LES HISTOIRES ET LEURS FORMES

1. Résumés et structures

Table des matières

Les Années mortes, Paris, Grasset, 2004

Il s’agit une « autobiographie » qui évoque les années de l’adolescence de l’auteur passées dans un collège. Au fil des pages, entré enfant dans les petites classes il arrive adolescent au baccalauréat, en supportant les vexations des maîtres, les misères de la vie en commun dans le bâtiment hostile, se forgeant un caractère. Ce chemin de croix du pensionnaire le porte toutefois à une grande découverte : sa vocation d’écrivain, le chemin de sa libération intérieure.

Ce livre ne porte pas d’indication de genre. Sur la IVe de couverture il est présenté comme un « récit autobiographique ». Pourtant sa structure composite n’a aucune analogie avec l’autobiographie canonique, simple récit des événements du passé. Ici, l’épigraphe liminaire, tirée de Contre Saint-Beuve de Proust, évoque le procédé narratif sur lequel se base la structure du livre :

En réalité, comme il arrive pour les âmes des trépassés dans certaines légendes populaires, chaque heure de notre vie, aussitôt morte, s’incarne et se cache en quelque objet matériel. Elle y reste captive, à jamais captive, à moins que nous rencontrions l’objet. A travers lui nous la reconnaissons, nous l’appelons, et elle est délivrée.

S’appuyant à cette citation, le livre est divisé en récits de huit « jours », précédés chacun d’un « inventaire », une valise, un porte-plume, une blouse grise, une boîte en fer, une paire de chaussons, un porte-monnaie, un costume bleu marine et un cartable en cuir. L’épilogue est concentré dans une courte parenthèse en italiques qui clôture le livre.

Archéologie du zéro, Paris, Denoël, 1984

Un professeur français enseignant à l'université d'Alexandrie en Egypte vient à faire une découverte sensationnelle : l'existence d'une nécropole où il trouve une urne qui contient des documents très anciens concernant l'histoire des "Adorateurs du Zéro". Les ayant mis en ordre, il y découvre une vie de Pythagore et l'histoire, au long des siècles, de ses disciples, – les néo-pythagoriciens –, jusqu'à leur extinction au VIIe siècle en Alexandrie, de l'œuvre des moines chrétiens qui les voyaient comme des païens dangereux, opposés à la Foi. Archéologie du zéro a comme sous-titre la définition de roman et son péritexte se limite à la IVe de couverture où sont donnés un résumé de l'histoire et des indications sur l'auteur. Une citation tirée de Théocritias d'Apamée : "Le zéro touche à l'Être car c’est justement l'absence" suivie d’une deuxième, tirée de Barthes: " Comment le négatif peut-il produire un signe, le néant se signifier?" sont mises en exergue. Suit une page liminaire qui nous montre les dix chiffres au cours des siècles, depuis la graphie indienne, jusqu'à la graphie carolingienne.

L'incipit commence en une Introduction qui ouvre la narration, où il est question de l'histoire de la découverte du passage souterrain dans la maison d'un professeur égyptien, ami du narrateur, qui porte les deux chercheurs jusque dans la dernière salle d'une nécropole cachée où seront retrouvés des manuscrits, conservés dans un rouleau étanche, enfouis dans l'urne miraculeusement sauvée. La salle porte les signes d'une destruction sauvage. À partir de là commence l'histoire, documentée par la publication des manuscrits, rangés par ordre chronologique par les soins des deux savants. Chaque document , numéroté, est précédé par un commentaire en italique, donnant des références sur sa provenance hypothétique. Dans le cours de la publication, une mésentente sépare les deux chercheurs et le soin de la publication des documents semble retomber sur le seul narrateur. Les documents une fois transcrits, l'auteur se garde de commenter ses découvertes. Pourtant, c'est le dernier document qui donne la clé de lecture de toute l'œuvre. Ce rôle est réservé au témoignage du dernier survivant de la secte des Adorateurs du Zéro, qui, juste avant sa mort, réussit à le cacher dans l'urne.

Auguste fulminant, Paris, Grasset, 1997

À la demande d'un certain René Teucère, archéologue résidant à Rome au début du récit, le narrateur, un modeste journaliste, est envoyé en Tunisie par son rédacteur en chef pour réaliser un reportage sur un musée nouvellement aménagé à Pleggah qui semblerait avoir subi un incendie suspect. Selon Teucère, dans cette histoire, il y aurait complicité de l'attaché culturel à Tunis, Gilles Virandes. De plus, Teucère demande au journaliste de lui rapporter un certain manuscrit qu'il dit lui avoir été volé avant son départ pour Rome. Nanti de ces renseignements, le narrateur part pour sa destination. Dans le dédale des didascalies qui expliquent les différentes salles du musée, par la connaissance d'une correspondance inédite entre les premiers éditeurs de l'Énéide, Varius Rufus et Plotius Tucca, par les enregistrements effectués par Virandes et dans ses déboires personnels, le narrateur prend part à un jeu mortel mené par les deux français, à cause d'un lien qui unit mystérieusement l'histoire de la publication du poème latin, l'incendie du musée, et la mort d'une archéologue, Anne Sidonis. Finalement, René Teucère rentré en Europe et l'attaché culturel mort dans sa résidence en Grèce, le narrateur, sans savoir pour quelle raison, se trouve être envoyé par sa rédaction en Roumanie, à l’endroit même qui avait hébergé Ovide lors de son exil.

Le livre est présenté comme un roman et porte, en IVe de couverture, une courte note où il est surtout question du voyage hypothétique de Virgile à Carthage et de sa mort suspecte. Un commentaire final oriente le lecteur vers le sens du texte comme étant une méditation sur les rapports entre l’art et le pouvoir. Deux citations en épigraphe : l’une tirée des Confessions de Saint-Augustin : « Car si je leur demandais : – Est-ce vrai ce que dit le poète, qu’Énée soit venu jadis à Carthage ? les moins doctes répondraient qu’ils l’ignorent, et les plus doctes que ce n’est pas vrai. » ; l’autre est de Pierre Grimal dans Virgile ou la seconde naissance de Rome : « Ce que nous croyons savoir de la vie de Virgile est le résultat d’une reconstruction, semblable à celle que tentent les archéologues mis en présence de fragments ou de vestiges lacunaires ».

Un Premier avertissement ouvre le roman et un Dernier avertissement le clôture, tous deux attribuables au narrateur. Entre ceux-ci, les deux Parties du roman, pour un ensemble de huit chapitres, qui démarrent de chacune des huit « vitrines » du Musée de Pleggah. Chaque chapitre s’ouvre avec la description de la salle hypothétique où l’on se trouve, suivie d’une lettre et de sa réponse entre Rufus et Tucca, et d’un Entretien enregistré.

Désert Physique, Paris, Denoël, 1987

Le narrateur, un archéologue, arrive en Iraq pour poursuivre des fouilles dans la région du Bas-Samrud à Tello-Bahrain près de Bassora, avec son collègue Sébastien Derain, à la recherche des traces de la plus vieille civilisation du lieu, les Barchaï. Puisqu'une guerre est annoncée d'un jour à l'autre, l'expédition se prépare avec mille difficultés et les autorités exigent qu'elle soit accompagnée par un inspecteur local. La troupe arrive enfin sur les lieux : un jeune chercheur, un cuisinier, les deux archéologues et l'inspecteur s'installent, embauchent des ouvriers et les fouilles commencent. Le narrateur, quant à lui, est persuadé qu'on est sur le lieu de la plus ancienne bibliothèque, la mythique bibliothèque de l'empire barchaï, où serait conservée la naissance de l'écriture. Plusieurs indices le confortent dans cette idée, mais chaque tentative de fouilles dans cette direction est pourtant contrariée aussi bien de la part du collègue archéologue que de l'inspecteur. Une fête religieuse interrompt les travaux : les deux français sont invités par les ouvriers à profiter de cette trêve pour visiter la région des marécages, dans le delta du fleuve. Pendant ce séjour, au cours d’une traversée, la barque où le narrateur se trouve avec son hôte Rachid et sa sœur Leïla chavire et le jeune archéologue sauve la jeune fille de la noyade au risque de sa propre vie. Mais la famille ne lui en sait pas gré, puisque le fait a déshonoré la jeune fille qui s'est trouvée nue dans les bras de l'occidental. Rentré au campement, le narrateur est alerté, une nuit, par une voix qui l'appelle : c'est Leïla qui est venue le chercher. Ils vivent ensemble une courte aventure amoureuse, mais la chose vient à être connue et la jeune fille doit partir chez son oncle pour ne pas être bannie de sa famille. Pendant son voyage, son frère Rachid l'égorge pour effacer la honte dont la famille a été tachée. De plus, une expédition d'hommes armés assaille le campement et blesse à mort Sébastien Derain à la place du narrateur. Le malheureux va mourir de tétanos à la suite de sa blessure. Le narrateur continue seul les fouilles et découvre par hasard les traces d'une population encore plus ancienne que celle des Barchaïs : celles d'une civilisation matriarcale probablement soumise par les derniers arrivants. Le narrateur détruit ces restes dans un accès de fureur. Plusieurs événements rendent de plus en plus difficile la vie du narrateur, qui est aussi surveillé par la police, jusqu'au moment où les pluies de décembre annoncent la fin obligatoire des travaux. Sur ces entrefaites, la guerre a éclaté, des soldats arrivent aux ordres d'un officier qui réquisitionnent le campement à la grande satisfaction de l'inspecteur local, qui avait toujours manifesté son déplaisir de voir des archéologues sur ces lieux. Mais le tout dernier jour, dans une plaine voisine qui n'avais jamais été considérée comme un lieu digne de recherche, le narrateur découvre des tablettes gravées délavées par la pluie torrentielle qui lui prouvent l'existence de la bibliothèque ensevelie. Il soupçonne l'inspecteur de l'avoir détourné volontairement de cette découverte, il arrive même au seuil du crime, mais il est arrêté à temps par l'officier. Il comprend qu'il n'a d'autre ressource que de quitter les lieux, sachant que le travail de recherche, les fouilles et ce qui a été découvert seront ruinés par les désastres de la guerre. Pendant qu'il se sauve, il échappe miraculeusement à la mort en se jetant in extremis hors de sa Land Rover, visée par un projectile qui la fait sauter en l'air.

Désert Physique, roman, inaugure une nouvelle expérimentation narrative : une histoire narrée à partir d’une sorte de journal, ou de notes, tenu par le narrateur anonyme. Une citation des Chants de Maldoror de Lautréamont se trouve en épigraphe, « Non... ne conduisons pas plus profondément la meute hagarde des pioches et des fouilles...». Ce journal est mis à jour de temps à autre, selon le temps dont le narrateur dispose. Il commence à la descente d’avion dans la capitale du pays où il doit effectuer des fouilles, le 4 septembre d'une année non définie. Il se termine le 16 décembre de la même année, quand le narrateur est obligé de quitter les lieux. Par la citation des lieux Tallo et Bassor, l'histoire se passerait en Irak. Le journal est divisé en sept parties, dont la fonction échappe au lecteur, pour l'instant, puisqu'elles ne correspondent à aucune division rationnelle de la narration.

Il s’agit d’une structure simple, assez banale, dirait-on, et la narration elle-même est assez déséquilibrée, les annotations des préparatifs pour les permis, le voyage, l'installation du chantier, etc., prenant une place trop vaste par rapport à l'histoire. Il est vrai qu’au début du journal le narrateur déclare vouloir tenir un journal technique du déroulement des travaux de fouilles. De même que dans les ouvrages précédents, le roman présente un intérêt remarquable sur le plan de la description.

L'Envers du temps, Paris, Denoël, 1985

Julius Marcellus, un officier romain en Gaule, chargé de convoyer à Rome des chariots pleins de manuscrits "anciens" trouvés dans le pays afin de les sauver de leur destruction, se rend compte que le cours du temps a subi quelque anomalie. En effet, au fil de l'histoire nous le voyons vivre à rebours dans le temps. Saisi par des gaulois en révolte, il est conduit chez le chef des druides qui lui fait part de son malaise - partagé du reste par Julius -, lui venant de la prise de conscience d'une époque révolue, où les "ancêtres" s’étaient crus des dieux et avaient bouleversé le cours de la nature. Poussé à en savoir plus, Julius, qui a renoué avec ses origines gauloises et qui est devenu druide, se plonge dans la lecture des manuscrits, dont certains sont indéchiffrables, écrits sur des feuilles inhabituelles en caractères menus et pareils, ornés, certains, de dessins d'objets jamais vus. Suffisamment érudit dans ces domaines, Julius repart pour Rome avec ses manuscrits pour chercher une réponse aux questions qui le harcèlent et qu'il partage avec le vieux druide, à la recherche de l'origine du temps et des choses. Arrivé à Rome, il est pris et enfermés dans un cachot qu'il partage avec un certain Simon, dit Pierre, qui le renseigne sur une nouvelle qui vient de Jérusalem : la présence et l'enseignement d'un homme qui se dit le fils de Dieu. Les deux prisonniers réussissent à s’évader, Pierre part pour la Palestine et Julius, ayant fait un détour pour ramener ses précieux manuscrits en Gaule, part lui aussi pour la Palestine, curieux de savoir si la réponse à son désarroi lui sera enfin donnée. Arrivé dans en Terre Sainte, il trouve une femme qui le suit jusqu'à chez lui, avec laquelle il a une intense relation d'amour. Il croit que la réponse lui sera donnée par cette rencontre, mais il n'en est rien. Entre-temps, trois hommes sont crucifiés : celui qui est cloué à la croix du milieu semble être le Christ dont Julius a entendu parler. La crucifixion terminée, un petit groupe d'hommes, des étrangers comme lui, commentent l'événement et tâchent de comprendre de quoi il s'agit, si il y a supercherie, ou si vraiment l'homme crucifié est le fils de Dieu. Certains, comme un Scythe qui s'en va donner la bonne nouvelle dans son pays, trouvent la foi. Julius Marcellus, quant à lui, ne trouve pas de réponse à ses questions, tout en comprenant que le temps va désormais reprendre son cours naturel; seul et désespéré, il marche dans la rue, sa hache à deux tranchants liée à son poignet, en pensant au moment où il va l'appuyer sur sa gorge.

Dans L'Envers du temps, défini comme un roman, la IVe de couverture donne un petit résumé où paraît une définition de l'œuvre comme "roman d'aventures métaphysique". Suit une biographie de l'auteur. En épigraphe, on trouve deux citations : une de Jorge Louis Borges: « Une de ces ténèbres, parmi les plus obscures, est celle qui nous empêche de préciser la direction du temps. La croyance commune veut qu'il s'écoule du passé vers l'avenir, mais la croyance contraire n'est pas illogique. ( Histoire de l'Éternité) », l'autre de Cioran : « Je me traîne en arrière, je rétrograde de plus en plus vers je ne sais quel commencement, je passe d'origine en origine. Un jour, peut-être, réussirai-je à atteindre l'origine même, pour m'y reposer, ou m'y effondrer. (De l'inconvénient d'être né) ».

La structure est simple : il s’agit de neuf chapitres numérotés en chiffres romains, de longueurs différentes, sans index. L'incipit est double : le premier chapitre, très court, est une sorte de préface concernant la qualité de l'écriture qui conte l'aventure personnelle du narrateur, dont on ne connaît aucun développement. Il est aussi question de son statut d'écrivain. La dernière phrase, mystérieuse, semble se référer à une circonstance ignorée, où le goût et l'usage même de l'écriture auraient été abolis. Le véritable incipit, où l'histoire commence, prend place au deuxième chapitre.

La Fonte des glaces, Paris, Grasset, 2000

À la mort de sa grand-mère Catherine Thureau, son petit-fils trouve une lettre dans laquelle la vieille dame le prie de se rendre en Russie afin d’enquêter sur les vraies causes de la disparition de son mari, Xavier Thureau, dans les années 1937. Connaissant la langue et le pays, confiant dans la transparence promise par la Perestroïka, le narrateur prend en charge cette mission et commence ses recherches. Les documents des interrogatoires de police conservés à la Loubianka, les lettres et les conversations qu’il échange avec des personnes ayant connu son grand-père l’introduisent dans un monde de soupçons, de mensonges et de contradictions dans lequel il ne réussira pas à se démêler. Xavier Thureau était-il seulement un fonctionnaire d’ambassade, ou un espion au service de son pays, ou encore un agent double? L’histoire d’amour qu’il a eue avec l’artiste Evguenia Alexandrovna, fille d’un haut fonctionnaire du K.G.B. tombé à son tour en disgrâce, était-elle véritable ou bien agencée par les services secrets ? Evguenia l’a-t-elle finalement sauvé ou a-t-il fini par être déporté et par mourir en Sibérie ? Autant de questions qui restent sans réponses.

Dans l’édition « Livre de poche » de 2000, une insertion dans la page de garde donne une biographie de l’auteur, pendant que la IVe de couverture anticipe certaines attractions du texte avec un commentaire final où il est dit qu’Alain Nadaud « fait à nouveau vaciller l’histoire déjà fort incertaine de notre siècle ».

Mis à part l’avant-propos, le premier chapitre, À la Loubianka, et l’épilogue, où le narrateur prend la parole, le récit est présentée au lecteur à partir de documents qui se suivent dans les cinq parties du livre. Ces documents sont des protocoles d’interrogations et autres, qui sont censés être en partie conservés dans les archives du fameux édifice de la Loubianka, des articles de journaux et enfin des lettres du passé ou des témoignages écrits envoyés au narrateur. L’épilogue ferme le cercle de la narration avec le retour du narrateur à Dieppe dans la demeure de sa grand-mère, d’où il était parti pour commencer son enquête sur la mort de son grand-père.

Une citation tirée du procès à Boukharine de 1937 ouvre le roman :

Qu’y a-t-il de vrai, qu’y a-t-il de faux ? Peut-être tout est-il vrai ou tout est-il faux, ou bien y a-t-il une moitié de vérité ! […] Quelle proportion, quel poids de vérité y a-t-il ?

L'Iconoclaste, Paris, Quai Voltaire,1989

L’icône est thème et personnage central du roman, objet de culte ou d'exécration, selon les empereurs qui se succédèrent pendant la période des luttes iconoclastes. Le narrateur anonyme trouve dans une mansarde un exemplaire d’un texte inédit, écrit par Karl Baedeker, auteur d’un guide fameux de la ville de Constantinople. Ces notes seraient un itinéraire de visite de la ville, à partir des ruines des bâtiments qui furent les hauts lieux des empereurs de Byzance. Cet itinéraire est enrichi par des documents, chroniques, lettres et témoignages divers, qui racontent et commentent les étapes de la luttes entre iconoclastes et iconophiles aux VIIIe et IXe siècles.

L'Iconoclaste porte sur la page de couverture, l’indication du genre : roman ; à l’intérieur, sur le frontispice, un sous-titre, La querelle des Images. Byzance 725-843, précise de quoi il sera question dans le roman. Les IIe et IIIe de couverture donnent des clefs de lecture importantes qui invitent le lecteur à accueillir un pacte narratif précis. Enfin l’Avertissement liminaire est précédé d’une citation tirée de René Daumal dans Le Mont Analogue, « Un couteau n'est ni vrai ni faux, mais celui qui l'empoigne par la lame est dans l'erreur »

Le roman s'ouvre avec des complications ultérieures par rapport à la structure des premiers romans de Nadaud, ce qui ne fait qu'accroître le plaisir de la découverte progressive. L'auteur de l'Avertissement liminaire – qui aime se dire « éditeur » – explique comment il a mis la main sur certains papiers manuscrits inédits rédigés par le fameux Karl Baedeker, enfouis dans de vieilles malles dans une chambre de débarras. Il décrit sommairement les textes des dix-huit promenades à Constantinople et en Anatolie, proposées par l'auteur des fameux guides touristiques du milieu du XIXe siècle, ainsi que les documents annexes et les commentaires à ceux-ci faits par ce même Baedeker. Dans la Préface qui suit, attribuée à Baedeker, un deuxième pacte avec le lecteur est institué : l'auteur présumé déclare que son ouvrage est le fruit de ses observations personnelles sur la période historique qui constitue le thème des promenades, mais il avoue aussi qu'il a eu recours à son imagination là où le document lui a fait défaut. La structure du livre est maintenant établie : chaque promenade qui décrit un haut lieu digne d'être visité est suivie de documents liés à l'histoire de ce site, suivis, à leur tour, d'un commentaire du voyageur allemand. La visite des lieux est de nature thématique, le guide s'arrêtant aux vestiges des sites byzantins témoins des luttes iconoclastes qui ensanglantèrent l'empire byzantin entre le VIIe et le IXe siècles.

À cette déconstruction de la forme traditionnelle fait pendant, du moins en apparence, une structure rigidement agencée, puisque chacune des dix-huit promenades est systématiquement suivie de son annexe et du commentaire de l'auteur présumé du guide touristico-culturel. En apparence, ai-je dit, car le livre n’aboutit pas ! L'éditeur, – où le « traducteur », ainsi qu'il préfère se faire appeler – prend soin d'informer le lecteur que le commentaire numéro dix-huit reste en suspens et qu'il n'y aura pas de fin, puisque la date mise en marge correspond à la date même de la mort de Karl Baedeker. Le cercle formel de cette structure, si obstinément répétitive, reste donc ouvert. À moins que l'annexe dernière, qui consiste dans le plaidoyer d'un des plus acharnés iconoclastes, ne soit pas placée là seulement par hasard.

Avant le début du texte, une page de repères historiques donne la liste chronologique des événements qui se succédèrent entre 692-717, ( depuis la première période iconoclaste, commencée sous Léon l'Isaurien) et 842-856 ( la restauration définitive du culte des icônes sous l'impératrice Théodora. Dans le temps qui s'écoule entre ces deux dates, se place la première période iconoclaste, un intermède iconophile, une deuxième période iconoclaste, jusque au retour, enfin, à l'orthodoxie. Là aussi, le lecteur doit envisager le texte qui va suivre dans une optique temporelle cyclique de renversements et de reconstructions, de prises de positions théologiques et politiques qui se suivent et qui s'opposent l'une à l'autre (le texte instruira par la suite le lecteur sur les tenants et les aboutissants de l'histoire).

Une ultime réflexion nous conduit à nous interroger sur le titre : pourquoi l’iconoclaste ? Même si l’on s’en tient à la seule lecture de ce tableau historique, il s'agirait plutôt d'iconoclastes au pluriel, vu le nombre d'empereurs et de prélats qui soutinrent la destruction des images. Le sens profond du titre ne sera dévoilé qu’au moment de l’interprétation de la dernière annexe du roman.

Le Livre des malédictions, Paris, Grasset, 1995.

Le narrateur, un détective, est engagé par un certain Alexandre Krupsky pour qu'il suive sa femme : une simple filature, en apparence. À partir de là, il se verra mêlé à une histoire qui devient de plus en plus compliquée. Il se présente à l'Institut de Paléographie où travaille Olga Krupsky, l'assistante de David Tracher, un paléographe qui voyage on ne sait où au Proche-Orient, probablement à Jérusalem ou dans les alentours, à la recherche des premières Tables de la Loi dont il pense retrouver les restes au pieds du Sinaï. Le lecteur est renseigné sur les recherches de Tracher par la lecture d'un journal que le savant tient au fil des jours. Les choses se compliquent à cause d'un manuscrit que Tracher achète aux Bédouins des lieux, qui provient des fouilles de Qumran, dont le titre, Le Livre des Malédictions, fait penser qu'il s'agit d'un texte venant de la secte des Essènes, commentateurs hérétiques de la Bible. Tracher le rapporte en France clandestinement, aux dires d'Olga, et retourne à Jérusalem pour continuer ses recherches, convaincu, cette fois-ci, que les fragments des Tables de la Loi auraient une valeur inouïe comme étant de la main même de Dieu. Entre-temps éclate la guerre des six jours. Poursuivant sa mission visionnaire, Tracher, qui a encore découvert d'autres manuscrits et qui se convainc que Dieu existe parce qu'existe l'écriture donnée par lui, ira se perdre dans le désert du Qumran. Le détective-narrateur, quant à lui, après maintes aventures qui lui arrivent par ordre du Mossad, de Krupsky ou d'Olga elle-même, part à la recherche de Tracher. Il s'engage sur les mêmes routes que Tracher, en compagnie d'un diplomate hollandais, qui se dit ami de Tracher, mais qui se révèlera finalement peu fiable. Pris dans le vertige de la vision de Tracher, le narrateur finira par sombrer, lui aussi, dans un délire final.

Le Livre des malédictions, un roman, s’articule selon une structure complexe. La IVe de couverture annonce au lecteur, après un aperçu du sujet du texte, qu’il va se trouver devant une « aventure métaphysique », un « polar érudit ». Après l’incipit, le détective qui est chargé de la mission de retrouver le paléontologue David Tracher ne sait par où commencer:

Une unique certitude s’imposait à moi : il fallait que je me laisse porter par les événements ; d’un indice à l’autre, si je savais rester vigilant, les choses à force finiraient par s’éclaircir. […] ( p.13)

En fait, en ce qui concerne le sens, cette remarque vaut aussi pour le lecteur qui est engagé à suivre le fil des événements, en dehors du récit fait par le narrateur, en consultant des documents, en lisant le journal de Tracher et ses lettres, des publicités et des chroniques sur des pages de journaux.

La Mémoire d'Érostrate, Paris, Grasset 1992

Le poète Sextus Publius Galba se voit offrir une galère par l'empereur Gallien afin de repérer les traces de celui qui mit le feu au temple d'Artémis à Éphèse. Il s’embarque sur les côtes du Latium pour arriver jusqu’aux rivages de l'Anatolie, piloté par le capitaine Marcus Nerva. Le voyage par mer est plein de péripéties : ils combattent des pirates, esquivent des tempêtes, fuient la peste en Grèce et débarquent finalement à Éphèse tombée entre les mains des Goths. Le but du voyage est de visiter les lieux où le crime d'Érostrate fut commis, et, en bravant l'interdiction qui fut faite par les Éphésiens d'en nommer à jamais l'auteur, d’écrire un poème sur l'incendiaire. Cet ouvrage rendrait la renommée au héros qu’on ne doit pas nommer, ainsi qu'à son auteur, et, indirectement, au mécène, l'empereur Gallien. Le poète profite de cette traversée, dont il décrit les péripéties dans une sorte de journal de bord, pour réfléchir sur ce qui pousse l'homme à chercher l’immortalité par l'action ou par l'œuvre. Débarqué à Éphèse, Sextus Galba est pris par les Goths qui infestent les lieux et libéré par l'intervention d'Orphréia, une jeune Sarmate qui était esclave à bord de la galère. Divagant dans la campagne, fourbu des coups reçus, il revoit Orphréia nue, armée d'un arc et suivie de ses chiens. Il fait appel à elle pour qu'elle vienne à son secours, mais la jeune femme (ou est-ce Artémis en personne ?), se tourne vers lui, et, pleine de dédain, le vise et lui décoche une flèche en pleine poitrine.

La Mémoire d'Érostrate, sans indication de genre en couverture, se présente comme roman sur la page de titre. En IVe de couverture, on trouve une photo de l’auteur, une bio-bibliographie très sommaire, et un court résumé du texte ; en épigraphe, une phrase de Mallarmé "Tout homme est enfermé dans le cercle d'un mot: son nom".

Le texte est divisé en cinq Livres (de Liber Primus à Liber quintus) qui se divisent à leur tour en Chants, structurés de sorte que les descriptions (descriptio) alternent avec les méditations (meditatio) du narrateur, à leur tour suivies de scholies et de compilations historiques (scholies, compilatio) qu'on ne sait à qui attribuer, sinon à un chercheur anonyme. Les description concernent les événements de la navigation ; les méditations tournent autour du but du voyage (et du sens du livre) : à savoir, quel est le sentiment qui pousse l'homme à vouloir pérenniser son nom. Les scholies commentent les faits historiques liés aux temps du voyage tandis que les compilations rapportent les documents historiques qui parlent de l'incendie du temple d'Éphèse et nomment (ou passent sous silence) son incendiaire, Érostrate.

Une aventure sentimentale, Genève, éd .Verticales, 1999

L’épistolier-narrateur arrive, jeune homme, à Paris, dans les années de la Fronde. Fils d’un hobereau de province, capitaine de soudards nanti de peu de fortune au service des seigneurs, l’enfant avait été placé chez un parent, le comte de Blaye afin de tenir compagnie à son fils. Il grandit donc dans la demeure hospitalière du comte, éduqué sous la férule de l’abbé de Saint-Igny, précepteur des deux enfants. Et c’est là qu’un jour d’automne sa vocation d’écrivain lui est dévoilée. À la mort de son petit ami, l’adolescent est mis au séminaire et mène l’existence des jeunes gentilshommes privés de fortune. Il parfait ses études et il arrive à Paris d’abord, où il prend part aux troubles de la Fronde, sans trop en comprendre les vrais enjeux, mais en y soutenant l’esprit libertaire. Blessé au bras dans une émeute, il renonce à se donner à une « cause » dont il commence à percevoir les mécanismes troubles. Il vend ses livres pour partir en Orient, aux Indes d’abord et puis au Proche-Orient, peut-être jusqu’à Constantinople. Pendant tout ce temps, une seule passion l’anime, l’amour qu’il a voué à l’être qui lui est apparu depuis son enfance, l’écriture, sous l’aspect d’une maîtresse exigeante qui l’a envoûté pour toujours.

Une aventure sentimentale se développe comme une longue épître adressée à une certaine comtesse, Madame de la Chausseray. Sur le frontispice, apparaît l’indication du genre, roman ; sur la IVe de couverture, un commentaire au texte et une bio-bibliographie sommaire de l’auteur. Le texte est divisé en onze parties, sans index, procédé déjà inusuel dans une épître ; la deuxième anomalie est le manque de formules de congé et de la signature. Deux citations en épigraphe, l’une tirée du Francion de Charles Sorel :

 … il jura qu’il ne caresserait jamais d’autres filles que les Muses, qui pourtant nous déçoivent ordinairement, comme étant de ce sexe trompeur

l’autre de Jorge Luis Borges, tirée de la Préface aux œuvres complètes éditées dans la Pléiade : … car pour moi elle reste secrète et changeante.


Pour citer cet article :

Rosa Galli Pellegrini, "Résumés et structures", in Alain Nadaud: voyage au centre de l’écriture, l’écriture au centre du voyage, Publif@rum, Etudes, 2, 2005, URL : http://www.publifarum.farum.it/s/02/resumes.php

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