Bertrand Porot - IUFM de Créteil

Mademoiselle Certain, femme illustre, claveciniste du Grand Siècle, savante musicienne…

Dans leur ouvrage, La Femme au XVIIIe siècle, les frères Goncourt notent avec justesse :

Quand au dix-huitième siècle la femme naît, elle n’est pas reçue dans la vie par la joie d’une famille. Le foyer n’est pas en fête à sa venue ; sa naissance ne donne point au cœur des parents l’ivresse d’un triomphe : elle est une bénédiction qu’ils acceptent comme une déception1

Dès sa naissance, en effet, une femme des XVIIe et XVIIIe siècles est marquée par son statut social inférieur, enfermée et cadrée dans des rôles définis où la création artistique, l’indépendance de la pensée et l’autonomie intellectuelle lui sont chichement comptées voire complètement déniées. Se faire une place comme individu à part entière, dans une société dominée par le masculin, relève d’un tour de force que beaucoup d’entre elles paieront très cher : celles qui parviennent à transgresser les contraintes sociales et idéologiques possédaient sans doute un caractère et une force hors du commun. La « déception » à la naissance s’accompagne donc d’un état inégalitaire entretenu par l’éducation, notamment dans le domaine artistique et intellectuel. En musique, et dans les arts de la représentation, on leur accorde toutefois un certain rôle, celui d’interprète : comédiennes, chanteuses, danseuses sont appréciées et reconnues -pas toujours pour des raisons artistiques.

De même au XVIIe siècle, il est de bon ton de donner aux jeunes filles de la bourgeoisie et de l’aristocratie une éducation musicale : la plupart d’entre elles apprennent le chant, le clavecin, la viole et parfois l’orgue. L’objectif de cette éducation reste toutefois de l’ordre du privé et doit servir à « l’agrément de la famille et de l’entourage ; cela fait partie, pourrait-on dire, des arts domestiques, au même titre que les travaux manuels, les bonnes manières ou la cuisine2 ». Cependant, même si elles jouissent d’une éducation artistique, les jeunes filles du Grand Siècle ne sont pas incitées à s’engager dans une carrière professionnelle. Parmi les écolières les plus douées, combien ont pu se consacrer à leur art ? Le cas de la claveciniste Marie-Françoise Certain montre toutefois que certaines y réussissaient.

Elle fait partie des femmes qui ont su s’imposer dans le monde musical du XVIIe siècle : même si elles sont peu nombreuses, elles ont été reconnues et louées à leur époque. Reconnues certes, mais vite oubliées aux périodes suivantes. Que reste-t-il, en effet, des grandes interprètes féminines du siècle de Louis XIV ? Des mentions éparses dans des ouvrages, des échos de leur talent dans la presse de l’époque, des témoignages de contemporains… Peu de choses au regard de leur notoriété et de leur génie. Alors que l’histoire a retenu les noms des musiciennes du romantisme –La Malibran, Clara Schumann-, il n’en est rien de celles du Grand Siècle3.

On peut objecter que celui-ci est bien loin de nous et que les artistes femmes ne sont pas les seules à être tombées dans l’oubli. Certes, mais chez les musicologues les femmes n’ont pas toujours retenu l’attention. Il a fallu ainsi attendre l’ouvrage de Catherine Cessac en 1995 pour apprécier à sa juste valeur l’un des artistes marquants du règne de Louis XIV : Élisabeth Jacquet de La Guerre4. Nous voudrions modestement apporter un élément de plus à cette re-découverte des artistes femmes, grâce au portrait de Marie-Françoise Certain, illustre par son talent et sa beauté.

L’étude s’appuie en partie sur des documents inédits, notamment ceux qui concernent la famille de la claveciniste. Ils permettent de donner une idée plus précise de sa biographie et de son entourage. Bien des lacunes demeurent cependant et laissent apparaître des zones d’ombre, malgré les dépouillements en archives qui ne comblent ni la frustration légitime du chercheur ni celle du lecteur. Rendons toutefois hommage aux premiers travaux sur cette musicienne, même s’ils sont succincts, ceux d’Auguste Jal et de Michel Le Moël, qui ont signalé son envergure artistique5.

L’entourage familial de Marie-Françoise Certain

Marie-Françoise Certain est née autour du 15 avril 1662 comme l’indique l’inventaire après décès de son père dressé le premier février 1663 : « Marie-Françoise Certain âgée de neuf mois et demy fille mineure du dit deffunct »6. Ses parents, Pierre Certain et Anne de Gaillarbois7, s’étaient mariés le 3 février 1654 à l’église Saint-Paul8.

Pierre Certain occupait la fonction de « conseiller du Roy controlleur ordinaire des guerres », désigné aussi comme « commissaire des guerres », ce dernier titre étant plus exact. Il était donc chargé de contrôler et d’organiser l’administration des armées : dépenses militaires, approvisionnement et vérification des casernements et des fortifications9. Il est rentré en possession de l’office par « lettres de provisions » en date du 18 septembre 165110, soit trois ans avant son mariage avec Anne de Gaillarbois. Les charges d’officier, même si elles n’ont pas toutes la même valeur, procurent des revenus mais également un certain prestige et permettent l’ascension sociale. Elles représentent un investissement qui est compté dans le patrimoine familial : leur possession est le plus souvent le signe d’une situation aisée11.

Si la mère de Marie-Françoise épouse un officier et conseiller du roi, elle épouse également un homme mûr qui avait déjà connu deux mariages. En 1630, il avait épousé Charlotte Noel qui décède quelques années après : le 8 mars 1639 il convole avec Anne de Richeir dans l’église Saint-Nicolas-des-Champs12. Cette dernière disparaît à son tour avant le 14 août 1653, date de son inventaire après décès13. Le couple connaît des problèmes de santé : en septembre 1652, Pierre Certain tombe malade pendant sept mois et se voit contraint à de « grandes dépenses […] pour subvenir à la grande maladie qu’il a eue»14 . Sa seconde femme, en revanche, malade elle aussi à cette période, n’a pas survécu15.

C’est durant son deuxième mariage que Pierre Certain se rapproche d’un aristocrate, Louis d’Alongny (ou d’Aloigny) marquis de Rochefort, et exécute pour lui des taches administratives et comptables16. Sans doute satisfait de ses services, le marquis conclut le 6 août 1645 une « donation faicte entre vifs17 » de six cents livres de rente en faveur de Pierre Certain sa vie durant ; le marquis et sa femme s’engagent « en outre de loger et nourrir en leur hostel le dit Certain et sa femme tant en santé qu’en malladye » 18.

Anne de Gaillarbois, mère de Marie-Françoise, est donc la troisième femme de Pierre Certain. Selon François Bluche19, les unions se concluaient ordinairement vers vingt-cinq ans : le père de la claveciniste s’étant marié la première fois en 1630, il aurait donc eu quarante-neuf ans lors de ses noces avec Anne de Gaillarbois et cinquante-six ans à la naissance de sa fille. Quant à la mariée, elle devait être bien plus jeune selon les actes que nous présentons plus loin.

C’est dans l’hôtel du marquis de Rochefort que se conclut le contrat de mariage :

Furent présents noble homme Pierre Certain conseiller du Roy, contrôleur ordinaire des guerres et secrétaire de Monsieur le marquis de Rochefort, cy après nommé demeurant à Paris en l’hostel du dit seigneur rue neusve Saint-Gilles paroisse du dit Saint-Paul pour luy en son nom d’une part, et damoiselle Marguerite Cadelle veusve de Roger de Gaillarbois vivant escuier Sieur de Folleville demeurant rue des Tournelles paroisse du dit Saint-Paul aussy comme stipullant ayant partie pour damoiselle Anne de Gaillarbois sa fille à ce présente et de son consentement d’autre part20

Les futurs époux sont proches géographiquement et habitent le même quartier –la paroisse Saint-Paul. Ils fréquentent le même milieu social comme en font foi les différents témoins et « amis » présents lors du contrat. On note parmi eux un avocat, des conseillers du Roi, un procureur au parlement, un « professeur bachelier en théologie » et un « escuier » 21. Le couple appartient donc à la bourgeoisie parlementaire et administrative et même à la petite noblesse (écuyer). Comme souvent à l’époque, le patron de Pierre Certain, le marquis de Rochefort, honore de sa présence la signature du contrat.

Anne de Gaillarbois descend d’une famille de petite noblesse originaire de Normandie ; elle est fille de Marguerite Cadelle et de Roger de Gaillarbois, écuyer22 et sieur de Folleville, mariés en 1624. Cette date confirme l’hypothèse de la jeunesse d’Anne de Gaillarbois lors de son propre mariage : si elle est l’aînée, elle serait née autour de 1625 et aurait donc eu au maximum vingt-neuf ans. Mais elle est sans doute beaucoup moins âgée lors de son union avec Pierre Certain : elle signe encore un acte en 170223. Nous supposons plutôt un mariage autour de ses vingt ans, ce qui la fait naître vers 1634. Anne a deux sœurs, Marguerite et Marie-Anne ; il n’a pas été possible toutefois de déterminer leur ordre de naissance. Marie-Anne semble la plus jeune : elle ne se marie qu’en 166424.

La famille ne semble pas très fortunée comme le suggère le contrat de mariage d’Anne de Gaillarbois. Sa mère promet de lui « bailler et constituer pour en profiter sa vie durant trois cents livres de rente payable d’année en année »25. Elle lui accorde également 2000 livres de dot. Le futur époux s’engage à lui réserver « cent livres de rente en douaire et préfix »26. Le contrat stipule également que le dernier survivant prendra 500 livres de préciput27 sur les biens de la communauté. Enfin, Anne de Gaillarbois aura le loisir, à la mort de son époux, d’accepter ou de refuser la communauté des biens. Si l’on compare le montant de la dot avec les moyennes de l’époque, on constate qu’il témoigne d’un mariage de petite condition28. Marier trois filles était sans doute une charge lourde pour Marguerite Cadelle : il fallait les doter toutes les trois et, à l’époque du mariage d’Anne de Gaillarbois, elle était veuve. Mais n’oublions pas qu’outre la dot, elle cède une rente de 300 livres à sa fille sa vie durant, ce qui peut représenter un apport important. Dans ce cas, le montant global se rapproche plutôt d’une classe sociale supérieure, celle de procureur au Châtelet et de secrétaire d’un grand seigneur29. De même, dans ces arrangements quelque peu mercantiles, il entre en jeu d’autres éléments, dont la beauté de la jeune fille…

Le contrat révèle que bien des précautions sont prises pour mettre à l’abri la jeune fille, sans doute en raison de l’âge avancé de l’époux. La famille Gaillarbois veut-elle également se prémunir du tempérament affairiste de Pierre Certain ? Il est difficile de l’affirmer, mais on peut observer qu’en parallèle à ses charges de commissaire et de secrétaire, le marié s’était lancé quelques années plus tôt dans un « commerce de marchandise de vin»30  avec comme associés Jean Fournier, « bourgeois de Paris » et Guillaume Barbier « marchand maître tonnelier »31. De sommes assez importantes circulent : Pierre Certain et Guillaume Barbier empruntent 4000 livres à Augustin Billiet « marchant bourgeois de Paris »32. Ils mettent deux ans à les rembourser malgré les demandes insistantes. En 1655, le père de Marie-Françoise se retire de la société et apure ses dettes envers Billiet jusqu’en 1657.

La même année, au mois d’octobre, le marquis de Rochefort met fin à l’emploi de son secrétaire. Le couple n’habitait plus en son hôtel, mais rue des Tournelles, peut-être chez la mère d’Anne de Gaillarbois. Quelle en est la raison ? Il est difficile de le savoir : la décharge de donation n’en souffle mot33.

C’est dans ce contexte que naît Marie-Françoise, vers le 15 avril 1662, d’une mère jeune et d’un père avancé en âge et sans doute de santé fragile. Lors de la mort de sa seconde femme, il avait été malade pendant sept mois ; de même, dans son inventaire après décès, on relève qu’il doit 750 livres pour des « médicaments et drogues »34 fournies par un apothicaire pendant neuf ans, la durée de son troisième mariage.

Neuf mois après la naissance de sa fille, Pierre Certain meurt le 15 janvier 1663 laissant sa femme avec une enfant en bas âge –Marie-Françoise- mais également enceinte d’un enfant « postume »35. D’autres enfants avaient-ils vu le jour ? Il est impossible d’apporter une réponse : s’ils étaient arrivés avant la naissance de Marie-Françoise, ils ont dû décéder car aucun héritier –autres que la mère et les deux enfants- n’est mentionné dans l’inventaire après décès du commissaire des guerres36. Le couple habitait rue Neuve Saint-Honoré, paroisse Saint-Roch : ils avaient sans doute emménagé dans une nouvelle demeure et quitté le quartier de la famille Gaillarbois.

Jeunesse et formation de Marie-Françoise Certain

L’inventaire après décès de Pierre Certain laisse apparaître un foyer peu fortuné : on ne trouve recensés que quelques meubles, les habits de la veuve, un peu de vaisselle d’argent –d’un montant modeste de 74 livres- et surtout une multitude de « titres et papiers » : actes, quittances, obligations, reconnaissances, etc. qui concernent les affaires de Pierre Certain –dont celles de son commerce de vin- et celles de sa femme. Enfin figure le montant des dettes dues à divers créanciers : apothicaire, marchands, serviteurs, confesseur, fossoyeur et même la belle-mère, Marguerite Cadelle. Celles qui sont recensées montent à la coquette somme de 1700 livres auxquelles il faut ajouter celles qui ne sont pas chiffrées37. Au vu de cette succession peu intéressante, Anne de Gaillarbois renonce quelques mois plus tard à la communauté des biens comme l’y autorise son contrat de mariage38. Même si l’inventaire ne le note pas, elle doit garder en propre la rente versée par sa mère ainsi que son douaire, le tout s’élevant à 400 livres.

L’inventaire après décès nous apprend d’autre part que Anne de Gaillarbois et Jean Fournier, un proche de la famille qui avait collaboré aux affaires de Pierre Certain, ont été nommés tuteurs de Marie-Françoise et de l’enfant posthume. Celui-ci a dû décéder car il n’est pas mentionné dans les actes dressés après la mort de Marie-Françoise.

À cause du manque de documents, il est délicat de se faire une idée précise de la manière dont Anne de Gaillarbois a vécu son veuvage. Nous savons qu’elle ne s’est jamais remariée comme le montrent les derniers actes que nous avons pu consulter : elle est toujours dite « veuve » de Pierre Certain du moins jusqu’en 1702, date à laquelle nous perdons sa trace39. La perte d’un époux est un événement difficile pour une femme de cette époque sur tous les plans : social, économique et bien sûr psychologique. Il faut toutefois tempérer cette situation pour certaines veuves qui peuvent jouir d’un douaire, des revenus de leur dot et qui gardent la tutelle de leurs enfants : elles sont relativement libres car elles ne dépendent plus de l’autorité de leur mari40. Certaines en profitent pour mener une vie déréglée, ce qui serait le cas de la veuve du commissaire des guerres si l’on en croit les chansons et écrits satiriques qui circulent à son sujet :

c’étoit une des laides, des impertinentes et des vieilles créatures qui fut au monde et qui néanmoins était fate, débauchée, et trafiquoit sa fille41.

Quatre ans après la mort de son époux, Anne de Gaillarbois a la possibilité d’arrondir quelque peu ses revenus en héritant de sa sœur Marie-Anne. Celle-ci décède le 12 mai 1667. Son mari, Charles Le Breton, est « docteur régent en la faculté de médecine de l’Université de Paris »42 et médecin ordinaire du prince de Condé, fonctions d’un certain prestige qui dénotent un milieu aisé.

Le partage se fait entre le médecin et les héritières de Marie-Anne : sa mère, Marguerite Cadelle, et ses deux sœurs, Anne et Marguerite de Gaillarbois. Selon les termes de l’acte, les trois femmes se voient accorder la somme importante de 8000 livres : ce sont les biens appartenant en propre à Marie-Anne. Charles Le Breton ne leur rembourse que 3500 livres et s’engage à leur payer le reste en deux ans. Il laisse en revanche à ses belles-sœurs les « bagues et joyaux qu’elles ont en leur possession de la dite deffuncte »43.

Cette somme ainsi que les nouvelles conditions de vie d’Anne de Gaillarbois permettent sûrement d’améliorer l’ordinaire : elle partage le même toit que sa mère Marguerite Cadelle et sa sœur Marguerite de Gaillarbois. Le partage cité précise, en effet, qu’elles demeurent ensemble à « Saint Germain des Prés les Paris rue de Condé parroisse Saint-Sulpice »44.

Marie-Françoise a cinq ans lorsque cet acte est dressé et elle est entourée par des femmes que le destin a réuni : elles sont toutes trois veuves. Sa tante Marguerite, comme sa grand-mère, fait partie de la noblesse : elle est veuve de Philippe de Myée, « chevalier baron de Guepré»45 .

L’année suivante, lorsque Anne de Gaillarbois reçoit le complément de l’héritage, elle a déménagé : elle habite « rue neuve Saint Lambert, faubourg Saint Germain, paroisse Saint Sulpice »46. Est-ce à cette période que Marie-Françoise Certain commence à apprendre la musique ? En l’état actuel des recherches, nous ne pouvons qu’avancer des suppositions : rien pour l’instant n’a été retrouvé concernant sa formation, malgré des dépouillements systématiques en archives47.

Il est fort possible toutefois que Marie-Françoise débute vers ces années, car l’éducation ou l’apprentissage des enfants commence assez tôt : les couvents accueillent les jeunes filles à partir de quatre ans et la maison royale de Saint-Cyr, à la fin du XVIIe siècle, à partir de sept48. Enfin selon François Couperin, « l’âge propre à commencer les enfans est de six ans à sept ans […] pour mouler et former des mains à l’exercice du clavecin»49 .

Comme nous l’avons souligné, dans la classe sociale à laquelle appartenait Marie-Françoise Certain, la musique faisait partie de l’éducation –du moins de l’éducation « agréable ». Pour en acquérir les rudiments ou parfois une maîtrise plus importante, deux possibilités s’offraient : la famille ou le couvent. La première reste à l’époque « le premier lieu des formations féminines »50 mais son éducation reste aussi la plus mal connue. L’apprentissage d’un instrument est l’apanage des familles musiciennes ou bien de celles qui peuvent recruter un maître privé : « riches marchands, financiers, nobles »51. Les émoluments du professeur sont plus ou moins élevés et dépendent principalement de sa réputation52. On peut toutefois supposer que les trois femmes qui entourent la future claveciniste mettent un point d’honneur à lui assurer une éducation digne de son milieu.

Autre lieu d’apprentissage à l’époque : le couvent. Comme nous l’avons indiqué, les jeunes filles peuvent y être reçues à partir de quatre jusqu’à dix-huit ans. Deux types d’écolières y étudient : les pensionnaires –d’origine aisée- et les externes, d’extraction plus populaire et dont les cours étaient parfois gratuits. Ces deux catégories ne se mélangent pas. L’objectif du couvent est de conformer les élèves aux rôles qu’elles vont jouer dans la société : religieuses ou bonnes maîtresses de maison élevant leurs enfants dans la religion catholique. Les matières sont limitées, ce qui accentue l’inégalité avec les garçons :

On craint toujours d’en apprendre trop aux demoiselles, de les faire sombrer dans la vanité des connaissances superflues. Des initiations expéditives, un matériel scolaire limité à l’indispensable et une pédagogie relevant plus de la tolérance à l’égard des filles que d’un véritable accueil, témoignent du lourd soupçon qui continue à peser sur le savoir des femmes53.

L’enseignement se limite à la religion, aux rudiments du lire-écrire-compter et aux travaux d’aiguille. Pour les plus fortunées –en particulier les pensionnaires- ou selon la volonté familiale, cet enseignement s’enrichit toutefois de matières artistiques : chant, danse, instrument, dessin auxquels se rajoutent parfois les sciences (géographie). Dans ce cas, un maître, femme ou homme, vient au couvent pour dispenser son savoir54. Le prix des leçons demeure assez élevé même s’il varie selon la qualité de l’élève et du maître.

Parmi les instruments les plus appréciés, figure sans conteste le clavecin. Michel Corrette le relève encore au milieu du XVIIIe siècle, même s’il le fait avec un certain dédain pour l’enseignement au féminin :

Comme le clavecin est présentement une des parties de la belle éducation des demoiselles de condition, et que j’ai remarqué qu’elles ne le quittoient plus dès qu’elles étoient mariées quand elles possédoient une fois l’accompagnement, c’est ce qui m’a engagé à travailler depuis long tems à leur composer une méthode courte et facile pour leur applanir les difficultées55… 

Ce témoignage rend bien compte du rôle assigné à l’éducation musicale chez les jeunes filles : un passe-temps dans l’attente d’un époux… Une fois mariées, il semble étonnant, du moins aux yeux de Corrette, de persévérer dans une pratique régulière. François Couperin note cependant que les femmes ont plus de disposition que les hommes pour cet instrument :

Les hommes qui veulent arriver à un certain degré de perfection ne devroient jamais faire aucun exercice pénible, de leurs mains. Celles des femmes, par la raison contraire, sont généralement meilleures. J’ai déjà dit, que la souplesse des nerfs contribuë, beaucoup plus, au bien-joüer, que la force56

L’enseignement théorique est fonction également de la demande : pour les amateurs sans prétention professionnelle –donc pour les femmes- il peut être assez réduit, comme le montre le contenu de certains traités57.

Il reste un mystère quant à la carrière qu’a embrassée Marie-Françoise : rien dans les actes notariaux, notamment les inventaires après décès, ne laisse soupçonner un quelconque intérêt pour la musique dans son entourage proche. Ainsi l’inventaire après décès de Pierre Certain, ne comporte-t-il ni instruments de musique ni partitions58. Dans l’état actuel des recherches, rien ne prédisposait Marie-Françoise à une brillante carrière d’interprète : seul l’usage d’apprendre un instrument, traditionnel dans une éducation féminine, a pu la mettre en contact avec le clavecin.

Cependant il ne faut pas croire qu’il s’agit d’un cas isolé : au Grand Siècle, les musiciens ou compositeurs ne sont pas tous issus d’une dynastie musicale comme celle des Couperin par exemple. On peut citer, parmi les plus prestigieux, Jean-Baptiste Lully, –son père était meunier et faisait partie de la petite bourgeoisie de Florence59– ou encore Marc-Antoine Charpentier, fils d’un maître écrivain60.

Quels maîtres –ou maîtresses- a pu avoir Marie-Françoise Certain ? Il est difficile de le savoir exactement. Quelques témoignages permettent toutefois d’avancer des noms parmi les personnalités les plus en vue du XVIIe siècle. Celle du chanteur Pierre de Nyert est mentionnée dans le Nouveau choix de pièces de poèsie (1715) où est éditée la célèbre épître « À M. de Niert, sur l’opéra » de la Fontaine : Marie-Françoise Certain était une « amie particulière de M. de Niert, premier valet de chambre du roi »61. Selon Auguste Jal62, le terme d’amie « particulière » doit s’entendre en tout honnêteté : la claveciniste n’avait pas quinze ans lorsque La Fontaine écrit son épître et de Nyert plus de quatre vingt… Il s’agit probablement d’admiration de la part du maître pour une jeune musicienne si douée. Pierre de Nyert, en effet, est né vers 1597 : il aurait pu connaître Marie-Françoise Certain à partir de ses six ans, en 1668. À cette époque c’est déjà un vieil homme –il a environ soixante et onze ans- qui termine une carrière prestigieuse : premier valet de chambre du roi Louis XIII, il conserve cette charge sous Louis XIV. Lors d’un séjour à Rome –entre 1633 et 1635- il s’était s’initié à l’art du chant italien. Il n’avait pas n’oublié cette expérience et, dans sa pratique, unit les deux styles vocaux, l’italien et le français. Également luthiste et compositeur, il a pu transmettre son savoir à Marie-Françoise Certain : une éducation musicale complète comprenait le chant et l’instrument. Mais a-t-il été un professeur régulier et payé par la famille ? Cela est bien difficile à affirmer : l’âge de Nyert ainsi que sa notoriété en font plus un proche qu’un professeur en titre qu’Anne de Gaillarbois aurait peiné à rétribuer.

Comment la fille du commissaire des guerres est-elle entrée en contact avec cette personnalité du monde musical ? Aucun document consulté n’en souffle mot et nous en sommes réduit à des suppositions. Remarquons toutefois que la jeune écolière possède dans son entourage un oncle susceptible de la parrainer ou de la présenter à des puissants : Charles Le Breton est médecin ordinaire du prince de Condé, premier prince de sang, puis en 1676 on remarque qu’il est devenu « conseiller et médecin ordinaire du Roy »63, charge assez importante. A-t-il poussé sa nièce, douée pour la musique, vers des personnage bien en cour tels Pierre de Nyert et Jean-Baptise Lully ?

Pierre de Nyert, en effet, n’est pas seulement un artiste apprécié, il jouit aussi de bonnes relations dont celle de Lully n’est pas la moindre64. Grâce à lui, Marie-Françoise Certain a pu être recommandée au Surintendant. Titon du Tillet nous rapporte, en effet, qu’elle « étoit amie de Lully. Ce célèbre musicien lui foisoit jouer sur le clavecin toutes les symphonies de ses opéras et elle les exécutoit dans la plus grande perfection »65. Auguste Jal rapporte que Nyert « l’avait fait élever pour la musique par Lulli »66 ce qui suppose un enseignement régulier de sa part. Aucun document consulté ne le confirme. Si l’on en croit Titon du Tillet, il s’agit plus d’une relation d’amitié que de celle de professeur à élève. Un témoignage, tardif lui aussi, nous indique que la claveciniste a pu jouir des conseils musicaux de Lully : elle devait « en partie à ses soins les agrémens de son jeu »67. Il est probable que Marie-Françoise Certain ait suivi les conseils avisés du compositeur le plus connu de son temps, plus qu’elle n’a été son élève en titre.

Premiers succès

Entourée de tels parrains, Marie-Françoise Certain se destine à une carrière brillante. Dans l’année de ses quinze ans, elle faisait déjà l’admiration de Jean de La Fontaine. Il n’est pas rare à cette époque que des enfants connaissent succès et estime auprès du public : comme on l’a souligné, l’éducation musicale commençait tôt et certains élèves possédaient un talent assuré dans leur jeune âge. Elisabeth Jaquet de La Guerre, en raison de ses dons musicaux, fut présentée à Louis XIV dès ses cinq ans68.

La Fontaine a pu rencontrer Marie-Françoise par Pierre de Nyert : celui-ci était lié au poète par l’intermédiaire de Mme de Montespan et de sa sœur Mme de Thianges. Dans une épître dédiée à son ami musicien, La Fontaine fait un éloge appuyé de la claveciniste, leur relation commune :

Mais aussi, de retour de mainte et mainte église,

Nous irons, pour causer de tout avec franchise,

Et donner du relâche à la dévotion,

Chez l’illustre Certain faire une station :

Certain, par mille endroits également charmante,

Et dans mille beaux arts également savante,

Dont le rare génie et les brillantes mains

Surpassent Chambonnière, Hardel, les Couperains.

De cette aimable enfant le clavecin unique

Me touche plus qu’Isis et toute sa musique.

Je ne veux rien de plus, je ne veux rien de mieux

Pour contenter l’esprit, et l’oreille, et les yeux ;

Et si je puis la voir une fois la semaine,

À voir jamais Isis je renonce sans peine69.

Ce texte date du début de l’année 167770 : Marie-Françoise Certain n’a pas encore quinze ans et déjà elle triomphe dans un cercle parisien, comme le montre ce panégyrique quelque peu enflammé. Il est toutefois nécessaire de le replacer dans son contexte : La Fontaine loue moins la claveciniste qu’il ne critique un de ses ennemis, Jean-Baptiste Lully. Brouillé avec lui, le poète brocarde son style musical qu’il juge grandiloquent et tapageur -« Il faut vingt clavecins, cent violons, pour plaire »71. La Fontaine, de toute évidence, est encore attaché à la musique raffinée et intimiste des salons des précieuses : pour lui, un clavecin ou un luth est plus émouvant qu’une armée de musiciens et de chanteurs qui exécutent un opéra comme Isis, œuvre de Lully et Quinault créée en 1677.

Pour le fabuliste, Marie-Françoise Certain surpasse des interprètes et des compositeurs pour clavier du XVIIe siècle : Jacques Champion de Chambonnières, Jacques Hardel et les Couperin. Ces derniers sont en fait les parents du fameux François II Couperin : Louis et François I sont ses oncles et Charles, son père. Le fait de réunir de si brillantes personnalités n’est pas dû au hasard : à cette époque, leur style et leur art étaient jugés différents mais complémentaires. On admirait chez Chambonnières son jeu coulant et expressif ainsi que ses compositions aux mélodies gracieuses, pleine de « douceur » française, qualités encore exploitées par son élève Hardel. Louis Couperin, en revanche, était loué pour sa force et sa science musicale : comme le note un témoin du temps, Jean Le Gallois, son interprétation était « pleine d’accords, et enrichie de belles dissonances, de dessein et d’imitation »72. À travers un parallèle entre Chambonnières et Louis Couperin, le même auteur résume parfaitement l’idéal de l’interprétation à la fin du XVIIe siècle, idéal que devait incarner la fille du commissaire des guerres : « l’un touchoit le cœur, et l’autre touchoit l’oreille, c’est à dire en un mot qu’ils plaisoient »73.

Le portrait de La Fontaine suggère également un autre aspect de la personnalité de Marie-Françoise Certain : sa « science » musicale. S’il est difficile de penser qu’elle ait composé, à l’instar des grands noms cités par le poète -rien ne nous est parvenu d’elle-, Titon du Tillet souligne qu’elle était versée dans l’art d’accompagner74. À travers l’apprentissage de la basse continue, cet art constituait les bases de la composition :

Celuy qui sçait les règles de l’accompagnement sçait bientôt la composition. Sans cette connoissance on est toujours médiocre compositeur75… 

L’accompagnement, à l’époque baroque, n’était pas entièrement écrit et le claveciniste n’avait à sa disposition qu’une ligne de basse comportant des chiffrages : il devait improviser et compléter les autres parties, selon les règles de l’harmonie. Il était également en mesure de préluder et devait adapter l’accompagnement à différentes formations : voix, instruments solistes, orchestre, etc. Cette pratique relevait donc à la fois d’un savoir musical solide et d’un goût sûr. Elle est en général peu enseignée aux femmes : rares sont celles qui ont le loisir de se perfectionner dans les matières théoriques qui mènent à la composition.

Interprète accomplie, Marie-Françoise Certain s’affranchit ainsi d’une pratique amateur, le domaine concédé aux femmes. Elle apparaît ainsi dès ses quinze ans comme une personnalité du monde parisien et, selon Titon du Tillets, compte parmi les « dames qui ont fait l’admiration de Paris par la manière sçavante et délicate dont elles touchaient le clavecin »76.

Une femme indépendante ?

Dans ces années là, la situation financière s’améliore pour sa mère Anne de Gaillarbois grâce à l’acquisition de rentes notamment77. En 1676 elle se procure pour 4200 livres, auprès de « messieurs les prévost des marchans et échevins de […] Paris» 78, une rente à prendre sur les aides et gabelles qui lui rapporte 600 livres, pour elle et ses héritiers. Trois ans après, la grand-mère de Marie-Françoise, Marguerite Cadelle, meurt le 10 janvier. Elle laisse à ses deux filles survivantes ses « biens mobiliers et immobiliers »79 . Ils consistent principalement en un capital de 1050 livres en rente de 75 livres et d’une « petite maison scise au village de Fleury près Meudon ». Lors du partage, Marguerite reçoit la rente et Anne la maison qui était en location. Une partie des deniers comptants, de la vaisselle d’argent et des autres effets mobiliers ont servi à payer les « debtes » et « frais funéraires »80 de la défunte. Le surplus a été partagé par moitié. Malheureusement, l’acte du partage ne chiffre pas tous ces biens81 : même s’ils ne semblent pas s’élever à de grosses sommes, ils montrent une certaine aisance.

L’acte de partage nous apprend d’autre part que la tante de Marie-Françoise, Marguerite, était veuve pour la deuxième fois : elle s’était remariée à « Henry de Fayel seigneur de La Perruche, Marigny et autres lieux »82, mariage qui eut lieu en 1667. Il fut de courte durée : en 1672 Marguerite de Gaillarbois se trouve déjà sans mari83 et demeure désormais sur sa terre de La Perruche près de Nonancourt en Normandie. Elle a des enfants de ce second mariage : Mathias et Thérèse dont le premier sera présent lors de l’inventaire après décès de sa cousine Marie-Françoise. Pour la succession de sa mère, Marguerite de Gaillarbois est logée chez sa sœur à Paris. Celle-ci donne encore une nouvelle adresse : « rue du Hasard paroisse Saint Roch ». Elle s’y fixe désormais après avoir déménagé neuf fois depuis son mariage et, en 1702, dans le dernier acte en notre possession, elle y est toujours84. Neuf ans plus tard, sa fille mourra à la même adresse : habitaient-elles ensemble dans la même maison ou à quelques pas l’une de l’autre ? Selon Michel Le Moël, cette rue faisait partie d’un

quartier neuf où de nombreux musiciens, et non des moindres, viennent se fixer. Les Boesset possédait une maison rue de Richelieu, et Lully un hôtel au coin de la rue Sainte-Anne et de la rue Neuve des Petits Champs85

On peut y ajouter également un célèbre claveciniste dont les compositions figurent dans la bibliothèque de Marie-Françoise : Jean Henry d’Anglebert86. Le quartier, de plus, est proche de l’Académie Royale de Musique –l’Opéra- qui se tient au Palais Royal, ce qui explique sa faveur auprès des artistes.

La mère de Marie-Françoise avait-elle une idée en tête en prenant un logement si proche de celui du Surintendant ? Certains échotiers ont, en effet, prétendu que la claveciniste a été la maîtresse de Lully et que sa mère n’était pas étrangère à ses aventures galantes. Une chanson de 1681 évoque, sur un ton grossier, cette liaison. Nous la livrons ici en entier :

Sur l’air Ne troublés pas nos jeux importune raison, adressée à Jean-Baptiste Lully […] qui tout sodomiste connu qu’il étoit, avoit de l’amour pour Marie-Françoise Certain, Bourgeoise de Paris, connue par ses talents pour la Musique et le clavessin.

Laisse là la Certain, ragraffe ton pourpoint (1),

Croy moy, mon cher Lully passe plus outre,

Voy sa vieille maman (2) la bas dedans un coin

Qui gratte un c… où tiendroit une poutre,

Laisse là tous ces c… qui ne te f…ent point

Prends le v… de Brunet (3) qui te va f…tre. »

(1) L’on disoit que Lully couchoit avec elle ; lisez la dessus le commentaire, l’auteur dit à Lully qu’il se rhabille comme s’il étoit deshabillé pour coucher avec cette fille.

(2) C’étoit une des laides, des impertinentes et des vieilles créatures qui fut au monde et qui néanmoins était fate, débauchée, et trafiquoit sa fille.

(3) Brunet étoit Page de la Musique du Roy, dont Lully étoit amoureux qui tantost le servoit, et à qui tantôt il servoit87.

L’auteur n’épargne ni le compositeur, ni sa maîtresse supposée et encore moins sa mère, aussi sa maîtresse. Le Surintendant, alors au faîte de sa gloire, ne se serait donc pas contenté de sa jeune recrue que l’on disait pourtant « aimable par sa figure, son esprit et son scavoir vivre »88. Sans aller jusqu’à croire ces calomnies, ne peut-on pas simplement supposer qu’Anne de Gaillarbois fait tout pour faire réussir sa fille ?

Mais le compositeur florentin n’est pas vraiment porté sur le beau sexe : ses relations homosexuelles sont bien connues et lui-même s’en cache à peine. Sa liaison avec Brunet constitue même un des plus beaux scandales des années 1685. En raison de sa charge de Surintendant de la Chambre du roi, Lully devait héberger et éduquer –musicalement s’entend- un des pages de cette institution : Brunet fut l’un d’eux. Beau garçon, séduisant, il était déjà « mué » lors de son aventure avec son maître, quoiqu’il fût encore très jeune89. Lully semble attaché au jeune homme : il lui donne une éducation musicale solide et l’admet dans son intimité.

Lully est bientôt dénoncé : sa relation avec Brunet est trop voyante car, selon un témoin du temps, il couche avec lui « chaque nuit au scandale de sa femme et de ses enfants »90. Les aventures homosexuelles de Lully toutefois n’étaient pas chose nouvelle pour le roi et la cour, même s’il « bénéficia toujours d’une relative complaisance de la part du pouvoir »91. À l’époque où éclate le scandale, le roi, poussé par Mme de Maintenon, se fait plus dévot et tente de rétablir l’ordre moral dans son royaume : le page Brunet est arrêté et enfermé à Saint-Lazare. Lully, de son côté, connut une certaine disgrâce de la part de son mécène.

C’est Marie-Françoise Certain qui a été accusée de trahison envers son amant, du moins c’est ce que prétendent les libelles du temps. Le chansonnier Maurepas conserve, en effet, deux poèmes qui la mettent en cause. Citons en l’extrait le plus explicite :

Console toi, mon cher Brunet

Du tour que la Certain t’a fait

Et dans ton infortune,

Eh bien

Songe que ce n’est qu’une

Vous m’entendez bien92.

Le motif de la vengeance serait bien entendu la jalousie :

On disoit que Mlle Certain fille Bourgeoise de Paris fameuse par son excellent jeu du clavecin avoit fait donner des avis au Roy de l’amour scandaleux que Lully avoit pour Brunet et qu’elle l’avoit fait par jalousie, car Lully avoit été amoureux d’elle avant que de l’estre de Brunet93

Une chanson attribuée à Lully accuse plutôt la mère de la claveciniste :

La vieille Certain se fâche

Que Brunet soit mon mignon,

Elle est une vieille vache,

Il est un joly bardache,

Elle a le c… large et profond

Il a le c… petit et rond94

Ce dernier texte, qui date de 1681, est assez connu mais a souvent fait l’objet d’une fausse attribution : la « vieille Certain » ici visée n’est pas Marie-Françoise –elle a dix-neuf ans- mais bien sa mère qui, selon nos recoupements, aurait dépassé la cinquantaine, âge que l’on peut qualifier de « vieux » à cette époque surtout dans un écrit polémique. Le commentaire du chansonnier Maurepas est d’ailleurs contradicatoire : il note sous le chant que Lully « étoit aimé de Mlle Certain, fille de peu, […] qui jouoit excellement du clavecin. Cela supléoit au déclin de ses charmes qui boissoient… ». Mais dans la marge, on a rajouté pour réparer l’erreur : « C’est de la mère Certain qu’il entend parler »95.

Celle-ci est-elle aussi la maîtresse de Lully ? Impossible de l’affirmer. D’ailleurs que croire de ces accusations grossières et à l’évident caractère calomnieux ? On pourrait tout aussi bien penser que Lully, désertant le salon des femmes Certain pour son petit page, aurait déçu les ambitions musicales de la mère et de la fille. De même on peut s’interroger avec Jérôme de La Gorce sur le comportement de Marie-Françoise : sans être la maîtresse du compositeur, elle aurait pu souffrir d’une liaison avec « un être plus jeune qu’elle » et « qui était parvenu à gagner le cœur de celui qu’elle devait au moins admirer »96. Cette rivalité entre disciples a-t-elle conduit la jeune fille –ou sa mère- à dénoncer un des musiciens les plus puissants de son temps ?

Les libelles confirment toutefois quelques éléments biographiques : la célèbre claveciniste connaît Lully avant 1681, donc avant ses vingt ans et le compositeur joue sûrement un rôle dans sa formation musicale. Mais d’autres détails ne laissent pas d’être contestables, notamment l’accusation pour la mère de « trafiquer » sa fille et pour celle-ci de se prostituer :

Pour entendre son clavessin

Certain fait cracher au bassin,

Elle veut que l’on mette

Eh bien

Dedans son Epinette

Vous m’entendez bien97

Et le commentateur de rajouter explicitement : « Cela veut dire qu’elle foisoit l’amour pour de l’argent »98.

Il est vrai qu’Anne de Gaillarbois n’en manquait pas et qu’elle était à l’aise. Elle avait hérité de sa sœur puis de sa mère. Après cette date elle continue à gérer ses affaires et semble-t-il de manière assez fructueuse : plusieurs actes retrouvés le confirment. Parmi eux, les prêts faits à Louis de Mailly, marquis de Nesles, sont sans doute les plus intéressants. Ce grand seigneur était « prince de L’Isle sous Montréal»99, maréchal de camp des armées du roi et colonel du régiment du prince de Condé. En 1681, la veuve Certain lui avance 6000 livres puis en 1686, 4500 livres pour « emploier à ses affaires »100. L’ensemble se monte donc à 10500 livres, somme loin d’être négligeable. Le marquis hypothèque « tous ses biens meubles et immeubles présens et à venir »101. En 1688, il est appelé sur le champ de bataille : c’est le début de la guerre de la ligue d’Augsbourg. Pour rembourser Anne de Gaillarbois, il nomme un procureur, Henry Oudinet sieur de Beaurenois et lui demande de rassembler 11000 livres. Il lui confie les « loyers et fermages, fruits et revenus » de ses terres situées en Champagne et en Picardie afin qu’il les consacre « au payement de la dite somme de onze mil livres »102.

Sage précaution car Louis de Mailly est blessé pendant le siège de Philisbourg, une place forte sur la rive droite du Rhin103. Il meurt à Spire le 18 novembre 1688 à l’âge de 36 ans104. Sa créancière récupère toutefois son bien par les mains d’Oudinet : d’abord les 4500 livres en septembre 1688, puis en février 1689, 3000 livres105. Les 3000 livres restantes ont fait l’objet de diverses transactions : elles ont été finalement « transportées » à un certain Jean Guinois vivant à Beaumont près de Lisieux106. Femme d’affaires peut-être, en tout cas veillant à son bien : voilà comment nous apparaît la veuve Certain.

Mais les relations avec le marquis de Mailly ne s’arrêtent pas seulement aux transactions financières : il était l’amant de Marie-Françoise. Les actes des scellés posés après la mort de la claveciniste nous apprennent en effet que tous deux ont eu un fils :

Louis de Mailly sieur de Lisle lieutenant du régiment des Landes, fils naturel de défunt messire Louis de Mailly vivant chevalier marquis de Nesle et de la demoiselle Certain ses père et mère…107.

Cette fois les libelles ne se trompent pas en attribuant à Marie-Françoise cette aventure :

Il court un bruit par la ville

Divers faits sur la Certain

Que de Nesle peu tranquille,

Plein de dépit et de bile

A dit en couroux à Sonin

Pourquoy chantés vous ma putain108.

La chanson circule en 1681 : Marie-Françoise connaît donc Louis de Mailly très jeune et sa mère est en contact avec lui pour affaires à la même époque et jusqu’à sa mort en 1688. Le marquis est donc un proche de la famille pendant au moins sept ans, à peu près au même moment où la claveciniste est aussi avec Lully. A-t-elle connu deux amants en même temps ou bien le marquis était-il le seul en titre ? Dans cette aventure, il faut noter que ce dernier emprunte une somme –non négligeable- à une femme accusée de faire entretenir sa fille : les relations sont vraiment inversées… Quant aux autres amants qu’on prête à Marie-Françoise, seules de nouvelles découvertes pourraient les confirmer.

La fille du commissaire des guerres est, en effet, très présente dans les chansons satiriques : on peut y voir de la calomnie ou de la pure satire –comme pour Lully- mais aussi une autre dimension, plus idéologique celle-là. Marie-Françoise ne s’est jamais mariée et a pu vivre librement ; elle était aisée comme le prouvent les revenus de sa mère mais aussi les biens qu’elle laisse à sa mort. Elle semble mener sa carrière plutôt comme une actrice ou une chanteuse de l’Opéra, personnalités elles aussi indépendantes et qui défraient la chronique. Enfin elle était belle, de conversation spirituelle et bien sûr musicienne hors pair, ce qui devait attiser les jalousies :

Elle est aimable […] pour sa figure, son esprit et son scavoir vivre. Aussi a-t-elle causé de grandes passions109.

Si on compare sa trajectoire à celle d’une autre musicienne, Elisabeth Jacquet de la Guerre, la différence est frappante. Celle-ci est de la même génération : née en 1665, elle a trois ans de moins que Marie-Françoise Certain. Claveciniste de talent, elle débute très jeune et s’impose aussi dans le monde musical de la fin du XVIIe siècle. Elle s’y impose non seulement par son jeu mais également par ses talents de compositeure : elle s’attaque au grand genre lyrique, la tragédie en musique, et sacrifie à des formes et des esthétiques modernistes, comme la sonate ou la cantate qui constituent à son époque des genres encore neufs, influencés par l’Italie.

Cependant sa vie privée ne ressemble en rien à celle de sa consœur : elle épouse, comme très souvent chez les musiciens, un homme de son milieu, Marin de La Guerre un organiste membre d’une dynastie d’artistes réputés. Elle mène une vie familiale sereine quoique troublée par les deuils : un des ses trois enfants meurt lors de sa dixième année et son mari décède alors qu’elle n’a que trente-neuf ans. Veuve, Elisabeth semble se consacrer à la composition et se retire peu à peu de la vie publique. En bref il s’agit « d’une existence apparemment simple et bien remplie»110 . Rien ne défraie la chronique : rien de comparable aux scandales auxquels est mêlée Marie-Françoise Certain.

Mais il ne faut pas accorder une foi aveugle aux chansons qui circulent : dans la société d’alors, une femme belle, intelligente qui mène volontairement une carrière artistique et qui de surcroît ne se conforme pas au modèle social prévu pour elle, ne peut que s’attirer des critiques voire des sarcasmes de bas étage. Le ton d’ailleurs est celui qu’adoptent les diatribes contre les chanteuses qui, peu ou prou, tentent une vie plus libre : selon Raphaëlle Legrand, dans ce type d’écrits « la fille d’opéra est généralement assimilée à une prostituée111 » et ravalée au rang d’objet sexuel. Marie-Françoise Certain, parce qu’elle connaît sans doute une vie sentimentale agitée, est déconsidérée et violemment attaquée, notamment dans les chansons satiriques. Leur existence toutefois est paradoxale : si elles calomnient les artistes et vilipendent leur comportement, elles dévoilent aussi leur importance et leur rayonnement, autant sur le plan social que musical.

Comment vivait réellement Marie-Françoise Certain ? Les découvertes faites à propos de sa mère permettent de penser qu’elle a été rapidement à l’abri du besoin : prêter 10500 livres à l’amant de sa fille n’est pas à la portée de toutes les bourses… En 1700, Anne de Gaillarbois achète encore une rente sur les aides et gabelles de la ville de Paris : elle lui rapportait 630 livres annuelles pour un achat de 12600 livres112. Sa fille connaît des rentrées d’argent non négligeables : en 1691, un certain Mayeron promet de lui rendre une « lettre de change » de la somme de 2500 livres113. On trouve également dans son inventaire après décès trois billets payables au porteur, signés Dublois de Basilly Dormesson et Baudin de La Chesnaye. Le premier, de 3000 livres, était payable en 1709 et les deux autres, de 4000 et 7000 livres, l’année même de la mort de la claveciniste114. Étaient-ce des billets donnés par ses admirateurs ou par ses derniers protecteurs ?

Dans les actes des scellés115, apparaît une autre activité : l’enseignement. À son tour, la fille du commissaire devient une pédagogue. L’année de sa mort, elle « montroit à jouer du clavecin à la fille du dit sieur Carmeline », un voisin puisque il habitait rue des Petits Champs. Il lui avait prêté un « clavessin brisé » de Marius plus léger de toucher que les instruments que possédait Marie-Françoise : il s’agit d’un petit clavecin que l’on pouvait refermer comme une boîte. François Couperin, autre professeur célèbre, sans recommander nominalement cet instrument, préconise de

se servir d’abord que d’une épinette, ou d’un seul clavier de clavecin pour la première jeunesse ; et que l’une au l’autre soient emplumés très foiblement, cet article étant d’une conséquence infinie116

On vise, en effet, à l’époque à un toucher léger, souple et qui ne repose pas sur la force des mains ou des doigts. Outre sa facilité de transport, le petit instrument de Marius devait bien convenir pour débuter : le sieur Carmeline l’avait sans doute prêté dans ce but. Ces leçons en ville, comme nous l’avons montré plus haut, étaient répandues et les professeurs les plus renommés pouvaient être assez recherchés et convenablement rémunérés, ce qui est sans doute le cas de Marie-Françoise Certain117. Les prix connus, pour les meilleurs maîtres, oscillent entre 6 et 10 livres par élève : Rameau demande 8 livres en 1743118.

L’interprétation constitue une autre des activités de la fille du commissaire des guerres. On pense bien sûr à la Cour, principal employeur des artistes à l’époque : malheureusement rien n’a été retrouvé dans ce domaine. Marcelle Benoît indique que la claveciniste n’est pas présente sur les registres de la Maison du roi, mais pense que ses brillantes relations –dont celle de Lully bien sûr- n’ont pu que la rapprocher de ce milieu119. Cependant un emploi officiel chez les musiciens du roi est exceptionnel pour les femmes à cette époque :

L’inscription des musiciennes s’effectue avec réticence et lenteur. Ces artistes ne reçoivent pas d’offices à proprement parler, n’achètent pas de charges120… 

Appréciées pourtant pour leur talent et entendues avec un grand plaisir à la cour, elles sont sous Louis XIV, les grandes oubliées des comptes et des registres : ces lacunes rendent difficile la connaissance des interprètes féminines qui enchantent le royal auditoire. La première à accéder à un poste officiel fut Marguerite-Antoinette Couperin comme claveciniste du roi et maître de clavecin des Enfants de France. Elle reçut la survivance des charges de son père, François le Grand, en 1730 puis en 1735 en devint titulaire. Sa charge d’officier fut aussitôt transformée en « commission ordinaire »121 l’année suivante…

Le salon musical de Marie-Françoise Certain

Si rien ne permet d’affirmer que Marie-Françoise Certain est présente à la cour, elle est en revanche à la ville une autorité musicale. Selon Titon du Tillet, son salon est fréquenté par des amateurs et des musiciens les plus renommés :

Comme elle donnait de très beaux concerts chez elle, les plus habiles compositeurs y foisoient porter leur musique qu’on executoit toujours avec beaucoup de succès.122

Il s’agit donc d’un véritable foyer artistique et non d’une simple occupation mondaine : le témoignage laisse à penser que l’on pouvait entendre chez la claveciniste les dernières créations et qu’elle participait activement à la vie musicale. Ces sortes de salons ne sont pas rares à l’époque : avec l’église et l’Opéra, ils faisaient partie des lieux où l’on pouvait entendre de la musique. Parmi les musiciens qui donnent des concerts chez eux on peut citer le luthiste Jacques Gallot ou la claveciniste Élisabeth Jacquet de La Guerre. Des amateurs pratiquent aussi ce type d’auditions privées, comme l’abbé Mathieu célèbre pour ses concerts de musique italienne123. Enfin un compositeur et luthiste, Louis de Mollier, fait entendre à la fin de l’année 1678 un petit opéra de sa composition. Le concert est hebdomadaire et chez lui

les assemblées y sont toujours plus illustres que nombreuses, le lieu estant trop petit pour contenir tous ceux qui viennent y demander place124.

C’est probablement le cas chez Marie-Françoise Certain : si l’on en croit son inventaire après décès présenté plus loin, le salon musical de Mollier devait ressembler au sien.

Se tenait-il rue du Hasard ? Outre que cette rue faisait partie d’un quartier de Paris apprécié des musiciens, elle a vu la mère de la claveciniste s’y installer dès 1679 et y résider ensuite. Marie-Françoise décède rue du Hasard, mais semble-t-il dans un nouvel appartement qu’elle avait loué deux ans plus tôt à Nicolas de l’Espine, architecte du roi, « un des grands lotisseurs du quartier »125. Cette rue se trouve entre la rue Saint-Anne et la rue de Richelieu, à la hauteur de jardins du Palais Royal ; elle porte maintenant le nom de rue Thérèse dans le second arrondissement.

Le dernier appartement occupé par Marie-Françoise est assez spacieux et son ameublement témoigne d’une vie aisée126 : il comporte au rez-de-chaussée une cuisine avec son « garde-manger », un entresol avec une petite chambre et, au premier étage, deux grandes pièces ainsi qu’une chambre avec son cabinet. Il est tout à fait comparable à celui que louait, dans ses dernières années, Élisabeth Jacquet de La Guerre dans une paroisse voisine127. Dans le salon, des rideaux de serge rouge, des portières en tapis de Turquie et en étoffe brodée ainsi que des paravents décorés de paysages créent une atmosphère chaleureuse et feutrée. La dizaine de fauteuils permet à une petite assistance de prendre place. On pouvait y ajouter deux tabourets de bois de noyer et une petite chaise de tapisserie. Quelques meubles et objets viennent compléter le salon : une commode, une armoire à « quatre guichets » garnis de fils de laiton et de taffetas vert, des miroirs et une pendule en marqueterie, écaille et cuivre. Le salon s’orne d’autre part de deux tableaux : les portraits de Lully et de La Fontaine, les deux protecteurs de la claveciniste qui ont présidé à ses débuts. Fidèle à leur mémoire, elle les a placés à l’honneur dans la pièce dédiée à la musique.

On y trouve, en effet, deux clavecins de valeur : l’un de Jean Ruckers et l’autre de Nicolas Dumont. Le premier est un grand instrument à deux claviers, dont le « dessus peint par Rubens représente des personnages meslés de paysages ». Il aurait été acheté à Bruxelles vers 1696 par Marie-Anne Coignard et, selon elle, prêté à Marie-Françoise Certain128. Celle-ci l’a fait décorer de façon somptueuse : la caisse extérieure a été dorée et peinte avec des miniatures et un « pied de bois doré sculpté » y a été ajouté. La valeur de l’instrument est à la hauteur de la réputation de ses auteurs –Ruckers et Rubens- : 1200 livres129. La dynastie des Ruckers, originaire d’Anvers en Flandres, est en effet une des plus célèbres d’Europe au XVIIe siècle et ses instruments ont été appréciés dans bien des pays130. Leur renom, notamment en France, se maintient jusqu’à une date avancée au XVIIIe siècle. Les Ruckers représentent trois générations : Hans le fondateur, actif dans la deuxième moitié du XVIe siècle, ses deux fils Joannes et Andreas et son petit-fils Andreas, tous actifs dans la première moitié du XVIIe siècle. Leur renommée est telle que leurs instruments sont rapidement copiés et leurs signatures falsifiées. Au cours du XVIIIe siècle, ils sont remis au goût du jour. Ils subissent notamment un « ravalement » : leurs claviers et leurs caisses sont élargis afin d’étendre la tessiture vers l’aigu et le grave131.

Ce prestigieux instrument ne doit pas faire oublier le deuxième clavecin : celui de Nicolas Dumont, également de grande valeur musicale bien qu’il ne soit coté que 200 livres. Ce facteur parisien est florissant entre 1673 et 1705 et on lui doit sans doute l’invention de la technique du ravalement. Ses instruments sont très appréciés et, comme ceux des Ruckers, se voient copiés et contrefaits. Mlle Certain possède donc deux instruments représentatifs de la facture du XVIIe siècle. En France, celle-ci est largement influencée par le métier des Ruckers. Les plus grands clavecins comportent deux claviers, permettant des oppositions de plans sonores : sur le clavier inférieur, sonnent trois rangs de cordes -dont un à l’octave- alors que le clavier supérieur n’en actionne qu’un seul. Les deux claviers permettent d’autre part des croisements de mains qui commencent à être utilisés par les compositeurs. L’étendue est encore assez courte, un peu plus de quatre octaves : le grand ravalement à cinq octaves ne débute vraiment que vers 1730132.

La claveciniste entreposait d’autre part un curieux instrument réalisé par un inventeur ingénieux : le clavecin brisé de Marius que nous avons déjà évoqué. Le brevet déposé en 1700 indique que ce petit instrument est fait de « trois corps séparés » qui peuvent se replier les uns contre les autres et se fermer comme une petite valise de bois ou comme un « jeu de tric-trac »133. Il s’agit en fait d’un clavecin portatif sûrement utile en voyage ou dans divers déplacements. Même s’il se répand en Europe –Frédéric II en possédait un offert par la reine de Prusse-, il ne connut pas vraiment de succès en raison de sa sonorité bien faible.

Pour ses concerts, la claveciniste possédait aussi d’autres types d’instruments. Les voici tels qu’ils apparaissent conservés dans une armoire de l’entresol :

« une basse de viole angloise », « une autre basse de viole plus petite aussy angloise », « une basse de viollon de Crémone », « une guitard », « un tuorbe [théorbe] de Boulogne », « un dessus de viole » et « une flûte douce de Ripert134 ».

Certains sont sans doute de très bonne facture si l’on en croit les estimations : elles vont jusqu’à 150 livres pour la grande basse de viole anglaise. Le type d’ensemble qu’ils constituent est caractéristique du XVIIe siècle français par la présence des violes et d’une flûte douce (une flûte à bec). Cependant la basse de violon de Crémone peut faire penser à un violoncelle plutôt qu’à la basse d’archet plus courante en France à cette époque. De même rien n’interdit de penser que d’autres instruments sont utilisés : le marquis de Ferière avait prêté à Marie-Françoise un « violon de Crémone»135  et si des musiciens participent aux concerts, ils amènent sûrement leurs propres instruments.

La bibliothèque musicale de la fille du commissaire des guerres reflète, elle aussi, la vie de son salon ainsi que les goûts de sa propriétaire. Elle est extrêmement intéressante par son éclectisme et par sa richesse136.

Lully est à la place d’honneur : on trouve cités la quasi totalité de ses opéras, ainsi que ses ballets et des divertissements comme Le Triomphe de l’amour ou Le Temple de la paix. Il s’agit sans doute des partitions pour orchestre du compositeur. Il ne faut toutefois pas oublier que des extraits pouvaient être exécutés dans un salon : ils l’étaient en fonction des ensembles dont on disposait. Cette pratique est attestée par les nombreux manuscrits ou éditions d’œuvres lyriques destinées à quelques voix et instruments137. Elles est bientôt relayée par la maison d’édition Ballard qui publie, à partir de 1694, des opéras en version réduite destinés aux amateurs désirant les jouer chez eux138. Lully n’est pas le seul auteur du XVIIe siècle à figurer dans la bibliothèque : les « motais et airs de Lambert » y tiennent aussi leur place. Représentatif de l’art du chant français, cet auteur a composé des « airs sérieux » séparés ou destinés aux ballets de cour139.

Cependant Marie-Françoise Certain ne se contente pas des auteurs de sa jeunesse. On trouve chez elle des opéras « modernes » sans que soient précisés lesquels : on pense bien sûr aux successeurs de Lully comme Pascal Collasse –son secrétaire-, André Campra, Marin Marais, et peut-être le rival du Surintendant, Marc-Antoine Charpentier. N’oublions pas aussi Céphale et Procris, une tragédie en musique d’Élisabeth Jacquet de La Guerre représentée en 1694, qui malgré l’estime où était tenue son auteure n’a pas connu le succès. D’autres œuvres manifestent encore plus clairement le goût « moderniste » de la claveciniste : elle possédaient

neuf volumes de livres, petits in folio et in quarto, relliez en veau, qui sont pièces de clavesin et sonate pour le violon des sieurs Danglebert, Duval, Laferté, Marais et mademoiselle Laguerre140

Y figurent les auteurs qui ont sacrifié à un genre de plus en plus en vogue, la sonate en trio ou la sonate pour violon seul influencées par le modèle italien. François Duval donne ses livres de sonates pour violon à partir de 1704, Marin Marais, des sonates en trio en 1692 qu’il francise cependant par les formes, le style employé et l’instrumentation –flûtes, violons et dessus du viole. Quant à Élisabeth Jacquet de La Guerre (« mademoiselle Laguerre »), elle est l’une des auteurs les plus italianisants de son époque, démarche qui était encore loin de faire l’unanimité parmi les amateurs de la douceur et de la simplicité du style français. Ses sonates, conservées dans un manuscrit copié par Sébastien de Brossard, sont conçues avant 1695 soit pour une formation en trio –deux violons et basse continue-, soit pour violon seul et basse continue. Celles-ci sont parmi les premières à être composées en France. Leur écriture est encore très originale : elle allie des éléments de style italien et français, dans une démarche de la « réunion des goûts » selon l’heureuse formule de François Couperin141.

Il reste enfin les pièces destinées à l’instrument de prédilection de Mlle Certain : le clavecin. Malheureusement l’inventaire après décès est peu précis : nous notons seulement d’Angelebert et encore une fois Élisabeth Jacquet de La Guerre. Toutefois, étant donné les goûts de la maîtresse de maison, on peut avancer sans peine qu’elle jouait les auteurs contemporains comme François Couperin, Louis Marchand et d’autres142. Il s’agit de la génération qui suit celle que nous avons évoquée plus haut, les Chambonnières, Hardel et les parents de Couperin. Elle témoigne d’une évolution qui, tout en gardant certaines traditions françaises comme l’ornementation et le goût pour la musique de danse, s’ouvre à un univers plus expressif et plus libre. Les nombreuses « pièces de caractère » que l’on trouve dès le premier livre de François Couperin, publié en 1713 mais composé bien avant, l’attestent.

Le répertoire pour clavecin soliste comprenait d’autres types de compositions : les transcriptions des danses ou des « symphonies» d’opéras appréciées du public. Jean Henry d’Anglebert nous en a laissé des exemples dans son livre de clavecin publié en 1689 : y sont présentes plusieurs pièces de Lully comme « Les songes agréables » d’Atys ou la passacaille d’Armide143. On sait également par Titon du Tillet144 que Marie-Françoise exécutait avec une grande facilité les symphonies –c’est à dire les pièces instrumentales- des œuvres lyriques de Lully que le compositeur lui donnait à jouer. Le répertoire pour clavecin s’enrichissait de ces transcriptions dont la vogue ne faiblit pas au XVIIIe siècle : Rameau lui-même y a sacrifié avec son opéra des Indes galantes145.

Il existe également une autre pratique que l’on peut supposer chez Marie-Françoise Certain : le jeu à deux clavecins. Chez les amateurs ou les professionnels il n’est pas rare de rencontrer plusieurs de ces instruments qui pouvaient servir ensemble. C’est ce que note François Couperin dans son « Avis » à l’Apothéose de Lully :

Ce trio [L’Apothéose de Lully] ainsi que l’Apothéose de Corelli et le livre complet de trio […] peuvent s’exécuter à deux clavecins, ainsi que sur tous autres instruments. Je les exécute dans ma famille, et avec mes élèves, avec une réussite très heureuse, sçavoir, en jouant le premier dessus, et la basse sur un des clavecins ; et le second, avec la même basse sur un autre à l’unisson. La vérité est que cela engage à avoir deux exemplaires, au lieu d’un, et deux clavecins aussi. Mais je trouve d’ailleurs qu’il est souvent plus aisé de rassembler ces deux instrumens, que quatre personnes, faisant leur profession de la musique146.

Ce témoignage de Couperin est d’ailleurs conforté par la présence, dans son troisième livre, de quelques pièces pour deux clavecins dont deux Musettes. En 1705, Gaspard Le Roux propose plus systématiquement des suites « qui font leur effet à deux clavessins »147.

Ces pièces étaient-elles présentes dans la bibliothèque de la célèbre claveciniste ? Quarante volumes de musique de « différents autheurs » y demeurent sans autres précisions et à jamais anonymes, selon une simplification des notaires toujours irritante dans les inventaires après décès.

Une fin soudaine

Le 1er février 1711148, après quelques jours d’une maladie peu grave, Marie-Françoise s’éteint brusquement entourée de ses seuls serviteurs :

L’an mil sept cens unze, le lundy deuxiesme jour de février environ les dix heures du matin […] nous Louis Jérôme Daminois nous sommes transportés rue du Asard au premier appartement au dessus d’un entresolle d’une maison […] qui est la première en y entrant par la rue Saint-Anne où nous avons trouvé Louyse Durand […] femme de chambre, et Marie Durand sa sœur, cuisinière, et Germain Ruffière dit Saint-Germain […] tous domestiques de deffunte damoiselle Marie Françoise Certain, fille majeure, lesquels nous ont dit que la dite damoiselle leur maistresse est déceddée hier sept heures du soir en la chambre deppendante de l’appartement où nous sommes, n’ayant auprès d’elle autre personne qu’eux ny aucuns parents en cette ville qu’à l’instant de son déceds ils l’ont fait scavoir à plusieurs personnes en considération de ses amys qui leur ont mandé de faire apposer scellés sur les biens par elle delaissés […], déclarant que la dite deffunte demoiselle Certain est déceddée le neuviesme jour de sa maladie sans leur donner aucun ordre d’en écrire en province, attendu qu’on ne croyoit pas sa maladie dangereuse et que mesme le jour d’hier le sieur du Moulin, son médecin, la trouva beaucoup mieux hier au soir149… .

La calomnie a poursuivi Marie-Françoise jusqu’à sa mort : on a prétendu qu’elle était décédée de la petite vérole150. Si l’on en croit les déclarations de ses serviteurs, il est bien difficile désormais de l’affirmer. L’inhumation eut lieu le 2 février à Saint-Roch :

Marie-Françoise Certain, âgée de quarante neuf ans, fille maieur, décédée hier rue du Hasar, en cette paroisse, a esté inhumée en nostre église, présents Edem Lorn de Fontenai, avocat au parlement demeurant ditte rue et paroisse, Pierre Jonquet, commissaire de marine, demeurant rue Sainte Anne en cette paroisse. [Signé] Laure de Fontenay, Jonquet, Legoff151

Cet acte cité par Jal a malheureusement disparu : il nous donne sans doute les relations les plus proches de la claveciniste. Comme pour le mariage de ses parents, il s’agit toujours du même milieu, celui du parlement et de l’administration. Les témoins habitent très près de Marie-Françoise, rue du Hasard et rue Sainte-Anne. Leur nom cependant ne se retrouve pas dans les papiers de sa mère ni dans ceux de la claveciniste, ce qui peut indiquer tout simplement qu’ils étaient en rapport d’amitié et non d’affaires.

Cette mort soudaine allait poser quelques problèmes dans le règlement de la succession : une sentence promulguée par le procureur du roi de la Chambre du Domaine prétend récupérer la succession de la claveciniste au profit de Sa Majesté en la déclarant en « désherance », c’est-à-dire sans héritiers. Mais les cousins de Marie-Françoise, Mathias de Fayel et son beau-frère Henry de Cougny –mari de Thérèse de Fayel-, arrivés de Normandie, contestent une telle décision ; ils tentent d’imposer leur qualité de « seuls héritiers de la dite demoiselle Certain »152. Les scellés nous apprennent, en effet, que Marie-Françoise n’avait que ses cousins pour toute famille, en exceptant bien sûr son fils naturel Louis de Mailly : du côté de son père, personne ne s’est jamais déclaré. Le 7 mars, plus d’un mois après la pose des scellés, tous sont convoqués à leur levée : les héritiers sont reconnus dans leurs droits grâce aux papiers conservés par Marie-Françoise et la décision finale remise entre les mains de la Chambre.

Bien des connaissances ont fait opposition à cette levée afin de récupérer leurs dus. On y retrouve les relations que nous avons déjà évoquées : le marquis de Ferière réclame son violon de Crémone, Jacqueline Boissière le clavecin de Marius et le peintre du roi, Etienne Geuslain, deux tableaux « représentant des fruits sur des tapis de Turquie »153 placés en dépôt pour être vendus par la claveciniste. Il réclame également 22 livres pour une copie d’un portrait de Marie-Françoise.

Une autre relation, sans doute assez proche et cette fois-ci dans le milieu musical, est Catherine Duvery. Elle est « veuve du sieur Nicolas Dumont facteur d’instruments de musique » et facteur d’un des clavecins que possédait la défunte. La veuve réclame 40 livres pour une « estoffe à fonds gris de perle peinte à fleurs au naturel qu’elle luy a vendue pour luy faire une robbe de chambre154 ». Elle demande aussi la restitution d’un billet de 1000 livres payable fin mars 1711 : elle avait demandé à la claveciniste de le toucher à sa place car elle partait à la campagne.

Parmi les débiteurs, se trouvent les deux servantes, le laquais et Jacques Bourdet, facteur d’instruments, également employé chez le roi, à qui la défunte doit « cent cinquante livres pour cinq années d’entretien pour les instruments »155. Se présentent aussi plusieurs personnes pour divers frais funéraires : « convoy, tanture, luminaires »156 et frais d’enterrement.

Enfin le 13 mars, tout rentre dans l’ordre et l’inventaire après décès peut être dressé. On rend son violon au marquis de Ferière, le clavecin brisé à Jacqueline Boissière –représentant le sieur Carmeline- et la veuve de Nicolas Dumont rentre en possession de son billet de 1000 livres. En revanche le clavecin de Jean Ruckers, réclamé par Marie-Anne Coignard, reste en possession de la famille. Les héritiers ont fait valoir, en effet, que leur cousine le possède depuis plus de douze ans et que Marie-Anne Coignard « ne rapporte aucune preuve de ce qu’elle advance »157.

L’inventaire laisse apparaître un intérieur aisé où les meubles, la vaisselle d’argent, les habits et les papiers font penser que la demoiselle Certain ne manquait de rien. Citons par exemple le montant approximatif de la vaisselle d’argent : plus de 2000 livres, somme bien supérieure à celle trouvée chez ses parents en 1663 (74 livres)158. Un autre chapitre d’importance est constitué par les habits de la défunte : ils se chiffrent à près de 440 livres, plus du double de la valeur du clavecin de Nicolas Dumont, et encore sans compter les différents mouchoirs, morceaux de taffetas ou de popeline et bien sûr le linge de maison. Signe d’une évidente coquetterie, mais également d’élégance et de soin apportée à la toilette, cet ensemble ne manque pas de couleurs : fichu violet, manteau de toile jaune, de satin rayé rempli de petites fleurs, jupes de taffetas aurore, de satin bleu à fleurs d’or, de damas blanc à fleurs bleues, etc. Une cravate de dentelle devait avoir beaucoup d’allure : « une stinquerque de taffetas citron garnye de dentelles d’argent »159. Enfin n’oublions pas les bijoux qui ne se montent toutefois qu’à 50 livres et ne consistent qu’en bagues dont certaines sont serties de diamants, de turquoise ou de pierres160.

Mais si la demoiselle Certain apporte du soin à son extérieur, elle ne néglige pas pour autant des occupations plus intellectuelles : outre sa riche bibliothèque musicale, elle possédait un bon nombre de livres, environ 185 volumes. On y trouve les inévitables ouvrages de piété –lectures hypocrites ou sincères ?-, mais également les « Essais de Montagne », les Métamorphoses d’Ovide –sujets de nombreux opéras-, des œuvres de Plutarque et une histoire de Grenade (!)161. Parmi les tableaux, peu en revanche traitent de sujets religieux –quatre en tout- alors que l’on trouve un « sujet de métamorphose »162, des paysages, des scène de genres et des portraits. Y figurent ceux de Lully et La Fontaine déjà cités mais aussi « un portrait représentant Monsieur l’ambassadeur de Venise »163, dont la présence dans le cabinet proche de la chambre n’est sans doute pas due seulement à une admiration platonique…

Conclusion : une émancipation par la musique ?

L’inventaire après décès, comme les autres documents présentés ici, ont permis de dévoiler quelques aspects de la personnalité de Marie-Françoise Certain, même s’il est encore difficile de la cerner entièrement. Les fragments de sa vie ainsi retrouvés se présentent comme autant d’éléments qui viennent amender une histoire sociale officielle : une vie galante alors que Louis XIV, pris de dévotion, réprime une liberté des mœurs que certains tentent de pratiquer, une carrière musicale de premier plan alors que les femmes de la bourgeoisie n’y sont pas encouragées, une vie sans mari, sans foyer, sans enfants légitimes dans un siècle qui ne peut concevoir le rôle de la femme que tournée vers la famille et la religion. En bref il semble bien que la claveciniste a vécu libre de ses actions et de ses choix, refusant le statut qui lui était réservé, celui de « vierge, d’épouse ou de veuve »164, même s’il est impossible d’en faire une féministe de la première heure. A-t-elle eu des regrets ou connu le doute comme Élisabeth Jacquet de La Guerre, autre femme musicienne du Grand Siècle165 ?

Ce que nous retenons aussi de la fille du commissaire des guerres, c’est son implication dans la vie artistique de son époque : elle annonce les courants qui vont s’imposer peu à peu à la fin du règne de Louis XIV et sous la Régence. Formée par Lully, elle se retrouve parmi les personnalités de la génération « préramiste » : elle diffuse et pratique une musique qui préfigure celle de Jean-Philippe Rameau dont elle a pu connaître le premier livre de clavecin publié en 1706.

Les témoignages sur son salon révèlent également qu’il fait partie de la vie musicale parisienne où les auditions privées fleurissent et concurrencent de plus en plus Versailles. Le mécénat d’ensemble, piloté par Louis XIV jusque dans les années 1680, cède, en effet, le pas devant des foyers musicaux dispersés et souvent plus novateurs que la vieille cour. Si le pouvoir royal contrôle encore certains spectacles, la vie musicale lui échappe désormais en partie166. Le salon de Marie-Françoise Certain incarne bien cette évolution au tournant du siècle où « un public s’était formé qui fréquentait non seulement l’Opéra, mais les assemblées musicales de toute espèce »167. Il s’y s’épanouit un répertoire de musique de chambre où prennent place à la fois les genres les plus neufs –cantates et sonates- mais également les transcriptions et réductions d’œuvres plus importantes comme les opéras. À Paris, cet engouement va contribuer à la création d’une salle de concert publique, celle du Concert Spirituel qui s’ouvre aux Tuileries en 1725, même si son répertoire est principalement fondé sur la musique religieuse et instrumentale.

Ce salon fait sûrement de Marie-Françoise Certain une autorité musicale à son époque : non seulement elle n’a pas renoncé à sa carrière pour embrasser une vie de famille, mais elle a maintenu tout au long de sa vie l’intérêt de ses concerts et de ses interprétations comme le montrent sa bibliothèque personnelle et le témoignage de Titon du Tillet. Dès lors on pourrait poser le problème, avec Raphaëlle Legrand168, d’une émancipation féminine possible par une « professionnalisation » revendiquée et de haute qualité. Raphaëlle Legrand cependant envisage la question pour les chanteuses d’opéra –« le premier groupe important de femmes […] à faire métier de la musique »169- dont le statut social est différent de celui des instrumentistes. Rappelons que, comme les comédiennes, les chanteuses sont excommuniées et ne peuvent en aucun cas jouir des sacrements de l’église, comme celui du mariage, ou de l’enterrement religieux, sauf à renoncer –parfois temporairement- à leur carrière sur les planches. Aucun interdit de cette sorte ne pèse sur les instrumentistes : comme Élisabeth Jacquet de La Guerre, elles peuvent se marier, faire baptiser leurs enfants et être enterrées chrétiennement.

Autre différence de taille : la nécessité économique d’une vie dénuée de contraintes morales. Cette nécessité « génère toute une variété de situations, où l’activité artistique se mêle à des degrés divers avec l’union libre, le libertinage, la galanterie ou la prostitution »170. Si les chanteuses sont plus ou moins entretenues, bien des femmes instrumentistes au contraire s’unissent avec des conjoints de leur milieu, des musiciens mais aussi des luthiers ou des facteurs d’instruments. Toutefois dans un milieu bourgeois –celui de Marie-Françoise-, la plupart renoncent à une vie professionnelle même si elles continuent de jouer, et se rangent sous la bannière du mariage et d’une existence plus conventionnelle. La fille du commissaire des guerres tranche donc dans son milieu : elle évoque, par ce que l’on peut connaître de sa vie, les grandes figures féminines du XVIIe siècle qui donnent la priorité à leur liberté sur la soumission sociale et dont Ninon de Lenclos –également musicienne- est sans doute la plus représentative.

Ainsi, bourgeoise aisée, artiste renommée, amante jalouse, femme libre ou entretenue, Marie-Françoise Certain, qui présente sûrement plusieurs de ces facettes, a-t-elle sans doute choisi elle-même la voie de l’indépendance. Mais son talent, sa beauté et son esprit en ont fait plus qu’une personnalité remarquée ou décriée de son temps : une artiste à part entière et selon le mot de La Fontaine, une « femme illustre ».

Sources

Paris, Archives nationales, Minutier central

Actes inédits

Contrat de donation entre le marquis de Rochefort et Pierre Certain, 6 août 1645, ET/LI/215

Inventaire après décès Anne de Richeir 14 août 1653, ET/LI/265

Contrat de mariage Pierre Certain et Anne de Gaillarbois 31 janvier 1654, ET/LI/241

Quittance Pierre Certain, 23 juin 1655, ET/LI/246

Décharge de donation du marquis Louis de Rochefort, 27 octobre 1655, ET/LI/247

Inventaire après décès Pierre Certain, 1er février 1663, ET/LI/357

Renonciation Anne de Gaillarbois, 15 juin 1663, ET/LI/358

Transaction entre Marguerite Cadelle, Marguerite et Anne de Gaillarbois et Charles Le Breton, 10 juin 1667, ET/LI/373

Quittance Anne de Gaillarbois à Charles Le Breton, 13 octobre 1668, ET/LI/379

Apport de quittance Marguerite de Gaillarbois, 6 août 1672, ET/LI/394

Titre nouvel Ennemond de Marigny et Charles Le Breton, 11 juillet 1676, ET/LI/409

Déclaration Louis Saussoy et Anne de Gaillarbois, 14 août 1676, ET/LI/409

Partage entre Marguerite et Anne de Gaillarbois, 10 mars 1679, ET/LI/420

Obligation Louis de Mailly à Anne de Gaillarbois, 7 juillet 1686, ET/LI/627

Obligation annexée d’une procuration Nicolas Oudinet à Noël Lhoste, 24 septembre 1688, ET/LI/639

Transport Anne de Gaillarbois et Nicolas Oudinet, 26 novembre 1688, ET/LI/640

Transport Anne de Gaillarbois et Jean Guinois, 12 février 1689, ET/LI/641

Constitution et quittance d’Anne de Gaillarbois à Nicolas Guigou, 31 décembre 1689, ET/LI/645

Actes édités

par LE MOËL, M., « Chez l’illustre Certain », Recherches sur la musique française classique, II, 1961-1962, pp. 71-79

Scellés après le décès de Marie-Françoise Certain, 2 février 1711, Y 11640

Inventaire après décès de Marie-Françoise Certain, 13 mars 1711, Minutier Central ET/LXV/173


Pour citer cet article :

Bertrand Porot, " Mademoiselle Certain, femme illustre, claveciniste du Grand Siècle, savante musicienne…", Publif@rum, 2, 2005

© Les références et documents disponibles sur ce site, sont libres de droit, à la condition d'en citer la source

1 Paris, Flammarion, 1982, p. 47.
2 CESSAC, C., Élisabeth Jacquet de La Guerre, une femme compositeur sous le règne de Louis XIV, Arles, Actes Sud, 1995, p. 14.
3 Les recherches commencent à se développer : sur les femmes du Grand Siècle, on peut consulter utilement le site de la SIEFAR (Société Internationale d'Etudes sur les Femmes de l'Ancien Régime) : http://siefar.femmes.free.fr
4 CESSAC, C., op. cit. Il y eut toutefois des prédecesseurs qui ont relevé son génie, comme Titon du Tillet dès le XVIIIe siècle (Le Parnasse françois, Paris, J. B. Coignard, 1732, fac-similé, Genève, Slatkine, 1971, pp. 635-636).
5 JAL, A., « CERTAIN (Marie-Françoise) », Dictionnaire critique de biographie et d’histoire, Paris, Plon, 1867, pp. 343-344 ; LE MOËL, M., « Chez l’illustre Certain », Recherches sur la musique française classique, II, 1961-1962, pp. 71-79. Ce dernier article publie deux documents essentiels à cette recherche : l’inventaire après décès et les scellés apposés après la mort de Marie-Françoise Certain. Ils ont servi de point de départ à l’étude.
6 A. N., M. C. ET/LI/357, f. 1r. Cette date était inconnue jusqu’à présent : Jal avançait avec raison l’année 1662 (op. cit., p. 343) alors que Le Moël supposait à tort 1655 (Dictionnaire de la musique en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, dir. Marcelle Benoît, Paris, Fayard, 1992, p. 121).  Nous utilisons les abréviations A. N. pour Archives Nationales et M. C. pour le Minutier Central.
7 Pour les noms propres, nous avons systématiquement adopté l’orthographe telle qu’on la trouve dans les signatures autographes ou telle qu’elle est la plus pratiquée. Pour Anne de Gaillarbois, voir par exemple l’inventaire après décès de Pierre Certain du 1er février 1663 (A. N., M. C. ET/LI/357, f. 1r).
8 Scellés après le décès de Marie-Françoise Certain, 2 février 1711, A. N., Y 11640, f. 7v. Cf. aussi LE MOËL, M., « Chez l’illustre Certain », op. cit., p. 71.
9 Voir BÉLY, L. , direction, Dictionnaire de l’Ancien Régime, Paris, PUF, « Quadrige », 2002, p. 296.
10 Inventaire après décès d’Anne de Richeir 14 août 1653, A. N., M. C. ET/LI/265, f. 3v.
11 Voir BÉLY, L., op. cit., pp. 920 et 922.
12 Inventaire après décès d’Anne de Richeir 14 août 1653, A. N., M. C. ET/LI/265, ff. 1v et 2r.
13 Ibidem.
14 Ibidem, f. 8v.
15 Ibidem.
16 Ibidem, f. 4r.
17 Ibidem, f. 3v
18 Contrat de donation entre le marquis de Rochefort et Pierre Certain, 6 août 1645, A. N., M. C. ET/LI/215, f. 1v.
19 Op. cit., p. 116
20 Contrat de mariage de Pierre Certain et Anne de Gaillarbois 31 janvier 1654, A. N., M. C. ET/LI/241, f. 1r.
21 Ibidem.
22 Le titre d’écuyer indique au XVIIe siècle l’appartenance à la noblesse, même si elle est récente ou modeste (cf. BÉLY, L., op. cit., 888).
23 Constitution et Quittance d’Anne de Gaillarbois à Nicolas Guigou, 28 janvier 1702, A. N., M. C. ET/LI/645, f. 1v.
24 Transaction entre Marguerite Cadelle, Marguerite et Anne de Gaillarbois et Charles Le Breton, 10 juin 1667, A. N., M. C. ET/LI/373, f. 1r.
25 Contrat de mariage de Pierre Certain et Anne de Gaillarbois, 31 janvier 1654, A. N., M. C. ET/LI/241, f. 1v. À titre de comparaison, les revenus d’un ouvrier ou d’un artisan pouvaient sélever à la fin du XVIIe siècle entre 108 et 200 livres par an (cf. BLUCHE, F., Au temps de Louis XIV, coll. La vie quotidienne, Paris, Hachette, 1994, p. 253).
26 Ibidem. Le douaire est un usufruit sur les biens du défunt qui permet à la veuve de subvenir à ses besoins. Cf. BÉLY., L., op. cit., p. 799.
27 Préciput : avantage accordé à un héritier, cf. BÉLY., L., op. cit., p. 368.
28 La dot accordée est celle des « marchand du Palais, sergent au Châtelet ou petit commis » : elle est comprise entre 1000 et 6000 livres. Cf. BLUCHE, F., op. cit., p. 125.
29 Ibidem. Ce type de dot s’établit entre 6000 et 12000 livres.
30 Inventaire après décès de Pierre Certain, 1er février 1663, A. N., M. C. ET/LI/357, f. 3v.
31 Ibidem.
32 Quittance de Pierre Certain, 23 juin 1655, A. N., M. C. ET/LI/246, f. 1r.
33 Décharge de donation du marquis Louis de Rochefort, 27 octobre 1655, A. N., M. C. ET/LI/247, f. 1r.
34 Inventaire après décès de Pierre Certain, 1er février 1663, A. N., M. C. ET/LI/357, f. 6v et 7r.
35 Ibidem, f. 1r.
36 Ibidem.
37 Ibidem, f. 6v et 7r. Cet inventaire ne laisse pas d’être énigmatique. Il apparaît bien incomplet : la famille a-t-elle voulu cacher des éléments de la succession ? Cela pouvait arriver à l’époque : l’inventaire après décès de Lully comporte de telles omissions (cf. LA GORCE, J. de, op. cit., p. 356 et 358).
38 Renonciation Anne de Gaillarbois, 15 juin 1663, A. N., M. C. ET/LI/358.
39 Constitution et Quittance d’Anne de Gaillarbois à Nicolas Guigou, 28 janvier 1702, A. N., M. C. ET/LI/645.
40 Cf. HUFTON, Olwen, « Les travaux et les jours », in Histoire des femmes en Occident, III.XVIe-XVIIIe siècles, direction Natalie Zemon Davis et Arlette Farge, Perrin, 2002, p. 59.
41 Chansonnier Maurepas t. V, Paris, Bibliothèque Nationale, Manuscrits, ms français 12.620, p. 123.
42 Transaction entre Marguerite Cadelle, Marguerite et Anne de Gaillarbois et Charles Le Breton, 10 juin 1667, A. N., M. C. ET/LI/373, f. 1r.
43 Ibidem, f. 2v.
44 Ibidem, f. 1r.
45 Ibidem.
46 Quittance Anne de Gaillarbois à Charles Le Breton, 13 octobre 1668, A. N., M. C. ET/LI/379, f. 1r.
47 Nous avons, en effet, dépouillé les années 1668 à 1711 dans l’étude LI du Minutier Central car c’est elle qui est la plus utilisée par les familles Certain et Gaillarbois. Elle est dirigée notamment par Charles Richer puis Nicolas Symonnet. Elle se situait rue Sainte-Avoie sur la paroisse Saint-Merri.
48 Cf. LESCAT, P., L’Enseignement musical en France, collection Mnémosis, Courlay, Fuzeau, 2001, pp. 39, 52 et 55.
49 COUPERIN, F., L’Art de toucher le clavecin, Paris, l’auteur, Foucaut, 1717, fac-similé, Courlay, Fuzeau, p. 163.
50 SONNET, Martine, « Une fille à éduquer », Histoire  des femmes, op. cit., p. 142.
51 LESCAT, P., op. cit., p. 77.
52 Cf. ibidem, p. 76.
53 SONNET, Martine, « Une fille à éduquer », in Histoire des femmes en Occident, op. cit., p. 160.
54 Cf. LESCAT, P., op. cit., p. 56.
55 Le Maître de clavecin…, Paris, l’auteur, 1753, fac-similé, Bologne, Arnaldo Forni, s.d., « Préface », p. C.
56 Op. cit., pp. 12-13.
57 LESCAT, P., Méthodes et traités musicaux, Paris, IPMC, 1991, p. 65.
58 C’est le cas aussi de l’inventaire après décès de la deuxième femme de Pierre Certain, Anne de Richeir (15 août 1653, A. N., M. C. ET/LI/265).
59 Cf. LA GORCE, J., de, Jean-Baptiste Lully, Paris, Fayard, 2002, pp. 17-21. Pout tout ce qui concerne Lully, se reporter à cet ouvrage fondamental.
60 Cf. CESSAC, C., Marc-Antoine Charpentier, Paris, Fayard, 2004, pp. 31-32.
61 Note explicative citée in LA FONTAINE, J. de, Œuvres diverses, collection La Pléiade, Gallimard, 1991, p. 964.
62 Op. cit., p. 344.
63 Titre nouvel Ennemond de Marigny et Charles Le Breton, 11 juillet 1676, A. N., M. C. ET/LI/409.
64 Cf. LA GORCE, J. de, op. cit., p. 118-119.
65 Op. cit., p. 637
66 Op. cit., p. 343.
67 Chansonnier Maurepas, op. cit., p. 425.
68 Cf. CESSAC, C., Élisabeth Jaquet de La Guerre, op. cit., p. 24-25.
69 LA FONTAINE, J., de, « À M. de Niert », op. cit., p. 620.
70 Voir pour la datation de l’épître : ibidem, p. 961-962.
71 LA FONTAINE, J. de, op. cit., p. 619.
72 LE GALLOIS, J., Lettre à Mademoiselle Regnault de Solier touchant la musique, Paris, Michallet et Quinet, 1680, p. 74.
73 LE GALLOIS, J., op. cit., pp. 85-86.
74 Op. cit. p. 637 : « Elle accompagnoit aussi très bien du clavecin ».
75 CORRETTE, M., op. cit., « Préface », p. B.
76 Op.cit., pp. 636-637.
77 Les rentes sont abondamment utilisées dans la France de l’époque : il s’agit d’un « contrat par lequel une partie achetait à une autre une rente annuelle et perpétuelle, au taux fixé par le Roi » (BÉLY, L., op. cit., p. 1243). Sorte de prêt, il était constitué de la rente proprement dite et du principal –le montant de l’achat.
78 Déclaration Louis Saussoy et Anne de Gaillarbois, 14 août 1676, A. N., M. C., ET/LI/409. La rente est achetée par Louis Saussoy, archidiacrede Sens et chanoine de l’église de Lisieux, habitant à Paris « rue Sainte Avoye ».
79 Partage entre Marguerite et Anne de Gaillarbois, 10 mars 1679, A. N., M. C. ET/LI/420, f. 1r.
80 Ibidem, f. 1v.
81 L’inventaire après décès de Marguerite Cadelle n’a pas pu être retrouvé.
82 Partage entre Marguerite et Anne de Gaillarbois, 10 mars 1679, A. N., M. C. ET/LI/420, f. 1r.
83 Apport de quittance Marguerite de Gaillarbois, 6 août 1672, A. N., M. C., ET/LI/394, f. 1r.
84 Constitution  et quittance Anne de Gaillarbois et Nicolas Guigou, 28 janvier 1702, A. N., M. C. ET/LI/645 f. 1v. À partir de cette année 1679, tous les actes passés par Anne de Gaillarbois portent cette adresse.
85 LE MOËL, M., op. cit., p. 72.
86 Pièces de clavecin, Paris, chez l’auteur, [1689], fac-similé Courlay, Fuzeau, 1999. La page de titre indique qu’il loge « rue Sainte-Anne […] au bout de la rue du Hazard ». Curieusement cet emplacement voisine celui où décède Marie-Françoise : à l’angle des rues Sainte-Anne et du Hasard.
87 Chansonnier Maurepas, op. cit., p. 123. Cette chanson très connue n’est presque jamais donnée en entier en raison sans doute de son aspect scabreux. Elle témoigne pourtant de la verdeur du langage de l’époque qui n’est pas rare dans les écrits satiriques ou encore dans les chroniques, les rapports de police ou de justice (voir par exemple, LEVER, M., Les Bûchers de Sodome, Paris, Fayard, coll. 10-18). Nous la reproduisons donc in extenso, y compris avec les notes données plus tard dans le XVIIIe siècle par le commentateur du chansonnier. Nous avons respecté la présentation des mots grossiers : ils se déchiffrent facilement… Dans le note 3, le terme « servoit » décrit bien sûr les pratiques sexuelles du couple Brunet-Lully. L’air indiqué (« Ne troublez pas nos jeux importune raison ») provient d’un air pour la Jeunesse du Triomphe de l’Amour, un ballet de Lully, Quinault et Benserade représenté en 1681 : cf. SCHNEIDER, H., Chronologisch-tematisches Verzeichnis Sämtliches Werke von Jean-Baptiste Lully, Tutzing, H. Schneider, 1981, p. 367.
88 Chansonnier Maurepas, op. cit., p. 76.
89 Pour l’affaire Brunet, cf. LA GORCE, J. de, op. cit., pp. 312 et sq.
90 Lettre d’Atto Melani, 24 janvier 1685, citée in LA GORCE, J. de, op. cit, p. 309.
91 LEVER, M., op. cit., p. 187.
92 Op. cit., p. 426.
93 Ibidem.
94 Ibidem., p. 124. « Bardache » désigne au XVIIe siècle un homosexuel passif (voir LEVER, M., op. cit., p. 139).
95 Ibidem. C’est sans doute à cause de cette source tardive que les deux femmes ont été confondues : voir par exemple, PRUNIÈRES, H., « La vie scandaleuse de Jean-Baptiste Lully », Le Mercure de France, 1er mai 1916, n° 429, pp. 80-81 ou LEVER, M., op. cit., p. 187. On ne peut dire, en effet, qu’à dix-neuf ans les charmes d’une jeune fille baissent et qu’elle n’est plus jeune, même à l’époque ! À moins d’envisager le propos sous son aspect satirique : Marie-Françoise est plus « vieille » que l’adolescent Brunet de quelques années… En 1929, H. Prunières avait toutefois déjà différencié les deux femmes (La Vie illustre et libertine de Jean-Baptiste Lully, Paris, Plon, 1929, p. 223). Il s’appuyait sans doute sur une autre chanson conservée à la Bibliothèque de l’Arsenal (Ms 4842) qui mettait aussi en cause la mère.
96 Op. cit., p. 311.
97 Chansonnier Maurepas, op. cit., p. 423.
98 Ibidem.
99 Obligation Louis de Mailly à Anne de Gaillarbois, 7 juillet 1686, A. N., M. C. ET/LI/627.
100 Ibidem.
101 Ibidem.
102 Procuration monsieur le marquis de Nesle annexée à une obligation Nicolas Oudinet et Noël Lhoste, 24 septembre 1688, A. N., M. C. ET/LI/639, f. 1v et 2r.
103 Le siège débute 27 septembre pour finir le 29 octobre : il annonce la guerre de la ligue d’Augsbourg menée par Louis XIV contre ses ennemis hollandais et espagnols.
104 Cf. AUBERT de LA CHENAYE, F., Dictionnaire de la noblesse, Paris, Schlesinger frères, 1867, 3e éd., fac-similé, Berger-Levrault, 1980, t. 6, p. 866. Un an auparavant, il s’était marié à Marie de Coligny dont il eut deux enfants : Charlotte (née en 1688) et Louis (né posthume en 1689).
105 Transport de Nicolas Oudinet à Anne de Gaillarbois, 11 février 1689, annexé au Transport du 26 novembre 1688, A. N., M. C. ET/LI/640, f. 1v-2r.
106 Transport Anne de Gaillarbois à Jean Guinois, 12 février 1689, A. N., M. C. ET/LI/641, f. 1r.
107 Scellés après le décès de Marie-Françoise Certain, 2 février 1711, A. N., Y 11640, copie de la procuration de Louis de Mailly. On pourrait également penser à un enfant de la mère de Marie-Françoise et du marquis : cependant les scellés sont très clairs, il s’agit bien de la « demoiselle Certain » et non d’ « Anne de Gaillarbois » ou de la « veuve Certain » qui désignent toujours la mère de la claveciniste.
108 Chansonnier Maurepas, op. cit., p. 125. Nesle : « de Mailly, marquis de Nesle, colonel lieutenant du régiment d’infanterie de Louis de Bourbon, prince de Condé ». Sonin était « le fils d’un financier homme de basse naissance ».
109 Ibidem, p. 76.
110 CESSAC, C., op. cit., p. 184.
111 « Libertines et femmes vertueuses : l’image des chanteuses d’opéra et d’opéra-comique en France au XVIIIe siècle », Libération sexuelle ou contrainte des corps ?, N. BURSCH et H. MARQUIÉ éd., à paraître, p. 8. Nous remercions vivement l’auteure de nous avoir communiqué son texte avant la parution.
112 Inventaire après décès de Marie-Françoise Certain, 13 mars 1711, A. N., M. C. ET/LXV/173, f. 11v. L’acte officiel de cette rente n’a pas pu être retrouvé.
113 Inventaire après décès de Marie-Françoise Certain, 13 mars 1711, A. N., M. C. ET/LXV/173, f. 12r.
114 Ibidem, f. 11r et 11v. La capitation, dressée lors de son décès, indique que la « demoiselle Certain vivant de son bien » devait 22 livres pour l’année 1711 (Scellés après le décès de Marie-Françoise Certain, 2 février 1711, A. N., Y 11640).
115 Scellés après le décès de Marie-Françoise Certain, 2 février 1711, A. N., Y 11640, f. 11v.
116 Op. cit., p. 6.
117 Le Livre commode des adresses de Paris, publié en 1692, donne quarante et un maîtres de clavecin et/ou d’orgue : malheureusement Marie-Françoise Certain n’y figure pas. Ce guide incomplet ne cite que trois professeures femmes. Cf. DU PRADEL, A., Le Livre commode des adresses de Paris, Paris, 1691, 2e éd. 1692, cité in BENOÎT, M., Versailles et les musiciens du roi, Paris, A. et J. Picard, 1971, p. 412.
118 Cf. LESCAT, P., op. cit., p. 76. En comparaison, le salaire d’un ouvrier ou d’un artisan pouvait osciller, à la fin du XVIIe siècle, entre 6 et 15 sous par jour -environ 0,6 et 1,5 livres-, et encore en période faste : cf. BLUCHE, F., op. cit., p. 253.
119 Op. cit., pp. 261-262.
120 Ibidem, p. 252.
121 Ibidem, p. 263.
122 Op. cit., p. 637.
123 Pour ces pratiques musicales, cf. BRENET, M., Les Concerts en France sous l’Ancien Régime, Paris, Fischbacher, 1900, réédité par Da Capo Press, New-york, 1970. Sur l’abbé Mathieu, voir l’article de LE MOËL, M., « Un foyer d’itialianisme à la fin du XVIIe siècle : Nicolas Mathieu, curé de Saint-André-des-Arts », Recherches…, III, 1963, pp. 43-48.
124 Le Mercure galant, décembre 1678, p. 126. Cf. CESSAC, C., op. cit., p. 20.
125 LE MOËL, M., op. cit., p. 72.
126 La description qui suit est empruntée à l’inventaire après décès de Marie-Françoise Certain, 13 mars 1711, A. N., M. C. ET/LXV/173. Voir aussi LE MOËL, M., op. cit.
127 CESSAC, C., op. cit., p. 175.
128 Scellés après le décès de Marie-Françoise Certain, 2 février 1711, A. N., Y 11640, f. 12r et 12v. En fait il appartient bien à Marie-Françoise Certain comme le montre la contestation faite par les héritiers (ibidem, f. 13r).
129 À titre de comparaison, un petit clavecin de Ruckers à un clavier et deux jeux est estimé 100 livres dans l’inventaire après décès de Jean Henry d’Anglebert : cité par LESCAT, P., « Biographie », Pièces de clavecin, op. cit., p. 5 (A. N., M. C./LIII/104).
130 Sur la facture de clavecin, on pourra consulter : RUSSEL, R., The Harpsichord and Clavichord, 2e édition, Londres, Boston, Faber and Faber, 1973 ; VANDERVELLEN, Pascale, Musée des instruments de musique, 6. Clavecins, épinettes et virginals, Mardaga, 2000 ; Guide du musée de la musique, Musée de la musique Cité de la musique, Paris, 1997.
131 Des exemples, ravalés ou non, de ces instruments existent encore dans divers musées européens, commme ceux de Paris et de Bruxelles.
132 Guide du musée de la musique, op. cit., p. 106.
133 Ibidem, p. 90. Le Musée de la musique à Paris en possède un exemplaire.
134 Inventaire après décès de Marie-Françoise Certain, 13 mars 1711, A. N., M. C. ET/LXV/173, f. 8v. Pour une présentation de cet inventaire voir aussi LE MOËL, M., op. cit., notamment pp. 76-79.
135 Scellés après le décès de Marie-Françoise Certain, 2 février 1711, A. N., Y 11640, f. 7v.
136 Pour le détail voir LE MOËL, M., op. cit., pp. 78-79.
137 Voir par exemple : LULLY, J.-B., Symphonie de Mr de Lully, Versailles, Bibliothèque municipale, ms mus. 119-121.
138 Cf. MILLIOT, S., LA GORCE, J. de, Marin Marais, Paris, Fayard, 1991, p. 184.
139 Sa musique religieuse est moins importante : elle consiste principalement en un Miserere et des Leçons des Ténébres. Surt cet auteur voir l’important ouvrage de C. Massip : L’Art de bien chanter : Michel Lambert (1610-1696), Paris, Société française de musicologie, 1999.
140 Inventaire après décès de Marie-Françoise Certain, 13 mars 1711, A. N., M. C. ET/LXV/173, f. 10v.
141 Les Goûts réunis ou Nouveaux Concerts, Paris, chez l’auteur, Boivin, 1724.
142 Voir d’ailleurs Titon du Tillet, op. cit., p. 637.
143 Pièces de clavecin, op. cit., p. 60 et 63.
144 Op. cit., p. 637.
145 Les Indes galantes, ballet réduit à quatre grands concerts, Paris, Boivin, Leclair, l’auteur, 1735.
146 COUPERIN, F., Concert instrumental sous le titre d’Apothéose, (Apothéose de Lully), Paris, L’auteur, 1725, fac-similé Fuzeau, Courlay, 1989, « Avis ».
147 Pièces de clavessin, Paris, chez Foucaut, 1705, « Préface ».
148 Titon du Tillet (op. cit., p. 637) donne 1705 comme année de sa mort et la rue Villedeau comme lieu, renseignements bien sûr erronés. Notons toutefois que la capitation dressée après la mort de la claveciniste indique que la maison où elle est décédée est « scize rue Villedo, parroisse Saint Roch » (Scellés après la mort de Marie-Françoise Certain, 2 février 1711, A. N., Y 11640, Capitation). Cette rue est parallèle à la rue du Hasard : le copiste a pu se tromper d’adresse. Il s’agit peut-être aussi du logement précédent de Marie-Françoise.
149 Scellés après le décès de Marie-Françoise Certain, 2 février 1711, A. N., Y 11640, f. 1r.
150 Note du Nouveau choix de pièces de poèsie (1715) cité in LA FONTAINE, J. de, op. cit., p. 964.
151 JAL, A., op. cit., p. 344.
152 Scellés après le décès de Marie-Françoise Certain, 2 février 1711, A. N., Y 11640, f. 6r.
153 Ibidem, f. 4r.
154 Ibidem.
155 Ibidem, f. 6v.
156 Ibidem, f. 6r.
157 Ibidem, f. 13r.
158 Elle n’est pas comparable toutefois aux grandes fortunes de l’époque : Lully laisse à sa mort pour plus de 16 706 livres d’argenterie (LA GORCE, J. de, op. cit., p. 358).
159 Inventaire après décès de Marie-Françoise Certain, 13 mars 1711, A. N., M. C. ET/LXV/173, f. 7v. La steinkerque est une cravate de dentelle inspirée par celles que se nouèrent précipitamment les jeunes gentilshommes avant la bataille et la victoire de Steinkerque en 1691 (CORNETTE, J., Chronique du règne de Louis XIV, Sedes, 1997, p. 393).
160 Ibidem, f. 6r et 6v.
161 Ibidem, f. 5v et 6r.
162 Ibidem, f. 7r.
163 Ibidem, f. 5v.
164 NICHOLSON, E., « Le Théâtre : images d’elles », Histoire des femmes en Occident, op. cit., p. 350.
165 Cf. CESSAC, C., op. cit., p. 184.
166 Voir à ce sujet : GOUBERT, P., Louis XIV et vingt millions de Français, Paris, Fayard, coll. Pluriel, 1993, p . 341-342. L’auteur note : « Le mécénat du prétendu ‘grand siècle’ par le prétendu ‘Grand Roi’ : un feu d’artifice d’une quizaine d’années. » p. 342.
167 BRENET, M., op. cit., p. 111.
168 LEGRAND, R., op. cit., p. 1.
169 Ibidem.
170 Ibidem, p. 3.