La langue française et les mots migrateurs
Pour peu que l’on examine l’histoire d’une langue dans ses rapports avec les autres langues, on ne peut que constater l’extrême mobilité des mots, qui sautent allègrement par-dessus les frontières en provoquant un métissage constant, mais fluctuant car l’intégration peut être plus ou moins rapide et plus ou moins complète. De plus, il n’est pas rare qu’un mot fasse plus tard le voyage inverse et l’on peut alors parler d’un va-et-vient continuel entre les trésors lexicaux des langues entrées en contact, mais ce vocabulaire d’origine étrangère ne s’intègre pas du jour au lendemain.
La langue française et les mots migrateurs
Ainsi, c’est seulement depuis un peu plus d’un siècle que nous connaissons en français et que nous employons de façon familière un certain nombre de mots empruntés à l’arabe, comme toubib, bled, méchoui, baraka ou barda , des mots dont nous reconnaissons encore clairement l’origine arabe.
En revanche, d’autre éléments du vocabulaire, déjà en français depuis des siècles, comme algèbre, récif, amiral, matraque, gazelle, savate ou encore sucre, tasse, sirop et sorbet , qui avaient fait le voyage depuis le Moyen Âge, ont eu largement le temps de s’installer dans la langue française, si bien qu’on les croirait nés sur place. Les deux derniers exemples de cette liste sont de bonnes illustrations d’un phénomène fréquent dans l’histoire des mots voyageurs : au cours de leur séjour à l’étranger, ils ont pu voir leur signification se modifier et se nuancer. Les deux mots sirop et sorbet, qui reposent tous deux en dernière analyse sur la racine arabe ∫ r b désignant toutes sortes de boissons, ont acquis chacun une signification spécifique dans la langue française : le sirop est resté une solution concentrée de sucre, et le sorbet a pris le sens plus précis de glace aux fruits, sans lait ni crème.
Enfin, on parle toujours de l’humour anglais mais le mot humour lui-même, avait été emprunté en anglais à partir du mot français humeur au XIVe siècle, avec tout d’abord le sens de “liquide” qu’il avait alors en français, avant d’acquérir le sens de “disposition d’esprit” et, vers la fin du XVIIe siècle, celui de “drôlerie”.
En revenant au XVIIIe siècle dans la langue française, ce mot a enrichi notre langue d’un nouveau mot, humour, sous une nouvelle forme et dans une nouvelle acception, l’humour étant quelque chose de différent du simple trait d’esprit : quand on a de l’humour, on ironise en plaisantant, et cela va jusqu’à se moquer de soi-même avec drôlerie.
Afin de rendre justice au phénomène de la migration des mots, qui n’est pas à sens unique, il faudra donc tenir compte à la fois des mots français venus d’ailleurs et des mots français partis ailleurs. […]
Le texte intégral est publié dans le numéro 4 de la revue Synergies Italie
(accessible en ligne sur http://cla.univ-fcomte.fr/gerflint/Italie4/Italie4.html)