Publifarum n° 14 - La BD francophone

Le Chat en Italie: un laboratoire de traduction

Geneviève HENROT SOSTERO



Abstract

Wordplay in French involves many aspect of the language (homophony, polysemy, concatenation, composition of portemanteau words), which make it hard to translate into other languages. Moreover, the constraints imposed by the context become even more decisive if this is determined by the picture of a comic strip. The translation of wordplay (puns, riddles, jokes ?!) in comic strips thus highlights the question of freedom and creativity in translation. This paper questions and puts to the test the three main constraints imposed in the genre of illustrated humour: a pragmatic constraint (producing laughter), a cultural constraint (establishing allusion) and an iconic constraint (respecting and involving the picture). It presents freedom in translation in terms of a cline, which can be measured and described. On this continuum, what is the point at which a translation becomes a transposition?

Introduction

La vignette humoristique présente à l’examen du traducteur trois ingrédients principaux: le dessin, le thème et le procédé ludique. Dans l’ombre du thème peut se profiler une allusion (ou thème implicite, facultatif, quoique fréquent, cf. MARGARITO, 1989, 1991). Le dessin figure, le thème réfère à des objets du monde, l’allusion demande qu’on en infère d’autres, enfin le procédé marie ces réalités de façon inattendue, déconcertante, créant l’effet comique. Mais l’amalgame, qui est de nature formelle, peut être accompli tant par le dessin que par l’énoncé, de manière conjointe ou disjointe: ce qui produit une certaine variété de formules-types dans l’union de ces trois ingrédients. Tantôt le dessin propose deux thèmes distincts que l’énoncé fusionne au moyen d’un trope rhétorique (syllepse, métaphore, métonymie…); tantôt, c’est le dessin qui enchevêtre deux thèmes présents distinctement dans l’énoncé; tantôt encore, dessin et énoncé s’accordent pour illustrer la même superposition de deux thèmes.

Pour mieux jauger les implications de ces différentes combinaisons et contraintes dans le processus de traduction, il serait bon de faire le point sur les typologies existantes des divers ingrédients1. La recension typologique la plus usitée des jeux de mots revient à GUIRAUD (1976). Reposant sur cette dernière, une typologie possible de la traduction des jeux de mots (en littérature) nous est proposée par J. HENRY (2003). Mais cette dernière traite d’un ludisme exclusivement textuel, qui n’a pas eu de démêlés avec le dessin. Or, la spécificité de la vignette humoristique consiste précisément à mettre au premier plan de la perception du lecteur, ce dessin qui le captive et l’interroge, la «pointe» de l’énoncé n’étant perçue que dans le second temps de la saisie visuelle (celui de la lecture): son «ancrage», dirait BARTHES (1964), s’accroche à l’image.

Une typologie de la traduction de la vignette humoristique pourra donc s’appuyer sur les deux ouvrages susmentionnés, qu’il faudra cependant mettre à l’épreuve de la contrainte du dessin. D’une géométrie plane croisant thème et procédé, il s’agira de passer à une géométrie dans l’espace, aux trois dimensions du thème (et de l’allusion), du procédé et du dessin. Sans compter la quatrième, celle du Temps, qui vient vite grimer les faits d’actualité. Les cas de figure se multiplieront d’autant, ce qui risque de réclamer une terminologie plus nuancée des types énucléés par Henry.

1. Le procédé ludique

Les jeux de mots assaisonnent chaque jour la presse, la publicité, les enseignes d’établissement, la littérature, la chanson, la conversation quotidienne2… Et pourtant, les tentatives de classification des jeux de mots ne sont au fond pas si nombreuses3, ni surtout si variées. La plus systématique et la plus pertinente, encore à ce jour, revient à Pierre Guiraud. Le linguiste identifie trois grands procédés formels constitutifs des jeux de mots: l’enchaînement, l’inclusion et la substitution. Les jeux de mots par enchaînement reposent sur des figures comme la répétition ou la concaténation, dont ils brisent la cohérence à des fins ludiques. Font partie de cette catégorie: les fausses coordinations (zeugmes ou attelages), les enchaînements par homophonie, par écho et par automatisme, et enfin les charades à tiroirs. Le procédé de l’inclusion comprend la permutation de phonèmes ou de lettres (anagrammes, palindromes, contrepèteries, verlan), mais aussi l’incorporation (acrostiches et acronymes) et l’interpolation (mots-sandwichs, mots-valises). Quant à la substitution, procédé dominant, elle fait jouer homophones, homonymes, paronymes, synonymes et antonymes. Loin devant le pataquès (jeu involontaire) et la charade, le calembour s’impose, en français, comme le roi des jeux de mots par substitution (cf. aussi BESSE, 1989, 1990). Cet énoncé contient un ou plusieurs éléments dont la plurivocité est intentionnellement exploitée par son émetteur. Nombreuses sont ses variantes: le calembour (poly)sémique exploite les diverses acceptions d’un même mot, qu’il actualise simultanément, sur fond de syllepse, dans une hilarante superposition. Le calembour phonique quant à lui met à contribution les ressemblances phoniques des mots, jouant sur l’homonymie, l’homophonie et la paronymie (DRUETTA, 2007, HENROT, 2007). Le calembour in absentia exploite une plurivalence implicite, quand un mot présent permet d’en inférer un autre, absent de l’énoncé, mais (supposé) présent dans la mémoire latente du destinataire. Le calembour in praesentia exploite une semblable plurivalence, sur base de paronymie, mais cette fois les deux mots sont tous deux actualisés dans l’énoncé (traduttore, traditore). Le calembour avec allusion repose sur une référence implicite à un énoncé supposé bien connu des lecteurs, comme un figement, un proverbe, un slogan publicitaire, une citation célèbre, les paroles d’une chanson etc. Le calembour complexe propose un jeu simultané sur le son et le sens, enchaîne deux calembours, ou étage plusieurs niveaux d’allusions. Une dernière classification rassemble les jeux pictographiques, ou jeux dans lesquels les mots sont représentés par un dessin (rébus) ou forment eux-mêmes un dessin (calligrammes).

Ces catégories de jeux de mots instruisent et préparent notre opération traduisante, en tant qu’elles permettent de cerner un jeu de mots, de le démonter, d’en analyser le(s) mécanisme(s) et les fondements, et partant, de le reproduire ou le recréer en connaissance de cause. Leur grande variété (Guiraud en recense plus d’une centaine) garantit ainsi au traducteur des ressources précieuses, pour peu qu’on épargne à l’opération traduisante l’exigence utopique d’une transposition du même au même, à la fois sens et procédé. Comme le remarque RICŒUR (2004: 21):

Deux voies d’accès s’offrent au problème posé par l’acte de traduire: soit prendre le terme de «traduction» au sens strict de transfert d’un message verbal d’une langue dans une autre, soit le prendre au sens large, comme synonyme de l’interprétation de tout ensemble signifiant à l’intérieur de la même communauté linguistique.

2. La traduction du jeu de mots

Cette gymnastique d’indépendance salutaire s’entraîne auprès de J. HENRY (2003) qui, plus hardiment que M. YAGUELLO (1981) et avec la même jouissance qu’U. ECO (1983, 2003), s’est confrontée à la traduction du jeu de mots en littérature. Chez ces trois traducteurs et théoriciens, Carroll, Queneau, Calvino ont constitué les meilleurs bancs d’essai pour une réflexion métatraductive des jeux de mots. Face à la paralysie que déclenche généralement le jeu de mots chez le traducteur, J. Henry éclaire avec franchise la latitude de liberté d’intervention que l’on peut être disposé à accorder au «traduire»: la proverbiale «intraduisibilité» des jeux de mots4 (plus encore que celle de la poésie), tiendrait avant tout au refus des théoriciens et traducteurs de considérer comme traduction effective et légitime une solution qui s’appuierait, non plus sur une correspondance lexicale et/ou sur une équation sémantique, mais sur une équivalence globale. Tout dépend donc si «traduire» doit équivaloir à chercher une adéquation lexicale immédiate et transparente entre Sa/Sé de LSource et Sa/Sé de LCible (ce «décalque» que réclame HAGEGE5), ou si l’opération, quittant la camisole de force de la langue, transitera par le concept nu (LEDERER-SELESKOVITCH, 1984), ou encore si on fait passer au premier plan des priorités, non plus le matériau lexical et thématique, mais le procédé ludique en lui-même, sa fonction et/ou son efférence. Il en découle cette compétence culturelle exigeante: «autoriser le jeu en langue cible suppose qu’on exploite ses ressources propres et les genres de manipulations verbales auxquelles elle se prête le mieux» (HENRY, 2003).

Favorable à cette lignée traductologique, J. Henry élabore une échelle à cinq degrés, suivant que le matériau thématique et le procédé ludique ont chacun survécu ou changé dans l’opération traduisante. Sera baptisée «isomorphe» la traduction qui préserve l’un et l’autre; «homomorphe», celle qui préserve le procédé mais change de matériau ; «hétéromorphe», celle qui troque non seulement le matériau, mais aussi le procédé; la traduction libre renonce au jeu de mots au profit d’un trope et, ailleurs dans le texte, rétablit la balance en troquant un trope contre un jeu de mots; enfin la création totale renonce au jeu ici pour en créer là un autre, ex nihilo, sans le tremplin d’aucun trope. Les différents cas de figure qui, dans les frontières d’une même œuvre, constituent pour J. Henry autant de «traductions» effectives, peuvent se résumer dans le tableau ci-dessous:

Henrot 1

Toutefois, cette proposition, pour séduisante qu’elle soit, ne peut s’appliquer sans aménagements à la traduction de la vignette humoristique, eu égard à la présence d’un vecteur supplémentaire particulièrement contraignant, celui de l’image.

3. La contrainte du dessin 

Guiraud, on l’a vu en passant, réserve une catégorie à part aux jeux de mots dans lesquels intervient un dessin: dans sa classe des «jeux pictographiques»(GUIRAUD, 1976: 67ss), il distingue ceux dans lesquels les mots sont figurés par des dessins (rébus d’objets et rébus typographiques), ceux où la chaîne des mots remplace le tracé linéaire (calligrammes, pictogrammes) et ceux où la disposition des lettres est constitutive du passe-temps (mots croisés, scrabble, le mot-le-plus-long etc.). Ces procédés sont exploités à l’occasion dans les albums du Chat6, en guise de clin d’œil ou de citation, creusant une profondeur de champ inattendue, une mise en abyme du jeu dans le jeu et de l’image dans l’image: un rébus ou un calligramme sur carte postale (VI, 32), des mots croisés (II, 28) dans un filet de volet (VI, 66), la grille du scrabble (XI,12; II, 11), un rébus sur un tee-shirt (VI, 45) ou sur un papier d’emballage (III, 11)… De telles vignettes s’égrènent çà et là dans les albums en un geste solidaire par lequel Le Chat se réclame de la grande alliance entre ceux qui jouent sur le mots et ceux qui jouent avec les mots.

Mais l’impact foncier du dessin sur le jeu de mots se fait autrement crucial au premier plan de la vignette, lorsque les objets référentiels convoqués par le jeu de mots sont en même temps représentés par le dessin. Cette solidarité spécifique de l’iconotexte proprement dit enchaîne l’un à l’autre un code à portée pratiquement universelle (le code iconique) et un code à portée communautaire (le code linguistique). Or, l’humour de telles vignettes repose souvent sur la stéréoscopie du rapport de désignation entre le signe inscrit et l’objet représenté par le dessin, en vertu du régime polysémique du mot ou de sa relation à un homophone convoqué dans son ombre. Mais puisque le champ sémantique des mots se délimite davantage par différence interne au système que par un calque myope de la réalité ou référence (RASTIER, 1991), les objets du monde ne recevront pas en partage un même «patron» de sens dans toutes les langues; on sait combien il est illusoire d’espérer qu’une même polysémie, et plus improbable encore, une même homophonie, vienne assurer, dans la langue cible, une traduction terme à terme qui maintiendrait en vie la même vitale pluralité sémantique.

Mais, alors que dans le texte autonome, et selon le caractère local ou structurel du programme ludique, le traducteur peut encore envisager de substituer un motif à un autre dans l’espoir de conserver le procédé, en revanche, dans la vignette, la présence de l’image assure plus que jamais au paramètre du contexte une fonction de «garde-fou», puisqu’elle fait obstacle à la substitution de l’objet: il sera évidemment plus difficile d’avaliser une modification du dessin dans la vignette qu’un remplacement de motif dans un texte sans images. En conséquence, le vecteur du dessin vient lester sévèrement l’opération traduisante, réduisant son périmètre d’envol. Sauf à accueillir la contrainte comme un tremplin plus dynamique, comme une puissante stimulation à la créativité7.

L’adjonction du vecteur iconique dans la grille des cas de figures élaborée par J. Henry se profilera provisoirement de la façon suivante: tout comme le matériau de départ (MD) et le procédé de départ (PD), l’icône de départ (ID) pourra demeurer inchangée, subir une modification partielle (un détail suffit, dans ces dessins très stylisés), ou au besoin – dans les cas de résistance extrême – être totalement remplacée par une autre.

Henrot 2

La persistance du signe «égale» est indicative des ingrédients dominants. Le premier à céder le pas en phase de traduction (il ne survit, inchangé, dans toute son intégrité, que dans la traduction isomorphe) semble être le matériau thématique (explicite ou implicite). Ce qui peut, instinctivement, encore paraître étrange, paradoxal, voire contre nature, dans un contexte traductologique où domine depuis des millénaires l’axiome impérieux de la conservation du «sens».

La force perlocutoire d’une vignette humoristique resserre encore, par l’apport d’un code supplémentaire, et dominant (le code iconique), la complexité des relations de dépendance et de hiérarchie entre les ingrédients constituants. Et en phase de traduction, ce système complexe de relations résiste difficilement à la spécificité idiomatique de chaque langue, aussi proches cousines la langue-source et la langue-cible soient-elles (comme, par exemple le français et l’italien).

Or, l’expérience qui sera évoquée succinctement dans la suite de cet article8, en guise d’illustration et de reportage, montre que, dans le domaine de la vignette humoristique, les différents ingrédients qui la composent ne bénéficient pas de la même prégnance en matière de transposition culturelle. Les critères de perception évoqués plus haut donnent au dessin un caractère prioritaire, en ce que celui-ci constitue la physionomie particulière et immédiatement reconnaissable de chaque vignette. Ensuite, la destination humoristique de ce genre de vignette repose sur un ingrédient ludique sans lequel elle manquerait à sa mission: faire rire. En revanche, l’élément référentiel visé par les mots de la «pointe», s’il échappe à l’emprise du dessin, n’est pas toujours lié exclusivement à tel signifiant, mais tient en réserve, dans le paradigme lexical de son thème, d’autres unités linguistiques éventuellement disponibles (des synonymes, des para-synonymes, des hyponymes, co-hyponymes ou hyperonymes). Enfin, puisque la vignette ne peut faire éclater le rire que si elle est saisie après un instant de surprise, qui gagne cependant à rester infinitésimal, l’allusion qui la sous-tend ne peut se permettre d’être obscure au destinataire, ni même trop laborieuse ou improbable, ou encore imprécise. Sans quoi, l’effet comique implose au lieu d’exploser et la vignette (re)tombe comme un soufflé dans un courant d’air. Aussi les vignettes construites sur des allusions culturelles ont-elles intérêt, plus que d’autres «textes», à orienter la traduction vers la cible (le public destinataire), en adoptant son bagage culturel.9

Tout traducteur admettra d’emblée qu’il est utopique d’espérer pouvoir toujours préserver à la fois chacun de ces ingrédients et leurs multiples combinaisons, dans le transfert d’un système linguistico-culturel à un autre. Les considérations qui précèdent, et qui seront brièvement illustrées plus loin, inspirent donc un ordre de priorité à respecter dans la traduction. Il tombe sous le sens que l’échelle de nécessité dans le transcodage mettra en tête des priorités obligées la conservation du dessin, et en lanterne rouge l’allusion culturelle originale. Nous posons donc, provisoirement, que les ingrédients à traiter s’échelonneront dans l’ordre scalaire suivant, du plus prioritaire (à gauche) au plus transposable (à droite), du plus rigide au plus ductile, du plus imposé au plus récalcitrant:

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Il est à remarquer que nulle part, dans l’échelle, n’apparaît le régime proprement linguistique. Autre paradoxe de la traduction? La réflexion historique sur la traduction a dépensé des énergies incommensurables à s’émanciper de l’idée que la traduction devait s’attacher au cours des mots comme à une laisse. Quoique conscientes de la différence fondamentale entre traduction mot-à-mot et transposition globale de la signification, LEDERER et SELESKOVITCH (1984) nomment encore «sens» cette signification globale. Elles décomposent l’opération traduisante en trois étapes: la première phase (compréhension du message source), part du texte pour aboutir à la construction du «sens»; la seconde (déverbalisation), dégage les unités conceptuelles dépouillées de toute forme linguistique spécifique; la troisième (reverbalisation), est l’expression du «sens» ainsi compris, reformulée dans la langue cible. Pendant l’opération traduisante, le traducteur doit tenir compte de plusieurs éléments: des éléments non linguistiques tels que la situation d’énonciation et ses composants, les connaissances partagées des interlocuteurs, le bagage cognitif du traducteur lui-même, qui agit comme une chambre noire pour révéler les non-dits (présupposés, implicites, allusions culturelles) de la communication.

Aussi l’identité, la spécificité de tel mot précis n’a de sens, dans la traduction humoristique, que par les relations d’afférence que son homophonie ou sa polysémie permettent de nouer avec un thème n° 2 qui lui servira de répondant. La nature du thème, les confins du domaine, comme les origines de l’allusion, auront donc une prégnance plus référentielle que linguistique. Ne pas accorder à la traduction cette latitude référentielle de «jeu» pour la quête des concordants reviendrait vite à la déclarer impossible (ce qui a souvent été fait, d’ailleurs). Selon RICŒUR encore (2004: 39), la question est de définir les «marges dans lesquelles les signifiants culturels s’émancipent de leur codification initiale et en quels termes».

4. Le Chat en Italie

Il n’en reste pas moins que, selon nos statistiques, nombreuses sont les vignettes qui se sont soumises sans dommage à une traduction isomorphe efficace (même thème et même procédé pour une même image, 75%)10. Viennent en seconde position les traductions homomorphes (le thème change, en tout ou en partie, 20%), devançant d’assez loin les traductions hétéromorphes (le thème et le procédé changent 4%), les traductions libres, les recréations partielles et à plus forte raison les créations totales (1%)11. Nous verrons maintenant dans quelles conditions et au prix de quelles solutions d’adaptation les vignettes du Chat peuvent se laisser transposer pour un public italien,12 selon un procédé isomorphe, homomorphe ou hétéromorphe, ou encore une recréation plus ou moins consistante.

A - Isomorphisme: maintien du thème, du procédé et de l’image

Quelques remarques s’imposent sur les conditions contingentes ou aléatoires de l’isomorphisme: la dominance statistique de ce dernier tient sans nul doute à plusieurs causes distinctes.

D’une part, dans nombre de vignettes, bandes et planches, le portrait du Chat garantit simplement le domicile élocutoire du gag, sans interférer réellement avec la thématique ou le procédé du gag: autrement dit, le dessin (un portrait, en pied ou en buste) se limite dans ces cas-là à jouer le rôle de vague décor, de support visuel passif, et vise à poser le Chat en protagoniste de l’interaction connivente qui s’instaure avec le lecteur. Juste de quoi savoir vers quelle bouche orienter la flèche de la bulle! La composante iconique n’ajoute donc là aucune contrainte dramatique au jeu de la transposition, tant il est vrai qu’on pourrait tout aussi bien rapporter le même gag sans l’aide du dessin. Le Chat lui-même s’amuse à l’occasion à "s’effacer", ou à sortir de la bande, en laissant sa bulle seule sur scène.

Il en va de même des gags proposant, non un jeu de mots, mais un mot d’esprit. Ce dernier met à contribution, non la substance phonique des mots, mais des figures de pensée telles que parallélisme, antithèse, paradoxe, ironie… Les écrivains du Grand Siècle et des Lumière cités plus haut n’accordaient qu’aux seuls fruits de cet «esprit» des lettres de noblesse, et appréciaient leur universalité à l’aune de leur inoxydabilité traductive. Proust encore, qui pratique mots d’esprit et calembours par le biais de ses personnages, exalte les uns et ridiculise les autres…

Dans un grand nombre de gags, l’humour jaillit plutôt d’une vision originale du monde (engagée ou désabusée): sont abordés les principaux thèmes d’actualité, à propos desquels Le Chat tente de démasquer les égocentrismes, les hypocrisies, les absurdités, les bas calculs. Ce commentaire personnalisé étant de nature plus conceptuelle que linguistique, il ne souffre guère de la déverbalisation préalable à toute reformulation en langue cible. Là où l’humour n’est pas principalement fondé sur un jeu de mots, le transfert traductif ne rencontre guère davantage de difficultés que dans toute autre situation de traduction.

Enfin, même si chaque langue peut revendiquer l’idiosyncrasie de ses structures, il n’en est pas moins vrai que deux langues comme le français et l’italien pourront quelquefois compter sur une réelle proximité, génétique ou historique, grâce, principalement, à la régularité des changements phonétiques issus d’un même étymon, mais aussi, aux échanges réciproques ou à l’existence partagée d’emprunts en langue étrangère, ainsi qu’à un même fond commun culturel, artistique, religieux, historique, comme à l’universalité de certains comportements.

Un premier exemple montrera le bénéfice que peut tirer le concept d’isomorphisme à s’associer à une sémantique interprétative telle que celle de RASTIER (1987). Conserver, avec l’image et le procédé, un thème mis en lumière par le texte et/ou le dessin n’impose pas pour autant au traducteur de s’enfermer dans les limites étroites d’une stricte concordance lexicale. Plutôt, il semble souvent salutaire de s’appuyer sur l’identification des isotopies actualisées, afin de circonscrire autour d’elles un taxème ou au besoin une dimension thématique. Ceux-ci serviront de réservoir où puiser un matériau saisi au plus près de l’unité lexicale de départ, au sein du même thème. Un co-hyponyme fait souvent l’affaire (puisé dans le même taxème), ou si nécessaire un hypéronyme (dans la même dimension). L’exemple suivant (III, 13) invite à un choix latéral de co-hyponymie, sur les deux isotopies /ornithologique/ et /géotouristique/.

HJenrot 1

La recherche paradigmatique de polysémies fructueuses trouve dans le scopos de domestication une orientation assez fréquente. Ainsi, puisque les Canaries s’appellent en italien «Canarie» (/ka’na:rje/), leur nom ne correspond plus guère ni à l’homophonie ni surtout au schéma accentuel du nom du petit oiseau jaune, appelé en italien «canarino» /kana’ri:no/. S’il veut encore simuler une «prise de bec» avec son oiseau en cage, le Chat doit commencer par changer de destination pour son prochain voyage, et fouiller le paradigme géotouristique des destinations accessibles à un voyageur italien.

Et tant qu’à faire, traitant l’isotopie /géotouristique/, si le taxème des villes italiennes contient un nom homophone d’oiseau (comme L’Aquila), pourquoi chercher d’impossibles îles exotiques aux noms si peu propres à fournir un homophone aux consonances italiennes?

PARTO PER L'AQUILA

Sur l’isotopie /ornithologique/, le canari récupère du même coup une riposte idiomatique qui lui revient de droit, puisque sa petite taille lui ferait vraiment craindre pour sa vie face au féroce prédateur qu’est l’aigle-étymon de L’Aquila; «Ci lascerai le penne» («tu y laisseras les plumes» pour «tu y perdras la vie»,)13 mis dans ce petit bec, gagne en profondeur de champ, puisqu’il résonne à la fois comme expression figée métaphorique (du point de vue du Tu, le Chat) et, dit par un oiseau, comme expression littérale: une catachrèse ressuscite, à la jonction des deux isotopies conservées, celle du voyage et celle de l’oiseau en cage.

Mais si ni le taxème ni la dimension source ne réservent au traducteur aucun tremplin pour un jeu, force est de prendre une «liberté» supplémentaire, en réinventant un thème. C’est ici qu’intervient, entre autres, un nouveau garde-fou: l’intratexte des différents albums. Une maîtrise préalable de l’ensemble de l’œuvre assure au traducteur une connaissance générale de ses thématiques récurrentes, de ses options morales, des opinions professées, des préférences ou des manies manifestées, en un mot de son ethos. La personnalité du Chat, principal locuteur des gags, conditionne rigoureusement toute réplique dont on voudrait impunément l’affubler. Mais rien n’interdit a priori qu’un thème de discours bloqué localement ne soit remplacé par un autre, plus malléable, pour peu qu’il appartienne notoirement au répertoire du Chat et arbore ses couleurs. On pourrait voir, dans cette convocation d’un thème environnant, une forme de transposition «surveillée».

B - Homomorphisme: changement de thème, maintien du procédé et de l’image

L’allusion culturelle a reçu dans notre traduction des traitements divers, selon le degré de notoriété internationale dont elle bénéficie et, partant, sa docilité à se laisser transposer. Soit l’allusion-source bloque tout simplement la traduction. Soit, transposée vaille que vaille, elle compromet la compréhension du lecteur, ce qui ne vaut guère mieux. Si l’allusion risque de ne pas être saisie par le public destinataire de la traduction, si elle est trop laborieuse et demande information,14 le gag implose au lieu d’exploser: son effet rate comme un pétard mouillé... Notre option d’une traduction destinée à un large public italien a donc inspiré unanimement une orientation vers la cible: en cas d’allusion obscure, la traduction adaptative a puisé dans le savoir, la culture, le bagage cognitif supposés du public d’arrivée. Certaines allusions locales allemandes, belges, françaises ou autres ont ainsi été remplacées par des allusions italiennes équivalentes, plus évidentes et surtout plus immédiates, plus susceptibles d’éveiller la connivence.

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La vignette originale ci-contre (XII, 44) croise deux isotopies liées aux médias: la résonance médiatique des familles princières et l’actualité politique de l’Afghanistan (en 2003). Les princesses de Monaco sont certes connues en Italie, mais leurs faits et gestes n’obsèdent pas la presse avec la même insistance qu’en France. Par ailleurs, l’Italie ne manque pas d’autres VIP féminines à taquiner, surtout dans le domaine du spectacle et de la télévision. La métaphore originale (transporter et acclimater les Monégasques en Afghanistan), trouve aisément une allusion plus «domestique» dans ces couples de «veline», qui entament sur le set de «Striscia la notizia» une carrière de mannequins ou de présentatrices.

Le «veline» ont donc donné naissance à un créneau particulier de jeunes «célébrités» des médias, défrayant la chronique et titillant les journalistes.

VELINE DI KABUL

Féminité, célébrité, dualité et coutume vestimentaire afghane demeurent pertinentes au gag transféré. Cependant, l’adaptation culturelle s’assure au passage une motivation supplémentaire entre le dessin et le texte: entre le burqa complété du niqab sur le visage, et l’allusion au voile. Quoique le mot «veline» ne provienne pas de «velo», voile, mais de «vélin», papier fin,15 le sens de voile reste allusivement disponible dans les esprits italiens, tant le contexte de la danse les veut toujours légèrement vêtues. L’allusion au voile s’adapte donc particulièrement bien ici, au point que la traduction italienne me semble gagner un point sur l’original.

C - Hétéromorphisme: changement de thème, changement de procédé, maintien de l’image

Le procédé étant souvent la base essentielle du jeu de mot (soit en accord avec le dessin, soit de façon autonome), il a semblé important de l’analyser pour l’identifier et de tenter de le conserver en italien: calembours, proverbes, charades, rébus, mots-valises, contrepèteries. Mais lorsque ni l’allusion, ni le thème, ni le domaine ne fournissent au traducteur de «doublure» providentielle à laquelle appliquer le procédé ludique, un cercle centrifuge supplémentaire autorise à embrasser toute la panoplie des jeux de mots: «Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse!».

À dessin constant, lorsque le matériau lexical disponible ne permettait pas de conserver tel jeu de mots précis, la démarche a consisté à repartir du dessin pour y choisir les éléments thématiques d’un nouveau matériau lexical disponible et proposer un nouveau procédé ludique.

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Dans cette vignette (XII, 35) où le dessin s’impose déjà par son format panoramique et par la position décentrée, spectatrice du Chat, la forme brève du proverbe a disparu («Tous les goûts sont dans la nature»), ainsi que le jeu paronomasique [gu/gnu].

L’équivalent italien, qui existe pourtant («Tutti i gusti sono gusti»), démotive en effet le contenu de l’image («dans la nature»), et la présence, ici protagoniste, du troupeau exotique. En outre, alors que les deux monosyllabes français établissent une relation paronomasique par épenthèse d’une consonne nasale (/gu /gnu/), soutenue pour l’œil par l’orthographe (les deux «g» initiaux, le digramme vocalique), les deux concordants italiens sont, comme souvent, bien plus distants («gnù» / «gusti»): s’opposent le compte des syllabes et la paire de consonnes palatale/gutturale ([ɳu/gusti])

CONCERTO LIGABUE

Le proverbe a donc été remplacé par un autre jeu de mots, qui fait apparaître le nom de nos bovidés domestiques (les bœufs) dont le profil rappelle celui de ces mammifères herbivores d’Afrique : implicite linguistiquement, puisque le sujet du verbe n’est pas verbalisé en italien, mais confié au contexte gauche («Sono venuti»), celui-ci est représenté de façon grégaire par le dessin et focalisé par le regard du Chat. C’est lui qui motive le choix du chanteur italien dont le Chat évoque le concert16: « Ligabue » contient « bue » qui veut dire «bœuf».

D - Transposition libre: changement de thème, de procédé, modification partielle ou totale de l’image

L’exemple choisi pour cette dernière illustration se situe à mi-chemin entre la retouche du détail motivant et la substitution complète du dessin (extrêmement rare, dans notre corpus). Puisqu’elle procède à une adaptation thématique touchant une seule des deux isotopies, appelons-la «substitution hémisphérique». Demander un nouveau dessin semble, dans ces cas, la solution la moins dommageable au gag, en ce que sa réinterprétation permet de conserver l’esprit du jeu et un des deux hémisphères thématiques. Parler de transposition libre s’avère donc en réalité un diagnostic sévère, puisqu’aussi bien, la modification du dessin n’est choisie comme recours que pour préserver justement d’autres matériaux du gag, thème(s) et/ou procédé. Plutôt qu’une inexorable «vidange» de «fidélité», l’étagement des types proposé ici relèverait davantage de vases communicants, ou d’une balance en perpétuel recherche d’équilibre.

Henrot 4

Sur les sables mouvants des faux-amis, que se passe-t-il lorsqu’un mot phonétiquement semblable à l’original français existe bien en italien, mais désigne un référent différent? Prenons l’exemple de la citation parodique (VII, 5) de l’article 132 du Code pénal français, reproduit sur les anciens billets de banque (en francs) : «Le contrefacteur est puni des travaux forcés à perpétuité». Cette vignette sur base polysémique joue sur la double interprétation du mot «contrefacteur» qui signifie en français, selon le contexte, «faussaire», ou «personne s’amusant à caricaturer quelqu’un». Or – c’est son jeu – le dessin actualise les deux acceptions en même temps, dans le détenu (acception n° 1) qui est en train d’imiter la démarche de l’homme qu’il singe (acception n° 2) en se collant tout «contre lui» (interprétation compositionnelle du mot); l’une et l’autre ayant pour vocation de vouloir faire passer pour vrai ce qui ne l’est pas, monnaie ou comportement.

Le registre juridique de la formule constitue une contrainte forte de la vignette, par son figement inconditionnel. Sa formulation authentique exige un traitement semblable en italien, obligeant le traducteur à ouvrir le Code pénal italien; à l’article 453, la formule italienne sentençait autrefois: «Il contraffattore viene punito con una reclusione a vita che prevede i lavori forzati».

Henrot 5

Aubaine, la formule contient un mot très semblable au texte-source français. En italien, le verbe « contraffare », dont dérive «contraffattore», partage en effet certaines acceptions avec son équivalent français et couvre entre autres les acceptions 1 et 2. En outre, «contraffattore» contient le mot «fattore» comme le mot français «contrefacteur» contient le mot «facteur». Mais aubaine apparente! L’ironie veut que «fattore» ne soit pas l’équivalent sémantique de «facteur», mais constitue avec ce dernier un couple de faux-amis: le facteur des PTT se dit «postino» en italien, tandis qu’«il fattore» italien s’appellerait en français le «régisseur» (agricole). Si la formule polysémique est disponible, l’uniforme du facteur ne convient plus. Pour garder le plus possible les thèmes en présence et le comique du dessin, il ne resterait donc qu’à rhabiller notre facteur en fermier. Ce qu’a tenté de faire la traductrice.

Ces quatre exemples s’offrent comme autant de prélèvements sur une ligne continue qui court de la fidélité à tous les ingrédients à l’intervention sur le plus contraignant d’entre eux, le dessin. Le lecteur s’imagine bien que nombre de cas intermédiaires ou mixtes ont été passés sous silence, ainsi que quelques solutions extrêmes demandant un changement complet de dessin dans l’esprit de la pointe. Mais avec cet effort constant de changer le moins d’éléments possibles, de respecter les thèmes récurrents du Chat et de récupérer localement chaque motif, on peut espérer que le corpus de traduction ainsi réalisé permettrait au public italien de goûter, sans trop de perte, l’humour du Chat.

Conclusion

L’énoncé linguistique de la «pointe» humoristique illustrée, lorsqu’il est soumis au transfert de la traduction, est fortement tributaire de trois types de contraintes fortes: culturelle, iconique et pragmatique.

Une contrainte culturelle implique le bagage de présupposés, d’implicites et de goût humoristique national qui sous-tend le jeu de mots et/ou l’allusion, condition nécessaire du déclenchement du rire. Ces aspects culturels peuvent avoir un rayon de diffusion plus ou moins large ou restreint. Selon le rayon atteint par le partage du savoir qui sert de socle à la connivence humoristique, le traducteur devra jongler avec la culture d’arrivée non seulement pour transférer l’énoncé, mais aussi pour lui assurer un nouveau «socle» de partage.

Une contrainte iconique lie souvent le jeu de mots à l’illustration où il nidifie. C’est à l’image que revient de compléter l’actualisation polysémique des expressions sur lesquelles repose le comique. Partant, la latitude d’équivalence qui sert au traducteur de marge de manœuvre s’en trouve d’autant réduite et prisonnière d’un domaine thématique irremplaçable, parce que congelé dans l’image.

Une contrainte pragmatique, enfin, impose, comme scopos du transfert, l’enjeu du rire, qui est censé jaillir aussi spontanément de la vignette en langue B que de la vignette en langue A. La traduction n’a pas loisir d’emprunter un mode mineur, encore moins de « rater » sa note d’humour. Aussi la qualité de la traduction tiendra-t-elle en grande partie à la qualité de l’humour transmis et au compromis qu’elle tiendra (ou ne tiendra pas) entre le patrimoine thématique et culturel de l’œuvre originale et son adéquation au goût national du public d’arrivée.

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Note

↑ 1 Les principales typologies consultées, face à la tâche ardue de mettre un certain ordre dans un tel foisonnement de phénomènes, échouent à définir et combiner de façon cohérente, homogène, ni trop ni trop peu «puissante», des critères différentiels aptes à cerner sans restes ni chevauchements les nombreux types de jeux de mots. La plupart nomment ces derniers du nom du procédé linguistique sur lequel ils reposent, mais qui ne se résume pas, loin s’en faut, au ludisme verbal (telles l’homophonie, la paronymie, la synonymie). D’autres conservent un éventail hétéroclite de dénominations héritées tous azimuts de l’histoire littéraire et rhétorique, et dont une rigueur terminologique contemporaine peut avoir du mal à se satisfaire (tel l’«à-peu-près»). Toutes choses égales par ailleurs, la typologie de GUIRAUD 1976 m’a semblé, à ce jour, la plus détaillée, la plus pertinente et la plus spécifique au sujet.

↑ 2 Outre les auteurs cités, plusieurs spécialistes italiens se sont penchés sur le jeu de mots: citons entre autres VITTOZ-CANUTO 1983, MARGARITO, 1989, 1991 et les auteurs de Publif@rum, 2007.

↑ 3 Il est à ce silence une raison «esthétique» tenace. Longtemps entaché de vulgarité (chez Jacques Callière, Boileau et chez Dumarsais, Voltaire, Hugo et Proust), le calembour, parangon des jeux de mots opposés aux mots d’esprit, semblait devoir salir la plume des théoriciens du langage comme celle des écrivains. Freud le réhabilite, mais sur le plan qui lui revient, celui de ses rapports avec l’inconscient. Après Guiraud, dont l’approche privilégie la dimension procédurale du jeu de mots, c’est à la lumière d’un morphologisme structuraliste que le Groupe μ de Liège, dans sa Rhétorique générale (Paris, Seuil, 1982), reconsidère la rhétorique classique et, ce faisant, réhabilite certains jeux de mots en leur trouvant grâce au sein de leur typologie. LANDHEER 1988 les considère comme tributaires de l’ambigüité. Toutefois, FUCHS 1996 fait observer que le jeu de mots ne repose pas sur l’ambigüité proprement dite, laquelle inflige à l’interlocuteur le dilemme d’une intenable indécidabilité, mais plutôt sur un «cumul de plusieurs sens» qui doivent être accrédités conjointement, et sans exclusive. Quant à GUILBERT 1975, il lui arrive d’aboutir au jeu de mots dans son enquête sur la néologie, mais classer ces derniers ne rentre pas dans son propos. DUCHÁCEK 1970 propose une description à mon sens trop large des jeux de mots, étiquetant ces derniers du nom de phénomènes sémantiques sur lesquels, certes, ils reposent, mais qui ne se résument pas au ludisme (tels la polysémie, l’homonymie, l’allographie, l’étymologie populaire, la parasynonymie et l’antonymie).

↑ 4 Ainsi NIDA 1945 comptait les jeux de mots au nombre des cinq domaines de l’intraduisibilité constitutive. Les jeux de mots voisinent pour lui avec la variation linguistique et le métalangage dans le cinquième de ces domaines fatidiques (la linguistique), après la vie quotidienne, la vie socio-juridique et la vie religieuse et l’écologie (ou l’ensemble des réalités locales, us et coutumes, produits, recettes, traditions).

↑ 5 HAGÈGE 1985: 49: «Sur le plan du lexique, enfin, chaque langue, […] impose ses grilles aux objets du monde, en sorte que tout passage dans une autre n’est au mieux qu’une équivalence […] Quant aux jeux verbaux, ils sont par définition intraduisibles, sauf évidemment quand les contextes culturels sont assez proches et les contacts assez anciens ou les lexiques assez voisins pour que des décalques soient interprétables. En dehors de ces cas, les traductions, dans leur imperturbable assurance, risquent de demeurer opaques» (C’est moi qui souligne).

↑ 6 La présente étude se fonde sur un examen exhaustif des treize premiers albums du Chat, chacun considéré dans sa version originale. Il y sera désormais fait référence au moyen des sigles suivants: le chiffre romain numérote l’album, le chiffre arabe indique la planche. I. Le Chat; II. Le Retour du Chat; III. La Vengeance du Chat; IV. Le Quatrième Chat; V. Le Chat au Congo; VI. Ma langue au Chat; VII. Le Chat à Malibu; VIII. Le Chat 1999,9999; IX. L’avenir du Chat; X. Le Chat est content; XI. L’Affaire Le Chat; XII. Et vous, Chat va[/I:I]; XIII. Le Chat a encore frappé.

↑ 7 Voir à ce sujet Meta, XXXIV, n. 1, 1989, «Humour et traduction»; en particulier les contributions de Laroche, Leibold, Nilsen et Raphaelson-West. En outre, Van BAARDEWIJK et al. 1988, KUSSMAUL 1991, BALLARD 1997 et GALLAGHER 2007.

↑ 8 Dans le cadre du cours de Langue française. Langue et traduction relevant du programme de spécialisation en Lingue, Letterature e Culture Euroamericane et en Lingue Straniere per la Comunicazione Interna­zio­na­le, les étudiants de spécialisation de la Faculté de Lettres de l’Université de Padoue (2005-2006) ont approfondi l’histoire de la bande dessinée et son système sémiotique, les mécanismes du comique linguistique et les principes de la traduction des jeux de mots avant d’affronter l’expérience exigeante de cette traduction. Trente étudiants, italiens, français et belges, hôtes Erasmus, ont relevé ce défi avec créativité et persévérance. Treize albums du Chat ont ainsi été traduits, sous la direction de l’auteur de ces lignes en qualité de «chef de projet».

↑ 9 L’histoire de la traductologie oscille, comme c’est notoire, au rythme de grandes dichotomies particulièrement résistantes, dont rend compte GUIDÈRE 2008: la lettre ou l’esprit, la traduction ou l’imitation, le mot ou l’idée, le sacré ou le profane, la source ou la cible, l’exotisation ou la domestication etc. (cf. en particulier BERMAN, 1984-1999).

↑ 10 Dans le corpus particulier du Chat et sa traduction du français vers l’italien, le pessimisme ne semble pas de mise, comme le confirme encore PODEUR (2008: 126): «Rarissimi comunque, questi casi in cui si possa tradurre esplicitando i due sensi senza appesantire il testo né perdere l’effetto comico».

↑ 11 Ces résultats statistiques ne fournissent évidemment qu’une indication de tendance. Plusieurs variables leur ôtent tout caractère absolu: 1) les statistiques sont basées sur un choix de traduction qui aurait pu être différent, selon l’inspiration du moment, et du «génie» ; 2) en leur état d’analyse, ces statistiques ne permettent pas de mesurer la relation causale qui lie le choix de traduction à la nature de la vignette originale, pas plus que les proportions changeantes que peuvent connaître les types de gags d’album en album. Intuitivement cependant, il nous a semblé que les jeux de mots augmentaient en nombre et en complexité au fil des albums, par rapport aux jeux d’images ou de concepts, ce qui fait attendre, dès l’original à traiter, un plus grand nombre de traductions homomorphes ou hétéromorphes, de transpositions libres et de recréations partielles dans les albums «de la maturité» que dans les albums «de jeunesse».

↑ 12 Ce n’est pas le lieu de développer dans le détail les opérations analytiques qui ont guidé le travail de traduction. Des raisons d’espace engagent à ne fournir ici que quelques exemples de production, laissant pour une monographie en cours une illustration plus ponctuelle des principaux cas de figure et un retour théorique sur la typologie traductionnelle.

↑ 13 Cette proposition de traduction, faite en 2005, ne produisait évidemment pas l’effet dramatique qu’on lui trouvera en 2010, suite au désastre tellurique qui a frappé récemment cette ville. Ceci dit, la répartie de l’oiselet en gagne étrangement en prémonition, col senno di poi.

↑ 14 Pour une vignette humoristique, il est évident que la note présente une ressource inapplicable.

↑ 15 Les «Veline» sont d’abord, dans le monde de la télévision et de l’information, une métonymie du support papier pour son contenu, la nouvelle toute fraîche. Par une autre métonymie, allégorique pour ainsi dire, les jolies porteuses de nouvelles fraîches sur papier vélin ont pris le nom du message qu’elles transportent elles-mêmes si légèrement vêtues.

↑ 16 Le chanteur rock italien Luciano Ligabue (1960-) produit un premier disque, Ligabue (1990); en 1995 avec l’album Buon compleanno Elvis, il obtient la consécration du public italien. Le printemps 2006 se déroule en un tour de concerts en clubs privés, théâtres et grands stades italiens incluant Padoue, précisément à l’époque où la traduction était en chantier. Où l’on voit combien la réflexion carsique de tel point d’achoppement dans la traduction aiguise l’éveil des traducteurs dans toutes les directions et les invite à faire feu de tout bois.

 

Dipartimento di Lingue e Culture Moderne - Università di Genova
Open Access Journal - ISSN 1824-7482