Publifarum n° 11 - Autour de la définition

Renvois et circularité dans les définitions des dictionnaires spécialisés. Le cas du DAAFAPS.

Pierluigi Ligas


Introduction

Dans les dic­tion­naires spécia­lisés on recense deux types de renvois pouvant af­fec­ter les définitions de substantifs surtout, mais aussi d’adjectifs et de verbes: les renvois implicites et les renvois expli­cites. Les premiers con­cernent les mots définissants qui n’ont pas d’entrée dans le diction­naire et qui donnent lieu à une circularité implicite, tandis que les seconds concernent les mots définissants qui, par leur appar­tenance à la langue de spécialité tout comme l’unité lexicale qu’ils sont censés définir, ont leur place dans la nomenclature. Dans ce dernier cas l’on peut parler de circularité explicite, incomplète ou complète, des définitions.

Le présent article, qui s’articule autour d’un contexte applicatif spécifique, à savoir l’élaboration d’un dictionnaire spécialisé, le DAAFAPS («Diction­naire Alphabétique et Analogique du Fran­çais des Acti­vités Physiques et Sportives», Verona, QuiEdit, 2008), vise à démontrer que, loin d’être toujours un défaut, cette circularité permet de reconstituer les champs lexicaux, sémantiques et notionnels d’un domaine ou d’un sous-domaine. Cet aspect de la lexicographie n’ayant pas encore été abordé de manière directe, le cadre théorique s’appuie essentiellement sur des travaux qui le mentionnent et qui lui consacrent quelques réflexions, notamment ceux d’Auger, Béjoint, L’Homme, Marcus, Mel’čuk et al., Picoche, Rey, Rey-Debove.

1. Définitions et renvois.

Une définition est la description complète d’une notion à l’aide de notions (mieux) connues. Forme lexicographique traditionnelle de l’analyse componentielle, la définition rend compte dans un énoncé analytique des sèmes pertinents qui entrent dans la composition d’un sens, «elle classe puis distingue dans une classe après avoir écarté les traits sémiques appartenant à d’autres éléments de la classe et qui ne conviennent pas» (REY-DEBOVE 1967: 142). En d’autres mots les définitions, qui servent à fixer le concept à l’intérieur d’un domaine de connaissances, visent à décrire la notion à un niveau d’abstraction donné, à distinguer la notion des notions apparentées, à établir des relations entre la notion en cause et les autres notions du système afin de déterminer la place qu’occupe cette notion à l’intérieur d’une «théorie locale» (GHADAKPOUR 2002: 198), à délimiter la notion aux fins d’un éventuel travail terminologique de normalisation. Cela ne va pas sans risque, car «il suffit de trouver un élément faux de la définition pour que tout l’ensemble s’écroule» (REY-DEBOVE 1967: 141).

À l’encontre de la définition linguistique, qui ne retient que ce qui est utile pour le fonctionnement correct du langage, la définition lexicographique, et à plus forte raison la définition terminologique – laquelle «contrairement à la définition lexicographique est encore relativement peu étudiée » (BÉJOINT 1997: 19) – retiennent uniquement ce qui est nécessaire pour la connaissance exhaustive du type de référent auquel renvoie le défini. Dans les dictionnaires non généraux il s’agit alors d’établir, par la définition, un lien entre une unité lexicale et un (son) domaine spécialisé. Il s’agit également de simuler une totale incompétence de l’usager à l’égard du défini, et l’on pourra dire que «la définition de la lexie L1 est sémantiquement plus simple que la lexie L si ou seulement si on a besoin de L1 comme définissant de L alors qu’on ne peut utiliser L pour définir L1» (MEL’CUK, CLAS, POLGUERE 1995: 80).

Quels que soient leurs référents, les définis ne sont que des concepts forgés par l’es­prit humain pour appréhender la réalité. Dès lors, la spécificité, c’est-à-dire l’indication des traits distinctifs propres à marquer la différence entre deux mots classés sous le même générique ou incluant, est la règle principale des définitions lexicographiques et terminologiques. Par ailleurs, «définir un terme, ce n’est pas partir à la recherche d’une définition idéale qui existerait quelque part et qu’il suffirait de retrouver, mais ce n’est pas non plus improviser sans contraintes » (BÉJOINT 1997: 20). Et ces contraintes, dans la plupart des cas, c’est à l’intérieur du système notionnel qu’elles se situent. Cela est d’autant plus vrai pour les dictionnaires spécialisés, dont la nomenclature est faite dans la plupart des cas de mots n’appartenant pas ou n’appartenant qu’en partie au lexique d’une langue naturelle, car leurs définitions doivent refléter et les caractères des concepts véhiculés par les entrées lexicales et les relations systémiques entre les concepts qui relèvent du champ lexical du même domaine. C’est justement par le système des renvois au sein d’un bloc définitionnel que le lexicographe – ou le terminologue – parvient à indiquer les caractères essentiels de la notion plus large sur lesquels se fondent les relations, en les distinguant des notions coordonnées.

2. Renvois implicites, renvois explicites et circularité

«Le code de la définition est une métalangue qui restitue en langue une analyse conceptuelle du concept évoqué par le défini» (REY-DEBOVE 1967: 142). Or dans les dictionnaires spécialisés les éléments de ce code qui appartiennent à la langue naturelle ou sont considérés comme trop peu techniques n’ont en général pas d’entrée dans le même dictionnaire mais en ont forcément une dans les dictionnaires généraux. Il s’agit alors de renvois implicites qui, dans le DAAFAPS par exemple, ne sont pas marqués d’un astérisque. Il est cependant des mots qui ont le double statut de généraux et de spécialisés. Dans ce cas, toujours dans le DAAFAPS, ils sont marqués d’un astérisque et ont leur entrée dans le dictionnaire, suivie d’une description (définition) et d’une zone syntagmatique (contextualisations ou exemples) qui mettent l’accent sur l’acception spécialisée du terme en question et non sur la notion générique véhiculée. Il va de soi que, lorsqu’on travaille sur un corpus que le terminologue confectionne et qui sert de point de référence sur de nombreux aspects de la description terminologique (L’HOMME 2005: 1113), plus le domaine en question est spécialisé, plus il est rare de trouver, dans les définitions, des mots de la langue générale qui présentent ce double statut et qui, de ce fait, tout comme les mots spécifiques, font l’objet de renvois explicites que l’on peut dès lors considérer comme étant la représentation graphique d’une circularité dans la mesure où l’objet du renvoi est morphologiquement et/ou sémantiquement proche du défini.

renvoi = concret

circularité = abstrait

concret + abstrait = notion (concept)

Cette parenté morphologique (mots de même racine), nécessairement accompagnée d’une parenté sémantique, est un indice permettant de confirmer d’entrée de jeu un sens spécialisé. Ce type de renvois a trait aux mots appartenant à ce que Rey-Debove appelle «première métalangue» (REY-DEBOVE 1966-1: 84), qui relève également de la synonymie. Quant à la circularité, matérialisée par ces renvois, elle fonctionne au niveau de l’hyperonyme – incluant ou mot générique – mais aussi au niveau d’un ou plusieurs traits distinctifs (ou traits conceptuels ou encore, plus simplement, caractères), dont le nombre peut être élevé, «qui représentent la différence spécifique et qui sont évidemment eux-mêmes des concepts» (BÉJOINT, THOIRON 2002-1: 121). Toujours est-il que le générique hiérarchiquement le plus proche est forcément le plus spécialisé parmi tous les génériques possibles.

Le sens d’un concept étant en l’occurrence l’ensemble des relations que celui-ci entretient avec les autres concepts, l’essentiel pour le lexicographe et le terminologue est de caractériser formellement ces concepts. Or ces formalismes s’inscrivent dans la méthode que d’aucuns appellent relationnelle et qui s’oppose à la méthode définitionnelle surtout par sa motivation: elle ne pose pas en principe l’exigence de non-circularité qui se révèle si problématique avec l’approche définitionnelle; de plus elle échappe à la difficile question des concepts primitifs, l’objectif premier de la méthode relationnelle étant de représenter la signification des entités lexicales par la place que chaque concept lexical occupe dans un réseau conceptuel (GHADAPOUR 2002). Il faut cependant admettre que la méthode relationnelle est loin de constituer la solution du problème de la représentation sémantique, maisle fait de tolérer cette circularité permet de trouver une description pour n’importe quel mot. C’est justement par ses renvois et ses circularités que le système définitionnel d’une entrée lexicale peut participer à la matérialisation de ces relations: «On dira qu’un A est une sorte de B, tout conne C, mais contrairement à D, qu’il y a N sortes de A, qui sont les E et les F…» (BÉJOINT 2007: 21).

Si l’on excepte les définitions substantielles non périphrastiques, qui consistent en un simple synonyme ou en une série de synonymes de l’unité lexicale – toléré seulement s’il s’agit d’expliquer un synonyme moins usuel par un synonyme plus usuel (v. la définition de damer ci-dessous) – la circularité concerne les définitions substantielles périphrastiques. Ici deux types de circularité paraissent parfaitement admissibles: implicite et explicite, correspondant à des renvois du même type. Dans le cas de définitions morphosémantiques, où certains monèmes du défini son donnés en définissants, la circularité, explicite, concerne les mots morphologiquement proches de l’unité lexicale à définir. Voici quelques exemples tirés du DAAFAPS, se rapportant aux sports de neige, pouvant clarifier ce qui précède.

damage

[n.m.] sports de neige

Action de damer*, de tasser la neige* au moyen d’un dameur*. Résultat de cette action.

damé

[adj., p.p. (damer)]

Qui a fait l’objet d’un damage*.

damer

[ver.]

Tasser le sol, la terre, surtout la neige*.

dameur

[n.m.] sports de neige

1) Personne chargée du damage* des pistes* de ski*. 2) Machine servant à damer*, à tasser.

dameuse

[n.f.] fam. sports de neige

Motoneige* servant à tasser, à damer* la neige*.

Il est évident que la circularité implicite affecte la définitionde damer, qui fait intervenir le verbe tasser synonyme générique de la vedette, tandis que la circularité explicite caractérise la définition de dameuse, du fait de la présence dans la définition du synonyme spécialisé motoneige. Bien entendu le choix du générique est en partie arbitraire, et fonction de l’étendue des connaissances que l’auteur a d’un domaine particulier, mais aussi du niveau de spécialisation du public-cible de la définition. Dès lors, pour un même défini, «plusieurs éléments génériques sont possibles, ceux-ci se distinguant par leur niveau de généralité et, partant, par leur position dans une représentation arborescente» (SEPPALA 2004: 47).

Notons au passage, que dans les définitions ci-dessus les autres mots marqués d’un astérisque sont des mots à double statut (neige, piste). Dans le but d’étayer ces propos, prenons la vedette cavalier du DAAFAPS.

cavalier

[n.m. (f.: cavalière)] sports divers

1) Personne qui monte* à cheval*. 2) Membre* masculin* d’un couple* de danseurs*.

Tout comme neige et piste dans les définitions de damer, dameur et dameuse, ici, monter, cheval, membre, masculin, couple et danseur, mots de la langue générale, ont leur entrée dans le dictionnaire en raison du sens et de l’emploi qui les caractérisent dans la langue des sports (sports équestres, danse).


3. La circularité. Cercle vicieux ?

Les dictionnaires généraux ont l’ambition de définir tous les mots: on dit que ces dictionnaires sont fermés. «La circularité de leurs définitions est inévitable» (MARCUS 1970: 88). Dans les dictionnaires spécialisés, nous l’avons dit, les mots génériques, normalement absents de la nomenclature, sont parfois présents en tant qu’hyperonymes du défini dans les définitions. Or le fait d’utiliser dans la définition un mot qui est hyperonyme du mot à définir conduit à une forme de circularité qui passe pour la seule issue possible, ce qui nous ramène à cette intuition d’Alain Rey, qui remonte à près d’un demi-siècle: «Il semble […] qu’on doive conclure à l’impossibilité pratique d’une définition logique, capable de grouper les éléments nécessaires et suffisants à l’élaboration d’un concept isolable, relié d’une manière biunivoque à une unité lexicale» (REY 1965 : 80). Et pourtant la non-circularité est un des principes de rédaction des définitions terminologiques: la définition ne doit pas renvoyer à une autre qui renvoie à la première, ou encore, la définition ne doit pas commencer avec le terme qui désigne le concept à définir. Comment expliquer alors que les définitions des dictionnaires, c’est-à-dire les définitions lexicales, sont en fait des définitions circulaires? Comme l’a si bien dit Mel’čuk, «affirmer que le défaut fondamental de tous les dictionnaires est la circularité des définitions est depuis toujours un truisme» (MEL’CUK, CLAS, POLGUERE 1995: 79). Mais est-ce vraiment un défaut? ‘Clôture linguistique’ est le terme couramment utilisé qui décrit la circularité des définitions des dictionnaires: un mot renvoie à d’autres mots et en fin de chaîne on se retrouve au point de départ, parce que les concepts ou notions sont caractérisés par leur rôle dans une théorie locale impliquant plusieurs autres concepts; c’est pourquoi lorsqu’on élabore une définition, il ne faut pas présenter, à titre de traits distinctifs, des caractères qui sont contenus dans le terme, s’ils ne révèlent pas la compréhension de la notion. Dans le cadre de cette théorie locale, qui recouvre l’ensemble des relations conceptuelles que l’on utilise pour gérer les connaissances dans un contexte particulier, une notion neprend son sens que dans le réseau de connaissances que mobilise le dictionnaire.

Si l’on n’est pas un grand spécialiste du domaine traité, on aura forcément besoin de connaître les autres concepts constituant un ensemble à l’intérieur duquel le concept défini vient se placer. […] Il s’agit de matérialiser, par des moyens langagiers, les relations qu’entretiennent entre eux les concepts du domaine, sans la connaissance desquelles toute acquisition conceptuelle ne peut être que parcellaire (BÉJOINT 2007: 21).

Comme souvent en terminologie, les définitions de substantifs appartenant à un lexique de spécialité sont en compréhension, c’est-à-dire qu’ils sont formés d’un mot générique et de différences spécifiques, et l’«on peut considérer que le générique, classificateur principal, est l’ED [élément de définition] correspondant au TC [trait conceptuel le plus important, donc celui qui doit figurer en tête du SD [schéma définitionnel]» (BÉJOINT, THOIRON 2002-1: 126). Dans les dictionnaires de spécialité, y compris le DAAFAPS, où il n’est pas rare de rencontrer des définitions utilisant des termes techniques pour définir d’autres termes techniques (on l’a vu pour dameuse), il arrive parfois que la notion définie soit décrite au moyen d’une ou de plusieurs notions qui, à leur tour, sont définies au moyen de la première. Cette circularité peut affecter aussi bien le TC que les traits spécifiques qui sont nommés dans la définition de tel ou tel terme. Il est vrai que souvent ce caractère circulaire se manifeste d’une manière indirecte – par exemple on utilise le terme b dans la définition du terme a, le terme c dans la définition de b et le terme a dans la définition de c (MARCUS 1970: 87) – cependant il existe un type de circularité qui agit dans le même temps au niveau intra et interdéfinitionnel. Deux cas de figure se présentent généralement:

circularité incomplète (non réciprocité): indice de circularité = 1/2
circularité complète (réciprocité): indice de circularité = 1.

Pour illustrer le premier type de circularité, prenons les exemples contracture / contraction (médecine du sport) et jument / pouliche (sports équestres) du DAAFAPS, dont nous reproduisons ici les systèmes définitionnels, limités au sous-domaine en question, où l’on voit bien que le TC figure en tête:

réaction, contraction(musculaire); femelle (du cheval), (jeune) jument.
(a)contraction

[n.f.] méd.

Réaction, réponse mécanique d’un muscle* à une excitation*, selon laquelle il se raccourcit en se gonflant.
(b) contracture

[n.f.] méd.

Contraction* musculaire*, involontaire, durable et sans lésion* de la fibre* musculaire, dont la crampe* est la forme bénigne.
X0 = contracture (b)
X1 = contraction (a)

On constate que X1(a) a été utilisé dans la définition de X0, tandis que X0(b) n’a pas été utilisé dans la définition de X1. L’indice de circularité est égal à 1/2.

a) jument
[n.f.] seq
Femelle* du cheval*.
b) pouliche
[n.f.] seq
Jeune jument* qui n’a pas procréé et qui est généralement âgée de moins de trois ans.
X1 = jument (a)
X0 = pouliche (b)

Ici aussi on constate que X1(a) a été utilisé dans la définition de X0, tandis que X0(b) n’a pas été utilisé dans la définition de X1. L’indice de circularité est égal à 1/2. Les mots femelle, cheval et bien entendu jument font eux-mêmes l’objet d’un traitement dans le dictionnaire. On peut donc affirmer, en l’occurrence, que ce sont des termes, ou tout au moins qu’ils sont considérés comme tels. Il n’en va pas de même pour les autres éléments qui composent les définitions, du fait de leur appartenance au lexique général ou plutôt de leur niveau de spécificité, jugé insuffisant dans ce dictionnaire.

Pour illustrer le second type de circularité, circularité complète, dont on ne trouve pas d’exemples entre substantifs dans le DAAFAPS, prenons un substantif et un verbe:

barre / barrer (aviron, sports nautiques).
a) barre

[n.f.] avi, spn

Pièce de bois ho­ri­zon­tale qui permet de barrer*, c’est-à-dire de ma­nœu­vrer* le gouvernail* d’une embarca­tion*.
b) barrer

[ver.] avi, spn

Manœuvrer* la barre*, le fait d’être à la bar­re.

X1 = barre (a)

X2 = barrer (b)

On constate que X1(a) a été utilisé dans la définition de X2(b) et que X2(b) a été utilisé dans la définition de X1(a). L’indice de circularité est égal à 1. Pour l’usager averti, le côté redondant/tautologique de la définition de barre est pour ainsi dire flagrant. Nous reviendrons plus loin sur cet autre aspect des définitions..
Si l’on étend l’analyse aux mots de même racine que la vedette barre:

barré
[adj., p.p. (barrer)] avi, spn
Se dit d’un bateau*, d’une embarcation* comprenant au moins un barreur*.
barreur

[n.m.] (f.: barreuse)] avi, spn

1) Sportif qui tient la bar­­re* et qui rythme la ca­den­ce de bat­te­ment des avi­rons*. 2) Sportif* qui manœuvre* la barre* d’une embarca­tion*.

on remarque encore une fois que les renvois explicites concernent les mots spécifiques, facilement reconnaissables, appartenant au sous-domaine en question, ainsi que les mots à double statut, spécifique et générique: bateau, embarcation, manœuvrer et sportif, qui renvoient aux entrées et aux définitions suivantes:

embarcation

[n.f.] spn

Bateau*, généralement de petites dimensions.

manœuvrer

[ver.] sports divers

1) En parlant de l’équipage*: agir sur la barre*, le gréement*, les voiles* et le moteur*, en sorte de faire évoluer un bateau*, changer de cap* ou d’allure*, effectuer une manœuvre*. 2) En parlant d’un bateau*, obéir à la barre* et aux voiles*.

sportif

[n.m.] [adj. (f.: sportive)]

1) Per­son­ne qui pratique un ou plusieurs sports*. 2) Relatif au sport*, qui concerne le sport, la pra­tique des sports. 3) Qui conserve ou ma­nifeste une attitude spor­tive, un es­prit sportif.

Les systèmes définitionnels des différentes entrées ci-dessus, si l’on excepte sportif, prouvent bien que les renvois permettent de progresser dans l’appréhension du champ lexical, sémantique et notionnel du (des) sous-domaine(s) et des relations entre les notions, et que la circularité qui en découle indique simplement que dans le cadre du parcours notionnel effectué de renvoi en renvoi l’on peut faire le tour des développements possibles de la notion de départ (AUGER 1997: 106). Si malgré tout les descriptions métalinguistiques (définitions) révèlent des insuffisances d’ordre conceptuel, les contextualisations (exemples) dont il est souhaitable qu’elles soient assorties «authentifient la validité des définissants et permettent une perception plus concrète du défini» (CORBIN 2006: 126), car les exemples échap­pent aux principes de rédaction des dé­fi­­ni­­tions. Le prin­­­­­­cipe de simplicité, par exemple: ils peuvent en effet pré­ciser des carac­té­ris­tiques intrinsèques (nature, matière…) et extrin­sèques (forme, fonc­tion, origine, des­ti­na­tion...) de l’ob­­­jet re­présen­té par le con­cept; le prin­cipe de non-cir­cularité: l’exemple doit contenir le terme dénotant le concept à définir. Le contexte peut donc être une issue de l’impasse où se trouve bien souvent la définition.


4. Circularité, redondance et tautologie

La chasse aux cercles vicieux dans les définitions semble être devenue un des passe-temps favoris des théoriciens de la lexicographie. Force est de reconnaître que la circularité que l’on peut observer dans les dictionnaires de langue générale se retrouve dans les recueils terminologiques et dans les dictionnaires spécialisés, dont on dit qu’ils sont ‘ouverts’. Pour l’utilisateur, cela signifie qu’aucune consultation ne peut aboutir sans le recours à un savoir lexical supplémentaire, autre que celui qui est consigné dans le même recueil, ou dictionnaire, qui est donc, d’une certaine manière, inséparable des dictionnaires de langue générale qui sont les dépositaires du sens des mots (BÉJOINT 1997: 25).

En somme, la définition souffre de maintes lacunes, ce qui rend la tâche du l’usager difficile et ne permet pas au lexicographe ou au terminologue d’atteindre pleinement son objectif. Or nous pouvons distinguer deux points de vue différents quant à la définition dans les dictionnaires: celui des lexicologues, qui affirment qu’ «il n’est pas indispensable que celle-ci soit impeccable aux points de vue logique, scientifique, sémantique pour qu’elle joue le rôle qu’il [le lecteur] attend d’elle...» (PICOCHE 1977: 134), et celui de ceux qui postulent que celle-ci doit être perfectionnée au profit du lecteur: «Tout nom est défini par un nom qu’on ne peut dissocier du concept» (REY-DEBOVE 1967: 144), ou encore: tout le défini, rien que le défini.

La précision du sujet en 1ère métalangue – à laquelle appartiennent les mots faisant l’objet de renvois explicites – étant parfois délicate, il est des définitions qui ne donnent aucune analyse du défini mais seulement sa fonction ou emploi au moyen de caractères spécifiques ou traits distinctifs «qui sont de véritables axiomes de la description lexicale; ils constituent un système de référence, un système de coordonnées où chaque mot du champ lexical envisagé trouve sa place bien déterminée» (MARCUS 1970: 91). Mais si, comme on vient de le voir, la définition n’est pas une paraphrase du terme désignant le concept, mais bien une description des caractéristiques du concept, elle ne saurait échapper au danger que représentent la redondance et la tautologie. Une définition redondante ou tautologique ne fait que reprendre le même concept sous diverses formes, sans détailler les éléments de signification (sèmes génériques, spécifiques, virtuels). Reprenons la définition 2) de sportif ci-dessus: Relatif au sport*, qui concerne le sport, la pra­tique des sports. Il est clair qu’il s’agit là d’une définition multiple, redondante, «globalement formée de deux définitions conjointes, séparées par une virgule ou un point virgule, réalisant le même contenu dans des formes différentes […]. Le lexicographe compte sur cette redondance pour chasser l’ambiguïté» (REY-DEBOVE 1971: 207). C’est un phénomène observé par Rey-Debove dans bon nombre de dictionnaires. Il en est de même de la définition 1) de difficulté telle qu’elle apparaît dans le DAAFAPS.

difficulté

[n.f.]

1) Caractère de ce qui est difficile; ce qui rend qqch. (plus ou moins) difficile. 2) Passage difficile dans l’exécution* d’un exercice*. 3) Elément important du mérite technique* d’un programme*, constituant un test du degré d’habileté* d’un sportif. […].

Malgré son côté générique et redondant, cette définition sert en quelque sorte d’introduction aux descriptions spécialisées données aux définitions 2) et 3).

Pour en venir à la tautologie – laquelle semble expliquer ou justifier un énoncé alors qu’elle ne fait que le répéter – on peut dire qu’elle cache une absence d’argument. Mais l’argumentation est un domaine plus vaste que celui des définitions terminologiques. Dans les blocs définitionnels que nous avons reproduits plus haut, il en est quelques-uns dont on pourrait dire qu’ils versent dans la tautologie: ce sont les définitions de damer, dameuse, contraction et pouliche qui recourent à des génériques proches des définis, et on sait pertinemment que plus un générique est proche du défini, plus sa charge sémantique est forte. Et puisque «c’est le synonyme qui est théoriquement le générique le plus proche» (REY-DEBOVE 1971: 231), il s’ensuit que ce sont les synonymes du défini qui ont la charge sémantique la plus forte. Fondamentalement, c’est-à-dire quant à la classe sémantique dont relève la définition, définition et synonyme sont une seule et même chose: ils consistent à placer derrière le mot vedette une séquence langagière sémantiquement équivalente, avec cette seule différence que la définition explicite le contenu commun au défini et au définissant alors que le synonyme suppose que le travail d’explicitation a été fait d’avance et est donc inutile ou est laissé à la diligence du lecteur. Selon Sager ce type d’incluant, le synonyme – dont le contenu sémantique est pratiquement le même, à quelques nuances près – pose un problème de tautologie, puisqu’il se trouve conceptuellement au même niveau hiérarchique que le défini. Il n’apporte donc rien de plus sur le concept que le défini lui-même (SAGER 1990: 41)

On verse dans la circularité, la redondance ou la tautologie par facilité, par excès de confiance. Le lexique étant idiomatique et non pas autonome, selon le degré de l’autonomie des mots dans la langue on peut alors, on l’a vu, user du contexte sans poser d’a priori sur d’éventuelles circularités ou redondances, et ce bien que l’évitement de la circularité, de la redondance ou de la tautologie soit motivé à la fois sur le plan technique et sur le plan cognitif.

Conclusion

La finalité des définitions des dictionnaires est essentiellement d’ordre pratique: elles permettent le décodage d’un discours. Une bonne définition doit être précise, rigoureuse, exhaustive et spécifique, elle doit comprendre les caractères non accidentels de l’objet défini et enfin éviter, autant que possible, la circularité et la tautologie. Ce sont là des points essentiels auxquels la lexicographie monolingue ne peut pas se dérober. Concernant la circularité, on s’accorde pour dire que le problème théorique qu’elle pose trouve sa solution dans la résignation (à laquelle doivent consentir lexicologues et lexicographes) à laisser un certain nombre de termes en dehors de l’analyse componentielle, la suggestion de termes en opposition sémantique étant suffisante pour les personnaliser. Cela vaut bien évidemment pour les dictionnaires généraux, où les mots sont normalement définis par d’autres mots plus simples que les mots à définir, bien que cette idée de simplicité soit plutôt floue car «elle dépend du système sémio-culturel du lecteur» (REY-DEBOVE 1967: 142). Quant aux dictionnaires spécialisés, si l’on doit privilégier l’appréhension globale du champ notionnel du domaine dans lequel se situe une forme, la circularité des définitions n’est pas toujours un défaut. Si c’était le cas, considéré dans son ensemble, et non dans chacune de ses définitions, tout dictionnaire unilingue spécialisé pècherait par circularité, puisque tout mot spécifique intervenant dans les définitions revient nécessairement dans la nomenclature. Comme le prouvent les exemples proposés, le parcours discontinu qui caractérise cette circularité, qui peut se prolonger à l’infini, témoigne au contraire du bénéfice que l’on peut attendre de la circulation rapide à l’intérieur du dictionnaire par une consultation en cascade: le sens d’une entrée se précise en présence d’une seconde puis d’une troisième entrée associée… (SEPPALA 2004: 31). Ainsi par exemple, dans le DAAFAPS, le sens de barre s’éclaire au contact de gouvernail, celui de contracture au contact de contraction… et ainsi de suite pour de nombreuses autres entrées.On ne pourra alors parler de circularité, redondance, tautologie ou encore de redite comme des défauts à proscrire que dans la mesure où les éléments définitoires ou définissants, c’est-à-dire les mots servant à définir, n’apportent pas d’information supplémentaire ou plus détaillée sur le défini. Le lexicographe ou le terminologue soucieux de précision et d’exhaustivité tente parfois d’écarter ce danger en élaborant des énoncés définitoires longs. Mais, comme l’explique Rey-Debove, «d’une façon générale, plus l’expansion (périphrase) de l’énoncé est longue plus les mêmes sèmes sont redondants» (REY-DEBOVE 1971: 218). On peut cependant inférer de cette remarque que plus la périphrase est longue plus elle est explicite, alors même qu’elle n’apporte aucune information nouvelle à cause de la redondance du discours naturel. Faut-il par conséquent demander au lexicographe ou au terminologue d’être concis? Sans doute, car qui dit concision dit aussi spécialisation du vocabulaire définitoire. Mais là encore on ne sait que trop que la concision des définitions exige toujours un très grand effort d’interprétation de la part de l’usager/décodeur…

Bibliographie

A. AUGER, «Repérage des énoncés d’intérêt définitoire dans les bases de données textuelles», thèse, 1997 (http//doc.rero.ch/record/473/files/these_AugerA.pdf?ln=frversion=1 consulté en août 2008.

H. BEJOINT, «Regards sur la définition en terminologie», Cahiers de lexicologie, LXX, 1997-1, p. 19-26.

H. BEJOINT, Ph. THOIRON, «Schéma définitionnel, définition et traitement lexicographique des termes», Cahiers de lexicologie, 2002-1, p. 121-134

P. CORBIN, «Des occurrences discursives aux contextualisations dictionnairiques. Eléments d’une recherche en cours sur l’expression en français d’expériences du football», Actes des premières journées allemandes des dictionnaires, Klingenberg am Main, 25-27 juin 2004, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 2005 (« Lexicographica Series Maior »), p.125-156.

L. GHADAKPOUR, «Le système conceptuel, à l’interface entre le langage, le raisonnement et l’espace qualitatif: vers un modèle de représentations éphémères», thèse, 2002 (http//perso.telecom-paristech.fr/~jld/theses/laleh/Ghadakpour%20-%20These.pdfcon­sul­té en juillet 2008).

M. Cl. L’HOMME, «Sur la notion de terme», Meta, L, 4, 2005, p. 1110-1132.

S. MARCUS, «Définitions logiques et définitions lexicographiques», Langages, sept. 1970, p. 87-91.

I. A. MEL’CUK, A. CLAS, A. POLGUERE, Introduction à la lexicologie explicative et combinatoire, Louvain-la-Neuve, Duculot, 1995.

J. PICOCHE, Précis de lexicologie française, Paris, Nathan, 1977.

A. REY, «À propos de la définition lexicographique», Cahiers de lexicologie, VI, 1965-1, p. 67-80.

J. REY-DEBOVE, «La définition lexicographique: recherches sur l’équation sémique», Cahiers de lexicologie, VIII, 1966-1, p. 71-94.

J. REY-DEBOVE, «La définition lexicographique; bases d’une typologie formelle», Travaux de linguistique et de littérature, 1967-1, p. 141-159.

J. REY-DEBOVE, Étude linguistique et sémiotique des dictionnaires français contemporains,Mouton, The Hague, Paris, 1971.

J. SAGER, A practical course in terminology processing, Amsterdam-Philadelphia, John Benjamins, 1990.

S. SEPPALA, «Composition et formalisations conceptuelles de la définition terminographi­que», mémoire de DEA, 2004 (www.unige.ch/eti/termino/pagesperso/pub/seppala_dea.pdf consulté en juillet 2008).


 

Dipartimento di Lingue e Culture Moderne - Università di Genova
Open Access Journal - ISSN 1824-7482