« Regarde, me dit-il, et regarde bien ! Il faut prendre des leçons d’abîme »
( J. Verne, Voyage au centre de la terre)
Dans plusieurs romans de Nadaud, à un des personnage est attribué le rôle spécifique du chercheur. Le professeur de français dans Archéologie du Zéro, qui creuse dans la cave de son collègue égyptien, devient chercheur par hasard, le journaliste détective d’Auguste fulminant le devient malgré lui, le petit-fils de Thureau, dans La Fonte des glaces l’est par sens du devoir, le jeune archéologue dans Désert physique et Tracher dans Le Livre des Malédictions sont poussés par le démon de la recherche. La recherche est donc ici une trace évidente mise au clair. Il faut encore remarquer que, si la recherche est une fouille verticale dans la terre pour certains de ces personnages, d’autres se meuvent dans une fouille horizontale : telle est la démarche du narrateur de La Fonte des glaces, de l’éditeur de La Mémoire d’Érostrate et de celui de L’Iconoclaste ; dans ces deux dernier textes, les chercheurs sont anonymes, sans être pour cela inexistants. Ces « fouilles » horizontales s’effectuent dans le papier imprimé : les procès-verbaux d’interrogatoire, les pseudo-notes de voyage de Baedeker, les annales historiques. Et pourquoi ne pas y ajouter la curiosité du jeune Julius Marcellus de L’Envers du temps qui, devenu druide, se plonge dans les lectures des textes « anciens » afin de trouver une vérité qui lui échappe ?
Nombreux sont les chercheurs donc, transposés en personnages du roman, ou cachés en filigrane dans la structure du texte, qui peuplent la fiction de Nadaud. Au fil des romans, ils acquièrent des fonctions psychologiques, plus ou moins mises en relief, qui vont de la simple position d’observateur à l’implication totale de leur personne dans les événements du plot.
Le groupe des chercheurs du papier imprimé nous intéresse, dans la mesure où il a affaire à un indice que Nadaud nous donne dans son autobiographie : le jeune Alain se prend, un jour, à ne plus se fier du texte imprimé. Jusqu’alors confiant dans l’authenticité des livres, il se voit obligé, au collège, de lire des ouvrages qui ne l’intéressent pas, et il découvre « qu’il y a donc de mauvais livres » (L.A.M., p. 174) . De là sa déconvenue et l’ébranlement de ses certitudes :
… je n’étais pas éloigné de croire que tout ce qui se passait par les caractères de l’imprimerie était non seulement vrai, mais forcément admirable. Que cela exista en tant que livres suffisait selon moi à faire autorité, à ne pouvoir être mis en doute ou contredit, constituait la meilleure garantie de perfection et d’authenticité ( Ivi, pp. 174-175).
Le pas suivant, pour l’adolescent sera de se convaincre qu’il pourra faire mieux, en écrivant lui-même ses romans.
La quête des chercheurs en « profondeur », qui n’excluent pas une double identité avec les précédents, est plus complexe. Si la première se superpose à celle-ci, elle se trouve néanmoins clairement mise métaphoriquement en lumière dans Désert Physique et dans Le Livre des Malédictions – deux textes, dans lesquels les narrateurs racontent leurs histoires à la première personne.
S’il est vrai que le déplacement physique est une caractéristique de la « quête » depuis son invention dans le roman courtois, il suffit de feuilleter les pages des romans de Nadaud, pour voir combien ses personnages vont d’un lieu à l’autre. Cette errance a pour origine la recherche d’une réponse à des questions obsédantes diverses qui semblent harceler, d’un roman à l’autre, ces personnages. Ainsi, dans le roman le plus complexe du point de vue structural, Auguste fulminant, trois personnages sont pris par le démon de l’errance en quête de connaissance : Virgile, qui se désespère de ne pas avoir atteint la vérité historique de ce qu’il a mis dans son poème ; le journaliste-narrateur qui est contraint de voyager d’un lieu à l’autre pour chercher à donner un sens aux événements dans lesquels il s’est empêtré à son corps défendant ; l’attaché culturel Virandes, obligé de quitter les lieux où il est censé avoir mal exécuté son mandat professionnel et qui se demande quel sera son destin. Le poète Galba est lui aussi contraint à faire un long et aventureux voyage par mer, poussé par la nécessité d’un côté, et par l’ambition de l’autre, à la recherche des faits qu’il va chanter dans son épopée à contre-courant. Et nous trouvons encore Julius Marcellus, le plus désemparé de tous, pris dans le tourbillon d’un temps à l’envers et d’une recherche spirituelle qui le hante. Nul territoire ne donne un refuge final à ces chercheurs, condamnés, comme Enée, à errer d’une terre à l’autre pour trouver un asile.
La quête de Julius Marcellus est la plus tragique, puisqu’elle s’effectue dans la confusion d’esprit la plus obscure et qu’elle aboutit au désespoir.
Le chapitre IV de L'Envers du temps est essentiel pour la compréhension du texte. Dans son premier départ vers Rome Julius avait constaté que des vestiges étranges jonchaient le sol: ils avaient marché longtemps sur
une large route ... séparée en deux voies bien distinctes ... par une étroite bande de broussailles ( pp. 37-38).
De plus, les pas des soldats sur la neige soulevaient sous leurs semelles des morceaux d'une sorte de gravier compact. La voie s'était aussi interrompue abruptement sur un précipice, où gisaient d'étranges colonnes cassées, d'où sortaient des armatures de fer rouillées. C'est au chapitre IV que Julius Marcellus prend conscience que quelque chose ne fonctionne pas dans le flux du temps.
J'eus beaucoup de mal à me situer correctement dans l'espace et le temps (p. 50). ... Quelque chose d’innommable […] affectait le cours du temps (p. 77).
Blessé dans l'embuscade, où il croit avoir perdu les manuscrits, il est emporté par les Gaulois dans un bâtiment inhabituel. Il sent de plus en plus une attraction envers ces peuplades hirsutes, "la Gaule chevelue", et comprend qu'il est lui-même un gaulois. Les chapitres Ve et VIe sont des charnières pour comprendre le sens caché de la narration. Tiré de sa cellule, soigné et habillé à la gauloise, on lui rappelle qu'il est éduen et qu'il a fait de bonnes études à Autun ; il apprend aussi que les manuscrits ont été pris par les Gaulois, afin de reconstruire leur histoire ancestrale : le plus ancien de ces textes, vieux et tombant en poussière, remonte aux temps des carolingiens, des adorateurs de la Croix. Devenu druide, Julius rencontre un personnage qui devient essentiel pour lui (ainsi que pour la compréhension de l'histoire qui va suivre) : le chef des druides Diviacos. La rencontre se fait dans la salle d'un vieux bâtiment, que le lecteur comprend être un château médiéval en ruines. Le vieux druide a compris lui aussi que le temps s'est mis à marcher à reculons.
La conversation avec Diviacos instille en Julius Marcellus de nouvelles inquiétudes, puisqu'il comprend que le chef des druides lui-même ne connaît pas la réponse à la question qui les tourmente tous deux. Cette mystérieuse société secrète qui agit à Rome aurait-elle le savoir qui échappe aux druides ? Outre le sentiment de méfiance sur la fiabilité des textes et l'illusion de la vérité historique, le dialogue entre les deux s’oriente alors vers l’angoisse que provoque en eux le changement du temps, le « manque » que provoque un bouleversement mystérieux ayant eu lieu « dans le passé », dans les certitudes jusqu’alors inébranlables (le « passé » est, évidemment, notre époque actuelle). Ce bouleversement a fait que
… l'aptitude que chacun avait encore conservée jusqu'ici à pouvoir regarder la réalité en face en eût été à ce point paralysée et obscurcie qu'il ne subsisterait plus dès lors, de l'histoire de ce temps, qu'une vaste étendue de silence, sans relief et bientôt désertée. [...] quiconque aurait pu avoir quelque velléité à se rappeler tel ou tel aspect de ce qui venait d'avoir lieu en aurait aussitôt été repoussé et tenu à distance ( Ivi, p.140).
Dans cette course à l’oubli, où la mémoire n’était qu’occasion pour revivre l’effroi, l’écrivain qui la garderait est vu comme l’ennemi à exiler. Dans Auguste fulminant, le narrateur sera en effet envoyé en exil !
La question qui harcèle maintenant Julius c’est de savoir s’il doit lui aussi abandonner sa quête ou s’il doit continuer à chercher, sans savoir quoi et sans savoir où. Au chapitre VII, Diviacos ordonne à Julius Marcellus de continuer son voyage et de chercher dans les bibliothèques de Rome la réponse au malaise qui vient de l'irrationalité des événements devenus incompréhensibles. Le narrateur est maintenant vidé de toute son énergie, il se demande si cela vaut la peine de se "ruiner l'esprit" ( Ivi, p. 147) ou s'il vaut mieux se laisser aller à une vacuité de la pensée. Mais enfin il se laisse convaincre et sous le nom emprunté de Marcus Publius, il part pour Rome en escortant le chariot de manuscrits. Un renvoi au chapitre où nous avons traité du malaise et de l’attachement est ici obligatoire pour comprendre le sens du dilemme qui tourmente Julius : la méfiance vis à vis des témoignages du passé contraste avec l’attachement presque physique aux ouvrages qu’il escorte et dont il semble être responsable, au prix même de sa vie.
La métaphore insiste sur les difficultés du parcours. Loin des routes sûres à travers des villages protégés par des hameaux rassurants, les voyageurs empruntent une autre route, une voie directe que certains des serviteurs hésitent à prendre, une route désertée, sillonnée de malfaiteurs, sans abris sinon quelque vieille auberge désaffectée. Pourtant ils s'y engagent et une tempête de vent les force à s'arrêter dans un bâtiment en ruines où ils sont rejoints par une ambassade de Bretons qui se rendent eux aussi à Rome. Les premières hostilités apaisées, ils décident de continuer le voyage ensemble, mais les Bretons se dirigent vers l'est, en pensant traverser les Alpes. Le convoi avance avec difficulté, suivi de meutes de loups affamés et d'animaux sauvages de plus en plus nombreux. Finalement ils arrivent en vue des montagnes enneigées. On cherche et trouve des guides pour la traversée, mais les montagnards déconseillent de passer par les chemins de montagne. Ils leur confient qu'il existe un certain "passage" souterrain, des cavernes permettant de déboucher sur le versant opposé des Alpes (c’est, évidemment, le tunnel du Mont Blanc, à demi éboulé). Ils s'y engagent. La description de la traversée est angoissante et elle apparaît comme une métaphore de la régression ( Ivi, p. 167).
Malgré les difficultés de la traversée et le découragement qui étreint Julius Marcellus, le voyage continue, puisque avec la mort de Diviacos, désormais vieux, la perte des manuscrits signifierait la disparition de tout espoir de connaissance. Marcellus éprouve dès lors la sensation d'être anachronique :
... je me considérais, non sans une certaine pointe de dérision, comme anachronique. Je ne me sentais pas précisément de mon temps [...] J'avais la conscience que la réalité que je vivais [...], au jour le jour plus restrictive et étriquée, n'était en rien en mesure des extrêmes auxquels ma pensée, avec tout ce qu'elle comportait de réminiscences, de superpositions, d'enchevêtrements de civilisations disparues, aurait eu l'audace de supporter; et, bien qu'investi par cette vision du monde [...] je devais rester sur la défensive et veiller à ne point me laisser gagner par cette infime et perpétuelle tendance à la rétraction de mes facultés mentales à laquelle cette même époque essayait justement de me réduire. ( Ivi, p.169)
La « quête » devient donc un impératif pour ne pas sombrer dans la dépression1, même si l’objectif ultime n’en est pas encore défini. L’expédition arrive à Rome, et le temps a à nouveau régressé. «Auguste venait de succéder à Tibère» ( p. 172). Julius cherche à comprendre où sont finis les manuscrits qu'il a apportés. Il visite les bibliothèques et s'aperçoit du désintérêt total envers les livres et même de la méfiance des bibliothécaires. Il découvre des livres de mathématiques, de géographie et de poésie qui lui sont vite ôtés. Le jour suivant il constate que les rayons ont été dévastés et les manuscrits détruits. Découragé, il se laisse aller à l’air du temps, écrit un poème, qui fait naître des soupçons sur lui comme s'il était un opposant à l'empereur. On l'arrête, on le jette dans un cachot, où il se trouve en compagnie d'un certain Simon qui se fait appeler Pierre. Il vient de savoir qu'en Palestine un homme a paru qui se fait nommer Christ. Grand émoi de Julius aux discours que Simon lui fait sur cet homme : aurait-il trouvé la réponse au malaise qui l'a tourmenté jusqu'alors et auquel la lecture des manuscrits n'a pas été le remède ?
…je crus [...] me rappeler que cet homme avait été mis à mort pour des raisons qui m'ont toujours échappé, mais dont l'une d'elles cependant avait retenu mon attention par son énormité, puisqu'on disait qu'il aurait accepté le sacrifice de sa personne à seule fin de racheter une faute qui aurait été commise aux origines de l'humanité [...]. Jusqu’à ce jour, nous avions fait fausse route, cherchant dans les livres l'introuvable certitude, alors que c'était la réalité même qu’il s'agissait d'interroger. ( Ivi, pp.212-213)
On les fait évader et Pierre s'embarque pour la Galilée en disant à Julius de le rejoindre. Celui-ci retourne d'abord en Gaule chercher Diviacos, mais ce dernier est mort et sa bibliothèque n'existe plus. Il apprend là que le temps a commencé à partir d'un certain Jésus-Christ et qu'il faut partir le chercher. Il s'embarque donc à Massilia débarque à Tyr, et s'étonne que personne ne sache rien de ce Jésus-Christ. Il se dirige vers Jérusalem où les gens rient de lui. Arrivé à Jérusalem il trouve la route d'entrée à la ville jonchée de fleurs et de branches de palmiers. Logé dans une modeste demeure, il prend contact avec un interprète qui lui promet de trouver cet homme qui se propose de devenir le roi des Juifs et de chasser les Romains de Palestine. Un jour, au sortir d'une taverne, il voit une femme qui se met à le suivre jusqu'à chez lui.
Ici se place une scène de séduction et d'attraction réciproques. Julius est poussé par un désir impossible de la posséder toute entière, mais dans l'acte même de l'amour quelque chose d'elle se dérobe à lui. Il se demande d'où lui vient cette étrange communion avec cette femme, cette intimité que
...plus aucune pudeur ne séparait [...]. Qu'est-ce qui avait ainsi basculé au point que plus rien de l'autre ne nous était ignoré et que, presque à ce moment, nous aurions pu croire être le même ? ( Ivi, p.247)
Et il se demande encore si cette connaissance intime était la réponse à ses questions et si c'est cela qu'il était allé chercher "depuis les rivages de la plus lointaine Bretagne" ( Ivi, p. 248). Mais la réponse est encore une fois niée, puisque, finalement, le moment de la suprême jouissance passé, la femme lui restait encore une fois lointaine
... ce sexe était bien ainsi, à l'image de l'impasse où je me débattais moi-même, sorte d'absence faite obstacle, vide fait chair [...], le terme de ma propre régression, toute l'histoire de l'univers me paraissait devoir remonter elle aussi jusqu'à cette origine, l'inévitable matrice du temps (Ivi, p. 249).
Diviacos avait donc su choisir son disciple : celui qui aurait su aller jusqu'au bout de la jouissance, aurait aussi su continuer la recherche sur la question des origines.
D'un coup, des bruits réveillent les amants : c'est celui de la foule qui suit la mise à mort du Christ. Julius se jette dans la rue pour rejoindre le lieu de l'exécution, et il arrive après maintes errances dans le dédale des rues, dans des emplacements où gisent d'étranges machines de fer, "des engins de guerre rouillés et à-demi enfuis dans la terre" ( Ivi, p.254), à cette "minable colline [...] c'était donc ça le Golgotha? "( Ivi, p. 255). Trois croix mal équarries d'où pendent "trois pauvres bougres" (ibidem): il voit autour d'eux quelques femmes, peut-être entrevoit-il le visage de Pierre qui s'enfuit...
Julius remarque un groupe de gens à l'écart qui semblent étrangers – peut-être des chercheurs comme lui –, qui discutent et semblent déçus de l'événement: y aurait-il un miracle ? Cet homme est-il vraiment un dieu ? Tout semble se passer comme avaient témoigné les textes anciens, des ténèbres entourant les personnages présents. Certains paraissent satisfaits: un Scythe dit qu'il a eu le témoignage qu'il cherchait et qu'il repart chez lui porter la bonne nouvelle. Des commentaires se croisent. Un vieillard suppose que Dieu a inversé le temps, ou que l'humanité entière a suscité son propre châtiment pour avoir voulu se rendre maître du temps : c'est pourquoi il faudrait croire, car le péché contre le Saint-Esprit, le rejet hors du Paradis est devant l'humanité. Julius prend la parole et dit que le Christ n'est qu'un simulacre, que Dieu a quitté la terre et qu'il a laissé l'humanité à elle-même. C'est à ce moment là que le Christ lance son dernier appel à son Père et meurt. Le ciel s'ouvre pour faire voir l'éclipse du soleil, la terre se glace.
Tous se séparent, remplis de crainte. Julius entreprend la descente du Golgotha, dans le désespoir : il est convaincu que l'humanité est perdue. Ainsi, dans L’Envers du Temps, cette remontée en arrière dans le temps linéaire où se perfectionne l’écriture aurait peut-être pu donner une réponse venant du coté de la Foi. Mais il n’en est rien : quand à Julius, il ne lui reste qu’à envisager sa propre mort !
Les recherches « verticales » ne sont pas moins effectuées sous le signe de l’errance, de l’Irak au Sinaï, les chercheurs se déplacent, d’autres encore cherchent les chercheurs !
La question que se pose maintenant le critique, est de voir si ces « quêtes » diverses – sur lesquelles nous allons revenir dans les chapitres suivants pour pénétrer toute la richesse de l’écriture de Nadaud – peuvent être ramenées à une question obsessionnelle, unique et primordiale. L’auteur nous vient ici en aide, dans Architexture, pour nous tirer d’embarras et nous offrir sa réponse personnelle, que nous prenons comme la plus fiable parmi toutes les hypothèses qu’un lecteur pourrait faire. Si l’errance se rapporte à l’état de confusion que le manque de réponse à la question produit, le chercheur a pourtant, à l’occasion, une chance de satisfaire son inquiétude, occasions exceptionnelles, dues au hasard plutôt qu’à la méthode, à l’entêtement plutôt qu’à la recherche systématique. C’est le moment où l’archéologue-narrateur de Désert physique trouve un cercle de pierres noires, vestiges d’un culte matriarcal, qu’il enlève avec violence du sol. C’est aussi la découverte que fait Tracher des lettres de l’alphabet donné par Yahvé lui-même qui vont se substituer aux images, les hiéroglyphes laissés en Égypte au moment de l’abandon des vieilles divinités matriarcales, dans Le Livre des Malédictions. Dans Mémoire d’Érostrate aussi, l’acte d’Érostrate tend à détruire la mémoire de la divinité qui symbolise le domaine de la procréation partant de la mère. Nadaud lui-même, suggère de lire dans ces épisodes le refus de la figure maternelle, sa destruction ultime, afin d’accéder à l’exercice de la seule action qui assure la stabilité : l’écriture. Dans Les années mortes, le jeune Alain ira jusqu’à braver des habitudes presque sacralisées en se refusant de présenter l’hommage conventionnel et pathétique que ses parents attendent de lui le jour de la fête des mères. Son refus sera vu par ses proches et par ses maîtres comme un acte de profanation, digne des pires punitions.
Ces tentatives de libération, dans les romans, sont pourtant vouées à l’échec puisque l’archéologue doit abandonner ses recherches avant de les mener à terme et il risque même de ne plus revenir du site de ses fouilles, emporté comme il l’est par la violence de la guerre. De même Tracher, aussi bien que le poète Publius Galba, auront une fin misérable, l’un sombrant dans la folie, l’autre tué par la main même du simulacre de la déesse dont il avait profané le temple et le culte.
Il est trop facile, à ce point, de mener notre analyse en proposant une continuité qui lie le sens que nous pensons avoir donné à l’errance au motif récurrent de la persécution, qui perce en filigrane dans le tissu des narrations. Aussi n’irons-nous pas chercher dans les deux éléments un rapport de cause à effet. Nous allons nous limiter à en mettre en relief les apparitions. Nous allons aussi esquisser, dans les comportements occasionnels de certains des personnages, l’image du « mal-aimant ».
Le sentiment de la persécution vient à la surface à plusieurs occasions, surtout quand le personnage est forcé de quitter son pays. Quoi qu’il en soit, deux personnages au moins déclarent explicitement cet état d’âme qui les afflige : le détective du Livre des malédictions et l’attaché culturel d’Auguste fulminant. Le premier, contraint à suivre les traces du paléographe disparu en Israël, se plaint constamment d’une charge qu’il n’a pas demandée à avoir. Virandes est encore plus direct quand il déclare qu’on l’a volontairement destitué de son emploi. L’inquiétude qui frappe constamment les personnages des romans de Nadaud se double donc, pour certains, d’un sentiment de persécution, qui conduit, à l’occasion, à renforcer ce manque2. Le manque obsédant, dont la « quête » constante est le résultat, pourrait-il être comblé par une substitution ? La femme pourrait-elle être l’objet de l’apaisement, la réponse aux questions confuses qui oppriment l’errant ? C’est la question que se pose catégoriquement Julius Marcellus, après sa nuit avec cette femme, qui semble tout à fait être Marie Madeleine. C’est aussi la réponse négative qui est donnée par l’épistolier à la dame à laquelle il raconte son « aventure sentimentale », c’est l’indifférence finale de l’archéologue pour le sort de Leïla, c’est le cynisme de René Teucère et la tiède timidité de David Tracher, qui abandonnent l’amour pour leurs obsessions.
Nadaud, heureusement pour nous, n’a pas encore écrit le dernier mot de son œuvre ! De la part d’un auteur qui poursuit une recherche à l’intérieur de l’homme, peut-être une réponse venant des profondeurs de l’être spirituel viendra-t-elle mettre fin à l’errance de ses personnages.
Pour citer cet article :
Rosa Galli Pellegrini, " Le chercheur et ses quêtes", Publif@rum, s2, 2005
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