication des premiers livres sortis des presses locales et écrits par des Dahoméens.
Il s’agit en fait de deux opuscules dont le premier, La France contre le racisme allemand de Paul Hazoumé, est un essai de 63 pages édité à Porto-Novo par l’Imprimerie du Gouvernement en 1940, tandis que le second, Amour de fétichisme, de Félix Couchoro, est un récit de 74 pages édité à Ouidah par l’imprimerie de Madame Pierre d’Almeida. En dehors de ces publications locales et de quelques autres sans grande importance, l’ensemble de la production du livre consommée dans la colonie du Dahomey provenait des maisons d’édition installées en Europe, même si certaines d’entre elles, comme Présence africaine, étaient entre les mains d’Africains hostiles à l’idéologie coloniale.21
Ensuite, après la Révolution, la situation apparaît améliorée, car on a assisté à la naissance de nombreuses maisons d’édition locales :
Le Bénin de la Révolution s’est progressivement enfoncé dans un tel climat d’aridité culturelle qu’y éditer un livre indépendant devenait un défi, un risque à prendre au péril de la liberté de son auteur. Heureusement, depuis l’ouverture démocratique de 1989, des Béninois partisans d’une promotion véritablement nationale de l’édition, de la conception à la réalisation matérielle des oeuvres de l’esprit, se sont engagés à relever le défi, Michel-Robert Gomez, entre-temps admis à la retraite, s’est associé avec un groupe d’amis pour créer, à Cotonou, les Editions du Flamboyant. Plusieurs éditeurs suivirent sa voie et, en quelques années, furent crées, entre Cotonou et Porto-Novo, diverses maisons d’édition dont les plus importantes sont : Intermonde Editions, les Editions Aziza, le Labo-Gbe Inter, le Groupe Ablode Inter, à quoi s’ajoutent l’ONEPI (imprimerie d’Etat) et les Editions du Bénin d’Urbain Nicoué. Les responsables de ces éditions se sont réunis le 29 septembre 1994 à Cotonou pour constituer une association officielle dénommée : Association des Editions du Bénin (ASEDIB). Les objectifs de la jeune association consistent essentiellement à s’unir entre éditeurs privés et publics pour occuper avec professionnalisme le terrain de l’édition au Bénin, à encourager la promotion de jeunes écrivains de plus en plus nombreux et en quête d’éditeurs, et à produire, pour les scolaires comme pour le grand public, des manuels et des livres de qualité. (Ibid., pp. 41-42)
Toutefois, après cette période positive, il y a eu des problèmes pour la production des éditions béninoises à cause de la crise économique et de la dévaluation du franc CFA : presque aucune société éditrice ne possédait de moyens suffisants pour publier à compte d’éditeur. (Ibid., p. 42)
Ainsi, pour les écrivains la solution pouvait être double : recourir aux publications aux compte d’auteur et aux subventions. En effet, dans la plupart des cas, éditeurs et auteurs de manuscrits s’associaient pour chercher des financements auprès de divers organismes comme les ONG, les ambassades ou les centres culturels des pays occidentaux. (Ibid.) Tout cela avait conduit à une situation de précarité et de malaise car en réalité, les problèmes de l’édition au Bénin sont de deux ordres : ceux qui proviennent de la responsabilité de l’État et ceux qui ressortissent aux éditeurs eux-mêmes.
En conséquence, certains éditeurs autochtones reprochent à l’État béninois de ne pas s’engager totalement pour améliorer la condition des lois du marché littéraire ; en plus, ils se plaignent de favoriser les maisons d’édition étrangères qui disposent déjà chez eux de grands moyens financiers au détriment des éditeurs locaux, quelquefois informés des appels d’offres seulement à la veille de la date de clôture des dépôts de dossiers. (Ibid., p. 43) Ces derniers n’ont rien à envier aux éditeurs plus puissants, mais en particulier il y a le problème des « maisons-pirates », dont l’activité "nuit à la crédibilité de l’édition sur le plan matériel en inondant le marché de textes et de papiers de mauvaise qualité, imprimés avec amateurisme et improvisation." (Ibid.) Par ailleurs, il y a la complication du manque de fonds propres pour promouvoir une politique cohérente du livre, depuis la fabrication jusqu’à la diffusion ; donc, les perspectives de développement de l’édition locale ne sont pas trop positives, même si les membres intéressés reconnaissent uniquement comme solution les éditions nationales et régionales africaines contre les coûts prohibitifs des ouvrages édités dans les pays à devises fortes. En effet, pour résoudre le problème du financement et réduire le coût du texte imprimé, les maisons d’édition locales s’associent de plus en plus avec les grandes maisons européennes pour tenter l’expérience de la coédition. (Ibid.) Ce remède permet d’abolir le problème de la diffusion, car on imprime et on réalise les livres sur place avec la participation financière et technique des sociétés coéditrices, et le livre produit devient moins cher que s’il avait été édité en Europe. En plus, les grandes éditions étrangères disposent d’un vaste réseau de distribution international grâce auquel le livre coédité peut être diffusé simultanément dans beaucoup de pays. (Ibid.) Mais tout cela devient difficile à réaliser en raison d’une politique confuse du marché du livre au niveau international; il y a notamment un débordement de manuels et d’ouvrages édités à l’étranger et diffusés à partir de l’étranger...
Conclusion
En conclusion, on peut affirmer qu’après avoir analysé les relations entre ces deux mondes si différents et avoir montré le genre de dépendance qui se crée entre une culture dominante et une autre dominée, on a pu comprendre le poids des événements linguistiques, littéraires et même économiques pour la réalisation de ces rapports si serrés et pour leur rôle au sein de la société africaine et européenne.
Par conséquent, on a vu comment les luttes pour la domination produisent une tendance à garder ce qu’on a déjà acquis, donc par exemple la langue et la littérature françaises se sont imposées depuis plusieurs années et il sera très difficile de les arracher de la culture béninoise étant donné que, désormais, elles en font partie... En revanche, ceux qui sont dominés tendent parfois à se révolter contre le pouvoir des dominants, comme on a pu le voir lorsqu’on a montré les tentatives de changement de droit par rapport au statut de la langue et au système scolaire du Bénin, mais dans la plupart des cas on retourne à la situation précédente et ainsi, malheureusement, la loi du plus fort prend le dessus.
Toutefois, on a appris aussi que les rôles des dominants et des dominés peuvent changer de place, ou plutôt, on a compris comment (à travers le discours sur la langue française employée par les écrivains béninois par exemple), ceux qui sont plus faibles peuvent profiter du pouvoir des plus forts pour faire remarquer leur présence dans le monde et se donner une chance dans la vie…
En effet, ce qu’on peut retenir en particulier de cette étude, est sans aucun doute l’importance de la langue française : elle reaste fondamentale dans tous les domaines de la société béninoise (relations individuelles, politiques, administratives, religieuses, culturelles, commerciales, etc.) ; elle réunit tout ce qu’on a cherché à démontrer à travers l’application de la théorie du « champ », et on s’en est aperçu en considérant son adaptation aussi bien au niveau littéraire qu’éditorial où elle joue un rôle indispensable.
Bref, en analysant l’introduction de la langue française au Bénin, on a pu comprendre ce que Bourdieu entend affirmer lorsqu’il explique la dimension du « marché linguistique », à l’intérieur duquel le capital linguistique en question (le français), justifié par les conditions socio-historiques qui l’ont produit ainsi que par l’autorité de ceux qui le représentent, amène à favoriser une élévation dans la structure sociale et ethnique, en particulier pour les sujets béninois qui peuvent ainsi s’enrichir et s’en servir pour faire découvrir aux autres leurs identités plurielles.
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Revue
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Note
↑ 1Pierre Bourdieu, Raisons Pratiques : sur la théorie de l’action, Seuil, 1994; Pierre Bourdieu, Ragioni pratiche, Il Mulino, Bologna, 1995, p. 7, 20
↑ 2Denis Touret (professeur de droit à l’Université Paris-Créteil), Les grands idéologues, et les autres, Pierre Bourdieu, un sociologue réaliste et contestataire, 2007,http://www.denistouret.fr/ideologues/Bourdieu.htm
↑ 3Pierre Bourdieu, Les règles de l’art, Genèse et structure du champ littéraire, Seuil, 1998, p. 293-294
↑ 4Chronologie historique et politique du Bénin : Au XVIIe siècle (1625) naissance du royaume du Dahomey (nord du Bénin) et du royaume d’Adjatché (sud-est). Au XVIIIe siècle (1782) la capitale du royaume d’Adjatché (Hogbonou) est baptisée Porto-Novo par les Portugais installés dans le comptoir négrier de Ouidha (commerce des esclaves). En 1851 la France signe un traité commercial et d’amitié avec le chef de Porto-Novo. En 1883 le roi de Porto-Novo signe un traité de protectorat avec la France. En 1894 le royaume bariba de Nikki oppose une vive résistance à la colonisation française. En 1899 le Dahomey est intégré à l’Afrique Occidentale Française (AOF). En 1958 le Dahomey devient état autonome au sein de la communauté française. En 1960 (1er Août) le pays accède à l’indépendance et un mois après aux Nations unies. En 1963 l’armée force Hubert Maga, premier président du Dahomey, à démissionner. En 1970 un Conseil Présidentiel de trois membres prend le pouvoir. En 1972 date de la Révolution : le commandant Mathieu Kérékou destitue le conseil présidentiel et devient le chef d’un État auquel il donne une orientation marxiste-léniniste. En 1975 le nom de Dahomey est symboliquement abandonné pour celui de Bénin (du nom du royaume qui s’était autrefois épanoui au Nigéria voisin). Kérékou est élu en 1980, réélu en 1984, et il échappe à trois tentatives de coup d’État en 1988. En 1990 un gouvernement de transition ouvre la voie au retour de la démocratie et du multipartisme. En 1991 est élu Nicéphore Soglo qui bat Kérékou à l’élection présidentielle. En 1996 Kérékou reprend le pouvoir. En 1999 le mouvement d’opposition (Renaissance du Bénin) de Rosine Soglo (épouse de l’ancien président) gagne les élections. En mars 2001 Kérékou est réélu président de la République. En 2006 Yayi Boni, du parti indépendant, succède à Kérékou. (Beninensis,http://www.beninensis.net/benin_histoire.htm)
↑ 5 Adrien Huannou, Francophonie littéraire et identités culturelles, L’Harmattan, 2000, p. 9
↑ 6Omer Massoumou et Ambroise Jean-Marc Quefféleq, Le français en République du Congo sous l’ère pluripartiste (1991-2006), AUF, 2007, p. 61
↑ 7République du Bénin, http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/afrique/benin.htm
↑ 8Op. Cit., Francophonie littéraire et identités culturelles, p. 17
↑ 9Notre Librairie, Littérature béninoise, n° 124, Octobre-Décembre 1995, p. 5
↑ 10Grazia Motta, L’opera narrativa di Florent Couao Zotti, Tesi di laurea, Università degli Studi di Milano, 2003/2004
↑ 11Valérie Thorin, Roméo et Juliette au Bénin, 6 Août 2006, http://www.jeuneafrique.com/jeune_afrique/article_jeune_afrique.asp?art_cle=LIN06086romoeninbua0
↑ 12Correspondance personnelle avec l’auteur (Florent Coauo Zotti)
Comme l’explique Ricard, “peu de langues africaines disposent d’une production écrite importante (une bibliographie de plusieurs centaines de titres au moins) ou des genres variés : religion, mais aussi grammaire, fiction, poésie écrite, voire textes scientifiques ou manuels techniques. Ces langues ont été aménagées, c'est à dire qu'elles ont fait l'objet d'un travail visant à compléter, mais aussi à uniformiser leur vocabulaire dans les divers secteurs des sciences et des activités humaines. Le résultat est une normalisation qui permet à la langue de devenir un objet culturel manipulable par des institutions comme les institutions éducatives de l'Etat moderne, avant tout soucieux de rationalité instrumentale. Il est alors possible de mettre au programme des textes écrits en ces langues, de faire passer des examens en étant sûr que correcteurs et candidats peuvent se référer au même corpus de termes dûment approuvés par une autorité reconnue...” (Alain Ricard, Langues africaines et littérature, http://llacan.vjf.cnrs.fr/fichiers/Ricard/bristol.pdf)
↑ 13Cela est seulement une hypothèse, car malheureusement, nous n’avons pas pu connaître l’opinion de l’auteur à cause de l'interruption de notre correspondance.
↑ 14Op. Cit., Le français en République du Congo sous l’ère pluripartiste (1991-2006), p. 49
↑ 15Anne Roche, Ecrivains francophones, Les dossiers, 2002
http://nymphes.ifrance.com/nymphes/culture/litterature/lesdossiers/lesdossiers.htm
↑ 16Pierre Bourdieu, L’économie des échanges linguistiques, in Langue Française, n° 34, mai 1977, pp. 17-34
↑ 17Molinari Chiara, Parcours d’écritures francophones, Poser sa voix dans la langue de l’autre, L’Harmattan, 2005
↑ 18Pierre Bourdieu, Questions de sociologie, Paris, Les éditions de Minuit, 1984, p. 128
↑ 19Op. cit, Parcours d’écritures francophones, pp. 65-66
↑ 20Pierre Bourdieu, Les règles de l’art, Genèse et structure du champ littéraire, Seuil, 1998, p. 353
↑ 21Notre Librairie, Littératurebéninoise, n° 124, Octobre-Décembre 1995, p. 40