Les aspects rhétorico-pragmatiques de la définition (étude d’un corpus d’argumentations en français de Côte d’Ivoire)
1. Introduction
GREIMAS (1979) écrivait dans son introduction de du Sens : « L'homme vit dans un monde signifiant. Pour lui, le problème du sens ne se pose pas, le sens est posé, il s'impose comme une évidence, comme un "sentiment de comprendre" tout naturel […].Cependant, une délimitation des champs de compétence en linguistique sous-tend que le « sens », dans ses déclinaisons, oscille entre le « dénoté » et le « connoté », ces épithètes visant à rendre compte tout à la fois de la stabilité sémantique et de la dynamique sémique du mot en tant qu’élément primordial du discours. Deux branches de la linguistique s’interrogent sur ces différentes acceptions du « sens ». D’une part la sémantique qui étudie le « dedans », c’est-à-dire le sens d’un mot par rapport à lui même et par rapport aux autres mots avec lesquels il compose un énoncé donné, dont elle précise aussi et conséquemment les attentes, à la fois d’émission et de réception. D’autre part, la pragmatique qui aborde le sens du « dehors », c’est-à-dire en tenant compte des conditions de construction du sens en fonction de ses conditions d’énonciation.
Au regard de ces deux champs d’analyse de la construction de la signification lexicale en langue et en discours, nous nous intéressons dans cette étude à l’analyse des procédés par lesquels locuteurs et scripteurs travaillent à donner du sens à leurs énoncés, par l’utilisation de la définition, comme outil de construction du sens du lexique, mais également comme figure de discours rhétorique, et à ce titre comme moyen permettant d’intégrer l’environnement énonciatif de l’énoncé. En effet, une définition est tout à la fois : une formation linguistique permettant de construire le sens dénotatif, mais également le sens connotatif d’un objet, une figure de rhétorique et d’argumentation, en tant qu’elle est dotée d’une « structure déterminée » et qu’elle constitue une « technique discursive», ainsi qu’une construction pragmatique puisque ce qui est en jeu n’est pas l’effet réel sur le récepteur, mais essentiellement l’intention présumée du locuteur visant un auditoire construit dans et par son discours. En effet, dans une énonciation, pour qu’un orateur puisse convaincre un auditoire donné (le pathos), il doit s’adapter aux caractéristiques de celui-ci.
Cette étude s’appuie sur notre travail de thèse qui interroge l’influence du contexte sociolinguistique de la Côte d'Ivoire sur les pratiques discursives de locuteurs et scripteurs ivoiriens, et en particulier sur le choix des arguments utilisés lors de la construction d’une argumentation. En effet, même si la Côte d’Ivoire est le creuset de plusieurs langues vernaculaires, puisqu’elle a le français comme langue nationale, apparaissent dans le français des Ivoiriens des constructions sémantiques spécifiques induites, notamment, par les valeurs ivoiriennes. Une lecture rhétorico-pragmatique de deux corpus (des débats télévisuels et des copies d’étudiants) nous permettra, dans un premier temps, d’étudier les genres de définitions utilisés dans chacun des corpus pour construire le sens des énoncés, afin de montrer in fine que ce travail de construction du sens est fonction non seulement des conditions, des objectifs, et de l’environnement de l’énonciateur, mais également de la cible, c’est-à-dire de l’auditoire du discours.
2. Situation sociolinguistique de la Côte d’Ivoire
Le contexte ivoirien a retenu notre attention du fait que sa situation sociolinguistique est particulière, et que le français qui y est pratiqué est décrit comme spécifique. En effet, la Côte d’Ivoire est le creuset de plusieurs langues vernaculaires, mais comme l’indique la constitution adoptée en 1960 à l’indépendance, la langue officielle de la Côte d’Ivoire est le français. Cette langue est, comme beaucoup d’autres institutions en Côte d’Ivoire, un héritage de la colonisation française, introduit historiquement à travers le système scolaire, et qui subit aujourd’hui un processus d’acclimatation par l’apparition d’une variation du français. En outre, le contexte d’utilisation du français se reflète dans une rhétorique, elle aussi caractéristique, et correspondant à des stratégies discursives particulières.
En 1971, CANU (pp 3-17) relève que la présence d’une langue étrangère n’est pas toujours bien acceptée par certains Africains du fait que pour eux « la langue sert de véhicule et de support à toute la civilisation d’un peuple, ses traditions, ses mythes, ses légendes sa littérature orale, ses coutumes » et qu’elle est donc bien plus qu’un véhicule ou un support, qu’elle est « l’essence même de la civilisation ». En effet, CANU considère que « La conceptualisation de l’univers diffère selon chaque civilisation et il est difficile, sinon impossible de l’exprimer dans une langue étrangère dont les structures internes et profondes ne répondent pas nécessairement au mode de pensée particulier d’une société » et que « Abandonner sa langue revient donc pour la majorité des individus à renier sa civilisation ». En effet, malgré sa position dominante, le français demeure encore une langue seconde pour nombre de locuteurs africains et il a encore du mal à s’intégrer au dispositif d’intercommunication africain, notamment sur les marchés où sont encore largement utilisés les véhiculaires africains (CALVET, 1994). Ainsi, parfois perçue comme une langue étrangère véhiculant une culture étrangère, le français, sous sa forme standard, serait encore considéré comme inapte à traduire certaines valeurs africaines, malgré une adhésion pourtant massive aux modes de vie “occidentaux”.
DUPONCHEL (1979) explique que « dans cette optique le français paraît devoir jouer pour l’essentiel en Côte d’Ivoire, le rôle qu’i1 joue pour un Français de souche ». Par là, il souligne toute l’ambiguïté du rôle assigné au français, non seulement canal de diffusion de la Connaissance et de la Culture, mais aussi langue seconde et non pas langue maternelle. Pour reprendre l’expression consacrée, le français en Côte d’Ivoire est donc aussi une langue de culture. En conclusion, le français doit à la fois permettre de transmettre la totalité de l’expérience vécue, donner l’accès à l’activité politique et sociale, exprimer un ensemble de concepts de plus en plus élaborés. En outre, il constate que malgré son importance, le français, langue officielle, n’est pas senti comme une réalité nationale. En effet, il observe que les Ivoiriens revendiquent « le droit de parler le français à leur manière ». Ainsi, pour lui, « ces faits ... semblent montrer que la langue seconde n’est plus tout à fait sentie comme un corps étranger et intouchable, mais comme une réalité vivante pouvant s’adapter à un contexte socio-culturel très spécifique ».
LAFAGE (1980) pense que pour comprendre la manière dont se construit le « français populaire », il faut d’abord faire une analyse sociolinguistique de la communication entre locuteurs d’une langue africaine. Ainsi, elle observe que la communication en français se calque sur les modèles communicatifs africains, notamment en ce qui concerne la stratification de la société. Concernant les “lettrés”, MANESSY (1979) observait l’empreinte des substrats auxquels les variétés de français se sont superposées. Selon lui, cette pression s’est exercée à tous les niveaux et en particulier au niveau de la grammaire, et a amené des interférences entre les langues en contact. A ce sujet il écrivait : « L’influence de la langue maternelle s’exerce naturellement aussi au niveau du vocabulaire et de la phraséologie. Les calques confèrent au français d’Afrique une bonne part de son pittoresque ». DUMONT (1990) souligne, lui aussi, que ce français a ses propres structures lexicales et sémantiques, qui ont largement été décrites, mais aussi des caractéristiques syntaxiques et phonologiques, encore mal connues car peu étudiées. Ainsi, DUMONT (1995 pp. 96-97) considère que « les locuteurs africains sont en train de s’approprier la langue française : un parler français régional africain, avec des variétés locales, subrégionales, est en passe de se développer et de devenir un véritable instrument de communication interethnique et interculturelle et, partant, un instrument de la modernité ». Pour lui ce « français d’Afrique, à la fois un et plusieurs, peut être considéré comme le trait d’union entre les diverses situations linguistiques africaines ».
SIMARD (1994) considère lui que aujourd’hui « il ne fait aucun doute que le français de Côte d’Ivoire se soit ivoirisé. C’est-à-dire qu’il y a une norme locale, endogène qui y régit maintenant les usages » au point que l’on puisse même parler d’un « français de Côte d’Ivoire». Pour lui, la langue française s’est fondue dans le moule de la société ivoirienne, pour en arriver à « une symbiose entre la langue et la société », et il ajoute qu’on peut même parler de « vernacularisation » du français, car « cette langue est le reflet et l’expression de la société ivoirienne, tant au plan de sa structure sociale qu’à celui de sa façon d’appréhender le monde et d’en rendre compte ». Pour lui, ceci s’explique par le fait que la variété centrale de français pratiqué en Côte d’Ivoire, bien que fortement marqué par la norme académique a aussi pour origine le Français Populaire Ivoirien et la structure des vernaculaires ivoiriens, ainsi que « le mode de conceptualisation propre à une civilisation de l’oralité». Il remarque donc que lorsqu’un Ivoirien parle français, même s’il emploie les règles de la grammaire française, il utilise aussi le français « selon son propre mode de production de sens en fonction de son identité culturelle ». D’après KOUADIO (1998), le français tel qu’il est pratiqué en Côte d’Ivoire s’est même tellement particularisé qu’on peut dire aujourd’hui qu’il est devenu une variété autonome par rapport au français central. En effet, il souligne qu’en Côte d’Ivoire « plusieurs variétés de français coexistent, se concurrençant souvent, s’interpénétrant parfois correspondant toujours à des besoins et à des situations de communication spécifiques ».
En effet, MANESSY (1992) pense que la norme endogène africaine vient de « la culture traditionnelle » sur laquelle s’appuie la société africaine d’aujourd’hui, et notamment sur le statut particulier qui y est reconnu à la parole, dont les règles se reflètent dans une rhétorique et une stylistique spécifique. Il reconnait lui aussi que ces spécificités sont à la fois d’ordre phonétique et prosodique, mais aussi lexical (dans les calques et les emprunts), ainsi qu’au niveau de la phraséologie, et constituent « un lieu d’exercice privilégié pour la fonction identitaire du langage » car « les traits y acquièrent aisément une signification sociale » et permettent de catégoriser l’expérience et d’organiser le message et l’énonciation. Pour WALD (1990) et MANESSY (1993, 1994) l’appropriation d’une langue signifie la liberté de pouvoir la choisir « à titre de choix de code » c’est-à-dire autant comme langue véhiculaire, dans les situations sociales qui la requièrent, que comme langue vernaculaire. Ainsi, en Afrique le français est utilisé aussi bien dans les situations qui déterminent son usage officiel (enseignement, administration, ...) que dans des situations comme le commerce, où il est amené à remplir les fonctions interactionnelles et intégratives qu’assume normalement “le parler propre à une communauté”. WALD indique aussi qu’en Afrique, la compétence en français est « un attribut de la position sociale des individus », et son appropriation par les lettrés « en tant que catégorie sociale, est rendue possible par leur rapport commun à la norme » qui les légitime. Ainsi, même si l’appropriation du français par les Africains reste tributaire de la norme, elle permet aussi d’introduire « un français africain endonome, sinon endogène ».
La définition : une figure de style argumentative et pragmatique
L’inventeur de la définition serait, selon ARISTOTE (1991), SOCRATE, qui cherche ce qui fait qu’une chose est telle qu’elle est, et, pour ce dernier, il y aurait des caractères communs aux choses, une essence, dont la formulation est la définition. Cependant, le point de départ de SOCRATE est existentiel : il s’agit de prendre conscience de ce que nous disons et de ce que nous faisons quand nous suivons des conceptions morales ou scientifiques. La définition permet ainsi de mettre à l’épreuve notre prétendu savoir, surtout quand SOCRATE montre à ses interlocuteurs qu’ils ne savent pas produire une définition cohérente de ce qu'ils pensent : ils ne pensent donc rien de défini, rien qui n’ait une extension précise et bien déterminée. D’après le dictionnaire Larousse (2000), une définition est « une explication du sens d’un mot par l’énonciation de la nature et des qualités essentielles de l’être ou de la chose que ce mot désigne ». Ainsi, une définition pose une équivalence entre un terme (signifiant) et un sens (signifié), car elle autorise à remplacer le second par le premier et revêt ainsi une utilité pratique. Par conséquent, la question est d’abord celle du sens, puisque la définition est un discours qui dit ce qu’est une chose ou ce que signifie un nom, d’où la division entre les définitions réelles (le sens dénoté) et les définitions nominales (le sens connoté). En effet, la définition s'inscrit dans l’ordre de la dénotation, grâce à une structure interne qui s’exprime notamment à travers l’étymologie lexicale, mais également dans la connotation, par une structure externe de l’espace des signifiants. On le voit, le concept de définition ne s’impose pas de lui-même car, impliquant et indiquant des choix, il nécessite de se s’interroger sur les usages et les acteurs qui servent une définition. Ainsi, la définition établit une frontière entre le mot défini, et les mots utilisés pour l’expliciter, en présentant une structure ordonnée, une arborescence par niveaux entre des classes de mots. Pourtant, on remarque que cette structure est locale, et que cet ordre n’est qu’une illusion, puisque la définition est également le résultat d’une opération qui introduit le temps (le sens défini), ainsi qu’un acteur, souvent implicite, producteur d’un sens connoté.
Au regard de ces observations, nous pouvons donc considérer la définition comme une figure du discours, « dont la forme est discernable par une structure particulière » et qui est « argumentative si son emploi, entraînant un changement de perspective, paraît normal par rapport à la nouvelle situation ainsi suggérée » (PERELMAN, 1988, p. 53). En effet, argumenter, c’est mettre en forme, présenter une thèse ou une opinion d’une certaine façon. L’usage courant du terme « argument » désigne presque toujours un contenu donné en même temps que la mise en forme dont il est l’objet. Ainsi, si l’on considère le type d’arguments utilisés par des énonciateurs pour étayer leur thèse, on peut repérer des arguments par liaison (quasi-logiques, basés sur la structure du réel et fondant la structure du réel) et des arguments par dissociation. Concernant la définition, elle se situe dans les arguments quasi logiques qui se présentent comme étant comparables à des raisonnements formels, logiques ou mathématiques. Des trois familles d’arguments, celle-ci est la plus proche de la démonstration et du raisonnement formel, mais elle s’en distingue par le fait qu’elle n’est pas « contraignante » là où le raisonnement logique l’est absolument « car il résulte d’un processus de simplification qui n’est possible que dans des conditions particulières, à l’intérieur de systèmes isolés et circonscrits » (PERELMAN, p. 260). Cet apparentement de l’argumentation et de la démonstration, cette dernière étant un raisonnement incontesté, est ce qui donne à l’argument quasi-logique sa puissance persuasive. La définition constitue donc un argument car « dans la mesure où elle oriente le raisonnement, elle doit être justifiée » (PERELMAN, p. 286). Au sein d’un système formel, la définition relève ainsi du principe d’identité, entre le défini et le définissant, et en argumentation, la définition peut être soit « normative », soit « descriptive » (soit un mélange des deux). L’usage argumentatif des définitions suppose en conséquence la possibilité de définitions multiples entre lesquelles il est possible de faire un choix.
En outre, selon la rhétorique, « des opérateurs du sens commun (les topoï) garantissent la constante régulation du sens » (SARFATI : 2005). La notion de sens commun renvoie à une rationalité commune, faculté organisatrice des données de la perception, et à la doxa qui réfère à l’opinion commune. Les topoï sont essentiellement constitués pour les Sciences du langage, de la doxa, structurée en dispositifs d’opinions (les lieux ou les topoï). En effet, pour PERELMAN (1988), « Pour qu’il y ait argumentation, il faut que, à un moment donné, une communauté effective des esprits se réalise. Il faut que l’on soit d’accord, tout d’abord et en principe, sur la formation de cette communauté intellectuelle et, ensuite, sur le fait de débattre ensemble une question déterminée » (1988 : 18). En outre : « La connaissance de ceux que l’on se propose de gagner est une condition préalable de toute argumentation efficace » (1988 : 26), ce que soutenait déjà ARISTOTE quand il affirmait que l’on n’argumente qu’à partir d’opinions préétablies, et par conséquent « la culture propre de chaque auditoire transparaît à travers les discours qui lui sont destinés » (p. 26), puisque le choix des données et leur présentation varieront en fonction des valeurs de l’auditoire (le pathos). Enfin, l’analyse de l’argumentation s’inscrit dans une perspective communicationnelle (BRETON : 2001 ; 2003), car c’est une situation de communication, qui doit être « une éthique de la communication » en restant dans le champ du vraisemblable, et en laissant le public libre d’adhérer à l’opinion. En effet, pour BRETON, l’argumentation se démarque nettement de la « manipulation » qui, elle, ne respecte pas la liberté de réception de l’auditoire. Ainsi, l’argumentation est tout autant un « raisonnement de communication », car il faut convaincre avec raison, et non pas seulement avec passion, qu’un raisonnement dans lequel l’« accord préalable » joue un rôle primordial puisqu’il sert à la fois de stratégie argumentative (préparation et mise en oeuvre de l’argumentation), et qu’il donne les raisons d’adhérer à une opinion (la résonance dans le connu et le familier, la curiosité pour l’étrange, et l’intérêt pour le nouveau). Selon BRETON (2003) l’acte argumentatif est un processus qui s’appuie donc sur la recherche par un émetteur d’un accord préalable avec un auditoire, par l’usage d’un raisonnement argumentatif (autorité, cadrage, analogie ou valeurs), et, de ce fait, le mécanisme de l’adhésion argumentative est un phénomène social qui dépend d’un certain nombre de facteurs, dont les caractéristiques sociales, culturelles et environnementales des partenaires (l’éthos), et qui requiert la maîtrise de procédés linguistiques propres à créer cette adhésion.
3. Procédés de construction et fonctions rhétoriques des définitions
Notre étude des procédés de construction des significations lexicales et des fonctions rhétoriques et pragmatiques des définitions, sera construite autour de l’analyse de discours spontanés de locuteurs et scripteurs ivoiriens, lors de deux débats entre étudiants ivoiriens, mais également de copies d’étudiants de l’Université d’Abidjan. Dans un premier temps, nous rendrons compte des structures linguistiques des définitions rencontrées dans nos deux corpus, afin in fine d’en déduire leurs fonctions rhétoriques et pragmatiques, au sein d’un discours argumentatif, et au regard des rôles joués par l’éthos et le pathos de l’énonciateur et de l’auditoire, au cours de la construction des énoncés.
3.1. L’emploi de la définition dans les débats
Dans les débats télévisuels enregistrés et analysés, nous avons relevé l’emploi d’un certain nombre de définitions par connotation, que ce soit dans le débat sur les jeunes et la politique, ou dans celui sur l’amitié entre filles et garçons.
Les jeunes et la politique
(1) le bon politicien doit d’abord être un fils du terroir ensuite il doit être intègre incorruptible parce que la plupart du temps les politiciens on remarque sont plus attirés par l’argent la corruption et tout ça donc il doit être incorruptible et il doit avoir l’amour de son pays
(2) bon c’est vrai que dans les définitions conventionnelles la jeunesse va jusqu’à 40 ans mais à voir de près un homme de 40 ans il n’est plus jeune
(3) je dirais comme ça d’emblée que l’idéal voudrait que le bon politicien soit celui-là même qui soit en mesure / d’écouter le peuple / d’être à la merci du peuple / euh de prendre en compte toutes les aspirations du peuple mais ce que nous constatons ici pour être plus précisément en Côte d’Ivoire notre pays / nous pensons que nous suivons ces politiciens par fanatisme et non par le message idéologique politicien que ceux-là même véhiculent
L’amitié filles-garçons
(4) l’amitié c’est quand il y a une certaine confiance qui naît entre le garçon et la demoiselle
(5) l’amitié bon ils ont dit l’amitié moi je l’appelle ami quelqu’un avec qui tu partages tes confidences quelqu’un vraiment en qui tu as confiance à 100 %
(6) pour moi l’amitié c’est quoi ça doit s’étendre sur toute une vie si on prend la définition même du mot ami toute une vie
Les exemples précédents nous permettent d’observer que les participants aux débats ont recours essentiellement à des définitions à partir du sens connoté des lexies Homme Politique et Amitié pour construire leurs discours, puisque les définitions qu’ils proposent servent à caractériser des personnes (le bon politicien ; l’ami) à travers leurs qualités présumées (l’intégrité, l’écoute ; la confiance). En outre, ils utilisent la définition pour étayer leur argumentation en s’appuyant notamment sur leur environnement social (la corruption), ainsi que sur leur expérience personnelle (la confiance). Par cette utilisation, nous remarquons que l’argumentation s’effectue toujours en contexte et qu’y interviennent des valeurs, des principes, des croyances, des présupposés et des préjugés, qu’ont en partage l’orateur et son auditoire. De plus, les locuteurs se servent de la définition pour présenter la thèse de leurs adversaires potentiels et pour l’invalider, et ainsi énoncer la leur. Elle sert donc à défendre ou à attaquer une opinion, et elle s’incarne dans des énoncés qui visent à convaincre l’auditoire du bien-fondé de leur opinion. Dans les débats, les locuteurs utilisent donc la définition pour renforcer leur thèse et se conférer une crédibilité auprès de l’auditoire, et en ce faisant, ils introduisent leur point de vue sur l’objet étudié (la politique, l’amitié) afin d’orienter l’opinion des participants vers une autre thèse, mais de façon implicite. En effet, ces différents exemples déploient le potentiel sémantique connotatif des deux lexies étudiées, conformément à leur protocole sémantique, avec un renforcement de ce potentiel par les stéréotypes contenu au niveau de leur noyau stable : Politique et Ami.
3.2. L’emploi de la définition dans les copies
Dans les copies analysées, nous avons pu observer que les scripteurs utilisent également des définitions connotées, et cela dans les deux devoirs : celui sur l’école traditionnelle, et celui sur la vertu.
L’école traditionnelle
(6) l’éducateur doit surtout savoir que l’enfant dont il est en charge est un individu tiré d’un groupe avec toutes ces réalités et mis dans un autre groupe avec ces réalités.
(7) L’école est une institution qui a pour but de donner les éléments nécessaire à un individu pour que lui-même participe à sa formation et qu’à la fin de sa formation il devienne autonome.
La vertu
(8) La vertu étant une disposition constante de l’âme qui porte à faire le bien, est vue comme quelque chose de bon.
(9) La vertu se définit comme une force morale, une énergie morale appliquée à suivre la règle, la loi morale définie par quelque type de société que ce soit. C’est donc une disposition quasi constante à accomplir des actes nobles par un effort de volonté ; bref c’est une haute qualité.
Dans les dissertations, les scripteurs utilisent également des définitions à partir du sens connoté des lexies Enfant et Vertu. Dans le thème sur l’école traditionnelle, les définitions sont utilisées par les locuteurs pour fournir leur propre description des caractéristiques des différents objets auxquels ils se réfèrent au cours de leur analyse (l’enfant, l’école). Ce procédé sert à donner un aspect objectif à l’énoncé, dans le but de conférer de la validité et donc de la crédibilité aux scripteurs. Dans le thème sur la vertu, les définitions utilisées par les scripteurs leur servent à caractériser les personnes en fonction de leurs qualités (faire le bien, force morale, …). Dans ce cas, leur approche de la thématique est subjective car ils s’appuient essentiellement sur la doxa pour conforter leur thèse et se conférer de la crédibilité auprès de leur lecteur. En outre, en tant qu’arguments quasi-logiques, la définition est utilisée pour donner une apparence logique à leur argumentation et ainsi lui conférer de la validité. En effet, la validité de l’argumentation ne dépend pas de critères logiques relatifs à la vérité des prémisses, mais à des critères dialectiques relatifs à leur acceptabilité. Ainsi, l’argumentation est affaire non pas de vérité ni même d’adhésion à la vérité, mais de croyance, car la finalité persuasive est déterminante pour la validité des arguments. Ceci explique qu’un locuteur cherchant à persuader un auditeur pourra utiliser des prémisses qu’il sait être acceptées par son auditoire, même si elles ne sont pas vraies ou connues comme telles. En effet, la logique joue un rôle dans un certain nombre d’arguments, même si ces arguments ne sont pas évaluables en fonction de leur rigueur formelle mais de leur acceptabilité. Ainsi, stipuler qu’un argument est valide, c’est marquer que ses prémisses, conclusion et procédé d’inférence sont acceptés. En outre, les définitions utilisées dans les devoirs permettent aux scripteurs d’introduire leur point de vue afin d’orienter le lecteur vers leur thèse et donc leur conclusion. Par conséquent, les arguments quasi-logiques sont utilisés dans les devoirs pour rejeter la norme proposée dans l’énoncé qui est soumis à leur analyse (contradiction), et pour en proposer une nouvelle (définition), afin d’orienter le lecteur vers un certain point de vue et donc une certaine conclusion.
4. Conclusion
Cette étude nous a donc permis d’observer que la définition, en tant que figure de style, est employée comme argument quasi-logique, que ce soit dans des argumentations orales ou écrites, et permet soit de définir les objets analysés, soit de les caractériser. En outre, on remarque l’importance du rôle joué par le pathos, ainsi que par l’éthos, dans les discours argumentatifs analysés. En effet, dans les débats, les locuteurs utilisent la définition pour construire une doxa commune avec l’auditoire, afin de conférer de la validité à leurs énoncés et donc de se conférer de la crédibilité auprès de l’auditoire. Que ce soit à l’oral ou à l’écrit, les Ivoiriens exposent leur opinion au moyen de définitions permettant d’exprimer leur éthos collectif, notamment par la description d’expériences et de valeurs communes. Ce procédé leur permet de se conférer de la crédibilité auprès de l’auditoire, et également de généraliser leurs propos à celui-ci afin de créer une communion avec lui. Dans les copies, les scripteurs se servent également de définitions utilisant des référents appartenant au savoir partagé par les scripteurs et le lecteur, pour généraliser à partir de ces définitions en construisant un accord autour des caractéristiques qu’elles présentent. Ainsi, la définition, s’appuyant sur le réel, sert d’outil de preuve à l’argumentation, en conférant de la validité aux énoncés, et par conséquent de la crédibilité à son énonciateur.
Ensuite, nous pouvons remarquer que la définition est utilisée pour rejeter un point de vue par contradiction, en en proposant un autre. En effet, par l’emploi de la définition, les énonciateurs peuvent exprimer leur point de vue, suivant une structure locale ordonnée, lui donnant un aspect logique et conférant de la crédibilité à l’énonciateur auprès des récepteurs, mais de manière implicite. La définition sert ainsi à donner un aspect objectif à l’objet sur lequel porte l’argumentation, et par conséquent à l’énoncé, tout en permettant aux énonciateurs d’introduire leur point de vue, afin d’orienter le récepteur vers leur thèse et donc leur conclusion. Ainsi, puisque la définition permet aux énonciateurs de proposer leur propre construction du réel à leur récepteur, elle est bien un procédé argumentatif au sens de PERELMAN. En effet, on peut observer que la définition est utilisée dans les discours argumentatifs étudiés pour rejeter la norme proposée dans l’énoncé qui est soumis à leur analyse, et en proposer une nouvelle (définition), afin d’orienter le récepteur vers un certain point de vue et donc une certaine conclusion.
Ainsi, comme le soulignait BAKHTINE (1984), «le sens n'est pas soluble dans le concept» puisque, comme nous venons de le voir, le sens construit par une définition n’est pas imposé par l’énoncé, même s’il en donne une indication, mais qu’il se construit aussi en dehors de l’énoncé, en tenant compte à la fois du contexte d’énonciation, et de la culture commune à l’énonciateur et à l’auditoire. C’est pourquoi, une définition n’apporte qu’une suggestion d’approche de compréhension du sens d’un énoncé, en infléchissant à un discours la courbe de sa direction argumentive.
Bibliographie
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