Présentation du numéro
À l’issue de la Journée de la francophonie organisée à Vérone en mars 2009, l’équipe de Publif@rum est heureuse de proposer un nouveau numéro de la collection « francophonieS », centré sur la bande dessinée, telle qu’elle se présente avec ses caractéristiques et spécificités dans l’espace francophone.
Face au développement considérable qu’a connu la BD dans les dernières décennies, nous avons souhaité nous interroger sur les phénomènes les plus intéressants tant au niveau des implications linguistiques que des thématiques et des sous-genres abordés dans les différentes régions de l’espace francophone. Ce numéro vise donc à explorer les interactions entre écriture littéraire et écriture graphique, entre formes et significations, prenant en compte les enjeux historiques, théoriques et idéologiques du neuvième art.
Une première section « Voix et images en miroir » met en regard les domaines italiens et français : la description de l’évolution de la BD franco-belge au niveau graphique et thématique et la mise en évidence des influences et différences existant entre les ouvrages français et italiens constituent le sujet de la contribution de Claudio Gallo, et côtoient un essai récent de traduction italienne, dans un cadre universitaire, d’une des séries les plus populaires des dernières années – Le Chat de Philippe Gelück –, pour mettre en relief au niveau linguistique, culturel, ludique et pragmatique les implications de la transposition de la vignette humoristique (Geneviève Henrot-Sostero).
À cette première section fait suite une deuxième partie qui analyse de façon plus spécifique des auteurs ou des ouvrages témoignant de multiples réalités socio-historiques et de différentes modalités créatrices. Erwin Déjasse retrace l’archéologie du genre à travers des textes fondateurs de l’étude de la relation entre texte et image, en explorant les possibilités multiples de synergie entre une forme et un message. Des techniques désormais assurées et multiples sont employées en revanche pour la transposition en BD d’œuvres du patrimoine littéraire français, dont Youmna Thomé étudie les différentes typologies de traduction intersémiotique par rapport aux sous-genres (théâtre, contes, fables, formes brèves, romans) pris en compte, et leur retombée herméneutique. La question de la destination finale, qu’elle soit didactique, littéraire, parodique ou poétique, se pose ainsi tant à partir de textes préexistants qu’au niveau de l’encodage des nouvelles créations. Sur le fond d’un aperçu diachronique sur les modalités de publication des ouvrages, en revue ou en album, Tanguy Dohollau inscrit son « roman graphique » Pas à Pas, en en expliquant la genèse, les intentions, et les procédés de création. Sur quoi, Brigitte Battel greffe son analyse éminemment narratologique, sans négliger toutefois les références littéraires, picturales, cinématographiques, anthropologiques et musicales, qui contribuent à une « plénitude émotionnelle » de l’image narrativisée. Encore une approche narratologique est au centre de l’article d’Elisa Bricco, qui analyse les stratégies de la construction de la narration monstrative et verbale de Magasin Général, une BD québécoise destinée à un public plus largement francophone auprès duquel s’effectue, ainsi que l’affirme Anna Giaufret, une opération de «marketing identitaire» en ce que la représentation écrite du français québécois parlé introduit fortement la question de l’identité linguistique. C’est par contre l’identité culturelle qui est au centre d’autres communications : si les vignettes de Pancho traduisent l’actualité et quelques traits culturels et identitaires de la Martinique, faisant apparaître les contradictions qui travaillent cette région métisse et métissée (Lydie Royer), des albums « historiques » ou « engagés » essaient de décrire la situation socio-politique existant au Maghreb – en Algérie surtout – et de retracer l’histoire récente d’après des codes, des techniques et des stratégies divers de ceux de la production franco-belge (Saâd-eddineFatmi).
Entre Belgique et Afrique, Tintin au Congo est l’archétype d’un parler « petit nègre » dont Alessandro Costantini retrouve les origines, variantes, modulations et statuts dans un vaste corpus d’albums qui arrive jusqu’à l’extrême contemporain. Ce qui débouche finalement sur une « poétique de la relation », comme il l’appelle, qu’on retrouvera également dans la dernière section, consacrée aux témoignages. Une même poétique et problématique des relations entre Nord et Sud, entre France et Afrique ressort en effet de la contribution de Christophe Ngalle Edimo qui, après un excursus historique sur la BD africaine, en particulier au Cameroun, retrace son aventure de scénariste de bande dessinée, discutant les grandes thématiques de la migration, du cadre de vie africain et des difficultés des immigrés en France.
Le tableau qui se dresse alors est une vision d’ensemble qui prend en compte les possibilités d’expression de la BD, par rapport aux arts "voisins", de la littérature à la peinture au cinéma, et par rapport aux sujets et aux "styles" retenus. D’une contribution à l’autre, l’accent est mis sur l’acte d’énonciation ou sur la réception, sur la genèse de la création ou l’encodage idéologique. Les catégories littéraires et figuratives – narration, point de vue, cadre, cadrage – s’associent et se superposent par les différentes modulations des composantes scripturales et iconiques. Sont ainsi posées des questions « géographiques » et identitaires dans une dialectique entre une langue particulière, le français, et un langage universel, le dessin, qui toutefois s’articulent et s’incurvent pour exprimer, expliquer, transposer idiolectes et contextes socio-culturels différents, quitte à prouver, non seulement par les traductions mais par le réseau d’influences réciproques, la vitalité supra-nationale de la BD.
Pour ce palimpseste de dialogues et d’intersections, qui sont bien dans le but de nos Journées de la francophonie, nous sommes très reconnaissantes aux auteurs qui ont accepté de participer à ce numéro.