Publifarum n° 6 - Bouquets pour Hélène

Rires d’autrefois: le journal humoristique “Le Rire” en 1895

Paola Paissa



Le premier numéro du « Rire », « journal humoristique paraissant le samedi », est mis en vente le 10 novembre 1894. Fondé par Félix Juven qui, à partir de 1898, dirige également « La Vie illustrée », ce journal sera voué à un grand succès : il parviendra à des tirages importants pendant la Belle Epoque, dépassant souvent les 300.000 exemplaires vendus et, avec quelques transformations, il connaîtra des publications régulières jusqu’à 19501.
Notre étude se concentre sur la première année de publication de l’hebdomadaire (10 novembre 1894 – 29 décembre 1895), afin de s’interroger sur les stratégies et les contenus qu’a choisis le journal pour s’imposer au public dans sa phase de lancement.
La période retenue se situe donc au milieu des « 90 joyeuses », années pendant lesquelles la France connaît un moment de calme relatif : après la crise boulangiste, les élections de 1893 ont donné au pays une majorité plus stable que celles qui avaient caractérisé les premières décennies de la IIIe République. Le pouvoir est solidement dans les mains d’une nouvelle génération de « Républicains de gouvernement », qui préfèrent l’appellation de « modérés » à l’étiquette d’ « opportunistes » sous laquelle on avait désigné pendant des années les héritiers de Gambetta.
Des courants contradictoires traversent cependant l’époque. L’antiparlementarisme, qui n’avait cessé de s’accroître depuis 1870 à cause de l’instabilité ministérielle, et qui a été fort encouragé par le boulangisme, augmente encore à cause des nombreux cas de corruption (le scandale de Panama de 1891-1893, l’affaire des mines d’Anzin qui contraint le Président Casimir–Perier à démissionner en janvier 1895). L’antisémitisme sévit, alimenté par les partisans de Drumont et par les catholiques traditionalistes : il n’attend que 1896, avec le rebondissement sur l’opinion publique de l’affaire Dreyfus, pour éclater en véritable guerre idéologique. La vaste entreprise coloniale des années 90 oppose les intérêts des gouvernants et des hommes d’affaires à l’esprit revanchard de la gauche et de la droite, fort critiques sur les coûts imposants et les pertes militaires qui accompagnent les expéditions coloniales, auxquelles une partie de l’opinion préfèrerait une guerre continentale pour arracher aux Allemands les provinces perdues de l’Alsace et de la Lorraine. Enfin, l’indifférence des modérés, représentants de la haute bourgeoisie et des classes moyennes, à l’égard de la condition des ouvriers, favorise la montée du socialisme, qui connaît pour la première fois une importante affirmation parlementaire (50 députés socialistes sont élus au Parlement en 1893), ne cessant pas, toutefois, d’effrayer les bourgeois et les propriétaires, qui accueilleront favorablement les grandes répressions des grèves de la fin des années 902.
Face à ce panorama complexe, le « premier journal humouristique (sic) français vraiment artistique et vraiment bon marché »3 se pose sous le chiffre de l’hétérogénéité.
Politiquement prudent et surtout désireux de gagner de l’argent, Félix Juven s’entoure d’artistes aux orientations les plus diverses : antisémites et antidreyfusards comme Forain, Caran d’Ache,4 Léandre, socialistes plus ou moins anarchisants, comme Steinlen, Hermann-Paul, Grandjouan, Jossot, etc.
L’hétérogénéité caractérise donc les cibles de la verve comique, qui peuvent représenter l’ordre établi (les députés, les Ministres, le Président, l’Administration), aussi bien que les forces de l’opposition (les « socios » et même les anarchistes) et qui peuvent appartenir à différents milieux sociaux et culturels (journalistes, médecins, scientifiques, mais aussi paysans et ouvriers).
Parmi les écrivains, c’est Emile Zola la victime de prédilection du journal : sans parvenir aux accents qui seront propres à la campagne de haine déchaînée par la presse lors de l’affaire Dreyfus, le « Rire », en 1895, représente systématiquement l’auteur des Rougon-Macquart sous un jour négatif, en homme grossier aux prétentions ridicules.
Quel que soit le positionnement idéologique, un trait fondamental paraît réunir les collaborateurs du « Rire » : c’est leur sentiment de supériorité d’artistes à l’égard du bourgeois, gros, ignorant et jobard. A la fin de la première année de publication, les collaborateurs expliquent, contre les quelques détracteurs du journal, que leur mission est d’opposer « la raillerie victorieuse aux imbéciles, aux importants, aux niais, aux coquins tout puissants 5».
Un sentiment de supériorité fonde également la complicité et la solidarité des rieurs, dont on flatte la fierté de l’appartenance à une civilisation privilégiée : la France et, tout particulièrement, Paris. L’autre, que ce soit l’étranger, le juif, ou tout simplement le provincial, est l’objet d’un rire d’exclusion plus ou moins bienveillant.
Une bande à vignettes, parue dans le numéro 14 du journal (fig. 1), est significative à cet égard, qui affiche ironiquement le titre « Les types vraiment parisiens » et illustre un Paris déjà fort cosmopolite, réunissant « le Rasta, grec ou roumain6 », « le marchand de nougat (arabe) », « le marchand de vin (bourguignon) », « le marchand de lorgnettes (juif polonais) », le « chanteur des cours (italien) », « le marchand de marrons (savoyard) », etc.
L’hétérogénéité marque également les modalités et les supports du comique, qui vont du langage purement iconique, culminant avec les caricatures, qui constituent l’aspect le plus célébré du journal, 7grâce à la collaboration d’artistes réputés, comme Toulouse-Lautrec, Valloton, Forain, au langage verbo-iconique (les dessins d’humour de Willette, Jossot, Radiguet, etc.), au langage purement verbal (les histoires drôles et les fantaisies signées des noms et pseudonymes les plus divers : Tristan Bernard, Edmond Deschaumes, D’Alenvers, Lord Cheminot, Van Vater, Le Lâche Anonyme, etc.).
Dans cet ensemble si varié, nous concentrerons notre attention tout particulièrement sur le comique langagier, nous intéressant aux modalités du discours comique les plus fréquemment exploitées dans le journal. Du fait de leur nature protéiforme, ces modalités peuvent être considérées sous des aspects multiples, qui se recoupent à plusieurs égards et s’avèrent par là réfractaires à toute classification rigide.
C’est donc principalement pour des raisons d’exposition que nous allons diviser notre analyse en trois paragraphes, correspondant aux trois procédés qui nous ont paru les plus récurrents.

1 – Rire et déguisement verbal

Le jeu sur l’interdiscours et la multiplication des pastiches des formes textuelles, des typologies et des styles discursifs constitue une ressource inépuisable du « Rire »8.
Les formes de déguisement verbal que propose le journal relèvent d’une vaste opération de brassage langagier : la parole de l’hebdomadaire devient ainsi une sorte de prisme déformant dans lequel se reflète une époque où la consommation de discours ne cesse de s’accroître, avec l’accès de couches sociales de plus en plus élargies à la culture, l’augmentation constante des tirages des journaux, la diffusion des cabarets et la prolifération d’initiatives de causeries et de conférences publiques.
Cette vaste opération métadiscursive concerne en premier lieu les formes textuelles. Deux genres discursifs sont tout particulièrement mis à contribution dans cette première année de publication du « Rire » : la chanson et la fable.
La chanson à la fin du XIXe siècle est un produit ordinaire de ce que J.-Y. Mollier appelle la « librairie du trottoir » : vendues dans la rue par les camelots, les chansons sont complémentaires des journaux, où elles puisent les nouvelles et les faits divers dont elles offrent un commentaire satirique9.
Dans « Le Rire », les chansons sont souvent précédées de la citation du fragment journalistique rapportant l’information dont traite la chanson.
Une nouvelle comme la suivante :

« Le Ministre des Travaux Publics, M.Dupuy-Dutemps, a paru très surpris d’apprendre qu’on enlevait les arbres de l’Esplanade des Invalides pour y installer une nouvelle gare. (Les Journaux) »

donne, par exemple, l’occasion de se moquer de l’ignorance du Ministre.
Sur l’air connu de « Cadet Rousselle », la chanson dénonce « l’affreux scandale dont s’indigne la capitale » :

« Depuis huit jours les bûcherons (bis)
Des grands ormes tranchent les troncs (bis)
Si ce beau travail continue,
La place sera toute nue»

et sollicite une prise de position du Ministre qui, au refrain, se contente de lancer :

« Ah ! ah ! ah ! oui, vraiment !
Apprenez-moi ça vivement ! 10»

La chanson « Accidents officiels » vise également la parole d’un homme politique, se moquant des discours inutiles que profère le Ministre compétent à l’occasion de catastrophes survenues dans le pays. Sur l’air du « Petit Chaperon Rouge », le texte met en scène les départs empressés du Ministre qui, se rendant en visite sur les lieux d’éboulements, écroulements de mines, renversements de digues, promet à chaque fois des améliorations techniques et une surveillance accrue.
Dans le refrain, il répète donc :

« Et j’peux affirmer que d’ici longtemps
L’pays n’verra plus de tels accidents »

alors que le dernier couplet se fait le porte-parole de la perplexité des électeurs, trop confiants et crédules :

« Et le public bon enfant,
Le public qui pay’la casse,
Trouv’ que l’Ministre est charmant,
Qu’il y met beaucoup d’bonn’grâce
Mais tout d’même i’n’peut s’empêcher d’blâmer
Ces promess’ de moutarde après diner :
Il trouv’ qu’on paye un peu cher l’expérience
De ceux dont l’Etat garantit la science,
Et qu’il vaudrait mieux peut-être, éviter
Tous ces accidents que d’les réparer ! »
11


Du fait de sa popularité, la chanson est présente de manière quasiment systématique dans les premiers mois de publication du journal.
Dès le tout premier numéro, c’est Emile Zola qui offre matière à une chanson12. Pour se moquer de l’aspiration du romancier à être reçu par le pape Léon XIII, le journal prend appui sur sa déclaration au rédacteur du « Gaulois » de novembre 1894 :

« Avant tout, je tiens à me conduire en galant homme, en homme bien élevé, qui sait exactement ce qu’on doit au Souverain Pontife »

et propose le refrain : « Avec les papes, faut toujours êtr’poli » (sur l’air de « Avec les femmes il faut toujours être galant »), faisant mine de donner des conseils à l’écrivain :

« Monsieur Zola, quand Vous irez à Rome,
Si Léon Treiz’consent à vous r’cevoir,
Afin de vous "conduire en galant homme"
Fait’s un p’tit brin d’toilette, avant de l’voir.
Respectueux, devant l’vieillard austère,
Ne lui dit’s pas, en lui tendant votr’pli :
"C’est épatant c’que tu r’ssembl’s à Voltaire !"
Avec les pap’s, faut toujours êtr’poli ».

En quatre strophes et quatre dessins, le comportement inadéquat du romancier, ainsi que son langage bas et inapproprié à la situation, sont tournés en ridicule, suivant le sentiment général de condamnation des excès de vulgarité de l’écrivain, exacerbé après la publication de La Terre. C’est à ce roman, et tout particulièrement au personnage de Jésus-Christ, le rustre célèbre pour ses bruits molestes, qu’est consacrée la troisième strophe :

« Dans l’entrevu’, si notre Très Saint père
Vous interrog’ sur les Rougon-Macquart,
N’lui parlez pas du Jésus-Christ d’la Terre ;
Tâchez d’laisser ce bon type à l’écart.
Si, malgré tout, faut lui raconter l’rôle
Qu’jou’, dans votre oeuvr’c’personnag’si joli !
Ne joignez pas l’exemple à la parole ;
Avec les pap’s, faut toujours êtr’poli »13


Les fables, par contre, jouent sur une intertextualité plus complexe, basée sur un double registre : alors que le cadre connu de la fable de La Fontaine, pièce-maîtresse de l’instruction primaire obligatoire, constitue la référence fondamentale du récit, l’expression se propose comme une sorte de parodie du langage journalistique. La série, qui s’étend sur quelques numéros du journal, affiche en effet le titre : « Les Fables de La Fontaine racontées par un journaliste ».
Dans ces compositions, le comique naît de l’humanisation des protagonistes et du dépaysement que provoque le style de la narration.
Voici par exemple le début de la fable « Le loup et l’agneau », présentant le sous-titre journalistique « Rixe sanglante » :

« Un jeune homme, nommé Agneau, se prenait de querelle, hier soir, à la sortie d’une prairie, avec un Sieur Loup, sans profession avouable, qui lui reprochait de l’avoir insulté au moment où il se désaltérait chez un marchand de vin du quartier »14.

Le cadre énonciatif fortement prévisible du fait divers est déstabilisé par l’adjonction de détails qui superposent l’élément animalier à l’élément humain (« l’agneau, à la sortie d’une prairie », « le loup, sans profession avouable »). La réalité qui résulte de ce pastiche apparaît de ce fait subvertie et quelque peu surréelle :

« Le corbeau et le renard
Habile escroc
Un sieur Corbeau, qui revenait des Halles où il avait acheté un fromage, était monté sur un arbre pour se reposer….. »15

Sous la forme d’un double travestissement langagier, la fable acquiert ainsi une prise directe sur l’actualité et, à l’instar d’autres modalités que nous considérerons dans la suite, devient le moyen de dénoncer des situations de véritable détresse, comme le montre la fable « La Cigale et la fourmi » :

« La cigale et la fourmi
La misère
Une dame Cigale, ancienne chanteuse de café-concert qui eut son heure de célébrité, était tombée dans un état de gêne voisin de la misère. Depuis longtemps la malheureuse n’avait pour subsister que les aumônes de quelques personnes charitables et un faible secours que lui accordait l’Assistance publique.
Hier, la pauvre femme, qui n’avait pas mangé depuis plusieurs jours, s’adressait à une de ses voisines, la femme Fourmi, la priant de lui avancer quelques sous sur le prochain secours qu’elle devait recevoir. La femme Fourmi, non contente de refuser la faible somme qui lui était demandée, trouva de bon goût de plaisanter la pauvre femme sur son ancien métier. La femme Cigale se retira, mais à peine avait-elle fait quelques pas dans la rue, qu’elle s’affaissait subitement, succombant à l’inanition. Relevée par des agents, l’ex-chanteuse fut transportée au poste de police… »16

En dehors des formes textuelles de la chanson et de la fable, le langage journalistique fait l’objet de quelques autres formes de déguisement et parodie.
Dans la petite histoire « Jean le bon journaliste » on se réfère au protagoniste, un « reporter impassible et tenace », auquel on joue un beau tour, en utilisant à des fins comiques des expressions du jargon du journalisme, fourré d’anglicismes : « interviewer », « faire des lignes », « écrire un papier »17.
Dans « Désespoir d’amour », on parodie le ton sérieux du communiqué de presse pour donner une interprétation drôle de l’incident de la gare Montparnasse de novembre 1895, qui a vu une locomotive défoncer la verrière de la gare et pendre dans le vide. Prenant encore une fois pour cible l’œuvre de Zola, le « psychologue des locomotives », le « Paul Bourget des fourgons de bagage » (la référence est évidemment à La Bête humaine), le faux avis de la Compagnie de l’Ouest illustre les résultats de l’instruction, qui aurait conclu à un suicide causé par la jalousie de la locomotive amoureuse, et emprunte le style sec du communiqué pour mettre en garde contre les risques d’émulation :

« Il est malheureusement à craindre que, par un phénomène bien connu, le suicide de l’autre jour ne suggère une séries d’imitations et que, pendant quelque temps, on ne soit exposé à recevoir des locomotives sur la tête et à rencontrer, dans les rues de Paris, des trains entraînés par ces trop sentimentales machines18 ».

Outre le langage journalistique, d’autres types discursifs des milieux intellectuels attirent l’attention moqueuse des collaborateurs du « Rire ».
L’institution et la fortune des « universités populaires » pendant la IIIe République19, a rendu familière à un vaste public la figure du conférencier : instituteurs, savants, amateurs proposent, même dans les petits villages, des causeries sur les sujets les plus variés, de la géologie à l’agronomie.
Le numéro 22 de l’hebdomadaire présente la parodie d’une conférence sur « les naïves chansons du chemineau ». Avec de nombreuses redites et une profusion de détails inutiles, le conférencier célèbre la rhétorique du « bon chemineau », émaillant son discours de citations de pure fantaisie et tout à fait hors de propos. Après avoir rassuré son auditoire qu’il sera bref car « ainsi que l’a dit le grand poète Shakespeare : " Le temps, c’est de l’argent " », il chante les louanges de la naïve chanson « qui monte joyeuse vers le ciel bleu, suivant l’expression de notre grand poète François Coppée ». Abusant de la formule « suivant l’expression de notre grand poète », l’orateur continue son babil dans une surenchère de répétitions verbeuses : il s’apitoie sur les couplets que le chemineau a fredonnés « en suivant un chemin creux, en côtoyant un champ où plus tard poussera le blé, don du bon Dieu, nourriture pour nos entrailles, suivant l’expression du grand poète Baudelaire », il exalte la chanson qui monte « vers les jolis nuages roses qui l’emporteront en leurs légers flocons dans des pays extravagants, suivant l’expression pittoresque du grand poète Victor Hugo 20», etc.
Sous l’effet de la parodie humoristique du « Rire », les prétentions culturelles de l’époque font l’objet d’une ridiculisation qui n’épargne pas même le discours du poète et du critique littéraire.
Dans « Le triomphe du poète vaporescent », la scène montre un poète qui, le regard et les bras levés vers le ciel, déclame ses vers. Dans six dessins correspondant à six strophes, sa silhouette va progressivement disparaître, au fur et à mesure que sa composition, sorte de pastiche du langage poétique symboliste, tend à se désagréger, évoluant vers la déliquescence21 :

« Oui, repu de la fange et repu de la lie,
Loin de ce sol pétri de souvenirs impurs,

Je veux chercher quelque sidérale patrie
Au delà des sommets, au delà des azurs !

Dans l’inconnu monter vers un point où s’élève
Vague, le seuil mystérieux de l’irréel !

En extase, aborder les continents du rêve
Qu’entoure du chaos le remous éternel

Et m’y perdre à jamais, impondérable atome,
Fluide ! Souffle ! Vapeur ! Lave ! Essence ! Fantôme !

Ombre dissoute dans l’impalpable élément !
Insaisissable rêve ! Effluve ! Ether ! Néant ! 22»

Quant au critique littéraire23, le comique résulte de la superposition de son discours avec celui d’un maître d’hôtel découpant un faisan. La critique de l’époque avait en effet emprunté, par métaphore, plusieurs expressions du jargon de la cuisine : le critique « attaque le sujet », « le débarrasse brutalement de ses fausses parures », « détache le "morceau de résistance " », puis « il exécute le reste, les parties inférieures », afin de trouver le défaut et « séparer ce qu’il y a de bon et ce qu’il y a de mauvais » ; enfin, quand il a devant lui « la carcasse de l’œuvre », il « parvient au cœur, aux entrailles du sujet », pour « mettre à nu le mécanisme intérieur », après quoi, il ne lui reste plus qu’à « exécuter le dénouement et servir24 ».
Le langage qui fait le plus fréquemment l’objet d’un déguisement humoristique est cependant celui de la science. A l’époque où l’illusion du progrès incessant et du positivisme triomphant fait encore prise sur un large public peu cultivé, les références sont en effet nombreuses aux découvertes scientifiques et technologiques, dont on vante ironiquement les prodiges.
Comme nous le verrons à plusieurs endroits dans les prochains paragraphes, la cible principale est constituée par la médecine et la chirurgie. Dans « Académie de médecine » on parodie le procès-verbal d’une séance de l’institution : avec un langage emphatique, les inventions les plus improbables sont présentées à l’assemblée, de la communication « relative à la guérison de la surdité des lanternes » à la description de l’opération d’ablation des paupières que M. le professeur Papyrus recommande à ses collègues comme « un moyen d’arriver à l’extinction du paupiérisme », l’illustre médecin ayant en effet pratiqué cette intervention sur un ouvrier plâtrier « atteint depuis vingt ans d’une faiblesse des paupières », qui lui faisait fermer les yeux malgré lui, « les dimanches et fêtes, à partir de quatre heures ». Au moment clou de la séance, deux industrieux appareils sont présentés à l’assemblée par leur inventeur, M. le docteur Trimestriel : « l’orteil artificiel à ventricules dilatoires », « pour assurer au pied pendant la marche une position facile et agréable » et « le pantalon métallique à ressort automobile » qui, « à l’aide d’un ingénieux système, exécute les mouvements du marcheur, épargnant à celui-ci la fatigue si préjudiciable dans le cas de plaies internes ou externes, avec épanchement sanguin25 ».
Le risible des découvertes scientifiques est également au centre de la description du fonctionnement du Bureau de la Température et de l’Observatoire météorologique, qui, malgré ses merveilles technologiques, se base sur les vieilles méthodes des cors aux pieds, des rhumatismes, de la consultation du café sucré et du comportement des grenouilles pour avoir « cinq chances sur dix d’indiquer exactement le temps qu’il fera ». Pour déterminer la direction du vent, le Bureau a recours à l’épreuve du doigt mouillé, dont le résultat scientifique est assuré par l’utilisation de deux magnifiques machines : l’électromouilleur de doigts et le salivogène à air comprimé, destiné à la production de la salive artificielle », appareils « qui ont coûté cinquante mille francs chacun à l’Observatoire26 » .
A côté du discours des milieux instruits, le parler des pauvres et des couches défavorisées est présent aussi dans l’hebdomadaire.
La représentation du langage populaire, reconnaissable à certains traits, comme les assimilations phonétiques et la chute du « e muet », permet alors de dénoncer les inégalités sociales et l’indifférence des catégories aisées pour la misère régnant dans le pays27. C’est le sujet que propose la couverture du numéro 7 du 23 décembre 1894 (fig.2), opposant une grosse femme emmitouflée dans un lourd manteau, tenant en laisse un chien également emmitouflé, à une fillette maigre et mal habillée qui lui court après, un enfant dans les bras :

« Siou plaît, m’dame, le paletot de votre chien pour mon p’tit frère… »

Très souvent, le discours des pauvres fait l’objet d’une comparaison implicite avec le langage des milieux bourgeois et des nantis. S’appropriant le langage des riches, le pauvre crée, par son dire, un effet d’incongruité discursive qui fait ressortir la distance entre une condition sociale et l’autre.
Dans un dessin de Boyd, deux vendeurs ambulants commentent la crise des ventes. La vendeuse à l’accent auvergnat, sa corbeille de légumes sous le bras, se plaint de ses difficultés :

« Ch’est que les temps chont durs pour nous »

recevant cette réponse du vendeur de marrons :

« -Ah ! dame oui, c’est les commerces de luxe qui souffrent toujours de ces crises 28 »

De manière analogue, un badaud apostrophe un mendiant en haillons assis sur le quai d’un port :

« Alors ça ne va pas les mégots ? C’est pourtant pas la concurrence des grands magasins ! 29»

Un pauvre clochard déguenillé est aussi le protagoniste d’un dessin de Radiguet, ayant comme titre: « Le tout-Paris ». Demandant l’aumône avec un vieux chapeau abîmé à une jolie femme à la toilette très riche, le mendiant lance ce propos, au grand étonnement de la dame :

« Ah ! je ne verrai pas Madame à Etretat cet été. Ma santé m’oblige d’aller à Vichy…En tout cas, j’espère revoir madame à Nice l’hiver prochain ! 30»

2 – Rire et situations paradoxales

Le contraste entre l’énoncé et la situation, qui est responsable de l’effet comique dans les cas d’incongruité discursive que nous venons de décrire, est parfois poussé jusqu’au paradoxe.
Le rire jaillit alors de la tension qui se crée lorsque le dire s’oppose à des évidences partagées et tire profit des effets de l’hyperbole et du grossissement.
Un exemple de ce procédé nous est offert par une petite histoire qui se moque encore une fois des bavardages inutiles et de la grandiloquence mal placée.
Un père et un fils se disputent l’occasion de se distinguer dans un sauvetage au cours d’un incendie. Casimir, le fils, insiste pour avoir le privilège de voler au secours des habitants : face aux flammes qui ravagent la maison du crémier et menacent sa fille, il repousse les autres jeunes courageux et retient son père par la « décoration de sa redingote », dissertant sur son droit à accomplir seul le geste héroïque.
Le comique joue en ce cas sur un effet de tempo, le ralenti de l’argumentaire contrastant avec l’urgence du secours à apporter. L’incendie lèche déjà le premier étage qu’il pérore :

« Mon père, (…), j’ai passé ma jeunesse dans les pires auberges, j’ai mangé mon saint-frusquin, le vôtre, je vous ai déshonoré, j’ai traîné votre nom vénéré dans de scandaleuses histoires, vous n’aurez pas la barbarie de dérober à votre fils cette occasion unique de recouvrer l’estime de ses concitoyens et de soi-même. »

Les flammes ont désormais presque atteint la jeune fille que Casimir, entouré de spectateurs attendris par la scène d’abnégation familiale, poursuit dans son raisonnement :

« Puisque ces considérations d’ordre élevé ne Vous peuvent émouvoir (…), ignorez-vous, père insensible, que je suis plus brûlé sur la place que cette demeure en cendres ; nulle famille honorable ne consentira à recevoir dans son sein votre chenapan de fils. Or la jeune fille du second est un des plus beaux partis de la ville. Si je la sauve, elle ne pourra me refuser sa main, notre fortune est faite… »

Défiant l’évidence des règles énonciatives, et tout particulièrement la loi de pertinence31, le dire prolonge son jeu jusqu’à ce que la maison s’effondre, engloutissant la fille et provoquant la réaction de Casimir qui, arrachant violemment sa casquette et la jetant à terre, s’écrie :

« Voilà encore ma réhabilitation ajournée !… 32 »

C’est encore la tendance au verbiage qui constitue la cible d’un texte dans lequel le paradoxe met une fois de plus en ridicule le merveilleux médical.
M. le comte de la Sorille, qui vient de subir l’ablation du bras droit et sa substitution avec un bras postiche, veut persuader un ami des avantages de sa situation.
Forçant une évidence factuelle, il commence par énumérer les situations dans lesquelles le bras droit est nécessaire :

« si vous êtes le bras droit d’un ministre, si vous avez des mainlevées à accorder, si vous avez l’occasion des corps à corps dans lesquels l’usage de la main gauche soit interdit, si votre situation vous force à jouer des coudes ou de la guitare… ».

et continue en illustrant les progrès de la chirurgie, qui permettent de s’offrir un bras en caoutchouc, « le dernier mot de l’industrie parisienne, un vrai bijou ».
Dans un crescendo d’humour, le témoignage du comte se poursuit avec la justification de son choix d’un modèle creux, le plus moderne, présentant une série d’atouts dont la description s’avère tout à fait hilarante : outre la disparition des douleurs rhumatismales et la possibilité de le laisser au vestiaire, le bras creux offre en effet la commodité

« d’y introduire sans façon (s)on mouchoir, (s)a tabatière, (s)on revolver, (s)a pipe et autres menus objets »

évitant ainsi d’emplir ses poches, « ce qui est d’un effet si disgracieux et déforme rapidement un complet ». Le paradoxe et le comique du faux ton sérieux sont naturellement poussés jusqu’au bout, le récit se concluant sur l’affirmation du comte qu’il est à tel point satisfait de son bras postiche que « ne fussent quelques considérations de famille », il aurait « depuis longtemps fait subir à (s)on bras gauche le même sort qu’à son confrère33 ».
L’appel au Progrès et à l’aide de la chirurgie constitue aussi l’horizon paradoxal d’une fantaisie anti-militariste parue dans le numéro 34 et portant le titre « U-ni-for-mé-ment ».
Faisant semblant d’adresser une lettre au directeur d’un journal patriotique, l’humoriste Van Vater se professe favorable à une égalisation plus complète de l’uniforme des militaires, mesure qui serait susceptible d’augmenter encore « l’allure martiale de nos troupes ». Prenant inspiration des nouveaux règlements militaires, qui ont commandé « aux chasseurs à pied de porter la barbe en "fer de cheval" et aux fantassins de conserver la "mouche" », dispositions fondamentales pour faire avancer la France « sur la voie du Progrès, vers qui nous devons bigler d’un œil confiant », l’auteur souscrit au rêve d’uniformiser les physionomies. Il suggère donc non seulement de rassembler tous les gens aux yeux bleus, mais de

« demander à la merveilleuse chirurgie de munir chaque recrue d’une paire d’yeux dont la teinte s’harmoniserait avec l’uniforme des différents corps »

et, allant plus loin dans cette voie, il propose de :

« distribuer aux conscrits en même temps que les bretelles et le sac à brosse, une magnifique paire d’yeux tricolores pour les jours de grande revue »

Quant à l’uniformisation des tailles, l’humoriste conseille, « à l’instar de cet ancien tyran qui couchait les voyageurs aventurés chez lui sur un lit à sa façon », de couper et allonger les orteils sans scrupules, pour le bien de la Patrie. Confiant aux journaux patriotiques la tâche de vulgariser ses idées et de trouver un remède à l’inconvénient majeur de ce traitement de Procuste : « la difficulté de "mettre les talons en équerre", position si essentielle à "la beauté d’un alignement "», il clôt sa lettre sur l’exclamation de « Vive la France ».
L’effet de dépaysement que provoque le paradoxe s’avère tout particulièrement efficace pour se moquer des étrangers et des Autres. Le support de cette forme de comique xénophobe est en général verbo-iconique, l’image ajoutant à l’effet de drôlerie que provoque la représentation des ethnotypes34, formes stéréotypées d’étrangers dont les mœurs et les caractéristiques physiques apparaissent risibles du seul fait de ne pas être françaises.
C’est le cas des Chinois, dont l’écriture à idéogrammes verticaux est représentée comme un paradoxe qui résulterait incompréhensible aux Chinois eux-mêmes. Dans un dessin signé GiRi, un groupe de Chinois aux chapeaux pointus regardent, le nez en l’air et l’expression interrogative, quelques rangées d’idéogrammes peints sur un mur. La légende, relevant d’un point de vue strictement occidental, propose la question suivante :

« Ces pauvres Chinois ! Ils n’ont vraiment pas l’air content ! Que peuvent-ils bien lire sur ce mur ? 35»

qui exhibe un sentiment à la fois d’étrangeté et de supériorité analogue à celui dont se moquait déjà Montesquieu, quand il représentait les Parisiens se demandant, ahuris : « Comment peut-on être Persan ? »
La même attitude ethnocentrique caractérise une bande à vignettes signée Boyd qui met en avant, à l’inverse du cas précédent, le point de vue des étrangers, en l’occurrence les habitants de Madagascar, percevant comme paradoxal un objet d’un usage normal pour les Français : le télescope, qui apparaît aux yeux des « sauvages » comme le « canon-sorcier français » vu que, par un effet de sorcellerie, d’un côté il agrandit et de l’autre il rapetisse la « tête de diable ». Publié en octobre 1895, quand le journal a pris une position nettement contraire à l’expédition coloniale à Madagascar (cf. paragraphe 3), ce dessin mérite d’être reproduit (fig.3) pour l’intérêt particulier des éléments iconiques, qui montrent l’attitude drôle de la reine et de ses ministres et ridiculise leur tenue hétérogène, mi-sauvage et mi-européenne36.
Quant aux Noirs vivant en France, le paradoxe est issu d’une évidence physique, s’attachant directement à la couleur de la peau37.
Dans un dessin paru dans le numéro 13, des Parisiens amusés regardent à distance un nègre à l’air d’ivrogne, le chapeau et les souliers défoncés. Chancelant et s’appuyant contre un mur, le pauvre noir s’exclame :

«Qu’est-ce qu’y z’ont à rigoler ces sales blancs…si je tombe, je me ferai toujours pas de noirs… »

Un autre dessin d’humour porte le titre « Confrontation » : il montre un groupe de bourgeois et un gendarme qui entourent le chevet d’un mourant et pointent du doigt un nègre, conduit à un face-à-face avec sa victime présumée. La couleur du visage et des mains du noir inculpé est renforcée par le fait qu’il est habillé en blanc. C’est sur cet élément que se fonde le comique de l’accusation paradoxale que les blancs adressent au noir :

«Ne niez pas ! Vous avez pâli ! 38»

C’est encore à une évidence physique que s’attache un paradoxe concernant les étrangers les plus détestés de l’époque, c’est-à-dire les Prussiens.
Le dessin montre deux militaires allemands qui ont reçu l’ordre de ne pas s’arrêter tant qu’on ne leur a pas dit « Halte ». Marchant rigoureusement au pas de l’oie, les deux militaires traversent imperturbables des villes, des fermes, des marchés, des jungles, des déserts, renversent tout ce qu’ils trouvent sur leur chemin, s’enfoncent dans les sables mouvants, sont poursuivis et menacés par des paysans, des chasseurs, des sauvages, des lions, des crocodiles, jusqu’à ce qu’ils reviennent devant leur supérieur de l’autre côté de la caserne : la barbe et les cheveux longs, l’uniforme froissé et les bottes disloquées, ils se mettent scrupuleusement au garde-à-vous quand l’officier leur donne enfin le signal de la halte. Le comique résultant de l’itération de l’image des deux soldats parfaitement alignés et du contraste avec les différents paysages proposés dans les dessins est renforcé par le paratexte, qui nous apprend que le dessin est emprunté au journal allemand « Lustige Blätter », ce qui justifie le titre ironique « Les Prussiens peints par eux-mêmes », surmontant le sous-titre « Le triomphe de la discipline »39.
C’est par contre une évidence morale qui est à la base de deux scènes paradoxales visant l’Autre, le xénos par excellence, c’est-à-dire le juif.
Faisant montre d’un antisémitisme occasionnel, mais dirigé nettement contre la « race juive » en tant que telle, le « Rire », au moins dans cette première année de publication, paraît préférer les stéréotypes du discours antijuif traditionnel aux thèmes de la judéophobie militante40.
Alors qu’une caricature de Léandre (fig.4) vise le métier de l’usurier et du prêteur sur gages, ayant recours à l’accent allemand pour indiquer le type du « Fils d’Israël » le plus odieux à l’époque, c’est-à-dire le Juif Prussien41, ces deux paradoxes antisémites insistent sur des éléments qui font depuis toujours l’objet de la ridiculisation du peuple juif : l’avarice proverbiale et la longueur du nez.
Un récit illustré de Willette représente « Le comble de l’économie » : Abraham Scorie se rend en visite chez son ami Isaac. Assis à une table, les deux hommes tombent bientôt d’accord pour dire que c’est un excès de prodigalité que de garder deux chandelles allumées. Ils ont alors la même idée : économiser les chandelles et demeurer dans le noir le plus absolu, se répétant l’un à autre :

« Bah ! pour ce que nous avons à nous dire, nous n’avons pas besoin de lumière »

L’obscurité s’avère alors propice à une autre forme d’économie. Quand la mère Rebecca les rejoint pour leur porter un grog, elle éclaire la pièce de sa bougie et de surprise laisse tomber la bouteille. Les deux amis ont baissé leurs pantalons et montrent leurs fesses :

« Ils ont encore eu la même idée… celle d’économiser leur fond de culotte 42»

Un dessin signé Boyd montre par contre un guichet de perception des impôts. La vignette porte le titre : « L’antisémitisme et le budget » et représente un employé qui décroche du plafond des tablettes numérotées contenant des empreintes de nez de différentes mesures. Des juifs attendent qu’on vérifie la longueur de leur nez crochu, la légende illustrant le sens de la proposition paradoxale:

« Puisqu’on taxe tout, pourquoi ne pas mettre une taxe progressive sur les nez ? Ce serait un moyen d’équilibrer le budget et de satisfaire les antisémites 43 »

3 – Rires et satire politique

A plusieurs endroits nous avons vu à l’œuvre un comique dérivant d’une ironie sociale et politique plus ou moins sévère. Dans ce dernier paragraphe nous nous proposons d’analyser des situations qui relèvent de manière plus spécifique d’une intention de satire politique.
La cible principale de ce rire satirique est constituée par les parlementaires, qui sont toujours représentés comme des fainéants improductifs et bavards, en dépit des énormes privilèges dont ils jouissent.
Comme nous l’avons déjà relevé dans le premier paragraphe, la chanson est l’un des supports préférés de cette forme de comique.
La composition « Les députés heureux » brosse un tableau amusant de la condition des parlementaires : ils touchent « vingt-cinq francs pour (se) battre les flancs / sur les impôts salutaires sués par les bons prolétaires », ils sont invités à « tout bon dîner confortable » et, au bout de quatre ans, s’ils ne sont pas réélus, ils reçoivent des provinces, « heureux comme des princes », à titre de compensation / recette ou perception »44. Ils ont donc plus d’une raison pour s’unir en chœur et chanter :

« Des gouvernements honnêtes
Nous sommes les grosses têtes
Les députés
Bien réputés
Notre métier (le plus habile)
Nous épargne la moindre bile :
Quoi de plus réjouissant ?…
Jamais de mauvais sang !
Car, sans soucis et sans tracas,
Nous vivons en potentats :
Nous sommes joufflus, gros et gras :
- Il n’est rien chic notre état !- 45»

L’activité à la Chambre n’est d’ailleurs pas de nature à trop fatiguer le député, qui peut sommeiller paisiblement sur les bancs, remettant au lendemain les questions les plus épineuses pour le pays, comme par exemple le débat sur les finances publiques. La chanson « Discussion du budget » propose des couplets satiriques sur les renvois continuels de ce débat d’une importance capitale :

« Rien n’est plus gai que de voir à la Chambre
Nos députés ronfler tranquillement
Quand vient la nuit, un huissier qui se cambre
Dit « de fermer, messieurs, c’est le moment !
Demain, sans rejet,
- Si rien ne nuit au projet –
Demain, sans rejet,
Discussion du budget !

Mais le lendemain on trouve un autre prétexte pour ajourner la séance : l’absence de l’orateur désigné, l’opportunité de fonder un nouveau ministère ou la proposition d’une nouvelle expédition militaire :

« Trois jours après, changement de problème
Monsieur Chauvin, un terrible lascar,
Se lève et dit – coléreux, le teint blême –
"Nous faut marcher contre Madagascar !"
Demain, sans rejet, (etc.) 46»

La satire s’attaque parfois à des personnages spécifiques. Le numéro 1 du « Rire », par exemple, se moque des aspirations d’un député de Nogent-sur-Marne, M.Bachimont, qui s’est inscrit à la Faculté de Médecine après avoir été élu à la Chambre. L’article remarque ironiquement que la situation peut présenter des avantages, puisque M.Bachimont pourra se consacrer, pour passer son doctorat, à trouver un remède au célèbre micrococcus parlementaris verbosus ou encore à découvrir un moyen de détruire l’Acarus interpellatorius Cunei ; son exemple pourra en outre provoquer des imitations chez ses collègues, l’activité du député étant en effet tout à fait compatible avec la réalisation de leurs anciens projets de jeunesse :

« Le matin ils iront prendre des inscriptions, suivre des cours, travailler dans un bureau ou dans une usine. L’après-midi ils s’exerceront à la Chambre. Il y en a qui feront de la serrurerie, de la menuiserie, d’autres se perfectionneront dans la tenue des livres, ou dans la confection des engrais chimiques. Chaque pupitre abritera un atelier en miniature, un laboratoire en réduction. Cela pourra jeter quelque intérêt sur les séances, et donner le spectacle d’une activité qui fait parfois défaut au Palais-Bourbon. 47 »

La paresse et l’inefficacité des fonctionnaires de l’État sont visées à tous les niveaux48.
La fantaisie « Voyez donc ce regard ! » signée Jonh (sic) Falstaff, pointe directement le Président de la République, M. Félix Faure. La faiblesse institutionnelle du Président pendant la Troisième République et la médiocrité foncière des élus est chose bien connue : prenant inspiration d’une déclaration du directeur du « Gaulois », qui a découvert un changement dans l’attitude du Président, Falstaff écrit :

« …il a quelque chose de changé, et ce quelque chose, c’est l’œil, le regard. Il ne pose plus son regard sur son interlocuteur ou ses interlocuteurs, il le porte par delà, perdu dans le vague, cherchant des horizons, enveloppant des ensembles. Ce regard m’a rappelé celui de Napoléon III et de Boulanger. Serait-ce le regard de la fonction ? »

L’ironie s’en donne alors à cœur joie sur le secret d’État qu’est le Regard de la Fonction : l’humoriste évoque les personnages qui s’en ont servi ou qui auraient pu le faire (Gambetta ne fut pas Président de la République parce qu’il était légèrement borgne, M.Grévy ne voulut pas rendre le Regard lorsqu’il donna sa démission, M.Boulanger s’en fit faire une copie sculptée quand il était Ministre de la Guerre, etc.) et illustre le traitement qu’on réserve actuellement au Regard du Président Faure :

« A présent, Le Regard est en d’excellentes mains, si l’on peut parler ainsi (…). Il y a un Conservateur du Regard, grassement payé il est vrai, mais la fonction est délicate. Tous les matins, il doit visiter si le Regard fonctionne à souhait, s’il cherche bien les horizons (ni trop loin ni trop près, à peu près la distance de Paris au Havre), s’il embrasse convenablement les ensembles, et seulement sur le front. De temps en temps il doit le revernir, et en graisser le mécanisme ».

proposant même des améliorations, décrites selon le registre du paradoxe pseudo-scientifique que nous avons déjà rencontré ailleurs :

« Les progrès de la science permettraient depuis longtemps de doter l’Exécutif d’un système beaucoup plus perfectionné, si la routine bien connue de nos bureaux ne s’y était jusqu’ici opposée. A l’occasion de l’Exposition de 1900, ou, au plus tard, lors de l’inauguration de l’Opéra-Comique, on pourra voir fonctionner le nouveau Regard avec application de lumière électrique. (…) Il sera visible même la nuit, et remplacera avantageusement (…) l’ œil de Dieu qui commence probablement à être un peu vieillot49. »

L’intention satirique peut enfin prendre pour cible des choix et des actions politiques précises. C’est le cas de la politique d’expansion coloniale qui voit les troupes françaises s’engager en 1895 dans la campagne de Madagascar, à laquelle fait également allusion la chanson « Discussion du budget » citée ci-dessus.
La faiblesse de la justification politique et les nombreuses pertes militaires de cette expédition font l’objet du texte « Malgachis », signé Willy et publié le 19 octobre 189550. L’indignation de l’auteur de ces considérations est telle que le langage abandonne presque complètement le style comique pour assumer le ton d’une véritable accusation, voire d’une invective contre l’administration qui a soutenu l’expédition :

« Dites, oh ! dites pourquoi, avec les ossements de ceux qui ont lâché la colonne, n’en dresserait-on pas une à la gloire des bureaux ? (…) Ces drôles (les "bureautins") ont un rond-de-cuir à la place du cœur et continueraient à travailler pour l’exportation sans remords. Déjà leurs administratives bedaines s’arrondissent pour l’étalage des décorations futures, primes à l’assassinat, destinées à rehausser la ventripotence criminelle de ces Panses macabres »

Tout en dénonçant les projets intéressés des financiers, notamment des banquiers israélites (les « youpins véreux 51»), des gens d’affaires et des fonctionnaires à la recherche de nouveaux débouchés pour « les fils à papa et les ratés de la diplomatie », le réquisitoire emprunte des accents pathémiques, s’apitoyant sur le sort des soldats ignares :

« C’est si peu de choses, des soldats Français ! Ceux qui sont allés jalonner de leurs cadavres la route de Majunga, n’étaient pas des fonctionnaires ; ils ignoraient les palmes académiques ; c’étaient les aînés de quelques pauvres familles où le premier gas (sic) se fait sans qu’on y pense. Ils sont partis sans savoir que leur mort devait sauver une coterie compromise, et que, servant la France moins que les intérêts financiers de tels youpins véreux, on les employait à tirer les Barons du feu…52 »

Si la satire la plus corrosive se tourne contre le pouvoir et les potentats, la gauche à l’opposition n’est pas complètement exempte de plaisanteries ironiques.
Les députés socialistes, « batailleurs, véhéments, volontiers grossiers 53 » partagent les mêmes privilèges que les autres parlementaires, et surtout le gain de vingt-cinq francs par jour, somme assez importante pour l’époque54.
Comme le montre le dessin de Lebègue (fig.5) avec quelques traits d’autant plus efficaces qu’ils sont essentiels, l’élection provoque des transformations significatives chez le parlementaire socialiste qui, après les élections, arbore une bedaine bien ronde et un visage joufflu.
Le prolétariat fait cependant montre d’une crédulité par trop facile, dont se moque le dessin de Jossot, publié dans le N° 19. La scène représente deux ouvriers qui discutent, appuyés à la table d’un mastroquet, un verre à la main. Le premier apparaît plus disposé à croire à la bonne foi du défenseur des travailleurs, alors que l’autre est déjà beaucoup plus blasé :

« - Tu parles, mon vieux, qu’il leur a bouché un sale coin, le député ! En v’là un vrai socio, un ami du peup’
- Quoi qu’il a dit ?
- Il a dit, dit-il, qu’y a assez longtemps qu’ça dure et qu’c’est toujours les mêmes qui s’balladent et touchent des bénef, sans avoir rien fait, pendant que l’pauv’ouverrier s’esquinte…
-Eh ! ben, dis-y donc qu’y nous prête sa carte de circulation et qu’y partage ses vingt-cinq balles avec nous, nous irons nous ballader aussi55 ».

Le sectarisme et l’attention à sa propre convenance politique ne constituent pas la caractéristique des seuls hommes politiques. La veine satirique du « Rire » vise également l’esprit « populo » et la tendance à une rébellion de façade qui, à la fin du XIXe siècle, fondaient déjà un certain conformisme de gauche.
C’est ce que montre l’histoire illustrée « L’anarchiste converti ». La foi révolutionnaire dans l’anarchie, qui en juillet 1894 a fait l’objet d’un ensemble de lois fort sévères, ne paraît guère résister aux séductions de l’argent et d’une vie confortable. La bande nous montre en effet un anarchiste, une bombe sous le bras, qui trouve par terre un lourd magot : il se débarrasse alors de la bombe et va déposer l’argent trouvé auprès du Crédit Lyonnais. Commodément assis à table, habillé avec élégance, gros et bien repu, l’ancien révolutionnaire s’exclame donc, à la dernière vignette, à l’adresse de sa domestique :

« Ces canailles d’Anarchistes, qui voulaient détruire le Capital !!!56

Le conformisme un peu ingénu des revendications ouvrières constitue enfin la cible d’une chanson d’Aristide Bruant publiée dans le numéro 22.
Cette composition, qui s’intitule “Pus d’patrons”, se moque du « républicain socialisse, compagnon, radical ultra, révolutionnaire anarchisse, eq’cœtera, eq’cœtera »
Réfractaire à toute autorité, l’ouvrier lance gaillardement, dans son français décidément non conventionnel :

« Pus d’Senat et pus’d’République,
Pus d’salauds qui vit à sa guise,
Pendant qu’nous ont un mal de chien,
Pus d’lois, pus d’armée, pus d’église,
Faut pas d’tout ça…faut pus de rien !
(…) Pus d’chefs, pus d’contre-maîtres
Pus d’directeurs et pus d’patrons !

pour parvenir à la fin à se demander :

« Oui…mais si n’y a pus d’latronspème,
Qui qui f’ra la paye el’sam’di ? 57 »

4 – Quelques considérations conclusives

Bien qu’il doive sa fortune principalement aux « archanges du crayon58 », le « Rire » présente aussi un intérêt indéniable d’un point de vue linguistique.
A l’hypertrophie de la parole qu’ont provoqué, dans les dernières décennies du siècle, l’exercice de la démocratie parlementaire, l’instruction généralisée et l’essor de la culture de masse, ce journal humoristique oppose, au moins dans sa première année de publication, un comique langagier dont le trait principal consiste en la ridiculisation de tout discours sérieux.
Empruntant des formes multiples, parmi lesquelles nous avons pu dégager la parodie métadiscursive, le jeu sur la tension paradoxale et la forme plus directe de la satire, le comique verbal du « Rire » vise impitoyablement toute verbosité solennelle et creuse.
Il n’est donc pas surprenant que la première cible par ordre de fréquence soit représentée par le discours politique, sans cesse repris et amplifié par la presse. En effet, comme le souhaitent les auteurs de l’hebdomadaire, l’humour représente, avant tout, un moyen d’affirmation de liberté :

« une boutade de Rochefort, une légende de Forain, voilà la première revanche de tout un peuple contre ses tyranneaux et contre ses spoliateurs ! 59»

Mais la critique contre le pouvoir s’étend également à la philosophie qui le soutient : peut-être moins prévisible, la deuxième cible par ordre d’importance est représentée par le bavardage des prétendus savants à la Bouvard et Pécuchet et des pédants à l’affût de connaissances et de découvertes nouvelles. L’insistance sur la ridiculisation du discours scientifique et médical montre que, dans les années 90, la méfiance envers le credo positiviste n’est pas seulement l’apanage des philosophes et des artistes pessimistes et décadents. Un certain scepticisme de la part du public à l’égard de la religion de la Science et de ses pontifes pouvait au contraire paraître salutaire, contre l’optimisme affiché d’un Etat qui continuait d’utiliser l’illusion du Progrès pour cacher les inégalités sociales les plus profondes et les entreprises militaires les plus velléitaires.
Quant aux modalités du discours comique, des divergences et des affinités caractérisent le support verbal par rapport au support iconique, qui joue dans l’hebdomadaire le rôle principal.
Visant la prolixité et l’inconsistance foncière des discours sérieux, le comique verbal du « Rire » paraît adopter une voie opposée à celle du comique iconique : alors que le dessin d’humour repose sur la synthèse et l’immédiateté, le dire se plaît souvent au jeu d’une énonciation qui se prolonge et qui tire profit de l’effet de l’accumulation et de l’itération, comme on le voit dans les pastiches discursifs et les chansons.
Le traitement du risible fait apparaître par contre une analogie fondamentale entre support iconique et support verbal : à l’instar du dessin et de la caricature, le comique langagier se base sur un procédé de réduction et de stéréotypisation. Tout comme un détail physique, un type discursif, une forme textuelle ou un cliché expressif sont isolés, repris et répétés pour en multiplier le potentiel de ridiculisation et la force satirique. En ce sens les ethnotypes que nous avons présentés au deuxième paragraphe sont tout particulièrement significatifs, qui font descendre d’un procédé de simplification outrancière une forme de racisme d’autant plus dangereux qu’il apparaît fondé sur des idéologèmes archétypaux.
Pour le choix de ses cibles, pour ses modalités expressives et pour la durée exceptionnelle de l’expérience, à cheval sur deux siècles (1894-1950), le « Rire » nous apparaît, en conclusion, comme un document d’un intérêt extraordinaire pour comprendre l’évolution des mentalités et pour analyser les formes du discours social.
Le manque d’études sur ce sujet spécifique et l’attention insuffisante qui a été jusqu’ici consacrée, en général, à la presse illustrée, satirique et humoristique, confirment par contre, une fois de plus, qu’une certaine résistance subsiste à parler sérieusement du comique : en effet, comme le dit Defays, une sorte de discrédit frappe ce phénomène, qui ne serait « pas suffisamment sérieux pour que l’on s’en occupe sérieusement60 ». Or, en feuilletant le « Rire », on ne peut que se réjouir, en revanche, qu’on se soit si joliment amusé à parler comiquement du sérieux.

Figures

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Fig. 1 – « Le Rire », N° 14

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Fig.2 – « Le Rire », N°7

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Fig.3 – « Le Rire », N°50

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Fig.4 – « Le Rire », N° 43

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Fig.5 – « Le Rire », N° 53


Note

↑ 1 Cf. J.-C. SIMOEN – G. GUICHETEAU, Le Rire. La Belle Epoque dans toute sa vérité, Paris, Laffont 1981. De 1914 à 1918 « Le Rire » modifie son titre, devenant « Le Rire Rouge ».

↑ 2 Cf. G.DUBY (ed), Histoire de la France des origines à nos jours, Larousse Bordas, Coll. « In Extenso », 1999.

↑ 3 C’est en ces termes que le journal se définit à la fin de la première année de publication (« Le Rire », N°49). A partir de 1901, « Le Rire » sera concurrencé par « L’assiette au Beurre », feuille satirique plus nettement orientée sur des positions anarchistes.

↑ 4 Forain et Caran d’Ache fonderont notamment, en 1898, la revue illustrée “Pss’t”, fortement antifreyfusarde.

↑ 5 “Le Rire”, N° 55. Le texte vise tout particulièrement Paul Adam, qui avait déclaré que « le rire est hideux » et avait critiqué le journal.

↑ 6 Rasta (fam) est une abréviation de rastaquouère, employé péjorativement, à la fin du XIXe siècle, pour indiquer “un individu, habituellement d’origine sud-américaine ou méditerranéenne, qui étale un luxe voyant et de mauvais goût, et dont les moyens d’existence sont suspects » (consulté T.L.F., http://atilf.atilf.fr, ad vocem rastaquouère). La désignation avait concerné au début les nombreux « Sud-américains à l’élégance tapageuse » qui séjournaient à Paris à la fin du XIXe siècle, s’étendant ensuite à tous les étrangers enrichis.

↑ 7 L’intérêt que l’on porte actuellement au journal se concentre tout naturellement sur l’aspect artistique du comique iconique : le livre de Simoën est fondamentalement une anthologie de dessins, dans lequel les caricatures se taillent la part du lion. Le site http://www.lerire.com/ offre plusieurs dessins de couverture de l’hebdomadaire de 1894 à 1924. Aux dessins et caricatures dus à Toulouse-Lautrec est consacrée une section du site : http://www.toulouselautrec.free.fr/lithographies.htm.

↑ 8 Comme le montre Defays, les différentes formes d’intertextualité s’avèrent fondamentales dans le discours comique : J.M. DEFAYS, Le comique. Principes, procédés, processus, Paris, Seuil, 1996.

↑ 9 J.-Y.MOLLIER, La littérature du trottoir à la Belle Epoque, in J-Y.MOLLIER (ed), Le Commerce de la librairie en France au XIXe siècle. 1789-1914, Paris, IMEC-MSH, 1998, pp.233-241 et J.Y.MOLLIER, Le camelot et la rue, Paris, Fayard, 2004.

↑ 10 “Le Rire”, N°22.

↑ 11 “Le Rire”, N°29.

↑ 12 La chanson et les dessins sont visibles sur le site http://www.lerire.com/content/1894/1/1-1.php où les six premiers numéros sont entièrement disponibles en ligne.

↑ 13 “Le Rire” , N°1/1894. Le N° 6 propose, sous le titre « Toujours Zola ! » une autre chanson destinée à ridiculiser le voyage de Zola au « pays du macaroni ». Outre la vulgarité, c’est l’avidité d’argent qui est visée ici : « A Naples il a fait bombance / Mangé, bu force Chianti / Bien étalé sa suffisance / et la lourdeur de son esprit. Autant qu’un poisson d’une pomme / Zola se moque fort d’autrui / Que ce soit Paris ou bien Rome / Sa patrie est qui l’enrichit… ».

↑ 14 “Le Rire”, N°29.

↑ 15 “Le Rire”, N°30.

↑ 16 “Le Rire”, N°34.

↑ 17 “Le Rire”, N°22. Une transformation profonde s’était produite à la fin du XIXe siècle dans la profession du journaliste, sous l’influence du journalisme américain. “L’humble fait-diversier, qui allait tous les jours glaner de l’information dans les commissariats de police ou au palais de justice” s’est mué en reporter, admiré de son public pour les véritables enquêtes qu’il mène, en concurrence avec les policiers et les juges. G.FEYEL, La presse en France des origines à 1944. Histoire politique et matérielle, Paris, Ellipses, 1999, p. 124.

↑ 18 “Le Rire”, N°52.

↑ 19 Cf. G.DUBY (ed), Op.cit., p.786.

↑ 20 “Le Rire”, N°22.

↑ 21 Un peu comme dans les vers parodiques Déliquescences d’Adoré Floupette.

↑ 22 « Le Rire », N° 19.

↑ 23 Dans les journaux de l’époque « la critique littéraire ou dramatique a autant d’importance que la chronique politique » (G.DUBY(ed), Op.cit., p.773).

↑ 24 « Le Rire », N°47.

↑ 25 Ibidem.

↑ 26 « Le Rire », N°53.

↑ 27 La peinture de la misère sera un thème très important aussi dans “L’Assiette au beurre”, surtout dans les premières années du journal, caractérisées par un véritable “style misérabiliste”: E. & M. DIXMIER, L’Assiette au beurre, revue satirique illustrée, Paris, Maspero, 1974 (cf. p.156).

↑ 28 « Le Rire », N°22.

↑ 29 « Le Rire », N°40.

↑ 30 « Le Rire », N°33.

↑ 31 Sur les effets comiques dérivant de la transgression des règles conversationnelles, on peut se reporter à J.- M.DEFAYS, Op.cit., pp.57-60.

↑ 32 « Le Rire », N°16.

↑ 33 “Le Rire”, N°35.

↑ 34 Pour la notion d’ethnotype cf.: J.BRÈS, Le jeu des ethno-sociotypes, in C.PLANTIN (ed), Lieux communs, topoï, stéréotypes, clichés, Paris, Kimé, 1993, pp.152-161 et H.GIAUFRET-COLOMBANI, Les ethnotypes dans quelques dictionnaires français du XVIIe siècle, “Etudes de linguistique appliquée”, 107, 1997, pp.291-300.

↑ 35 « Le Rire », N°16.

↑ 36 “Le Rire”, N°50.

↑ 37 Pour défendre “Le Rire” contre les attaques de P.Adam (cf. ci-dessus, note 5), le N°55 publie une série de dessins représentant des sujets risibles plus ou moins “politiquement incorrects”, parmi lesquels le fou, le bossu, etc. Pour le Noir, c’est la couleur de la peau qui suffit à déclencher le rire, car la légende précise : “La vue d’un noir me fait tordre”

↑ 38 « Le Rire », N°53.

↑ 39 “Le Rire”, N°43

↑ 40 Sauf la référence aux responsabilités des financiers juifs dans l’entreprise de Madagascar, à laquelle nous ferons allusion ci-dessous, et un dessin célèbre représentant « le traître » Dreyfus paru dans le N°9 (visible sur le site http://www.lerire.com/content/1895/9/9-3.php) le discours antisémite du « Rire », en 1895, ne vise pas des événements et des groupes de pouvoir précis, mais offre une image péjorative du Juif pour ses caractéristiques physiques, ses habitudes, ses métiers. A partir de 1896, et bien que le journal se défende d’avoir entrepris une campagne anti-sémite, sera publiée dans l’hebdomadaire une série de blagues et d’histoires drôles sur la race juive, se basant également sur les stéréotypes classiques de la judéophobie. Le journal participe donc de cet « antisémitisme ambiant » qui contribuera largement à la montée d’un véritable discours raciste (cf. : M.ANGENOT, Ce que l’on dit des Juifs en 1889. Antisémitisme et discours social, Paris, Presses Universitaires de Vincennes, 1989 et G.-E.SARFATI, Discours ordinaires et identités juives, Paris, Berg International, 1999).

↑ 41 Sur la place particulière du “Juif Prussien” dans le discours antijuif, nous renvoyons à l’étude de M.Angenot citée ci-dessus.

↑ 42 “Le Rire”, N°32.

↑ 43 Ibidem.

↑ 44 Ce portrait du député correspond parfaitement à celui qui est proposé dans “L’Assiette au beurre”: cf. E. & M.DIXMIER, Op.cit., pp.78 et suiv.

↑ 45 “Le Rire”, N°30.

↑ 46 « Le Rire », N°16.

↑ 47 « Le Rire », N°1.

↑ 48 Un dessin paru dans le N°35 (reproduction d’une vignette publiée antérieurement dans un autre journal) concerne par contre la lenteur et l’improductivité de l’Administration : le bureau est vide et quelques cylindres posés à la place des employés stigmatisent leur absentéisme. La légende précise: “Deux heures: promenade à l’intérieur du Ministère”.

↑ 49 “Le Rire”, N°51.

↑ 50 Les mêmes griefs anti - colonialistes sont à la base d’un dessin que “Le Rire” reproduit d’après un journal étranger (Kladderadatsch, Berlin) : la scène oppose la Mort, habillée en pauvre soldat, sa faux sur l’épaule, à la Gloire hautaine et rayonnante: la balance que montre la Mort apparaît bien déséquilibrée, présentant sur un plateau des restes de soldats disparus et, sur l’autre, l’argent que l’on pourra retirer de cette aventure, définie dans la légende comme une “Mauvaise affaire” (“Le Rire”, N°49).

↑ 51 Sur la valeur péjorative du mot “youpin” et de sa famille morphologique nous nous permettons de renvoyer à notre contribution: P.PAISSA, Dérivation et péjoration: la xénophobie à travers un réseau morpho-sémantique, Actes du Colloque International “Xénophilie/xénophobie et diffusion des langues”, Ecole Normale de Saint-Cloud, 1999 (Hétéroglossia, 7, 2001, pp.100-115).

↑ 52 “Le Rire”, N°50. La référence est notamment aux “barons” de la haute finance juive-allemande, tels que le baron de Rothschild, le baron de Reinach, etc.

↑ 53 G.DUBY (ed), Op.cit., p.754.

↑ 54 D’après Simoën (Op.cit.), un ouvrier pendant la Belle Epoque était payé environ sept francs par jour. Un dessin humoristique, par contre, était bien payé, pouvant atteindre la somme de cent francs.

↑ 55 “Le Rire”, N°19.

↑ 56 “Le Rire”, N°44.

↑ 57 “Le Rire”, N°22.

↑ 58 C’est ainsi que sont définis les dessinateurs du Rire dans une chanson qui les célèbre. Cf. “Le Rire”, N°40.

↑ 59 “Le Rire”, N°55.

↑ 60 L.ROSIER – J.M.DEFAYS, Approches du discours comique, Liège, Mardaga, 1999, p.11.

 

Dipartimento di Lingue e Culture Moderne - Università di Genova
Open Access Journal - ISSN 1824-7482