Publifarum n° 6 - Bouquets pour Hélène

Le travestissement marivaudien du Télémaque de Fénelon -Quelques notes sur le lexique parodique

Elena Aschieri


1. De la fin du XVIIème à la première moitié du XVIIIème siècle, les parodies d’œuvres littéraires se multiplient en France1. Il s’agit, généralement, de parodies de pièces théâtrales, particulièrement tragédies et opéras lyriques ; on publie des recueils de textes relevant de ces deux genres : les plus célèbres sont Le Théâtre italien2 de Gherardi et les pièces du Nouveau théâtre italien3, dont l’importance a été immédiatement reconnue par les spécialistes. A côté de ces parodies théâtrales, il existe également des parodies qui s’inscrivent dans une tradition plus ancienne, celle des travestissements4. On peut considérer comme point de départ de cette dernière tradition – du moins dans les formes qu’elle garde jusqu’à la fin du XVIIIème siècle – le Virgile travesti de Scarron.
L’un de ces travestissements, qui remonte au XVIIIème siècle mais qui n’a éveillé l’intérêt critique qu’au XXème siècle, est le texte élaboré par Marivaux à partir du Télémaque de Fénelon. Son succès tout à fait récent, s’explique par la découverte, la publication intégrale, et l’attribution de ce texte à Marivaux de la part de Frédéric Deloffre5, qui a su accorder à cette oeuvre le relief qu’elle méritait.
Compte tenu, aussi bien de l’importance du texte parodié, Les Aventures de Télémaque de Fénelon, que de celle de l’auteur de la parodie, nous avons décidé de concentrer notre attention sur cette œuvre de jeunesse de Marivaux : Le Télémaque travesti.
D’après l’Avant Propos de l’auteur 6, il s’avère que ce texte s’inscrit d’abord dans la Querelle des Anciens et des Modernes qui, en 1714, date probable de la première édition, touchait désormais à sa fin. En effet, le problème posé dans l’Avant Propos n’est en rien celui des rapports littéraires et idéologiques avec le texte de Fénelon, mais bien celui des rapports avec Homère, c’est à dire avec le texte classique. On dirait que la réécriture (morale et allégorique) de la part de Fénelon d’un épisode de l’Odyssée met au premier plan le problème de la superposition du texte moderne à la source classique, lors de la réélaboration. Il suffit de lire l’Avant Propos qui est un éloge d’Homère, du «divin Homère» :

Je ne sais si les adorateurs d’Homère ne regarderont pas Le Télémaque travesti comme une production sacrilège et digne du feu ? Peut-être même que dans les transports d’admiration qu’ils ont pour le divin Homère, l’auteur de cette parodie burlesque et son esprit impie retourneraient au néant, si leurs imprécations pouvaient autant que pouvait jadis le courroux des fées; mais heureusement pour moi les dévots du divin Homère, pour moyens de vengeance contre la profanation de sa divinité, n’ont qu’un ressentiment, dont l’effet ne passe pas l’expression.
N’est-il pas étrange que l’impunité suive des crimes pareils au mien ? Mais heureusement pour moi les adversaires de cette religion infortunée ne périclitent ni dans ce monde ni dans l’autre. Homère, tu t’es acquis un culte souvent aussi scrupuleusement observé que le vrai; je n’ose dire plus : mais si le mépris de ce culte est sans vengeance, tu n’es donc qu’un homme? Parlez, adorateurs; est-ce un blasphème que de le penser et de 1’écrire ? Homère était-il un homme? Une imagination hyperbolique vous dira que non. Mais répondez pertinemment. Qui sans doute, direz-vous, c’était un homme, et qui par un esprit inimitable, a séduit celui des autres, jusqu’à leur arracher un éloge au-delà des bornes de la raison. On l’a nommé le divin Homère, et cette épithète est l’effet d’une admiration outrée; mais cet excès fait la preuve de sa supériorité sur tous les esprits : il passait les idées ordinaires; il a mérité qu’on s’emportât pour lui jusqu’au faux. Nous y voilà; le nom de divin est donc comme une débauche d’esprit, une folie spirituelle qu’on a faite pour lui. Peut-être pourrait-on vous prouver que cette folie excusable, dans les premiers temps, est dans le nôtre une extravagance sans sujet. Mais quoi qu’il en soit, c’était un homme que cet Homère, toutes les personnes sensées en conviennent. Ah! messieurs, faites donc grâce à un homme qui, du merveilleux, du sublime et de l’héroïque d’Homère, a fait ses efforts pour en tirer du comique! Quel tort lui fais-je? Ces héros resteront admirables chez lui, pendant que ceux que je lui substitue seront risibles chez moi.
Mais, profane que vous êtes, me direz-vous, c’est sur ces héros que vous avez imaginé vos monstres : ce n’est pas ainsi qu’en a agi le grand homme qui n’a pas dédaigné de tirer des portraits de la sagesse et de l’héroïsme d’après les modèles que lui fournissait notre Homère. A cela je réponds que chacun a sa manière de tourner les choses, et que toutes les manières sont également louables, aussitôt qu’elles sont également instructives. Ce discours vous surprend; votre esprit irrité n’a garde de soupçonner de l’utile dans un renversement épouvantable des caractères que vous admirez. Voici cependant la première instruction qu’il vous offre.
Vous y connaîtrez le néant d’une grandeur profane, et la facilité qu’il y a de donner une face risib1e à des choses qui, malgré l’imposteur et brillant aspect avec lequel on vous les représentait, ont, pour principe, le ridicule le plus grossier et le plus méprisable, qui est la vanité. Cette découverte vous conduira insensiblement à avouer que dans le fond le mépris est justement dû à des héros dont les vertus ne sont à vrai dire que des vices sacrifiés à l’orgueil de n’avoir que des passions estimables. Admirez-vous des hommes qui courent à la vertu, non par l’envie de la suivre, mais pour attraper l’admiration qui l’accompagne?
Je vous mets sur les voies des réflexions; c’en est assez. Je ne dirai rien d’Homère, ni de l’énorme opinion qu’on en a conçu. Son esprit et ses connaissances avaient si peu de proportion avec ce que l’on était capable de savoir et d’imaginer de son temps, que je ne suis point surpris de l’estime prodigieuse qu’on en a fait alors. Quelques siècles suivants sont encore excusables de l’avoir comme adoré; l’esprit, accru d’idées que le progrès des temps, et quelques expériences de plus avaient développées, était agréablement flatté du plaisir d’en deviner de nouvelles et qu’occasionnait encore la hauteur de celles d’Homère. L’estime qu’on eut alors pour lui fut un présent que lui fit l’amour-propre, en échange de la satisfaction qu’il lui donnait : mais à présent qu’on a presque épuisé tous les trésors de l’esprit et de l’imagination, serait-il seulement raisonnable, je ne dis pas de mépriser, mais de comparer nos richesses, au petit gain de celles que firent les temps d’Homère? Par ses ouvrages ils ont eu droit d’être frappés de leurs richesses, mais elles ne sont à présent qu’une légère portion des nôtres; encore a-t-il fallu se donner bien de la peine pour les mettre en état de s’en servir. Mais brisons là-dessus. Ce serait trop de crimes à la fois qu’une Préface qui apprécierait Homère à sa juste valeur et un livre qui démasque ses héros7.

On retrouve, toutefois dans cet éloge, la Weltanschaung des Modernes, en particulier dans la référence directe à l’idée de progrès : «[...] mais à présent qu’on a presque épuisé tous les trésors de l’esprit et de l’imagination, serait-il seulement raisonnable, je ne dis pas de mépriser, mais de comparer nos richesses, au petit gain de celles que firent les temps d’Homère? Par ses ouvrages ils ont eu droit d’être frappés de leurs richesses, mais elles ne sont à présent qu’une légère portion des nôtres; encore a-t-il fallu se donner bien de la peine pour les mettre en état de s’en servir. Mais brisons là-dessus. Ce serait trop de crimes à la fois qu’une Préface qui apprécierait Homère à sa juste valeur et un livre qui démasque ses héros »8.
Il est également intéressant d’y relever la référence à un exercice de langage « comique » sur le texte (peut-être vaudrait-il mieux dire sur la matière classique) :

Ah! messieurs, faites donc grâce à un homme qui, du merveilleux, du sublime et de l’héroïque d’Homère, a fait ses efforts pour en tirer du comique! Quel tort lui fais-je? Ces héros resteront admirables chez lui, pendant que ceux que je lui substitue seront risibles chez moi9.

Dans les premières pages du travestissement10, le problème du comique est de nouveau proposé, à l’intérieur d’un discours qui met en relation le comique et le vrai, selon une esthétique qui reprend la thématique du débat classique sur les rapports entre vrai et vraisemblable, et surtout sur les rapports, dans la comédie, entre vrai et ridicule:

Il arrive des choses si comiques dans le monde, qu’il en est qui, quoique vraies, ont de la peine à se faire croire; et ceux qui de la singularité d’un fait extravagant tirent des raisons d’impossibilité, ne connaissent apparemment pas les hommes. Leur imagination est féconde en tant de folies, leur esprit se tourne si aisément de ce côté-là, qu’il n’est point d’histoire, pourvu qu’elle soit possible, dont parmi nous nous ne puissions trouver l’exemple. Tout ce qu’on rapporte de grand en parlant des hommes doit nous être bien plus suspect que ce qu’on en rapporte de grotesque et d’extravagant. Les Mithridates, les Pompées sont de beaux personnages dont la vie n’est peut-être tirée que d’après l’idée naturelle que nous avons de la grandeur et de la noblesse d’âme. On conçoit bien que les hommes pourraient ressembler à cette idée, mais malheureusement pour nous, nous sentons le grand et le parfait plus aisément que nous ne le pratiquons. Il est un certain degré de vertu qui fait le nec plus ultra de l’homme; ce qui excède est possible, mais l’expérience nous montre que cet excédent ne passe point la théorie. Il n’en est pas de même des folles actions de l’homme; la rapidité qui l’emporte à la faiblesse ne trouve point d’obstacle dans son esprit, il y court sans difficulté, sans contrainte; c’est pour ainsi dire son centre, et la vertu chez lui ne trouve cours que dans la violence qu’il se fait pour la suivre; mais laissons ces matières aux métaphysiciens, et revenons à notre histoire. Je vais la commencer après avoir mis le lecteur au fait.
C’est donc de Télémaque travesti dont il s’agit. Malgré ce que je viens de dire de la possibilité des actions extravagantes de l’homme, quelque sérieux ne pourra s’empêcher de demander si mon histoire est vraie. Je ne répondrai ni oui, ni non; l’incertitude où je laisse le lecteur ne contribuera peut-être pas peu à soutenir le plaisir de la lecture : tel est l’homme, qu’un fait extravagant et réel qui se passe à ses yeux le divertit souvent moins qu’un fait de pareil genre inventé. L’Avare à la comédie lui paraît plus ridicule que l’avare dans le monde, et les défauts de mœurs qu’on lui représente par un jeu, lui sont plus sensibles que les défauts réels. La raison de cette sensibilité mal entendue, est peut-être la suite de son dérangement, et je laisse encore aux philosophes à la découvrir11.

Il faut relever que Marivaux pose, dans une perspective « classique » (et, dans ce cas, il est plus proche des positions des Anciens que de celles des Modernes), le problème de l’histoire vraie. Cette problématique, toutefois, n’est pas affrontée par rapport à la réalité concrète, mais en relation au texte parodié, comme l’indique l’affirmation suivante :

On trouvera dans cette histoire même liaison et même suite d’aventures que dans le vrai Télémaque12.

Le Télémaque de Fénelon est vrai par le fait même qu’il appartient à la tradition classique. Le Télémaque parodié est bizarre et, dans cette bizarrerie se construit la différence des personnages et des deux textes, dont Marivaux souligne cependant les rapports étroits :

Je fonde la réputation du mien [scil. Télémaque] sur celle du premier : il a fait les délices de tout le monde, un peu de curiosité pourra faire lire le mien; mais avant de commencer, il est à propos de préparer le lecteur à la différence des personnages, et de lui mettre dans l’esprit ce qui doit naturellement précéder les aventures bizarres de mon Télémaque13.

Il s’agit d’une bizarrerie et d’une différence qui rendent possible la réalisation d’un exercice avant tout rhétorique. Exercice intéressant, qui mérite de faire l’objet de notre étude, dans la mesure où le tissu linguistique renvoie à certains dynamismes structurants du discours parodique. Dans notre analyse de la parodie de Marivaux (limitée à la partie du Télémaque travesti qui correspond au premier livre de Fénelon), nous nous occuperons essentiellement du lexique, en nous efforçant d’offrir une description la plus exhaustive possible de ce laboratoire de réécriture.
2. Par rapport à l’ensemble du travestissement, le premier livre est particulièrement intéressant, dans la mesure où, très souvent, l’auteur construit son discours par le moyen d’une technique d’amplificatio. Ces enrichissements, qui augmentent la structure-modèle, nous éclairent sur la réflexion que Marivaux développe dans le texte travesti ; on peut, d’ailleurs, les classer selon diverses typologies de la construction parodique.
Nous en donnerons trois exemples, en guise de modèle, pour illustrer la méthode par laquelle Marivaux transforme et enrichit son texte. Comparons tout d’abord les incipit des deux œuvres14/15 :

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On relève un parallélisme strict entre les deux textes. Il n’y a, en effet, parodie que dans le déplacement du personnage, du mythe à la contemporanéité, déplacement sur lequel Marivaux s’arrête d’ailleurs longuement dans les pages qui précèdent l’ouverture des Aventures de Brideron le fils16. Dans les Aventures de Télémaque, Fénelon limite la description de Calypso à l’établissement de la situation (la déesse pleure le départ d’Ulysse), car le texte homérique de support est plus que suffisant à l’imaginaire du lecteur. Marivaux, au contraire, substituant au personnage mythique « une dame veuve, habitante de la campagne, tutrice de deux jeunes nièces, et mère de deux filles [...] grosse femme âgée de quarante ans, qui avait été fort belle, et qui l’était encore beaucoup pour ceux qui ne l’avaient point vue dans son éclat »17, enrichit la description de l’amante pleurant l’aimé par une longue série de détails psychologiques, physiques et même détails concernant le milieu naturel, qui relèvent de la modernité. Il insiste, par exemple, sur les références à la vie de la campagne et aux activités du château dans lesquels le personnage est situé. La parodie repose donc sur le fait de souligner, en ouverture, la dimension sociologique. C’est à partir de là que se construit dès l’abord le détachement par rapport au monde parodié : d’un côté l’île de Calypso et tout l’univers mythologique des dieux, des déesses, des nymphes ou des héros avec leurs attributs surnaturels, de l’autre côté le château de Mélicerte dans la campagne française18 et le monde des rustres avec leurs attributs souvent grossiers.
C’est directement en fonction de la parodie, et non seulement de la description et de la reconstitution d’un milieu, qu’est construit un autre enrichissement initial du texte, dans lequel Brideron fils (= Télémaque) évoque le souvenir du père Brideron (= Ulysse)19/20 :

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Le fait que l’image d’un «bourgeois du village, et maintenant capitaine dans un régiment allemand»21, se substitue à celle d’«un des rois qui ont renversé la fameuse Troie», appartient précisément à la tradition attestée des parodies théâtrales (de tragédies et d’œuvres lyriques) qui se succèdent de la fin du XVIème jusqu’à la première moitié du XVIIIème siècle. De la même façon Œdipe devient Trivelin, personnage de la Commedia dell’Arte (Œdipe travesti de Biancolelli)22, Médée devient Asmodée, ménagère farouche (La méchante femme de Dominique et Lelio fils)23, Brutus devient Bolus, doyen des médecins (Le Bolus de Dominique et Romagnesi)24 etc. Marivaux, notamment, multiplie les détails qui démythifient et démystifient : le guerrier homérique est remplacé par un vainqueur du jeu du tir à l’oie, qui supporte avec patience les souffrances et les blessures ( « une épine un jour lui entra dans le pied : Demandez à mon oncle que voilà, s’il dit autre chose que ahi ! quand on la lui tira »25) ; et le roi, « célèbre par sa sagesse dans les conseils »26, est remplacé par l’avocat « qui fit gagner le procès au bon M. Vignard »27.
L’élargissement textuel, enfin, peut être simplement une addition sans présenter de parallélisme avec le texte de Fénelon au niveau de la structure. Citons, comme exemple, le long passage suivant :

Le maître de la métairie ne savait quelle chère nous faire : Mes bons, mes vrais amis, nous disait-il, male-peste, que vous en savez long ! que ne vous faites-vous soldats, il ne faudrait point de canon. Oh bien, je vous ferai accompagner quand vous vous en retournerez; car si les fuyards vous rencontraient seuls, ils vous échigneraient comme un quartier de bœuf. A peine achevait-il ces mots qu’un rhumatisme de vingt ans vint prendre le métayer. Ahi! s’écria-t-il, mon mal me tourmente; guérissez-moi, bons enfants. Phocion avait un secret pour les rhumatismes; mais il détournait la tête, me faisant comprendre que Mentor, autrefois, avait bien combattu contre les Barbares, mais non pas guéri de rhumatisme; car voyez-vous, madame, qui va à dia, ne doit pas tourner à hurau. Morguienne, lui dis-je guérissez ce bon homme, personne ne le saura : il le fit par le moyen de quelques herbes appliquées sur le mal; quoique les domestiques crussent qu’il ne guérirait non plus ce mal qu’une jambe de bois. La femme du fermier avait un dévoiement, elle était au lit. Notre maître, dit un paysan, dites à ce frater qu’il guarisse itou la diarrhée de madame, puisqu’elle rend par bas tout ce qu’elle mâche. Par la sanguienne, répondit-il, ce n’est point à tes dépens, qu’elle se guérisse d’elle-même. Notre petite Claudine a les fièvres, qu’il lui baille un remède. Bon, dit le paysan, il lui baillera de l’onguent miton mitaine, comme les autres, Paix ! repartit Phocion, ou je te donnerai la gravelle. Tastigué, laisse-le faire, maître Jacques, repartit un autre, et va voir s’il ne t’a pas déjà donné ce qu’il dit. Phocion qui avait guéri un rhumatisme, ne voulait plus rien faire. Voyez-vous, dit-il au maître, nous imitons des grands seigneurs d’autrefois : dame, la Médecine déroge; mais baste encore pour Claudine. Il donna à celle-ci du jus d’une herbe, pour la faire suer. En attendant, le maître nous dit : Morguienne, je me souviens des coups de bâton que je vous ai fait bailler; frottons vos épaules d’eau-de-vie. Buvons-la plutôt, répondis-je, c’est de même. On en apporte, et nous en sirotâmes Phocion et moi chacun un bon verre; car nous suçons cela comme du sucre. Morbleu, tout ce tripotage-là, dans le fond, dit Phocion, n’est pas bon pour gens comme nous; vous êtes un Télémaque de m... et moi un Mentor de bran. Pendant que l’on parlait : Eh, notre maître, s’écria Claudine, l’iau me gagne, je me noie. Qu’on me la change, dit Phocion, la petite étourdie, qui ne sait pas qu’elle sue son mal. Alle suerait bien avant qu’elle eut tout sué, repartit maître Jacques. On la flotta, et la fièvre s’en alla tenir compagnie au rhumatisme. Après cela, nous songeâmes à nous en retourner; nous bûmes avant comme des trous; le maître nous mit au doigt chacun une bague de verre, et nous fit présent d’un sac d’avoine pour nos chevaux, avec un reste d’éclanche et la carcasse d’une oie28.

Il s’agit, ici, d’une véritable addition puisque, chez Fénelon, il n’y a aucun élément reconnaissable qui puisse être mis en rapport dialogique direct avec ce passage. Or, c’est justement dans l’addition que la parodie s’intensifie, en s’appuyant sur deux éléments fondamentaux : la situation proposée, car dans le texte de Fénelon il n’y a pas de maladies à soigner, et les références au Télémaque, pour souligner, en réalité, le détachement par rapport au modèle.
Pour ce qui est de la situation proposée, après avoir vérifié que la prédiction de Phocion s’est révélée exacte (comme celle de Mentor à Aceste), le maître de la métairie le remercie chaleureusement et, convaincu d’avoir devant lui un prophète, il lui demande de le guérir car il ne supporte plus son terrible mal : un rhumatisme. A ce mal s’ajouteront un « dévoiement » de la femme du fermier et la fièvre de la petite Claudine que Phocion, à contre-cœur, soignera avec des herbes. Nous avons là une situation typique de la farce où un apprenti médecin offre de faibles et ridicules remèdes au malade29. Le registre linguistique, bas et populaire, (« puisqu’elle rend par le bas tout ce qu’elle mâche » ; «l’iau me gagne, je me noie») reprend la tradition du genre.
En ce qui concerne les renvois au texte de Fénelon, ce passage en contient deux : « Mentor, autrefois, avait bien combattu contre les Barbares, mais non pas guéri de rhumatisme » et « Morbleu, tout ce tripotage-là, dans le fond, dit Phocion, n’est pas bon pour gens comme nous; vous êtes un Télémaque de m... et moi un Mentor de bran ». Les deux renvois comportent une divergence par rapport au modèle entraînant ainsi un autre élément comique par delà la parodie. Explicitons : Phocion ne veut pas sortir du personnage qu’il imite et, quand il y est contraint, il souligne son impossible identification – évidente, d’ailleurs, pour le lecteur – avec les personnages homériques par le moyen, entre autres et une fois de plus, d’un niveau de langue différent ; c’est une langue riche en expressions populaires qui rejoint souvent le registre vulgaire. Pour reprendre l’expression de Sanda Golopentia-Eretescu, « tout en acquérant la langue du parodié, le parodiste ne cesse pas de disposer de la sienne »30.
Plusieurs éléments contribuent à la parodie de l’œuvre d’origine : la transposition spatiale, la transformation des personnages, le bouleversement de l’action, le style, toujours dans le cadre d’un rappel explicite du modèle. Marivaux a souligné la différence entre son travestissement et le Virgile de Scarron. La référence est, en réalité, à l’Homère travesti, mais comme on l’a remarqué31, la Préface à cette Iliade en vers burlesques est très utile également à la compréhension du Télémaque travesti. Voici ce qu’il dit :

[...] je trouve que son burlesque [de Scarron], ou son plaisant, est plus dépendant de la bouffonnerie des termes que de la pensée ; c’est la façon dont il exprime sa pensée qui divertit, plus que sa pensée même : ses termes sont vraiment burlesques ; mais ses récits, dépouillés de cette expression polissonne, qu’il possédait au suprême degré, je doute fort qu’ils parussent divertissants par eux mêmes. [...] J’ai taché de divertir par une combinaison de pensées qui fût comique et facétieuse, et qui, sans le secours des termes, eut un fond plaisant, et fît une image réjouissante. [...] Cette sorte de comique, quand on l’attrape, est bien plus sensible à l’esprit, qu’un mot bouffon, qui ne fait rire qu’une fois ; car en riant de la pensée présente qu’on lit, on rit encore par réflexion à la phrase passée qui donne occasion à la phrase suivante ; de sorte que le comique est toujours présent à l’esprit ; ce ne sont plus les termes que l’on cherche, et que l’on souhaite : c’est comme un dénouement d’intrigue qu’on attend, et dont la suite, que l’on ne sait pourtant pas, divertit par avance, par les rapports plaisants que l’on sent qu’elle aura avec le commencement. Pour moi, je crois que l’esprit est bien plus occupé par ce burlesque, que par celui qui n’est que dans les termes. [...] mais chacun à son gré peut manier ses sujets, sans imiter Scarron dans sa manière de plaisanter ; et j’appellerai toujours travesti tout ouvrage qui, déguisant un auteur sérieux, me le présentera d’une façon qui me réjouisse32.

Marivaux va donc plus loin que les parodies préexistantes. Il est vrai, en effet, que les éléments de base de sa parodie ne se construisent pas seulement autour de monèmes isolés (les termes) mais plutôt autour de relations syntagmatiques (les pensées) auxquelles correspond un sémantisme fort intéressant. Nous nous intéresserons ici surtout aux termes qui nous paraissent eux aussi fondamentaux dans l’élaboration de la parodie, puisqu’ils en sont le premier élément.
La langue de Marivaux a été étudiée à plusieurs reprises par différents critiques33 : en ce qui concerne le Télémaque travesti, en particulier, un certain nombre de contributions ont déjà vu le jour34. Quant à nous, nous n’essayerons pas de dresser un bilan d’ensemble des différents problèmes que pose la langue marivaudienne ; nous nous bornerons plutôt à l’analyse de quelques éléments significatifs.

3. Ce qui surprend le plus, lors d’une lecture attentive de l’œuvre, c’est l’importante utilisation des adjectifs qualificatifs pour la description des personnages, surtout dans les premières pages, lorsque ceux-ci sont présentés pour la première fois. Parmi ces adjectifs, qui modifient sémantiquement le nom auquel ils se réfèrent et en précisent certains aspects du point de vue physique, moral, intellectuel etc., les plus utilisés par Marivaux sont ceux qui concernent l’aspect physique. Alors que chez Fénelon, le nom propre suffisait à qualifier le personnage – la puissance évocatrice du nom classique créant un imaginaire chez le lecteur –, chez Marivaux, la dimension parodique, en remplaçant les noms de la tradition - et, par conséquent, en détruisant ce pouvoir d’évocation - oblige l’auteur à des qualifications différentes, basées, entre autres, sur l’emploi des adjectifs. Puisqu’il est nécessaire de décrire et de définir les nouveaux personnages qui doivent ridiculiser ceux du texte d’origine, Marivaux introduit et multiplie les adjectifs qualificatifs.
Les adjectifs qualifiant Mélicerte sont, de ce point de vue, les plus intéressants pour la compréhension de la méthode utilisée par l’auteur. La déesse Calypso n’avait pas besoin de présentation : la simple dénomination renvoyait à un ensemble d’éléments connus par les lecteurs, il n’était donc pas nécessaire de la décrire davantage, du moins au physique35. Mélicerte, au contraire, est représentée par toute une série de détails esthétiques. Nous ne signalons pas seulement les simples adjectifs qualificatifs mais également les syntagmes ayant fonction de déterminant qui renvoient à des détails proprement physiques :

- [c’est une] grosse femme âgée de quarante ans (p. 726)
- elle avait été fort belle (p. 726)
- [elle est] charmante (p. 726)
- [elle est] coiffée le plus souvent en mauvais battant-l’œil (p. 730)
- ce n’était plus cette beauté délicate (p. 730)
- [Elle avait un] feint courroux (p. 731)
- Madame est un tonneau ? (p. 731)
- [elle a un] grand air (p. 731)
- [elle a une] beauté qui passe de dix pieds la beauté d’une reine (p. 732)
- l’air libre et aisé avec lequel elle soutenait le poids massif de cette taille (p. 733)
- l’agilité de son pied, qu’enfermait cependant un épais et large soulier (p. 733)
- [elle a les] bras ronds et gras d’une couleur de chair vive (p. 733)
- sa beauté [...] paraissait toujours triomphante (p. 733)
- [elle a un] air tendre (p. 740)
- [c’est une] grosse et grande beauté (p. 740)

Ces adjectifs évoquent, bien entendu, un personnage qui contredit le mythe de la beauté classique ; on peut les diviser, du point de vue du sens, en deux sous groupes : ceux qui se réfèrent à une Mélicerte jeune, dans son plus grand éclat, au moment où elle a rencontré Brideron père, et ceux qui qualifient une Mélicerte un peu fanée, quoique encore plaisante, surtout au moment de la rencontre avec Brideron fils.
Si le renversement parodique concerne tout particulièrement la représentation physique, celle-ci s’accompagne d’une description morale qui souligne le glissement du contexte mythique classique au contexte réaliste moderne, totalement démythifié. La description de Mélicerte est, en effet, complétée par des adjectifs qualificatifs renvoyant à sa condition civile et sociale, à son caractère et à son état d’âme :

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Le même procédé parodique se retrouve dans la présentation des autres personnages, notamment des personnages féminins. Les femmes sont l’objet d’une description qui met toujours en évidence, au premier plan, leur aspect physique, celui-ci étant ridiculisé, d’une part, par rapport aux stéréotypes de la grâce et de la beauté féminine, d’autre part, par rapport, évidemment, au modèle fénelonien qui est encore une fois, renversé.
La foule des Nymphes de Fénelon, dont les plus importantes sont au nombre de quatre, est remplacée par deux jeunes nièces et deux filles, quatre demoiselles chez Marivaux. Alors que Fénelon insistait sur la grâce, la finesse, la pureté et la propreté, Marivaux s’amuse à souligner, à l’aide d’un grand nombre de déterminants, la lourdeur, la maladresse, la malpropreté :

le teint un peu trop rembruni était mitigé par deux doigts épais de poudre dans les cheveux; leur front en était négligemment rempli; leur coiffure extrêmement haute, et mise un peu de travers, laissait égarer quelques cheveux, et ce peu d’affectation dans l’arrangement témoignait combien les belles filles tenaient peu de l’art les beautés qui les ornaient. Elles semblaient même se fier de tout à la nature; leurs mains n’avaient point quitté ce que l’usage de servir à toutes sortes de choses joignait à leur blancheur, et loin des vains soins de celles qui, les ciseaux à la main, vont, en se coupant les ongles, en chercher jusqu’à la racine, ces aimables campagnardes laissaient à leur gré croître les leurs37.

Elles chantent, elles aussi, mais « de grands éclats de rire étaient les intermèdes des chansons »38 et les douces voix évoquées par Fénelon deviennent « les cadences et les roulements aisés, quoique chevrotants »39 des quatre demoiselles.
Pénélope, dont Fénelon ne proposait pas de description, est Mme Brideron chez Marivaux. Elle est la seule femme qui fasse exception au procédé de la description physique, la plus grande partie de la présentation que Marivaux nous en offre concerne, en effet, sa conduite. C’est une mère déjà vieille, la chère épouse de Brideron père, fidèle à sa mémoire mais d’une fidélité qui lui permet le plaisir secret de se voir des amants, ce qui portera l’auteur à la définir successivement comme une faible veuve, une mère persécutée par ses amants, en soulignant, pour rendre encore une fois plus évident le décalage par rapport à Pénélope, symbole de fidélité absolue, sa conduite plus libre et plus « humaine ».
Les caractéristiques nobles des hommes féneloniens sont, elles aussi diminuées, ridiculisées, les épithètes, loin de souligner la grandeur morale ou physique, ont une valeur négative. L’exemple le plus significatif est celui de Brideron père. La grandeur d’Ulysse chez Fénelon consiste en sagesse et en force ; une longue liste d’adjectifs qualificatifs s’oppose à ces deux qualités dans le texte de Marivaux, pour souligner, au contraire, le caractère volage, étourdi, aventurier (dans l’acception négative du terme), du personnage qui lui correspond. Nous donnons ci-dessous la liste des adjectifs et des expressions qui décrivent Brideron ; seuls ceux qui sont mis dans la bouche de son fils Timante indiquent l’apitoiement sur le sort du père, ce sont les seuls qui permettent de le considérer comme une victime :

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Alors que pour les femmes l’aspect physique l’emporte sur les autres caractéristiques, en ce qui concerne les hommes l’auteur insiste plutôt sur la personnalité. La seule phrase qui décrive Brideron père physiquement est positive, elle est prononcée par l’auteur : « il était bel homme et de bonne mine »40.
Un procédé analogue est utilisé pour Timante, dénommé le plus souvent Brideron fils, le personnage principal. Comme son modèle Télémaque, il est semblable à son père pour l’aspect et le caractère ; ainsi, de même que Brideron père s’opposait à Ulysse, Timante s’oppose à Télémaque. Le courage de ce dernier, par exemple, est caricaturé par la peur du premier, qui essaie de l’imiter (« vous n’avez maintenant pas plus de cœur qu’une poule. [...] Cette morale déplut un peu à notre apprenti Télémaque; franchement le pauvre garçon sentait bien que le Télémaque du livre qu’il avait lu était plus courageux que lui, mais il est plus aisé d’être roc dans une feuille imprimée, d’être tranquille relié en veau, qu’en chair et en os plein de santé »41). Le seul élément qui se retrouve à l’identique et n’ait pas subi de bouleversement dans la parodie, c’est la caractéristique propre aux jeunes gens, «l’ardeur d’une jeunesse imprudente»42.
La description de ce personnage occupe une grande partie du début du Télémaque travesti. Considérons les adjectifs qualificatifs utilisés pour sa caractérisation et, plus généralement, tous les éléments qui, par le biais des relations paradigmatiques réalisées de manière plus complexe, contribuent à définir le jeune homme et son caractère. Timante entre en contact avec tous les autres personnages et l’image que nous en avons est un collage des différentes qualifications que chacun d’eux donne de lui. En ce qui concerne son caractère, les déterminants ayant un sens neutre ou positif et qui démontrent de l’affection pour le jeune homme, sont, en général, prononcés par Mélicerte, par le métayer, une fois que la prévision de Phocion s’est avérée exacte, et par l’auteur-narrateur, mais uniquement dans la première présentation qu’il donne du personnage. Les déterminants qui soulignent la conduite négative du protagoniste et qui tendent, en quelque sorte, à la corriger bien que le ton utilisé soit toujours compréhensif et affectueux, sortent de la bouche de Phocion et de l’auteur-narrateur. Pour défendre leur maître et son terrain, les métayers insultent Timante. Enfin, le protagoniste, quant à lui, se définit positivement ou négativement selon les circonstances. Les déterminants concernant l’aspect physique du jeune homme occupent une place moins importante ; nous les avons également insérés dans le tableau récapitulatif ci-dessous, bien que, dans ce cas, le choix sens positif/ sens négatif soit discutable.

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Le personnage de Phocion est minutieusement décrit au début de l’œuvre. C’est un Mentor fou qui, enthousiasmé par les Aventures de Télémaque - comme Don Quichotte43 l’était par les romans picaresques - et surpris par « la conformité de la situation de son neveu à celle de ce prince »44, admire « de quelle manière le hasard ramène [...] une ressemblance si parfaite dans leur destinée » , et décide en conséquence, de copier son modèle. Tout est donc construit pour imiter le texte de Fénelon concernant le sage et vénérable Mentor, avec des résultats souvent ironiques. Afin de mieux apprécier le travail de Marivaux, nous reportons en parallèle, dans le tableau ci-dessous, les citations des deux textes qui comportent les qualifications caractérisant les personnages en question, ainsi que les passages où l’imitation et la parodie sont les plus évidentes . Pour ce qui concerne ce personnage, en effet, nous jugeons intéressant non seulement l’utilisation des termes, mais également l’élaboration des pensées . Le début de l’œuvre de Marivaux prépare, comme nous l’avons dit, « le lecteur à la différence des personnages, et lui met dans l’esprit ce qui doit naturellement précéder les aventures bizarres de son [scil.] Télémaque » , il n’y a donc pas de correspondance directe avec un passage précis du texte de Fénelon, c’est ce qui apparaît dans la colonne de gauche de notre tableau:

Tabella 1
FÉNELON MARIVAUX
- parent entre deux âges (p. 722) - homme à sentiment, d’un certain genre d’esprit (p. 722) - le parent avait autrefois été à Paris ; il y avait admiré, suivant le caractère de son esprit, tout ce qu’il y avait vu de noble et de grand ; les tragédies surtout l’avaient enchanté ; et de tout cela, il s’était formé dans son imagination un amour de noblesse, dont il fit dans les suites un faux usage (pp. 722-723) - il éleva Timante [...] conformément à ses idées (p. 723) - ce bon homme lisait dans ce temps Télémaque ; la conformité de la situation de son neveu à celle de ce prince le frappait ; il admirait de quelle manière le hasard ramenait encore une ressemblance si parfaite dans leur destinée ; une mère persécutée par ses amants ; un héritage en proie à d’avides ravisseurs ; un mari perdu, et plus que tout cela, un Mentor (car il se regardait de même) capable de diriger la conduite de son neveu. De la trempe de son esprit à la démence, il n’y avait qu’un point ; ce point disparut à la lecture du livre. La beauté du personnage de Mentor le toucha, et réveilla chez lui le goût dérangé qu’il avait pour la noble vertu. Le voilà donc pénétré de l’envie d’achever la conformité que le hasard semblait avoir si bien ébauchée ; tout le favorisait, ses préceptes et la nature avaient disposé son neveu à recevoir la passion qu’il voulait lui inspirer. Il ne fut pas longtemps à y travailler. Ils se promenaient un jour ensemble, et déploraient les malheurs qu’entraînaient et l’absence de M. Brideron, et la faiblesse de sa femme. Sur ces propos, l’oncle, poussant un soupir, d’un air triste, et embrassant son neveu par une saillie de tendresse, née d’une plénitude de la folie qu’il méditait : Hélas ! mon fils, lui dit-il, voici un livre où sont écrites les aventures d’un prince dont la situation était pareille à la vôtre ; il semble que la conformité vous prescrive mêmes actions et mêmes entreprises. Lisez son histoire, mon cher fils, lisez-la, et s’il se peut, concevez l’envie de l’imiter : vous verrez, il est vrai, que Mentor son guide le dissuada d’entreprendre la recherche de son père ; mais ce fut cependant à cette recherche qu’il dut la sagesse et la réputation qu’il acquit. Quand je vous verrai dans la résolution qu’il prit, je pourrai peut-être penser comme ce Mentor ; mais mon fils, le ciel confond souvent la sagesse des hommes, et je vous permets de me désobéir. Après ces mots qui précipitèrent dans son esprit le progrès de folie, il ouvrit le livre et le donna à son neveu, qui, accoutumé par son oncle à un enthousiasme de grandeur et de noblesse d’âme, dévora l’histoire de Télémaque ; il la lut plus d’une fois, et prit dans les moments de sa rêverie toute la dose nécessaire de nobles sentiments et d’extravagances tout ensemble, pour concevoir l’envie de chercher des aventures. L’enchantement fut complet, son oncle lui parut un Mentor : il lui fit part du dessein qu’il avait d’aller chercher son père ; ce dernier charmé, presque hors de lui, n’eut garde cependant d’approuver tout d’un coup la résolution de ce téméraire. Devenu Mentor dès cet instant, sa plus chère manie fut de l’imiter ; il dissuada donc en ces termes son neveu de la résolution. Ô jeune Brideron! car le [I:I]Ô ![/I:I] entrait de moitié dans l’imitation du langage, songez-vous à ce que vous allez faire? Pourquoi courir sans savoir où, pour chercher un père qui reviendra sans doute de lui-même? Vous seriez bien attrapé si votre mère allait se remarier. Que vous allez souffrir, cher étourdi, si vous n’en croyez mes conseils! Cette remontrance n’est pas tout à fait aussi noblement exprimée qu’elle devait l’être, mais ce Mentor de nouvelle fabrique comptait cinquante années pour le moins d’usage dans un tour d’expression campagnard, et n’était métamorphosé en Mentor que depuis quelques heures. Il avait pris son pli : l’enthousiasme le redressait souvent, mais l’habitude le courbait aussi fréquemment du coté naturel. Ce discours ne produisit que ce dont ils étaient convenus ; il n’était dicté que par un sévère amour de la forme. (p. 724-725) - sage ami [...] toujours prudent à votre ordinaire (p. 725) - [Timante et Phocion ont] de hautes destinées (p. 725) - le sage flegme de Phocion (p. 727) - le goût de son rôle suivit cette pensée ; il moralisa son élève (p. 727) - notre stoïcien (p. 728) - Mentor, d’un ton de voix doux et grave (p. 728) - [il a] des yeux qui portaient une leçon à sa brusquerie [de Timante] (p. 729)
- elle [Calypso] découvre de loin deux hommes, dont l’un paraissait âgé (p. 3) - homme vénérable (p. 3) - Deux inconnus étaient dans la charrette [...] ; l’autre vieux, d’une physionomie sévère, mais assez prudente (p. 730-731) - Phocion qui était le vieillard (p. 731)
- Phocion sourcilla un peu à ce discours ; il lui avait semblé trop commun. Peu s’en fallut qu’il ne recommençât une harangue, mais il craignit de blesser les règles de l’imitation : car en pareille occasion, Mentor ne desserra pas les dents ; il fallut donc se contenter de ce qu’on avait dit, et prendre le tout en patience (p. 732)
- Mentor, les yeux baissés, gardant un silence modeste, suivait Télémaque (p. 5) - Les nymphes [...] avaient laissé des habits pour les nouveaux hôtes. Télémaque, voyant qu’on lui avait destiné une tunique d’une laine fine, dont la blancheur effaçait celle de la neige, et une robe de pourpre avec une broderie d’or, prit le plaisir qui est naturel à un jeune homme, en considérant cette magnificence. Mentor lui dit d’un ton grave : « est-ce donc là, ô Télémaque, les pensées qui doivent occuper le cœur du fils d’Ulysse? Songez plutôt à soutenir la réputation de votre père et à vaincre la fortune qui vous persécute. Un jeune homme qui aime à se parer vainement, comme une femme, est indigne de la sagesse et de la gloire : la gloire n’est due qu’à un cœur qui sait souffrir la peine et fouler aux pieds les plaisirs » (p. 6) - Brideron s’amusait à regarder toutes ces choses, quand Phocion s’aperçut, en jetant les yeux sur un des lits, qu’on y avait mis des habits, pour qu’ils s’en servissent. Le plus beau était destiné sans doute pour Brideron ; il n’était à la vérité pas à la mode ; la façon même leur en parut extraordinaire; le père du mari défunt de Mélicerte l’avait fait faire exprès pour la noce : il était magnifique, et garni d’une bordure d’argent, que le temps avait seulement rougie. Brideron, en le voyant, crut qu’il allait être couvert de tout l’or des Indes ; et ne pouvant modérer son impatience, il le mit et se regardait alors ; il se déboutonnait, incertain de la manière dont il le laisserait. Le bonhomme Phocion, en le considérant, cherchait son neveu et ne le trouvait plus ; l’aspect de l’argent le séduisait, le corrompait. Ô Télémaque ! s’écria-t-il dans un transport d’admiration. Je ne le suis pas encore, répondit Brideron, d’un air content, mais chut ! j’enfile le chemin de le devenir. A cette réponse, Phocion rougit du sentiment de faiblesse qui l’avait gagné, de même que son neveu, dont il remarquait la vanité ; et se ressouvenant à propos de celle de Télémaque en pareille occasion, aussi bien que de la remontrance de Mentor : Qu’est-ce que je vois, dit-il à Brideron, en mettant les deux poings sur les côtes? Vous faites le glorieux parce que votre habit est brodé? Regardez-le, le beau garçon ! Il a son habit des dimanches ; il se carre : il est aussi fier dans sa peau qu’un coq sur un fumier. Allez, allez, mon ami, apprenez que vous êtes un petit écervelé, et que si vous continuez, vous ne deviendrez pas plus sage qu’un étourneau (p. 735-736)
- Lassé de vivre toujours en suspens et dans l’incertitude, je me résolus d’aller dans la Sicile, où j’avais ouï dire que mon père avait été jeté par les vents. Mais le sage Mentor, que vous voyez ici présent, s’opposait à ce téméraire dessein (p. 9) - Ces paroles [de Mentor] étaient salutaires ; mais je n’étais pas assez prudent pour les écouter. Je n’écoutais que ma passion. Le sage Mentor m’aima jusqu’à me suivre dans un voyage téméraire, que j’entreprenais contre ses conseils (p. 9) - si votre père n’est pas enterré, il reviendra au gîte [...] Phocion parlait comme un oracle (p. 741) - [il est] brave homme [...] bon autant que sage ; je crus qu’il me planterait là, point du tout. Nous voilà donc en voyage (p. 741)
- [Calypso] demeurait pleine de crainte et de défiance à la vue de cet inconnu (p. 9)
- nous aperçûmes d’autres vaisseaux exposés au même péril, et nous reconnûmes bientôt que c’étaient les vaisseaux d’Enée. Ils n’étaient pas moins à craindre pour nous que les rochers. Alors je compris, mais trop tard, ce que l’ardeur d’une jeunesse imprudente m’avait empêché de considérer attentivement. Mentor parut dans ce danger, non seulement ferme et intrépide, mais encore plus gai qu’à l’ordinaire. C’était lui qui m’encourageait. Je sentais qu’il m’inspirait une force invincible. Il donnait tranquillement tous les ordres, pendant que le pilote était troublé. Je lui disais : « Mon cher Mentor, pourquoi ai-je refusé de suivre vos conseils? Ne suis-je pas malheureux d’avoir voulu me croire moi-même, dans un âge où l’on n’a ni prévoyance de l’avenir, ni expérience du passé, ni modération pour ménager le présent? Ô si jamais nous échappons de cette tempête, je me défierai de moi-même comme de mon plus dangereux ennemi. C’est vous, Mentor, que je croirai toujours » (p. 9-10) - Égarons-nous plutôt dans le bois, me dit Phocion, nous perdrons nos gens. A ces mots, il partit comme un courrier, et traversa le bois sans savoir où il allait ; le Diable, dit-on, n’est pas toujours aux trousses d’un pauvre homme. Nos archers perdirent la voie, et nous continuâmes fort vite notre chemin dans la plaine : je jure par le bourdon du premier pèlerin du monde, que je ne me fierai pas plus à moi, dorénavant, qu’à une planche pourrie. Ah! qu’un jeune homme est un quinteux animal, disais-je alors à Phocion : quel peste de meuble que la jeunesse ! Vive les grisons comme vous, mon oncle Phocion, cela ne bronche morgué pas ; ils ne sont point sujets à prendre le mors aux dents comme nous ; laissez faire, si nous tirons d’ici nos braies sauves, vous serez mon pilier, et vous me conduirez comme un quinze-vingt ; et quand ma jeunesse voudra lever la crête, ma raison lui rabattra son caquet ; je dis ma raison, car j’en ai ma part ; mais ma jeunesse en vaut bien quatre contre elle (p. 741-742)
- Mentor, en souriant, me répondit : « Je n’ai garde de vous reprocher la faute que vous avez faite. Il suffit que vous la sentiez et qu’elle vous serve à être une autre fois plus modéré dans vos désirs. Mais, quand le péril sera passé, la présomption reviendra peut-être. Maintenant il faut se soutenir par le courage. Avant que de se jeter dans le péril, il faut le prévoir et le craindre ; mais, quand on y est, il ne reste plus qu’à le mépriser. Soyez donc le rogne fils d’Ulysse. Montrez un cœur plus grand que tous les maux qui vous menacent ». La douceur et le courage du sage Mentor me charmèrent ; mais je fus encore bien plus surpris, quand je vis avec quelle adresse il nous délivra des Troyens (p. 10) - Ah, ah, me répondait ce bénin vieillard, Dieu soit béni, je triomphe ; je le savais bien, mon étourdi, que vous reviendrez cuire à notre four, mais chut! Cependant vous êtes fâché, et je suis bon prince ; mais je vous connais, quand vous aurez la clef des champs, zest et crac ; adieu mon homme, il brisera tout, mors et sangles. Ah, vraiment votre père que vous cherchez n’a jamais été comme cela. Je l’aurais bien voulu ici, lui répondis-je, pour voir s’il n’aurait pas eu le visage allongé d’une aune. Lui? pas d’un pouce, repartit Phocion ; à la vérité, il aurait fait deux lieues pour éviter un fossé ; mais il le sautait quand il y était (p. 742)
- les habitants crurent que nous étions ou d’autres peuples de l’île armés pour les surprendre, ou des étrangers qui venaient s’emparer de leurs terres (p. 11) - vous êtes [Phocion et Timante] des marauds [...] deux godelureaux [...] mauvais créquiens [...] deux maroufles (p. 743)
- Phocion, à cet ordre, me marcha doucement sur le pied et me dit : Vous êtes à présent comme Télémaque, quand, présenté à Aceste, le vieux bonhomme le condamna à l’ esclavage ; mais chut, nous nous en tirerons tout comme il s’en tira ; car madame, il faut que vous sachiez que je cherche mon père, tout comme ce jeune prince cherche le sien ; que c’est lui que j’imite, et que nous avons les mêmes aventures. Eh morbleu, si vous avez lu sa vie, n’êtes-vous pas Calypso, votre château n’est-il pas la grotte, et toutes ces pucelles-làagrave; ne sont-elles pas vos nymphes? Ce discours fit sourire Mélicerte, et Brideron continua ainsi (p. 743)
- Mentor demanda tranquillement à parler au roi. Il lui dit : « O Aceste, si le malheur du jeune Télémaque, qui n’a jamais porté les armes contre les Troyens, ne peut vous toucher, du moins que votre propre intérêt vous touche (p. 12) - A cette menace, Phocion parla ainsi : Ô maître de céans, écoutez-moi. Si la jeunesse de cet innocent ne vous fait pitié, du moins faites-vous pitié à vous-même (p. 744)
- Aceste fut étonné de ces paroles, que Mentor lui disait avec une assurance qu’il n’avait jamais trouvée en aucun homme. Je vois bien, répondit-il, ô étranger, que les dieux, qui vous ont si mal partagé pour tous les dons de la fortune, vous ont accordé une sagesse qui est plus estimable que toutes les prospérités (p. 12) - Le maître de la métairie fut grandement surpris de ces paroles (p. 744)
- les principaux de la ville, se croyant plus sages que les autres, s’imaginaient que Mentor était un imposteur (p. 12) - ceux qui avaient méprisé la sage prédiction de Mentor perdirent leurs esclaves et leurs troupeaux (p. 13) - Quelques maîtres ou fermiers se moquaient de ce qu’avait dit Phocion, lui et moi nous en riions sous cape, car quoique Phocion eût hasardé cette prédiction, nous savions bien que tout arriverait à la lettre, à cause de ce qui arriva jadis chez Aceste ; ainsi nous dormions en repos [...] ils conduisaient quelques moutons qu’ils avaient pris à ceux qui n’avaient pas voulu les enfermer (p. 745)
- Mentor montre dans ses yeux une audace qui étonne les plus fiers combattants. Il prend un bouclier, un casque, une épée, une lance, il range les soldats d’Aceste. Il marche à leur tête et s’avance en bon ordre vers les ennemis (p. 13) - Semblable à un lion de Numidie que la cruelle faim dévore, et qui entre dans un troupeau de foibles brebis, il déchire, il égorge, il nage (h) dans le sang, et les bergers, loin de secourir le troupeau, fuient tremblants, pour se dérober à sa fureur (p. 13) - Phocion, à cette violence, se ressouvenant du courage de Mentor, souffle comme un sanglier ; il enfonce son chapeau jusqu’aux oreilles, met ses quatre brins de cheveux dessous ; retrousse la manche de son habit, et raccommode sa jarretière ; et disant : Maugrebleu de la canaille ! avec un air qui aurait épouvanté le diable, il s’arme d’un vieux sabre, et me donne une fourche à trois branches de fer. Qu’ils entrent, s’écrie-t-il ; s’ils nous traitent en Barbares, nous les recevrons en Briderons. Cependant, les bandits forcent la porte ; nous sortons tous deux avec les paysans : le village prochain accourt. Phocion se met à notre tête. Ah, madame, si vous aviez vu le vieux renard se démener comme un possédé avec son sabre, nous encourager par des discours ! (p. 745)
- Mentor, ayant achevé de mettre les ennemis en désordre, les tailla en pièces et poussa les fuyards jusques dans les forêts. Un succès si inespéré fit regarder Mentor comme un homme chéri et inspiré des dieux (p. 13) - Phocion acheva de renverser ses camarades ; il y en eut quelques-uns qui se sauvèrent, et qui depuis ont apparemment été pendus. Dame, cette bataille fit regarder Phocion comme un prophète, et tout le monde venait le saluer comme un ambassadeur (p. 746) - [Phocion et Timante sont] mes bons, mes vrais amis (p. 746) - [Phocion et Timante sont] bons enfants (p. 746)
- vous êtes un Télémaque de m.... et moi un Mentor de bran (p. 747)
- Aceste, touché de reconnaissance, nous avertit qu’il craignait tout pour nous, si les vaisseaux d’Enée revenaient en Sicile : il nous en donna un pour retourner en notre pays, nous combla de présents, et nous pressa de partir pour prévenir tous les malheurs qu’il prévoyait (p. 13-14) - Bon, me dit Phocion, voilà qui va bien : notre Télémaque reçut d’Aceste mille présents avant de partir et celui-ci nous baille de quoi gruger, cela est admirable ! Mais écoutez, Brideron : Télémaque eut dessein de s’en retourner en son pays en quittant Aceste ; soyez de même, notre voyage n’en sera pas plus comme Télémaque, cela est aussi sûr qu’il est vrai que vous avez à la main quatre doigts et le pouce. Mais chut, ne parlez de rien. Aceste bailla un vaisseau à notre prince pour sa conduite, vous verrez si notre homme ne nous fera pas conduire aussi. Il disait juste, notre homme nous donna deux paysans pour nous mener jusqu’à la ville prochaine, par laquelle nous devions passer pour nous en retourner chez nous. Nous partons ; mais il fallait que je devins patient comme un mouton. Le vaisseau de Télémaque fut arrêté par une flotte égyptienne : écoutez ce que le hasard fit pour nous attraper comme ce prince (p. 747-748)

Le dernier des personnages parodiés dans le premier chapitre du Télémaque travesti est Aceste, roi troyen qui règne maintenant sur les côtes de la Sicile. Comme les scènes sont situées à la campagne, Marivaux en fait le maître d’une métairie. La description est très limitée ainsi que les qualifications qui le concernent:

- un bon vieillard (p. 743)
- bien hardi (p. 743)
- sage mortel, calmez votre courroux (p. 743)
- bon homme (p. 746)

Nous reportons enfin, en dernier lieu, les adjectifs qualificatifs qui se réfèrent à un personnage inexistant chez Fénelon, un petit rustre que les deux aventuriers rencontrent sur leur route avant d’arriver chez Mélicerte. L’adjectif petit est toujours présent, il revient dix fois dans la brève description que Marivaux offre de lui :

- une petite charrette passa dans le bois à vide ; c’était un petit garçon qui en était le Phaéton (p. 728)
- le petit rustre, fils d’un meunier (p. 728)
- petit faquin (p. 729)
- [Phocion dit au] petit meunier : mon enfant ! votre enfant s’écria le petit libertin45 (p. 729)
- petit meunier (p. 729)
- le petit garçon [...] les fit monter charitablement dans sa cahotante voiture (p. 729)
- une charrette conduite par un petit garçon, qui pour éviter le chemin creux, avait fait monter son cheval sur un terrain semé d’orge, qui appartenait à Mélicerte (p. 730)
- le petit charretier s’arrêta, et d’un air honteux (p. 731)
- le petit rustre (p. 731)
- l’étourdi (p. 731)

Le relevé et la mise en évidence des qualifications de quelques personnages du Télémaque travesti fournit des informations précieuses sur le laboratoire linguistique de Marivaux réécrivant un texte célèbre, qu’il soumet à une métamorphose aussi bien linguistique que littéraire. La parodie en effet a été construite sur deux axes principaux. D’une part, surtout en ce qui concerne la description physique des personnages, sur l’importante utilisation des adjectifs qualificatifs. D’autre part, sur des stratégies linguistiques implicites et explicites plus complexes, grâce auxquelles Marivaux insiste davantage sur la personnalité des protagonistes, en métamorphosant de façon ridicule les caractéristiques mises en évidence par Fénelon. Cette étude, donc, peut ainsi constituer un point de départ pour des recherches que nous envisageons de mener prochainement, sur les stratégies linguistiques de l’énonciation, la rhétorique du discours et les dynamismes structuraux à l’œuvre dans le texte de Marivaux.


Note

↑ 1 Pour une histoire du genre cf. D. SANGSUE, La parodie, Paris, Hachette, 1994 et C. ABASTADO, Situation de la parodie, «Cahiers du XXème siècle», n° 6, 1976, p. 9-37. Cf. entre autre, sur la parodie au XVIIIème siècle V. GRANNIS, Dramatic Parody in XVIIIth Century France, New York, French Institute, 1931; G. LANSON, La parodie dramatique au XVIIIème siècle, in ID., Hommes et livres, Genève, Slatkine reprints, 1979 (Paris, Lecène et Oudin, 1895), p. 262-293; G. GENETTE, Palimpsestes, Paris, Le Seuil, 1982 ; AA. VV., Séries parodiques au siècle des Lumières, textes réunis pas Sylvain Menant et Dominique Quéro, Paris, PUPS, 2005.

↑ 2 Le Théâtre italien de Gherardi, ou le Recueil Général de toutes les Comédies et Scènes françoises jouées par les Comédiens Italiens du Roy, Paris, Briasson, 1741, 6 tomes (I éd., Paris, J. B. Cusson et P. Witte, 1700, 6 vol. ; éd. Moderne Paris, STFM, 1994-1996, vol. I par Ch. Mazouer, vol. II par R. Guichemerre).

↑ 3 Les Parodies du Nouveau Théâtre-Italien ou Recueil des parodies représentées sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, par les Comédiens Italiens Ordinaires du Roy, Paris, Briasson, 1738, 4 tomes.

↑ 4 Pour la distinction entre parodie et travestissement cf. L. HUTCHEON, Ironie et Parodie : stratégie et structure, «Poétique», n°36, 1978, p. 467-477. En effet au XVIIIème siècle la distinction entre parodie et travestissement était plutôt floue : Luigi Riccoboni essaie de formuler des définitions à propos des deux genres qui, en réalité, n’éclaircissent pas leurs différences : « je nomme travestir, substituer à des personnages héroïques et à leurs situations des personnages bas, et des situations qui répondent à leur bassesse [...]. J’appelle parodier, critiquer d’une manière comique les défauts d’une tragédie, soit par rapport à la conduite, soit par rapport aux situations, ou par rapport aux sentiments et à l’expression même, mais en conservant les personnages et les incidents » (cf., L. RICCOBONI, Observation sur la comédie et le genre de Molière, Paris, Pissot, 1736, p. 280-281).

↑ 5 L’édition originale du Télémaque travesti, comporte une approbation du censeur Burette du 14 juin 1714, mais il n’y a pas de trace de cette approbation dans les registres de la librairie. Seulement vingt-deux ans après, en 1736, l’œuvre paraît à Amsterdam chez J. Rickoff le fils : elle est divisée en 2 volumes qui contiennent 16 livres distribués en 4 parties. En réalité Marivaux refuse la paternité de l’œuvre cette même année : Deloffre (P. C. de Marivaux, Œuvres de jeunesse, éd. présentée, établie et annotée par Fr. Deloffre avec le concours de C. Rigault, Paris, Gallimard, «Bibliothèque de la Pléiade», 1972, p. 1244-1251 ) et M. Matucci (L’opera narrativa di Marivaux, Napoli, Pironti, 1962, p. 85-86 note 139), sont convaincus que l’auteur est Marivaux et ils ont fait des hypothèses en essayant d’expliquer les raisons du refus, alors que d’autres critiques, comme Larroumet par exemple, n’attribuent pas le texte à cet auteur. En 1737 Le Télémaque travesti est victime de la Proscription des romans. Seulement en 1775 la «Bibliothèque des romans» en publie les 3 premiers livres, repris par les Oeuvres complètes de la veuve Duchesne en 1781. Mais, jusqu’à ce moment là, l’œuvre est incomplète ; il faut attendre Frédéric Deloffre en 1956 pour la publication de la première édition critique complète chez Droz. Pour l’histoire complexe du texte, nous renvoyons à la notice de Fr. Deloffre dans P. C. de Marivaux, Œuvres de jeunesse, cit., p. 1239-1251 et 1264-1267, qui sera notre édition de référence ici, et que nous nommerons avec le sigle M.

↑ 6 M., p. 717-719.

↑ 7 Ibid.

↑ 8 Ibid., p. 719.

↑ 9 Ibid., p. 718.

↑ 10 Ibid., Livre Premier, p. 722-757.

↑ 11 Ibid., p. 721.

↑ 12 Ibid., p. 722.

↑ 13 Ibid.

↑ 14 F., p. 3.

↑ 15 M., p. 730.

↑ 16 Ibid., pp. 721-725. Avec ce titre Marivaux indique qu’à partir de ce moment-là dans son texte il y a un parallélisme avec l’œuvre de Fénelon. Tout ce qui précède (p. 721-729) est une sorte de deuxième Préface dans laquelle l’auteur présente ses personnages par rapport aux personnages-modèles.

↑ 17 Ibid., p. 726

↑ 18 Pour cette thématique cf. J. GUILHEMBET, La réécriture parodique par Marivaux du Télémaque de Fénelon, «L’Information Littéraire», 47 année, n° 1 janvier-février 1995, p. 26-33, surtout le paragraphe La transposition spatiale, p. 27-29.

↑ 19 F., p. 4.

↑ 20 M., p. 732.

↑ 21 Image qui s’ajoute, pour Brideron comme pour Mélicerte, à celles de l’avertissement que Marivaux donne au lecteur, cf. [I:I]M[/I:I]., pp. 721-725.

↑ 22 BIANCOLELLI, Œdipe travesti, in AA., VV., Les Parodies du Nouveau Théâtre-Italien etc. cit., tome I, p. 1-38.

↑ 24 DOMINIQUE et ROMAGNESI, Le Bolus, in AA., VV., Les Parodies du Nouveau Théâtre-Italien etc. cit., tome I, p. 273-318.

↑ 25 M., p. 732.

↑ 26 F., p. 4.

↑ 27 M., p. 732.

↑ 28 Ibid., pp. 746-747.

↑ 29 La satire du médecin appartient à la tradition de la farce et remonte au Moyen Age (aux fabliaux : cf. Le Vilain mire ; aux farces : cf. la Farce nouvelle et récréative du médecin qui guarist de toutes sortes de maladies, de la fin du quinzième siècle). C’est à cette tradition qui s’inspirent les comédies de Molière (du Médecin volant de 1647c., au Malade imaginaire de 1673). Pour les sources de ces comédies, fondées sur la satire des médecins et de la médecine, cf. CL. BOURQUI, Les sources de Molière. Répertoire critique des sources littéraires et dramatiques, Paris, SEDES, 1999.

↑ 30 S. GOLOPENTIA-ERETESCU, Grammaire de la parodie, «Cahiers de linguistique théorique et appliquée», n°6, 1969, p. 171, cité par L. HUTCHEON, Ironie et parodie : stratégie et structure, in « Poétique », n° 36, novembre 1978, (p. 467-477), p. 469, note 4.

↑ 31 Cf. par exemple H. COULET, «Les aventures de Brideron le fils» ou le «Télémaque» détravesti, «Il Confronto Letterario», année VII, n° 13, 1990, p.45-56, tout particulièrement p. 48-49.

↑ 32 Préface de l’Homère travesti ou l’Iliade en vers burlesques in MARIVAUX, Oeuvres de jeunesse, par Fréderic Deloffre, cit., p. 961-975, ici p. 961-962.

↑ 33 Cf. notamment J. ROUSSET, Marivaux et la structure du double registre, «Studi Francesi», n°1, 1957, p. 58-68 ; J. B. RATERMANIS, Etude sur le comique dans le théâtre de Marivaux, Paris, Droz, 1961 ; Fr. DELOFFRE, Marivaux grammairien, «Cahiers de l’association internationale des études françaises», n°25, 1973, p. 111-125, repris et approfondi par la Note grammaticale de l’édition [I:I]M[/I:I]. Une étude approfondie de la morphologie et de la syntaxe employée dans les Agréables conférences toujours par Deloffre (Agréables conférences de deux paysans de Saint-Ouen et de Montmorency sur les affaires du temps, 1649-1651, par Fr. Deloffre, Genève, Slatkine reprints, 1999, surtout La langue des «Agréables conférences», p. 157-177 «le document le plus complet, le plus cohérent et le plus exact que l’on possède sur la langue parlée dans l’Ile de France ou France au XVIIIème siècle», et le Glossaire, p. 179-199) pourra être utile pour retrouver certains procédés morpho-syntaxiques utilisés encore dans le Télémaque travesti aussi.

↑ 34 J. GUILHEMBET, La réécriture parodique par Marivaux du Télémaque de Fénelon, cit., surtout p. 32-33 ; Fr. BERLAN, Lexique et parodie. Le Télémaque de Fénelon et le Télémaque travesti de Marivaux, «Papers on French Seventeenth Century Literature», (Burlesque et formes parodiques, Actes du colloque du Mans, 4-7-décembre 1986), n°33, 1987, p. 423-433 ; A. VALLI, Changements de norme, décalages grammaticaux et représentations du français parlé dans le «Télémaque travesti», «Recherches sur le français parlé», n°6, 1984, p. 7-21.

↑ 35 Une petite description est en réalité présente, mais seulement pour souligner les caractéristiques de Calypso qui charment Télémaque: «Il admirait l’éclat de sa beauté, la riche pourpre de sa robe longue et flottante, ses cheveux noués par derrière négligemment mais avec grâce, le feu qui sortait de ses yeux et la douceur qui tempérait cette vivacité», F., p. 4-5.

↑ 36 A ce propos Marivaux ressentira néanmoins le besoin de ridiculiser cette conduite : «Elle ne dura pas si longtemps; Mélicerte le regretta de tout son cœur, pleura le premier mois, s’ennuya les quinze jours après, et se consola dans les deux mois. Les Calypsos sont rares, la véritable fit toujours retentir sa grotte de ses tristes accents. Nos femmes mortelles n’en usent pas ainsi; leur chambre, qui les voit d’abord soupirer, voit bientôt changer le spectacle, et ce témoin de leurs soupirs l’est souvent du plaisir d’un nouvel amour, le lendemain de ces soupirs même. Quoi qu’il en soit, et que Mélicerte se fut consolée tôt ou tard [...]», [I:I]M[/I:I]., p. 726-727.

↑ 37 Ibid., p. 737. C’est nous qui avons mis en italique les adjectifs et les substantifs auxquels ces derniers se réfèrent.

↑ 38 Ibid.

↑ 39 Ibid.

↑ 40 Ibid., p. 726.

↑ 41 Ibid., p. 727.

↑ 42 F., p. 9.

↑ 43 Cf. pour un rapport avec le roman de Cervantes A. NABARRA, L’influence de don Quichotte sur les premiers romans de Marivaux, «Studies on Voltaire and the Eighteenth century», vol. CXXIV, 1974, p. 191-219.

↑ 44 M., p. 724.

↑ 45 «Libertin» dans le sens de débauché.

 

Dipartimento di Lingue e Culture Moderne - Università di Genova
Open Access Journal - ISSN 1824-7482