Madeleine Bertaud

Quelques réflexions sur le personnage de Mademoiselle de Montpensier d’après ses Mémoires1

Quoi de plus naturel que d’offrir à une grande dame de l’Université un recueil d’études consacrées aux femmes illustres ? Et quel sujet plus approprié encore, pour celle qui voua une large partie de ses travaux au XVIIe siècle, que la cousine du Roi-Soleil ? Il reste à savoir si celle-ci crut ou voulut être une « femme illustre », si elle fut reconnue comme telle par ses contemporains, si elle aspira à l’être, si le souci de sa gloire la guida jusqu’au terme de sa vie.

Pour essayer de répondre à ces questions, relisons ses Mémoires. Ceux-ci, commencés pendant l’exil à Saint-Fargeau, continués à partir du 18 août 1677 au terme de « dix-sept années de discontinuation » (t. II, p. 108), après le triste épisode Lauzun, repris à nouveau alors que la mort approche (1689-1690), constituent, et c’est ce qui fait leur valeur, une « autobiographie dans le temps »2, où la Princesse se livre sans détours ni ostentation. S’il est imprudent, comme les historiens le savent, de se fier inconditionnellement aux témoignages qu’elle fournit sur son époque, il est permis au lecteur sensible de chercher ce qui était « sa » vérité – sur Louis, sur la Cour, sur les événements du temps, dont elle fut actrice ou témoin, et plus encore sur sa propre personne.  

Le développement qui va suivre ne se donne pas pour savant : en matière d’érudition, ou d’analyse des œuvres, tout est dit dans les deux livres que Jean Garapon a consacrés à la Grande Mademoiselle3, et qu’il a complétés de trop nombreux articles pour que je puisse ici en dresser la liste. Je me contenterai de libres réflexions inspirées par un parcours de vie qui ne ressemble à nul autre, et par un personnage à qui va (attitude qui n’est ni scientifique ni même rationnelle, j’en conviens) ma sympathie4. Auparavant, quelques remarques générales sur le concept de « femme illustre » me serviront d’entrée en matière.

Différents mots ou expressions viennent à l’esprit, qui s’appliquent plus ou moins au même type de personnage, et qui permettent de l’éclairer. Le premier est sans doute « héroïne ». Si, dans le passé récent voire dans l’actualité, où le terme s’est, comme son masculin d’ailleurs, dévalorisé, ou banalisé (il y aurait là matière à un autre article), désigner des héroïnes est relativement facile (les médias français ont récemment rappelé, non sans raison, l’héroïsme de Geneviève de Gallard à Dien Bien Phu, mais à d’autres moments ils confondent les concepts, et parlent d’héroïsme pour telle ou telle performance sportive, tel ou tel record), pour les siècles éloignés on en voit peu, si ce n’est dans la fiction où, de Cariclée à Clélie, l’on n’a que l’embarras du choix. La Bible nous a laissé les figures de Judith, d’Esther, de la mère des Maccabées, toutes imposantes, à des titres divers. Rome eut Lucrèce, la Guerre de Cent Ans nous valut Jeanne d’Arc.

Quel vocable convient le mieux à l’une ou à l’autre ? héroïne ou « femme forte » ? soldat de Dieu (le féminin serait à mes yeux incongru, bien qu’il y ait aujourd’hui des écrivaines et des professeures) ou défenseur de la patrie (voire d’une ville, comme Jeanne Hachette pour Beauvais pendant la guerre de Cent ans) ? Il est quelquefois difficile de trancher. Il semble que le concept d’héroïsme au féminin se soit surtout développé (plus que le mot) en marge d’autres ou mêlé à d’autres : sainteté (Clotilde) ou zèle religieux, nationalisme ou encore vertu, fidélité conjugale, voire amour - moins connue qu’elle, la Gauloise Camma ne serait pas indigne de voisiner avec Lucrèce5 ; en tout cas, la femme était rarement louée pour des prouesses guerrières, monopoles de l’autre sexe (le cas de la bergère lorraine étant à la fois exceptionnel et ambigu), et l’on sait combien de préjugés s’opposaient, en dépit de la fictive Bradamante, à la seule idée qu’elle pût se distinguer par la force physique6. Dans la tradition française des moralistes, l’éloge de ces femmes de grand courage, exemplaires7, se faisait avec discrétion : il suffit pour s’en faire une idée de considérer l’œuvre d’Amyot, traducteur de Plutarque, et de mettre en regard deux de ses titres : d’un côté, les Vies des hommes illustres, de l’autre, Les Vertueux Faits de femmes (De Mulierum Virtutibus)8 ; le registre dans un cas est d’ordre mondain (la gloire, la célébrité), et dans l’autre d’ordre moral. Montaigne, parlant sans plus de « trois bonnes femmes »9, rend assez bien compte des mentalités de la société traditionnelle, ou du moins d’un de ses aspects, l’autre trouvant une représentation emblématique dans les « dames galantes », sensiblement plus nombreuses, réunies en une fresque gaillarde par Brantôme10. Il semble par ailleurs que, masculin ou féminin, le héros ait assez souvent été celui d’un camp opposé à un autre camp, son exaltation tendant alors à s’accompagner de la détestation de son adversaire, comme dans le couple formé par Marie Stuart et sa cousine Élisabeth. Cette mobilisation idéologique de figures de l’histoire perdurera – on songe à Charlotte Corday qui, condamnée à mort par le Tribunal révolutionnaire pour le meurtre de Marat, fut chantée par André Chénier – « Seule tu fus un homme, et vengeas les humains… »11.   

Au XVIIe siècle cependant, les mentalités évoluèrent, pour partie du moins12, si l’on en juge par ce que reflète la production littéraire : moralistes et mondains se livrèrent volontiers à l’éloge des femmes illustres. C’est ainsi qu’après La Cour sainte du P. Caussin, qui accueillit Mariamne, victime de la jalousie d’Hérode, Clotilde, Jeanne d’Arc et Marie Stuart (cette dernière appartenant, et l’exception vaut d’être soulignée, à l’histoire européenne la plus récente), parurent Les Femmes illustres de Georges de Scudéry et La Galerie des femmes fortes du P. Le Moyne. Le phénomène n’a pas manqué d’intéresser la critique moderne, et d’être monté en épingle dans les gender studies. Il eut des causes diverses, allant de la politique (le service des reines, régentes, reines mères, ou « presque reines », comme Mme de Maintenon) à la vie mondaine et galante, avec le développement des salons et la Préciosité – on pourrait, d’un mot, dire qu’il relève d’un nouveau féminisme.

Mais le siècle des Bourbons, pourvu de souverains qu’artistes et écrivains héroïsèrent à plaisir, du « grand Henri » au Roi-Soleil, et auxquelles ils appliquèrent les allégories les plus flatteuses, d’Hercule à Alexandre, connut-il dans son histoire, ou sa société, des femmes illustres ? Aucune de ses reines n’entra, de fait (certes Marie de Médicis ne manqua pas d’hagiographes, et Anne d’Autriche non plus), dans cette catégorie. Si les Lettres eurent leurs grandes dames (moquées de certains, comme la « Pucelle du Marais ») et l’Église ses saintes, si la Cour et la Ville applaudirent la Champmeslé13 comme nulle comédienne ne l’avait été avant elle, le royaume ne fut gratifié d’aucune nouvelle Jeanne.

Pourtant, une fille de France, et une seule, fut appelée de son vivant « la Grande Mademoiselle » (son père étant « Monsieur », Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII) : il s’agit d’Anne-Marie-Louise d’Orléans, cousine germaine de Louis XIV. L’appellation semble proprement désigner une « femme illustre » ; aussi ne pouvait-elle déplaire à la princesse. D’un point de vue pratique, elle permettait de la distinguer de ses demi-sœurs, ses cadettes, mais d’autres significations se surajoutaient à celle-ci, plus importantes à ses yeux, sans aucun doute, que cet ordre chronologique.

Si, dans l’opinion la plus répandue, le caractère illustre était d’abord lié a la naissance (sur ce point aussi, Jeanne d’Arc constituait une exception qui ne pouvait s’expliquer que par la volonté divine), la princesse avait tout lieu de le revendiquer : son grand-père paternel n’était autre qu’Henri IV ; sa mère, Marie de Bourbon-Montpensier, était fille unique d’Henri de Bourbon, duc de Montpensier : aussi naquit-elle, au Louvre, « Bourbon de tous les côtés »14. Le fait que cette formule figure dans une lettre écrite de sa main à la date du 4 juillet 1656 (voir t. I, p. 375-379), alors qu’elle avait déjà 29 ans, ne permet pas de la mettre sur le même plan que le mot d’enfant qu’elle rapporte au début de ses Mémoires : « Quand l’on me parloit de madame de Guise, ma grand-mère, je disais : ‘Elle est ma grand-maman de loin ; elle n’est pas reine’ » (t. I, p. 23). La conscience d’être, comme l’a si bien dit Jean Garapon, la « dépositaire du sang mythique d’Henri IV »15, n’a cessé d’habiter le personnage.

Elle était exceptionnellement riche. Sa mère,morte dans les jours qui suivirent sa naissance, lui avait laissé en héritage, entre autres, la principauté des Dombes, celle de La Roche sur Yon, les duchés de Chatellerault et de Montpensier, le comté d’Eu… Une fortune qui faisait d’elle, selon l’expression de Mazarin, « le plus grand parti de l’Europe » (t. I, p. 452) ; en 1657, son cousin Philippe d’Orléans remarquait : « Elle a tout ce qu’il lui plaît ; car elle est si riche »16. Elle n’en sera pas plus heureuse, comme on va le voir, mais dans les mentalités d’Ancien Régime (la différence est frappante avec celles d’aujourd’hui, du moins là où s’applique le principe du « politiquement correct »), richesse et grandeur allaient de pair, comme si la première était un don de Dieu accompagnant la seconde. On se souvient des vers de Ronsard :

C’est l’OR qui met aux Roys la couronne en la teste, / Qui leur donne puissance, et les faict commander.17

Ainsi, par sa naissance et par sa fortune, Mademoiselle était une « femme illustre ». Elle avait le sens de la gloire qui convenait à ce statut rarissime ; elle le manifesta excessivement dès ses premières années, encouragée par sa gouvernante, la marquise de Saint-Georges, qui ne manquait pas de lui parler abondamment de « [sa] grande naissance et de [ses] grands biens »18 ; elle le conserva lorsque, adulte, cette haute idée d’elle-même devint raisonnable - tous les portraits que nous avons d’elle, révélateurs par ailleurs de son peu de beauté (avec quelque chose de masculin dans la physionomie), ont fixé ce trait19 : la princesse était majestueuse. Ce sens de la gloire ne peut pas non plus échapper au lecteur des Mémoires, où tout est occasion pour l’auteur de souligner sa supériorité - c’est ainsi que, pendant longtemps, Mademoiselle, exempte des faiblesses du sexe (peut-être dirions-nous aujourd’hui qu’elle était frigide), tint l’amour pour une passion « indigne d’une âme bien faite »20 et s’étonna que les dames de son entourage, dont elle savait pourtant combien elles lui étaient inférieures, même quand elle les honorait de son amitié, en fussent les victimes.

Mais le mariage au Grand Siècle, et pour une princesse, n’était pas une question d’amour. Bien qu’ils soient placés dans la bouche d’un personnage désagréable (Orode), les vers de Suréna n’avaient pas de quoi heurter les mentalités :

Il nous faut un hymen, pour nous donner des Princes

Qui soient l’appui du sceptre, et l’espoir des Provinces. […]

Du reste, en ces grands nœuds l’État qui s’intéresse

Ferme l’œil aux attraits et l’âme à la tendresse. […]

Nous ne sommes point faits pour devenir jaloux,

Ni pour être en souci, si le cœur est à nous.21

Mademoiselle entendait se marier (comme cela était normal dans une société qui ne concevait pas le célibat féminin hors des couvents) avec une tête couronnée, et parmi les toutes premières d’Europe (et cela aussi était normal, puisque autrement il y aurait eu mésalliance). Dans son enfance rêveuse, elle s’imagina que son royal cousin, qu’elle appelait volontiers son « petit mari », plus jeune qu’elle de onze ans, serait le parti idéal. La reine, pendant sa grossesse, l’avait sans y penser bercée de cette illusion (« Vous serez ma belle-fille », t. I, p. 39), mais à la naissance du dauphin, le cardinal de Richelieu se fâcha d’une formule qu’il jugeait messéante, et gronda la princesse au point de la faire pleurer (ibid., p. 40), tandis qu’Anne d’Autriche la consola : « Il est vrai que mon fils est trop petit : tu épouseras mon frère »22. Elle garda longtemps cette faculté de concevoir des projets chimériques, mais toujours liés à l’idée de grandeur : l’héroïsme de Condé la fascina au point de réduire à néant l’antipathie qu’il lui avait d’abord inspirée, et de lui faire souhaiter un mariage, si la princesse de Condé, dont la santé était mauvaise, venait à disparaître (voir t. I, p. 158) !

Le mariage de Mademoiselle dépendait de la politique royale. Maintes alliances furent envisagées pour elle, avec tout ce que l’Europe comptait de grand, et maintes négociations engagées (mais à vrai dire, Mazarin n’avait pas un vrai désir de les voir aboutir, ni Louis, dès qu’il eut l’âge de réfléchir à ce genre de sujet : comment envisager sans réticence l’évasion à l’étranger d’une telle fortune, et la puissance qu’elle apporterait du même coup au mari ?). Il serait fastidieux d’en établir la liste, qui est aussi, comme on le sait, la liste des échecs23 ou, dans quelques cas, des refus de la princesse. Elle ne songeait ni à la jeunesse, ni à la beauté : Philippe IV d’Espagne, veuf de sa tante Élisabeth, lui paraissait un parti convenable, et l’empereur Ferdinand III, deux fois veuf, aussi ! Cette perspective paraissant singulière à Gaston d’Orléans, qui n’était pas tout à fait indifférent au bonheur de sa fille, Mademoiselle lui expliqua « que ce n’étoit pas un homme jeune et galant ; que l’on pouvoit voir par là, comme c’étoit la vérité, [qu’elle] pensoit plus à l’établissement qu’à la personne » (t. I, p. 82). En revanche, elle fit peu de cas du Prince de Galles, né en 1630, fils de sa tante Henriette de France et futur Charles II : il était « passablement agréable de sa personne » (t. I, p. 75), mais elle ne lui voyait pas les qualités nécessaires pour reconquérir son trône ; elle savait aussi que l’on comptait sur sa dot pour rétablir la monarchie en Angleterre ; bref le parti n’était pas digne d’elle ! À 35 ans, elle refusa encore, au grand mécontentement de la cour, le roi de Portugal (un homme malade, impotent, débile, mais avec qui Louis venait de faire alliance). L’humiliation était trop forte pour que la Raison d’État pût être entendue !   

Aucune alliance matrimoniale n’étant venue asseoir en le portant à son comble le prestige de Mademoiselle, et son caractère aidant, il n’est pas étonnant qu’elle ait rêvé de s’égaler aux « hommes illustres » à la guerre : la Fronde lui en donna l’occasion. Le règne de Louis XIII et la régence de sa veuve ne manquèrent pas d’amazones, mais il serait injuste de mettre sur le même plan une duchesse de Chevreuse, portée à la galanterie et aux intrigues, et Mademoiselle, qui avait proprement la fibre héroïque. S’il est concevable qu’elle ait rejoint les frondeurs par ressentiment pour Mazarin, devant l’échec de ses projets de mariage, il n’empêche qu’elle s’engagea dans la Fronde des Princes parce que c’était à ses yeux le parti de la grandeur. Elle qui aimait les héros invincibles des romans et les cœurs généreux du théâtre de Corneille trouva dans la personne du Grand Condé le modèle et l’inspirateur capable de hausser sa vie au niveau de leurs exploits, et de l’introduire dans la grande Histoire en digne petite-fille d’Henri IV. Imagine-t-on bien ce qui a pu se passer dans sa tête ce jour de mars 1652 où elle s’est emparée d’Orléans, entrant dans la ville en se hissant par un trou fait à la porte Brûlée (« car cette illustre porte, et qui sera tant renommée par mon entrée, s’appelle ainsi », précise-t-elle, t. I, p. 183) ? Portée en triomphe dans les rues aux cris de « Vive le roi, les princes ! et point de Mazarin », tandis que les tambours battaient et que « tout le monde [lui] baisoit les mains », elle était dans un état d’extrême exaltation - « […] la joie où j’étois m’avoit mise hors de moi-même » (loc. cit.) -, ne sentait ni la faim ni la fatigue. Le lendemain, elle se promena dans la ville avec ses hommes, reconnaissables à leurs écharpes bleues, afin de faire connaître à tous qu’elle « étoi[t] patronne dans Orléans »… l’expression en dit long sur la fierté qu’elle ressentait. Elle se figurait que, maîtresse de cette place (situation tout à fait singulière pour une femme), elle serait en position de force pour négocier la paix des Princes. Puis ce fut le retour à Paris, après la victoire de Condé sur les troupes royales à Bléneau : « […] tout le peuple sortit hors de la ville […] tout le monde portoit sur le visage la joie que l’on avoit de mon retour » (t. I, p. 210). Et encore : « Je fus visitée de tout Paris le premier jour de mon arrivée » (p. 213). La princesse vit un rêve éveillé, qui ne la surprend pas tant la gloire l’enivre : « […] la cour étoit chez moi, et j’étois comme la reine de Paris » (p. 216). Voit-elle son parti en péril ? elle ne songe qu’à quelque nouvel exploit, et le proclame, en des termes qui aujourd’hui font sourire : « […] je dis le soir à Préfontaine : Je ne prendrai point demain médecine : car j’ai dans la tête que demain je ferai quelque trait imprévu aussi bien qu’à Orléans » (t. I, p. 224). C’est bien ce qui se passa lorsque, Condé et ses hommes étant attaqués par Turenne au faubourg Saint-Antoine, Mademoiselle fit tirer les canons de la Bastille sur les troupes royales… spectacle quasi surréaliste (t. I, p. 234-235). Sur le plan politique, on se souviendra que jamais les frondeurs n’avaient contesté l’autorité du roi, (il ne s’agissait pas de renverser son pouvoir, mais d’abattre Mazarin), par ailleurs très cher à sa cousine comme on l’a compris.

Avec sa « garde rapprochée » de dames aussi exaltées qu’elle, mais moins hardies, Mademoiselle en frondeuse fait parfois penser à un personnage d’un genre qui était encore à naître : l’opérette. Se remémorant les événements plume à la main, elle en prit quelque peu conscience – ainsi lorsqu’elle évoque, parmi les nouveaux régiments que levèrent les Princes, la création du « régiment de Mademoiselle » (t. I, p. 249), ce qui n’était pas pour lui déplaire : « Le soir, en revenant, je permis que mes compagnies me suivissent jusques à mon logis ; de sorte que cela fut assez beau à voir. J’avoue que je fus un peu enfant, et que j’en sentis assez de joie, et que le son des trompettes me réjouissait : jamais troupes il n’y eut de si bien vêtues qu’étoient les miennes » (t. I, p. 256). Mais ne la sous-estimons pas : ressemblant plus à son grand-père qu’à son père, Anne-Marie-Louise d’Orléans, cavalière résistante, était robuste, courageuse avec virilité ; parcourir à pied un champ de bataille ne lui faisait pas peur :

Je trouvai à chaque pas que je fis dans la rue Saint-Antoine, des blessés, les uns à la tête, les autres au corps, aux bras, aux jambes, sur des chevaux, à pied, sur des échelles, des planches, des civières, des corps morts. (t. I, p. 230)

Dans la guerre, elle avait bien les qualités du héros, y compris la plus rare : l’humanité face aux vaincus. Alexandre fut généreux envers la famille de Darius mais à Gaza il se montra terriblement cruel à l’égard de Bétis, ce que Montaigne, malgré l’admiration qu’il lui portait, n’a pu taire24 ; de même, Condé, momentanément maître de Paris grâce à l’intervention de Mademoiselle, montra une dureté envers ses ennemis défaits qui tranche avec la mansuétude de la princesse.

Aussi, après l’échec de la Fronde, lorsque le roi rentra dans sa capitale et lui fit parvenir une lettre d’exil, ne méritait-elle pas les sarcasmes que lui infligea Gaston tandis que lui-même, conformément à son habitude, s’employait à se raccommoder avec le pouvoir et l’abandonnait à sa misère :

Vous avez été si aise de faire l’héroïne, et que l’on vous ait dit que vous l’étiez de notre parti, que vous l’aviez sauvé deux fois, que, quoi qu’il vous arrive, vous vous en consolerez, quand vous vous souviendrez de toutes les louanges que l’on vous a données. (t. I, p. 274)

La réponse qu’il s’attira est digne de figurer dans une anthologie des « Propos de femmes illustres » :

 […] si c’étoit encore à recommencer, je le ferois, […] Je ne sais ce que c’est que d’être une héroïne : je suis d’une naissance à ne jamais rien faire que de grandeur et de hauteur en tout ce que je me mêlerai, et l’on appellera cela comme l’on voudra ; pour moi, j’appelle cela suivre mon inclination et suivre mon chemin ; je suis née à n’en pas prendre d’autre. (t. I, p. 275)

Le plus beau des héros de Corneille ne parle pas autrement – Je le ferais encor si j’avais à le faire25 -, ni le résistant loué, dans ce XXe siècle encore si présent à nos mémoires traumatisées, par Aragon dans la Ballade de celui qui chanta dans les supplices.

La remarque permettrait en toute logique de clore cette étude : née sous le signe de la gloire, soucieuse de confirmer son rang par un mariage éclatant, Mademoiselle mérita plus encore le titre de « femme illustre », ou de « femme forte », par la mise en application de ses qualités personnelles au service d’une cause qu’elle jugeait supérieure. Si l’Histoire lui donna tort, il en va de même pour tous les grands hommes qui se trompèrent de camp, ou furent vaincus à la guerre, Pompée, Hannibal - ou Condé qui, passé en Espagne, finit par revenir s’agenouiller devant le maître et obtint son pardon, mais pour n’être plus, dans l’entourage du Roi-Soleil, qu’un courtisan. Cependant l’analyse du personnage ne peut s’arrêter là dès lors que ses Mémoires déroulent, de manière progressive malgré un schéma irrégulier, une réflexion qui conduisit Mademoiselle à se détacher des valeurs mondaines, et donc à penser que le plus important dans la vie n’était probablement pas d’être une « femme illustre ».

Cette réflexion a vraisemblablement commencé pendant le séjour de Saint-Fargeau. Son arrivée dans sa maison de Bourgogne, où elle n’était jamais venue auparavant, et qui, vieille de plus de deux cents ans, se trouvait dans un état de grand délabrement, avait été sinistre :

Nous arrivâmes à Saint-Fargeau à deux heures de la nuit, il fallut mettre pied à terre, le pont étant rompu. J’entrai dans une vieille maison où il n’y avoit ni porte ni fenêtres, et de l’herbe jusqu’aux genoux dans la cour : j’en eus une grande horreur. L’on me mena dans une vilaine chambre, où il y avoit un poteau au milieu. La peur, l’horreur et le chagrin me saisirent à tel point, que je me mis à pleurer. (t. I, p. 289)

Or, bientôt, elle se fit à cette vie retirée et inconfortable, au milieu de sa petite cour où tous et toutes, dans les premiers temps (ce qui ne dura pas), avaient à cœur de la divertir. Bientôt elle se donna pour objectif de transformer la demeure en une résidence digne d’une grande princesse, faisant d’abord travailler des architectes locaux, puis, en 1654, s’adressant à Le Vau… Les travaux étaient presque terminés quand Mademoiselle reprit le chemin de la cour – « ceux qui le verront [ce bâtiment] le trouveront assez magnifique et digne de moi »26. On dira donc que cette occupation la reliait encore entièrement au monde et à ses valeurs, mais du moins avait-t-elle découvert quelque chose, qui est formulé dès l’incipit des Mémoires :

J’ai autrefois eu grande peine à concevoir de quoi l’esprit d’une personne, accoutumée à la cour et née pour y être avec le rang que ma naissance m’y donne, se pouvoit entretenir, lorsqu’elle se trouve réduite à demeurer à la campagne ; car il m’avoit toujours semblé que rien ne pouvoit divertir dans un éloignement forcé, et que d’être hors de la cour, c’étoit aux grands être en pleine solitude […]. Cependant, depuis que je suis retirée chez moi, j’éprouve avec douceur que le souvenir de tout ce qui s’est passé dans la vie occupe assez agréablement, pour ne pas compter le temps de la retraite pour un des moins agréables que l’on passe. (t. I, p. 21)

Ainsi la vie de la princesse ne s’effondre pas lorsqu’elle quitte son séjour naturel. Elle trouve dans sa retraite imposée douceur et agrément, ce qui s’explique par sa force de caractère, par la sagesse qui lui vient avec la maturité, et jusque par l’orgueil qui lui interdit de montrer qu’elle souffre, mais n’implique pas moins de sa part une véritable métamorphose intérieure, qui pourrait relever d’une première conversion. Certes elle les trouve en se remémorant le passé, c’est-à-dire tout ce qui la rattache au grand monde et à l’Histoire. Et elle entreprend d’écrire sa vie, « à la prière de quelques personnes que j’aime », donc pour être lue, assurée « que la lecture n’en sera pas ennuyeuse » (p. 21). Mais déjà, par rapport aux événements qu’elle narre, elle a suffisamment de recul et de distance critique pour être capable, comme on l’a vu ci-dessus, de sourire de ses joies passées et de juger certaines d’entre elles puériles.

Certes elle sera infiniment heureuse de rejoindre la cour en 1657 (avant un nouvel exil consécutif à son refus d’épouser le roi de Portugal), d’être présente à Saint-Jean-de-Luz au mariage de Louis et de l’Infante Marie-Thérèse, de retrouver les fêtes et les grandes assemblées. Pourtant, le sentiment de la vanité du monde se glisse en elle, puisqu’à l’idée de sa gloire succède enfin l’aspiration au simple bonheur. Elle a déjà plus de quarante ans, et c’est le moment où Louis lui propose d’épouser son frère Philippe, veuf d’Henriette d’Angleterre27, quand elle se met en tête de partager la vie du comte de Lauzun, un gentilhomme bien vu du roi mais sans fortune, tout simplement parce qu’elle en devient (ce qui ne lui était jamais arrivé) amoureuse :

[…] je m’aperçus que c’étoit M. de Lauzun que j’aimois, qui s’étoit glissé dans mon cœur […] ; que jamais personne ne m’avoit témoigné d’amitié ; qu’il falloit une fois en sa vie goûter la douceur de se voir aimée de quelqu’un, qui valût la peine que l’on l’aimât. (t. II, p. 247)

Nous voilà, bien loin des couronnes royales ou impériales, devant l’émouvante revendication du cœur. Malheureusement, la suite est connue : le refus de Louis tombant la veille de la date retenue pour le contrat, alors qu’il avait d’abord accepté ce mariage incongru, et les pleurs de Mademoiselle28 ; le long emprisonnement de Lauzun à Pignerol, les sacrifices consentis par la princesse, qui lègue une grande partie de sa fortune au duc du Maine29 pour l’en sortir, sans pour autant obtenir le droit de l’épouser ; un mariage secret probablement – sur lequel les Mémoires font silence -, avec ses terribles déceptions : l’homme ne l’aimait pas, et sans parler de rang, n’était en rien digne d’elle (triste illustration de l’adage selon lequel l’amour est aveugle). Il profita de ses largesses, la trompa, la maltraita…, jusqu’à ce qu’elle prît le parti de le chasser de sa maison30 - et de retrouver une solitude qui ne n’avait, en fait, jamais quittée.

Grandeur et misère de Mademoiselle ! La vie lui apprit, non à oublier qu’elle était une princesse du sang, mais à mesurer les illusions de ce monde, et sa vanité. Sans être très pieuse dans sa jeunesse, elle avait eu des élans vers Dieu, connu de manière fugace la tentation du Carmel, rencontré Arnauld d’Andilly dans sa solitude de Port-Royal, qui l’avait assurée « des prières de toute la communauté et des siennes » et lui avait dit « mille belles choses pour [l’]obliger à être dévote » (t. I, p. 450). L’âge et les épreuves firent le reste : c’est finalement vers Dieu que Mademoiselle se tourna. Le genre des Mémoires ne convenait pas à l’évocation d’une conversion (au sens du XVIIe siècle bien sûr) si profonde. Pour en mesurer l’authenticité, il faut considérer les ouvrages de spiritualité, qui « prolongent l’autoportrait dans le sens d’une confession générale » : les Réflexions sur les huit Béatitudes (1685) et les Réflexions morales et chrétiennes sur le Premier Livre de l’Imitation de Jésus-Christ (posthume, 1694). Leur étude a été parfaitement faite par Jean Garapon : on lira, dans La culture d’une princesse, le chapitre intitulé « Mademoiselle et Dieu »31. Ici, je me contenterai d’évoquer la dernière page des Mémoires, où la plume s’est arrêtée au milieu d’une phrase – « Un jour, comme je me promenois dans le parc de » (t. II, p. 453) -, avec ce que l’inachèvement donne à imaginer de fatigue peut-être, mais sûrement de désintérêt, de détachement : s’agissait-il de Versailles et y avait-elle rencontré le roi ? On peut le supposer, mais cela valait-il encore la peine d’être écrit ? Le moment n’était plus de se dire « Bourbon de tous les côtés » ; Mademoiselle en avait fini avec le monde.

Au palmarès des « dames illustres », Anne-Marie-Louise d’Orléans avait sa place marquée. Elle y tint son rang, en conscience, et avec panache, exception remarquable parmi les femmes de son siècle. Quand l’occasion lui fut donnée de s’essayer à l’action héroïque, elle le fit avec enthousiasme, sans épargner sa personne, et à deux fois ses coups d’éclat la désignèrent comme le sauveur de son parti.

Mais elle connut assez de désillusions et elle vécut assez longtemps pour découvrir au fil des années la vanité des valeurs mondaines qui avaient nourri sa gloire. Sans oublier ce qu’elle était, elle acquit, face à la grandeur dont sa jeunesse s’était enivrée, un sens critique qui lui permit d’accéder à un autre ordre de réflexions, et à d’autres aspirations. C’est ce parcours très émouvant qu’avec beaucoup de naturel, et parfois de naïveté, révèlent ses Mémoires.


Pour citer cet article :

Madeleine Bertaud, " Quelques réflexions sur le personnage de Mademoiselle de Montpensier d’après ses Mémoires ", Publif@rum, 2, 2005

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1 L’édition de référence reste celle de CHÉRUEL : Mémoires de Mademoiselle de Montpensier…, collationnés sur le manuscrit autographe avec notes biographiques et historiques, Paris, Charpentier, 1858-1859, 4 vol. Dans l’attente d’une édition savante moderne, le texte qu’a fourni la Librairie Fontaine, qui reprend l’édition Chéruel, mais amputée de ses notes, rend des services ; c’est à lui que renverront mes citations : « La Grande Mademoiselle », duchesse de Montpensier, Mémoires, préface de Christian Bouyer, Paris, 1985, 2 vol. Les indications de tome et de page(s) seront fournies dans le courant du texte.
2 Selon la formule de Jean Garapon (voir infra, note 3).
3 La Grande Mademoiselle mémorialiste, une autobiographie dans le temps, Genève, Droz, « Histoire des idées et critique littéraire », 1989. La culture d’une princesse. Écriture et autoportrait dans l’œuvre de la Grande Mademoiselle (1627-1693), Paris, H. Champion, « « Lumière classique », 2003.
4 Ces pages se situent dans le prolongement de notre article : « Grandeur et servitude princières : l’exemple de Mademoiselle de Montpensier d’après ses Mémoires », in MARCHAL, R. (dir.), Grandeur et servitude au siècle de Louis XIV, Journée d’étude à la mémoire de Marie-Thérèse Hipp, Presses Universitaires de Nancy, 1999.
5 PLUTARQUE, Moralia, 257. E et 768. B. Voir AULOTTE, R., « Une héroïne de Plutarque, Camma et son destin dans la littérature dramatique », in HEPP, N. et LIVET, G. (éd.), Héroïsme et création littéraire sous les règnes d’Henri IV et de Louis XIII, Paris, Klincksieck, « Actes et colloques », 1974, pp. 277-296.
6 Faut-il ajouter qu’elle n’avait pas non plus la possibilité de se distinguer par son savoir ? Il faudra attendre le XXe siècle pour que, non sans difficultés d’ailleurs, Mme Curie accédât au panthéon des savants, au même titre qu’un Pasteur ou un Fleming.
7 … encore que l’exemple de Judith ait de quoi faire hésiter, et que l’application de la loi du Talion par Esther, que Racine eut la bonne idée d’oublier quand il reprit le sujet pour les demoiselles de Saint-Cyr, soit terrifiante !
8 On connaît les Vies des femmes illustres de Brantôme, mais celui-ci n’était pas un moraliste, et l’œuvre ne fut publiée que bien avant dans le XVIIe siècle.
9 Essais, livre II, chap. XXXV. Il s’agit comme chacun le sait d’Arria, femme de Pætus, de Pauline, femme de Sénèque, et d’une anonyme dont Pline le Jeune rapporte la mort, toutes trois ayant « employé l’effort de leur bonté et affection autour de la mort de leurs maris (éd. VILLEY, Paris, P.U.F., 1965, t. II, p. 745).
10 L’Italie traita mieux les dames, avec notamment Le Courtisan de CASTIGLIONE (1528) et La Vertu des dames illustres du TASSE (1582). Voir GARAPON, J., La culture d’une princesse, op. cit. , pp. 62-69.
11 Voir GUITTON, É., « André Chénier de la Révolution à la Terreur : l’homme sans peur », in Travaux de Littérature publiés par l’ADIREL, vol. XVII, 2004 : Les Grandes Peurs, 2. L’Autre (dir. BERTAUD, M.), p. 416.
12 Sur la survie des préjugés qui vouaient l’héroïne à ne recevoir son éclat que de l’homme, comme la lune le reçoit du soleil, voir HEPP, N., « La notion d’héroïne », in LEINER, W. (dir.), Onze études sur l’image de la femme dans la littérature française du dix-septième siècle, Tübingen-Paris, Narr et Place, « Études littéraires françaises », 1, 1978, pp. 9-27.
13  Pour tout savoir sur elle, lire COUPRIE, A., La Champmeslé, Paris, Fayard, 2003.
14 Son père n’aurait pu en dire autant, puisqu’il était Médicis par sa mère.
15 La culture d’une princesse, op. cit., p. 18. Complémentairement, on notera que Marie de Médicis, que l’enfant connut peu, mais dont elle tient à préciser qu’elle l’ « aimait extrêmement », est toujours désignée comme « la reine, ma grand-mère » (voir t. I, pp. 22-23)
16 Ibid., p. 453. Le sujet revenait souvent dans les conversations… (voir encore Mazarin, s’adressant à elle, t. II, p. 97 : « Eh bien, Mademoiselle, vous êtes bien riche »).
17 « Hymne de l’or », in Hymnes (1555). Œuvres complètes de Pierre de Ronsard, éd. LAUMONIER, P., LEBÈGUE, R et SILVER, I, Paris, STFM, 1914-1974, t. VIII, p. 184, vv. 88-89.
18 T. I, p. 23. Mademoiselle, rapportant cela bien plus tard, commente en moraliste : elle prit ainsi « les sentiments d’une mauvaise gloire ». Mme de Saint-Georges était fille de Mme de Montglat, qui avait été la gouvernante de Louis XIII et de Gaston.
19 Voir par exemple au musée de Blois, « La duchesse de Montpensier, dite la Grande Mademoiselle » (École française du XVIIe siècle), portrait moins flatté que celui qu’on peut voir au château de Versailles, et qui est attribué à Jean Nocret : « Anne-Marie-Louise d’Orléans, duchesse de Montpensier, tenant le portrait de son père Gaston d’Orléans.
20 T. I, p. 308.
21 CORNEILLE, Suréna, III-3, vv. 1029-1041.
22 Le cardinal-infant Ferdinand, fils de Philippe III, qui mourut en 1641.
23 Saint-Simon n’épargna pas la princesse sur ce sujet cruel : « Elle voulut être nommée tout court Mademoiselle […] Et comme elle ne se maria pas, à son grand regret, elle fut tout court Mademoiselle toute sa vie ». En fait, elle épousa probablement Lauzun en 1681 (voir infra).
24 MONTAIGNE, Essais, éd. citée, t. I, p. 9.
25 Le Cid, III-4, v. 888.
26 T. I, p. 328. Pour plus de précisions sur cette activité de bâtisseur, voir mon article : « La Grande Mademoiselle à Saint-Fargeau », in CUCHE, F.-X. (dir.), La Vie de château…, Presses Universitaires de Strasbourg, 1998, pp. 153-165.
27 Sans une once de délicatesse : « Ma cousine, voilà une place vacante : la voulez-vous remplir ? » (t. II, p. 274).
28 « Hélas, Sire, qui se seroit méfié de la parole de Votre Majesté ? […] A qui me sacrifiez-vous là… ? » (t. II, p. 313).
29 C’est bien parce que sa famille guettait sa fortune que Mademoiselle n’avait jamais été mariée. Voir la réponse sans équivoque de Marie-Thérèse quand elle lui annonça son intention d’épouser Lauzun : « Vous feriez bien mieux de ne vous marier jamais et de garder votre bien pour mon fils d ‘Anjou » (t. II, p. 300). Avec plus d’habileté, Mme de Montespan lui dit, quand elle s’agissait d’obtenir la liberté de Lauzun : « Mais songez ce que vous pourriez faire d’agréable au roi, pour vous accorder ce qui vous tient tant à cœur » (ibid., p. 397).
30 Ceci est relaté avec discrétion dans les Mémoires, depuis : « Je commençois à le connoître et à m’en lasser » (t. II, p. 431), jusqu’à une dernière querelle, en 1684, faite de reproches réciproques et conclue par Mademoiselle : « C’est trop ; […] allez-vous en. » (ibid., p. 441). On notera que l’avant-dernière phrase des Mémoires lui est encore consacrée, mais dans un registre résolument critique : « M. de Lauzun vivoit à son ordinaire toujours dans l’obscurité, mais faisant parler de lui, et souvent par des choses qui me fâchoient » (p. 453).
31 Op. cit., chap. VII, pp. 319-362 (citation p. 319).