Publifarum n° 6 - Bouquets pour Hélène

Déc(rire) le monde : formes de comique involontaire dans les définitions spontanées des enfants

Micaela Rossi



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Les idées, les paroles qui font rire, sans qu'on les exprime ou qu'on les dise pour faire rire, ce sont les naïvetés.
Comme le mot l'indique, les naïvetés appartiennent surtout au premier âge.
A. Penjon, Le rire et la liberté

Les mamans du monde entier le savent même trop bien : les enfants aiment demander des définitions pour les mots, et ils définissent les mots sans cesse dans leurs échanges quotidiens entre pairs : par ces définitions, ils décrivent le monde à travers la langue, et la langue à travers le monde, dans un échange mutuel et parfois quelque peu... anarchique qui ne manque de générer des énoncés drôles, comme dans ces exemples : « Accident : une dame est passée. Une voiture est passée. Après la voiture est passée sur la dame » ou « Concierge : c’est une rapporteuse »1. Les adultes ne peuvent s’empêcher de sourire, et ces définitions fautives – à l’apparence, du moins – sont d’habitude rapidement oubliées. Pourtant, bien de ces stratégies à l’apparence fautives peuvent s’avérer particulièrement efficaces pour leurs petits usagers, pour lesquels elles représentent un premier tremplin pour accéder au sens ; cette étude est consacrée à ces stratégies définitoires, trop souvent oubliées, et à leurs possibles valeurs didactiques. Et comme le rire est le fil rouge de ces Bouquets, nous nous attacherons aussi aux énoncés qui nous font sourire, et nous essaierons d’expliquer les raisons les plus profondes de cet aspect comique apparemment involontaire.

1. Pour une typologie des définitions d’enfants

Les études concernant la définition naturelle ou définition ordinaire (Riegel : 2000, Martin : 2000) représentent l’un des domaines de recherche les plus récents, et peut-être les moins exploités, à l’intérieur du vaste panorama de la métalexicographie. Née comme réponse aux limites mises en évidence par le modèle structuraliste de la sémantique componentielle en traits, l’approche visant la description des EDO (au sens d’énoncé définitoire naturel, Riegel : 2000) cherche en revanche à récupérer la composante psychologique et psycholinguistique intimement liée à l’acte de langage universel de demander/formuler une définition. La définition est ainsi considérée comme une activité épilinguistique naturelle, un acte de langage universellement reconnu, qui partage avec les autres activités quotidiennes et ordinaires son essence de pratique non formalisée, spontanée, régie par des normes moins strictement codées. Dans cette vague d’études, qui découlent notamment des recherches en sémantique du prototype et du dépassement de la sémantique structuraliste, les définitions spontanées commencent alors à constituer un objet d’études, soient-elles les folk definitions recueillies par Anna Wierzbicka dans le cadre de sa théorie de la « sémantique naturelle », ou encore les énoncés définitoires ordinaires analysés par Martin Riegel (2000) ou enfin les énoncés définitoires enfantins tels que les décrit Frédéric François (1981, 1985).
Ces études remettent en discussion les contraintes du modèle d’énoncé définitoire traditionnellement établi par la pratique lexicographique (voir à ce propos Rey-Debove : 1971 et 1988, Chaurand-Mazière : 1990), où l’acte de définition est perçu avant tout comme un acte de délimitation de la frontière sémantique parmi les unités appartenant au même paradigme, dans une optique strictement différentielle. Avec l’avènement des études sur les définitions spontanées, le modèle de description sémantique change sensiblement : ce qui prime n’est plus le trait différentiel, mais plutôt la description positive, substantielle, du concept auquel le mot renvoie. Le noyau de la définition sera donc constitué par les traits saillants du défini, qui dérivent de l’expérience personnelle du locuteur, de son appartenance culturelle, de son découpage mental de la réalité. Ces traits saillants (qui sont pour la plupart des traits perceptifs, sensibles) constituent ce que Gérard Vigner (1993) appelle l’inventaire sémantique du défini. Le pouvoir d’évocation de ces définitions spontanées est souvent bien plus puissant que celui des définitions lexicographiques codées (et n’oublions pas que « une évocation puissante est mieux qu’une mauvaise définition » Rey-Debove : 20002), et c’est justement en vertu de ce pouvoir évocateur que les locuteurs moyens arrivent à s’exprimer le monde mutuellement avec succès dans la vie quotidienne.

Cette efficacité se manifeste avec une évidence toute particulière dans le cas des enfants : longtemps considérées comme des définitions fautives et lacunaires, apparentées aux mots d’enfants qui nous font sourire, les définitions d’enfants reprennent dans ce contexte une nouvelle importance, et elles s’avèrent une véritable papier tournesol afin de tester les potentialités et les limites du modèle positif/substantiel de description sémantique.
Les définitions d’enfants ont déjà fait l’objet de nombreuses études, aussi bien dans le domaine francophone (voir à ce propos Martin-Berthet : 1993, François : 1985) qu’italophone (Arcaini : 1981 ; Brandi, Cordin : 1986; Boschi, Aprile, Scibetta : 1992). Les psycholinguistes et – un peu plus tard – les linguistes reconnaissent à la définition enfantine un statut d’acte linguistique d’apprentissage à part entière. Loin de stigmatiser les emplois de définitions encore imparfaites et lacunaires, ils considèrent ces formes définitoires comme un tremplin que les enfants utilisent pour s’approprier le monde et le dénommer par le biais de la langue. Martin-Berthet (1993) affirme : « ces définitions ne sont fautives que dans leur expression ; on doit les accepter comme justes, quitte à en améliorer la forme ». Bien souvent, l’efficacité de ces formes est surprenante dans les contextes d’interaction entre pairs : la définition d’un mot passe immédiatement par un trait saillant qui évoque pour l’enfant de façon presque automatique et instantanée le concept en question (l’exemple cité par Martin-Berthet : 1993 est significatif - tortue : animal lent).
Ce qui nous semble particulièrement intéressant, c’est que ce trait saillant est souvent typique de la conceptualisation du monde propre à l’âge enfantin ; les enfants ont en effet la tendance à découper la réalité sur la base de leurs expériences, de leur vécu. Pour eux, encore plus que pour les locuteurs adultes, « la référence est un phénomène pragmatique » (Mazzoleni : 1999) : l’analyse de ces traits saillants révèle en quelque sorte une interlangue sémantique commune aux enfants d’une même tranche d’âge (au-delà des différences linguistiques – voir à ce propos Rossi : 2006), qui tend à disparaître dans le passage à l’âge adulte et qui n’est plus présente dans le modèle de description sémantique fourni par les dictionnaires (souvent inclus les dictionnaires scolaires). Prenons un exemple pour tous, le mot ami:

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à comparer avec les définitions de quelques dictionnaires scolaires :

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De l’analyse des définitions spontanées, il ressort que la conceptualisation d’ami passe pour les enfants par trois traits pertinents et fondamentaux :
- jouer
- aimer
- faire confiance
de ces trois traits, seulement le deuxième est cité dans presque tous les dictionnaires, alors que le troisième n’est présent que dans le Larousse Super Major. Le premier, bien qu’il soit le plus fréquent dans les EDO, est totalement ignoré par les dictionnaires; dans ce cas, l’hypothèque éducative est encore lourde pour les dictionnaires, qui n’arrivent pas à s’affranchir du « modèle pédagogique [qui] tend à voir dans l’enseignement d’une langue une adaptation progressive à une norme identifiée avec la langue de l’adulte » (Dubois : 1970).

On remarque aussi dans les définitions enfantines la présence d’une stratégie embryonnaire de conceptualisation, voire de catégorisation (encore que sommaire) du défini, qui va progressivement conduire à l’application d’un modèle définitoire plus évolué. Les enfants seront progressivement en mesure d’élaborer des définitions plus précises et plus abstraites ; pour l’instant toutefois, leurs énoncés manifestent des particularités au niveau du découpage conceptuel qui leur sont propres, et qui révèlent l’émergence d’une culture enfantine à prendre en compte (le trait jouer dans la définition d’ami est un exemple significatif à cet égard).
Les stratégies mises en oeuvre par les petits sémanticiens sont très variées, et avant d’entrer dans le détail de notre analyse, nous aimerions en dresser un panorama bref mais le plus possible complet ; pour ce faire, nous avons choisi comme corpus de référence le Gros dico des tout petits (Lattès, 1993), qui regroupe les définitions fournies par les enfants de 5-6 ans (3000 mots-vedettes et 3-4 définitions par entrée). Sur la base de l’analyse de trois tranches alphabétiques (lettre A ; lettre M ; lettre T), nous serons en mesure d’établir une première typologie de stratégies définitoires, que nous allons brièvement résumer comme suit3 :
- modèle assimilation : l’enfant a la tendance à expliquer le mot à définir par un autre mot dont le référent ressemble au definiendum, ex. le planétarium est « un cinéma où on va voir les étoiles » (IB), ou « profession : c'est l'école de mon papa » (DTP), voire des exemples paradoxaux tels que chat : « Un chat c'est un chien qui ne nous colle pas et en plus qui est très joueur » (PPI)
- modèle conséquence : l’enfant définit le mot à travers la conséquence possible ex. peur : pleurer
- modèle exemple : l’enfant donne un exemple particulier de la classe de référents à laquelle le definiendum réfère ex. livre : c’est Cendrillon.
- modèle expansion : l’enfant ajoute à sa première définition de base un ou plusieurs commentaires, qui ne contribuent aucunement à la description sémantique, mais qui peuvent véhiculer d’autres « idées reçues » sur le concept évoqué (voir infra, 2.b.) ; ex. araignée : « une araignée c'est une bêbête poilue à 8 pattes que quand on la voit on fait aaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhhh surtout quand on est une madame » (PPI) ou encore cigarette : « Une cigarette c'est un truc long d'environ 4 centimètres, qui ruine la santé et qui est rempli de tabac. On l'aspire par une des extrémités et ça remplit les poumons de goudron. Ignoble » (PPI). C’est à travers les expansions que se révèle la charge culturelle (sous forme bien souvent de stéréotypes) liée au lexique en tant qu’expression d’une réalité référentielle culturellement connotée.
- modèle fonctionnel : l’enfant explique le mot à définir par sa fonction, son utilisation, explicitée dans des syntagmes du type sert à..., c’est pour... ; ex. chemise : « c'est pour mettre les papas dedans » (DTP)
- modèle locatif : le mot est défini par sa position dans l’espace ; ex. chameau : « ça se promène dans le pays des Arabes » (DTP)
- modèle situation4: aussi définition par script (au sens de Shank et Abelson ), exploité en premier lieu pour la définition de concepts relationnels complexes (comme les verbes et les adjectifs), consiste dans la définition du concept évoqué par le mot par le biais d’une sorte de « dessin animé », composé par les actions stéréotypées normalement évoquées par le concept en question. Introduit par « c’est quand... » ; ex. anniversaire : « on invite un ami, on fait un gâteau, on met des bougies dessus et on les souffle, on donne des cadeaux, on chante et on danse »; le choix de la « situation typique » peut parfois présenter des exemples amusants, tels que dans cet exemple : urgence : quand on est mort, il faut aller à l'hôpital d'urgence (...)
- modèle surgénéralisation : cette forme marque d’habitude la parution des premières organisations catégorielles au niveau cognitif ; ex. aigle: "c'est un animal, un oiseau", définissant le mot à travers son inclusion dans une catégorie mais sans expliciter ses traits distinctifs.
- modèle tautologie : l’enfant explique le mot par le mot comme dans le cas : « une agrafe c'est dans une agrafeuse pour agrafer » (DTP)
L’analyse des définitions dans le Gros Dico des tout petits rend compte de ces typologies (que nous appellerons EN=enfantines), auxquelles s’ajoutent les modèles logique (par genre prochain et marques spécifiques), dérivationnelle (ou morpho-sémantique), formelle (ou métalinguistique, ex. Gorille=nom commun d’animal), par synonyme ou par contraire ; enfin, le modèle de l’attraction grapho-phonématique regroupe toutes les définitions fautives en raison d’un phénomène d’homophonie (voir infra, 2.a):

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Comme il ressort des graphiques ci-dessus, les tendances dominantes s’avèrent des stratégies typiques de l’enfance, qui n’apparaissent pas habituellement dans la pratique lexicographique :
- modèle es – exemple (15%), les enfants manifestent la tendance à reconduire tout concept à leurs connaissances personnelles, à leur expérience du réel concret et de la vie quotidienne ; ces définitions, encore qu’incomplètes, peuvent souvent évoquer immédiatement le défini, car les expériences sont souvent partagées et prototypées.
- modèle esp – expansion (24%) c’est l’un des modèles les plus intéressants dans notre analyse de l’interlangue sémantique de ces enfants : les expansions ont essentiellement la fonction d’ajouter des informations, des jugements ou des commentaires. Ces commentaires, que nous allons analyser par la suite, sont soumis à une hypothèque culturelle évidente et révèlent parfois des clichés, des lieux communs, qui pourraient constituer un corpus de travail et de discussion et pédagogie interculturelle en classe.
- modèle sit – situation ou script (22%) : encore une fois, la « faute » cache en réalité une tendance significative, à savoir la description de concepts relationnels complexes par le biais de la stratégie d’évocation d’une situation typique, le plus souvent liée à la vie quotidienne de l’enfant.

On assiste aussi à la parution des premières formes de catégorisation (notamment entre 8 et 10 ans), ainsi que des premières définitions par synonymes ou antonymes ; mêmes dans ces cas, de toute façon, le trait saillant, la caractéristique essentielle du concept décrit, reflète de façon significative la vie quotidienne de l’enfant, sa perception du monde (qui peut sensiblement varier par rapport à celle des adultes). Dans toutes ces stratégies, c’est donc la particularité propre à l’interlangue sémantique de l’enfant à jouer un rôle de premier plan, et c’est à travers la pratique des constantes de cette interlangue que l’enfant s’approprie progressivement la langue.

2. Des définitions qui nous font sourire...

Nous connaissons tous les mots d’enfants, vrais ou inventés, qui foisonnent sur la Toile et qui nous font sourire (nous en citerons seulement deux exemples): Dans la phrase "Le voleur a volé les pommes", ou est le sujet ? Réponse : "En prison."ou encore Quoi faire la nuit pour éviter les moustiques ? Réponse : "Il faut dormir avec un mousquetaire"... mais aussi les définitions spontanées des enfants nous font parfois sourire, comme nous allons le constater par les exemples suivants. Quelles sont les raisons de ce comique involontaire ? et s’agit-il simplement de comique, de « fautes », de mots d’enfants qui attendent uniquement d’être corrigés ?

2.1. Déc(rire) le monde : pour une typologie des enjeux comiques

Les raisons d’un sourire engendré par un mot d’enfant peuvent être multiples ; dans le cas des définitions, nous essaierons dans les pages qui suivent de présenter un bref aperçu à l’aide d’un corpus constitué par Le Gros Dico des tout petits et par le dictionnaire en ligne Premiers pas sur l’Internet (www.momes.net)5. Nous distinguerons avant tout deux formes principales d’éléments déclencheurs : dans un premier cas, la définition est totalement fautive, et l’impression comique dérive essentiellement de la confusion que l’enfant fait dans le découpage de la chaîne parlée, ce qui l’amène à se tromper pour des raisons d’homophonie. Nous appellerons cette faute attraction grapho-phonématique (voir Arcaini : 1981). Dans le deuxième cas, la définition est partiellement correcte, et l’élément déclencheur est plutôt l’expansion que l’enfant ajoute à son noyau définitoire, expansion dans laquelle il révèle le poids de l’hypothèque culturelle qui pèse sur sa conceptualisation du monde : dans la plupart des cas, il s’agit de stéréotypes sexuels, sociaux, religieux. Si elles nous font sourire, ces expansions sont aussi des indices significatifs, qui pourraient devenir matière pour un travail didactique en classe6.

2.1.1. Les fautes – attraction grapho-phonématique

Comme nous l’avons déjà remarqué, dans ces cas l’effet comique est déclenché par une confusion, la confusion que l’enfant fait entre le défini et d’autres séquences phoniques proches ou similaires :
a. fausse dérivation : le mot est perçu comme appartenant à une famille morphologique qui en réalité n’est pas la sienne, comme dans les cas suivants:

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b. fausse composition : le mot simple est considéré comme un composé, et les formants sont parfois identifiés à des calques fautives par attraction phonétique :

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Dans un exemple on assiste même à un cas de faux découpage de la chaîne parlée, qui donne lieu à une définition fautive (aîné=est né) :

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c. attraction phonétique : dans ces cas, le mot à définir n’est pas correctement compris par l’enfant, qui définit en revanche un mot proche par sonorité, comme dans ces exemples :

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Tout en considérant ces définitions comme fautives, nous signalons qu’elles pourraient devenir matériel de réflexion en classe pour des activités de découpage de la chaîne parlée ou de discrimination des homophones. Pour les enfants, le travail sur des définitions (ou encore mieux de fautes...) élaborées par leurs pairs, qui leur seraient plus familières, peut se révéler plus amusant.

2.2.2. Les définitions qui nous révèlent l’inattendu

Il y a encore un autre type de définition involontairement comique, qui nous intéresse davantage dans un cadre d’exploitation didactique : dans ces cas, l’effet comique déclencheur est causé par les exemples personnels (de situation, d’exemplaires d’objets ou de personnes) que l’enfant ajoute à son premier noyau définitoire, et c’est le caractère inattendu de ces commentaires qui s’avère amusant. Par ces définitions (modèles par exemple, par extension, par script), l’enfant transmet ses impressions sur la réalité, sur le monde tel qu’il le voit et le perçoit. En filigrane, il nous rappelle des lieux communs, des idées reçues, des stéréotypes culturels, sociaux, religieux. Ces définitions, que nous allons brièvement passer en revue, nous semblent particulièrement significatives pour l’élaboration d’activités de classe, relatives à la discussion, correction, négociation de ces traces culturelles.
a. le roi est nu : stéréotypes en action
Dans ces cas, la description du mot dévoile des clichés, notamment des stéréotypes au niveau social (la concierge, c’est une rapporteuse), et au niveau de genre (les stéréotypes de la famille sont encore très forts : le mari protège la femme, ou encore maman est un héros pour balayer la cuisine et papa est un héros qui fait tout, ce qui n’est pas très flatteur pour les mamans de l’an 2006...) :

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Parfois, la définition révèle en revanche des lieux communs plus généraux entendus par les adultes, et ce qui nous fait sourire, c’est le fait d’entendre les discours quotidiens, les idées reçues en action dans nos conversations ordinaires (au niveau bien souvent inconscient), en quelque sorte codifiés et légitimés dans le discours des enfants :

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Dans quelques (rares) cas, c’est l’empreinte religieuse qui se manifeste, donnant lieu à des énoncés plus... mystiques :

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b. l’effet comique inévitable : le trait saillant inattendu
Dans ces derniers exemples, l’élément comique déclencheur est justement le trait saillant choisi par l’enfant, qui trouve ses racines dans l’expérience vécue propre à l’enfance, et particulière pour chaque tranche d’âge : c’est dans ces exemples que la perception de la présence d’une interlangue sémantique se fait plus manifeste et nous invite à réfléchir sur de nouvelles voies d’appropriation et de transmission du sens à l’école. C’est justement l’inattendu dans ces énoncés qui nous arrache un sourire, c’est le choix d’un exemple, d’une caractéristique, d’une situation qui ne sauraient être aussi efficaces pour un adulte ; et pourtant, ces exemples, ces caractéristiques, ces situations sont très performantes (et tout à fait attendues) dans les échanges entre pairs, et ils sont en mesure d’évoquer le défini à coup sûr, ou presque :

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Il s’agit toujours, bien sûr, de définitions imparfaites, lacunaires, mais l’essentiel pour un enfant est là : on ne devrait donc pas négliger le potentiel de ces stratégies, à partir desquelles on peut imaginer une série d’activités afin d’augmenter le patrimoine lexical de l’enfant ou de perfectionner ses compétences définitoires. Une série d’activités possibles a été mise en place pour les enfants italophones (dans Biorci, Ferlino, Rossi : 2003), que nous citerons rapidement à titre d’exemple:
1. activités visant la production d’EDO sous forme de fiche lexicographique (mot – définition – exemple) – mise en commun et comparaison des EDO en plénière en classe – discussion sur les traits pertinents et la forme définitoire la plus efficace ;
2. activités d’apprentissage lexical centrées sur les stratégies les plus performantes :
a. « mots cachés» : deviner le mot caché dans les EDO (voir Biorci, Ferlino, Rossi : 2003 et Rossi : 2006)
ex. ma tante a dit qu’elle ne veut plus aller dans ce bar, car il y a trop de ...
la ... fait tousser
la ... sort de la cheminée
il y avait un incendie et beaucoup de ...
le mot ... est fumée

b.
gradation par pertinence des définitions fournies
c. proposition de corrections des « fautes » dans les EDO (culturelles, formelles)

Pour conclure...

Notre analyse révèle dans ces « définitions sauvages » (Rey : 20067) un corpus intéressant pour les linguistes, mais aussi et surtout pour les didacticiens qui sauraient se pencher sur l’analyse de cette « interlangue sémantique » en perspective d’enseignement : c’est à travers ces définitions apparemment fautives que les enfants arrivent à s’expliquer et à s’approprier le monde et les mots pour le dire, ce qui les rend un patrimoine précieux pour les activités de lexique en classe de langue (FLM ou même FLE). Mais ces définitions nous révèlent aussi un regard particulier, propre à l’enfance, à sa vision de la réalité ; c’est la spontanéité de ce regard qui nous fait sourire de tendresse, qui nous arrache pendant un instant aux chaînes de la conceptualisation codée et nous rappelle la liberté de définir la langue par notre expérience du monde :

«Le caractère commun du comique ou du risible, dans les cas les plus différents, c'est en effet l'irruption soudaine d'une spontanéité, d'une fantaisie, d'une liberté dans la trame des événements et des pensées. Le comique, à tous les degrés et sous ses formes les plus diverses, est donc l'oeuvre d'une liberté. C'est proprement la liberté supposée de la nature ou celle de l'esprit, intervenant en quelque sorte en dépit de la règle, bien plus, comme se jouant, se moquant de la règle, et comme pour faire, si l'on peut ainsi parler, une niche à la raison. Cette brusque intervention, qui dérange le convenu, qui bouscule l'ordre et introduit un pur jeu là où le sérieux se croyait sûr de durer, voilà, si je ne me trompe, où trouver la source profonde du rire.» (A. Penjon, Le rire et la liberté, Revue philosophique, 1893, t. II, c’est nous qui soulignons)

C’est dans ce sourire surgi de la libération spontanée de la parole que nous pouvons devenir - pour un instant - élèves de nos propres enfants, récupérant dans l’oubli des règles et des normes les clés pour les guider progressivement à la conquête d’une description consciente du sens.

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Larousse Maxi Débutants
sous la direction de René LAGANE, nouvelle édition refondue, Paris, Larousse, 1997.
Larousse Super Major
sous la direction de Paul KANNAS, nouvelle édition, Paris, Larousse, 1997.
Le Robert Junior illustré
sous la direction de Christine de BELLEFONDS, Sophie CHANTREAU, Laurence LAPORTE, nouvelle édition, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1997 (première édition 1993).


Note

↑ 1 Exemples tirés du Gros Dico des tout petits : 1993.

↑ 2 Propos recueillis par l’auteur lors du Colloque Le fait autonymique dans les langues et le discours, Paris III, Sorbonne Nouvelle, 5-7 octobre 2000.

↑ 3 Cette classification est tirée de Rossi: 2006, et les exemples proviennent dans ce cas des dictionnaires spontanés IB=Imparare dai Bambini; DTP= Dico des Tout Petits; PPI= Premiers Pas sur Internet (www.momes.net). Pour les informations bibliographiques, voir la Bibliographie finale.

↑ 4 Shank, R. et Abelson, R., Scripts, plans, goals and understanding, Hillsdale, N.J., Lawrence Erlbaum Associates, 1977.

↑ 5 Où nous avons sélectionné – pour des raisons de fiabilité – uniquement les définitions signées par des enfants d’âge compris entre 6 et 10 ans (date de consultation : juin 2006).

↑ 6 Pour les activités possibles, nous renvoyons à Biorci, Ferlino, Rossi : 2003 et encore à Rossi : 2006.

↑ 7 Intervention recueillie lors du Colloque Le dictionnaire maître de langue. IIemes journées internationales de lexicographie, Klingenberg, 7-9 juillet 2006.

 

Dipartimento di Lingue e Culture Moderne - Università di Genova
Open Access Journal - ISSN 1824-7482