La définition dans le texte économique écrit de vulgarisation savante - deuxième partie
4. Caractéristiques de l’énoncé définitoire en discours spécialisé
Soumis aux lois du discours, l’énoncé définitoire est aussi tributaire de la nature du genre textuel dont il hérite ses fonctions: en raison de son format et de ses objectifs didactiques, le discours vulgarisateur impose un savant dosage entre des exigences d’ordre pédagogique – le discours doit être adapté, clair, il ne doit pas rebuter le lecteur néophyte– et des exigences scientifiques – le discours doit être rigoureux, fidèle à la vérité scientifique du domaine et respectueux de la complexité des concepts.
La définition terminographique en revanche ne subit ni les lois du discours, puisque c’est une définition du terme en langue, ni les contraintes du genre. Elle obéit à des contraintes rédactionnelles précises qui l’identifient de manière non ambiguë en tant qu’objet normé et contrôlé issu d’une pratique institutionnalisée. Nous examinons ci-après en quoi l’énoncé définitoire se rapproche et se distingue de la définition terminographique.
Nous analysons tout d’abord la structure logique des énoncés définitoires puis les raisons discursives de leur caractère fragmentaire et incomplet (ellipse et anaphore), et de leur absence de neutralité (énonciation).
4.1 Structure logique de l’énoncé définitoire
Des travaux récents (DEPECKER, 2002, SEPPÄLÄ, 2005, 2007a) ont montré que la structure logique prédominante de la définition terminographique est la définition en compréhension. Il s’agit d’une équivalence de sens entre le terme et une périphrase structurée selon la logique des classes. C’est généralement une phrase en deux parties, composée d’un incluant («genre prochain» ou «générique»). Elle rattache sémantiquement le concept défini à un concept plus général, suivi de l’expression de sa (ses) différence(s) spécifique(s) (distinguishers, Rey-Debove 1986). Cette expression (des sèmes du terme, caractères du concept, propriétés l’objet) vient s’ajouter à l’incluant et distingue le concept comme relevant d’une «espèce» au sein du «genre» prochain et le terme comme inclus dans une relation d’hyponymie par rapport à un hyperonyme. Le terme et le concept qui lui est associé sont donc classés puis distingués au sein de leur classe.
Les énoncés définitoires relevés dans le corpus illustrent différents types logiques de définition: la définition en compréhension, en extension, par opposition et synonymique.
4.1.1 Énoncés définitoires en compréhension
La structure logique de la définition en compréhension se manifeste par plusieurs types d’énoncés définitoires: - classifiant; - introduit par c’est-à-dire; - parenthétique.
Les effets de commerce sont des titres négociables représentatifs d’une créance. [TB88]
La seule façon d’échapper au dilemme est de constituer un fonds d’investissement ouvert, c’est-à-dire un fonds dont les associés entrent ou sortent sans être obligés de rechercher la contrepartie sur le marché… [TB88]
l’échelon de cotation (c’est-à-dire la variation minimum entre deux cours consécutifs) [LB2008:18]
La définition en compréhension introduit par l’incluant le genre logique auquel appartient le concept. La prédication d’identité permet dans la quasi totalité des cas de construire une relation sémantique d’inclusion. Elle est considérée comme un «marqueur de relations conceptuelles» qui fonctionne comme un «déclencheur d’interprétation» (CONDAMINES, 2005:44). Dans un corpus didactique où l’un des objectifs primordiaux est d’introduire une nomenclature des termes du domaine et de permettre au lecteur de construire la taxonomie des concepts correspondante, l’expression de l’incluant (genre) et de la relation générique qui relie le genre et l’espèce permet de reconstruire dans le fil du discours les rapports logiques des concepts et des termes entre eux.
Voici ci-après les types d’incluants issus des énoncés définitoires classifiants du corpus (dét X est dét Y):
marché, effet [de commerce], titres, capitaux, fonds, avoirs, forme de monnaie, portefeuilles de titres, créances, dettes, argent, solde, société, entreprise, établissement, partenaire, personnes morales, technique, opération, (ensemble de) procédés, procédé de financement, vente, achat, transaction, mouvement de trésorerie, (ensemble des) moyens de paiement, transferts [de fonds], compte, crédit, ressources, engagements, service, variation, hausse, estimation, interventions, autorisation, contrat, droit, propriété, prêter.
Dans le discours, une incise sépare parfois le prédicat d’identité de l’incluant sémantique:
Les maisons de titres […] sont, pour la plupart, des établissements à caractère personnel, spécialisés dans les opérations sur titres et dans la gestion des patrimoines privés [SBF88]
L’incluant sémantique peut être un faux incluant, qui manifeste la médiation du pédagogue (cf. l’orientation sémantique de avoirs ):
Le flottant est une estimation de la part de la capitalisation susceptible de faire l’objet d’échange en Bourse. [LB2008]
Le flottant est la part de la capitalisation [que l’on estime] susceptible de faire l’objet d’échange en Bourse.
Disons que [les euro-devises] sont les avoirs déposés dans une banque et libellés dans une monnaie autre que la monnaie locale [TB88]
La définition en compréhension est fréquente dans le corpus, nous verrons plus loin que de nombreux énoncés définitoires fragmentaires s’y rattachent également.
4.1.2 Énoncés définitoires en extension
La définition en extension consiste à définir la classe de concepts représentée par le terme par une liste d’éléments qui sont des termes cohyponymes («isonymes» selon la terminologie utilisée par Seppälä) eu égard à l’hyperonyme considéré. Elle fonctionne comme une définition en compréhension inverse: le terme joue le rôle d’incluant sémantique par rapport aux concepts énumérés. Elle est incomplète du point devue terminologique puisqu’elle établit une relation logique d’inclusion sans formuler les caractères essentiels distinctifs des concepts subordonnés, qui ne sont donc pas distingués au sein du genre.
En discours, la définition en extension est précisément utilisée quand le concept à définir est à géométrie variable selon le contexte, c’est-à-dire que l’extension qui en est donnée se limite aux exemplaires de concepts subordonnés pertinents par rapport au contexte seul.
… l’ensemble des moyens de paiement dont dispose un [agent économique] (ménage, entreprise, administration) [TB88]
… les «investisseurs institutionnels» (compagnies d’assurance, mutuelles, caisses de retraite, fonds d’investissement…) peuvent intervenir plus largement… [TB88]
Le terme, sans être défini, peut être aussi associé à une liste de noms propres, désignant non pas des concepts, mais des entités du monde réel.
… l’amorce du développement du marché financier suscite(nt) la création en 1979 et 1981 des premières banques de «trésorerie», la Banque Internationale de Placement (Groupe Société Générale), Natio Trésorerie (Groupe BNP) et la Banque Internationale de Gestion et de Trésorerie (Groupe Crédit Lyonnais) [SBF88]
On a alors une information d’ordre exclusivement encyclopédique: les banques x, y, z sont des banques de trésorerie. Mais le concept «banque de trésorerie» n’est pas défini de façon complète. L’acte définitoire paratactique (§3.4) introduit systématiquement une définition en extension, qui peut déclencher dans le discours l’insertion d’autres types définitionnels.
4.1.3 Énoncés définitoires par opposition
Le discours didactique définit souvent les concepts en les opposant. Ce type de définition complète généralement un autre énoncé définitoire:
les crédits «subjectifs» (crédits consentis à l’entreprise en tant que telle s’opposant aux crédits «objectifs» liés plus particulièrement à tel ou tel type d’opération) [SBF88]
Jadis l’appellation d’ «espèces» était réservée à la monnaie métallique par opposition à la monnaie fiduciaire (billets de banque) et à la monnaie scripturale (comptes en banque) [HB84]
Le prélèvement peut être considéré comme l’opération inverse [Ndlr le virement]: la banque, sur l’ordre d’un client, porte une certaine somme au compte de ce client en l’imputant au compte d’un tiers. En somme quand il s’agit d’un virement, l’ordre émane du débiteur; quand il s’agit d’un prélèvement, l’ordre émane du créancier.
4.1.4 Énoncés définitoires synonymiques
Se situant au plan de l’expression et non pas des concepts, ils mettent en rapport le terme défini avec d’autres termes (terme anglais équivalent, terme synonyme). Le corpus fournit des exemples de la nécessité d’un discours explicite sur l’équivalence sémantique des signes (en économie le terme de contrôle s’enrichit du sens du terme anglais control):
En français, la notion de contrôle est généralement considérée comme un concept limitatif. Appliquée à la politique économique, l’acception de ce terme est légèrement différente et dérive du terme anglais de control, c’est-à-dire maîtrise. Le [contrôle des transferts] renferme cette double signification. Envisagée en tant qu’instrument de la réglementation des changes, celle-ci tend à limiter la liberté d’action des agents économiques. Envisagée en tant qu’instrument de la régulation des tranferts, celle-ci tend à maîtriser les grands équilibres monétaires internationaux. [ABI79]
Cependant, l’énoncé définitoire synonymique est souvent d’ordre référentiel, c’est-à-dire que les synonymes sont regroupés par rapport au concept qu’ils désignent (cf. DEPECKER, 2005: 9). Dans le corpus, ils s’accompagnent d’un acte direct de dénomination.
Il peut avoir une fonction didactique du point de vue de l’acquisition des termes:
Le guichetier lui établit un chèque volant (dit chèque de retrait ou chèque omnibus) qu’il établit à l’ordre de la banque (TB88:30)
Il peut avoir une fonction pédagogique du point de vue de la compréhension des concepts (synonyme en langue ordinaire):
livret d’épargne populaire («livret rose») [SBF88]
Dans le domaine économique, comme dans beaucoup d’autres, la pénétration de l’anglais est flagrante et il faut souvent, pour que le concept soit reconnu, mentionner le terme anglais aux côtés du terme français ou traduire le terme anglais.
la technique de «swap», ou troc de monnaies… [BM86]
(les transactions) des banques avec l’institut d’émission, qui constituent l’ «open market» (c’est-à-dire, en anglais, le marché élargi). [TB88]
La [gestion de trésorerie], plus connue sous son appellation anglaise cash management… [TB88]
L’actif économique de l’entreprise correspond à la somme de ses actifs immobilisés et de son besoin en fonds de roulement. On l’appelle aussi parfois actif opérationnel ou capitaux employés, par référence à la terminologie anglo-saxonne Operating assets et Capital employed. [100F07]
Ce qui caractérise les énoncés définitoires, en particulier appositifs, mais aussi parenthétiques et introduits par c’est-à-dire, c’est leur incomplétude, tant du point de vue syntaxique que sémantique, qui fait qu’ils ne peuvent pas être directement associées à un type de définition logique, décrit ci-dessus. Cela s’explique , comme nous allons le voir, par une économie de l’information propre au discours, qui doit éviter la redondance et la répétition, tout en assurant au lecteur la possibilité de reconstruire le sens, par le biais de la coréférence.
4.2 Économie du discours et énoncé définitoire
À la différence de la définition terminographique, la définition en discours n’est pas redondante et n’est pas neutre. La définition terminographique «doit contenir les caractères essentiels du concept» (ISO 704 (2000)), c’est-à-dire tous les éléments qui permettent de l’identifier de manière non ambiguë. Déjà pour la définition lexicographique Rey-Debove (19862:91) observait que «la redondance est totale dans le contexte définitionnel». Il en va a fortiori de même pour la définition terminographique, qui recourt souvent on le sait à l’information iconique et encyclopédique pour accomplir sa mission. En discours, en revanche, la définition doit se soumettre à deux règles discursives: d’une part l’ellipse, qui naît du refus de la redondance et de la répétition du même, d’autre part l’anaphore, issue de la nécessité de reprendre un segment précédent coréférentiel en évitant la répétition lexicale. De plus, la définition porte presque toujours la trace du discours du vulgarisateur.
4.2.1 L’énoncé définitoire est elliptique
L’ellipse est analysable comme un effacement syntaxique qui s’opère dans l’énoncé sans que cela ne nuise à la compréhension de celui-ci. Lorsque le contexte discursif ou le sens général fournit certains éléments nécessaires à la définition du concept, ceux-ci sont effacés. L’énoncé elliptique est lacunaire lorsqu’il est isolé de son contexte et son interprétation nécessite une reconstruction sémantico-syntaxique de l’énoncé définitoire. En contexte elliptique:
Une distinction s’impose cependant selon que [le crédit-bail porte sur [du matériel]] (crédit-bail mobilier) ou [ 0 [un bâtiment]] (crédit-bail immobilier) [TB88]
la prédication d’identité entre le définissant et le défini n’opère pas pour des raisons syntaxiques: (*le crédit-bail porte sur du matériel est le crédit-bail mobilier)
ou pour des raisons sémantiques (*un bâtiment est un crédit-bail immobilier)
Dans les énoncés définitoires extraits du corpus considéré, les éléments effacés sont de deux sortes du point de vue logique –le prédicat d’identité et l’incluant– et de trois sortes du point de vue syntaxique – le verbe être, la tête du SN et l’antécédent de la relative appositive.
L’effacement du prédicat d’identité est fréquent en discours, en particulier dans les énoncés définitoires parenthétiques et par apposition.
…les crédits «subjectifs» (crédits consentis à l’entreprise en tant que telle …) [SBF88]
…les crédits «subjectifs» [sont des] crédits consentis à l’entreprise …
…les banques interviennent … parfois sous forme de prêts participatifs, «quasi-fonds propres» qui associent pour partie la rémunération du prêteur aux performances futures du bénéficiaire. [SBF88]
… les prêts participatifs [sont des] «quasi-fonds propres» qui…
L’effacement de l’incluant s’opère à deux niveaux syntaxiques différents, celui du nom dans certains cas, et celui de l’énoncé définitoire. Nous avons vu que certains noms sont à l’origine de paradigmes compositionnels productifs (§3.1.4). Les syntagmes ainsi obtenus ont la particularité d’être le plus souvent sémantiquement motivés: la tête du syntagme désigne l’incluant sémantique du concept et l’expansion de la tête désigne ses caractères distinctifs. Ainsi, par exemple la liste des cohyponymes de crédit correspond à une dérivation par composition à partir de la tête, avec ajout d’une expansion Ex: crédit E1, crédit E2, crédit E3… crédit En. Définir le terme crédit Ex en discours, revient par conséquent à définir crédit une fois pour toutes, puis à définir l’expansion Ex, lorsque la nécessité se présente. L’énoncé définitoire de ces termes fait presque systématiquement l’objet d’un effacement de la tête, quel que soit son type logique (synonymique, en compréhension) ou sa nature métalinguistique (dénomination, introduit par c’est-à-dire):
les banques «de trésorerie» dites également [banques] «d’arbitrage» ou [banques] «de marché» [SBF88]
Dans les cas où le terme n’est pas sémantiquement motivé, l’effacement peut avoir lieu si l’incluant a été préalablement fourni par le contexte proche.
la technique de «swap», …, qui permet à un emprunteur de mettre à profit sa capacité d’emprunter à des conditions très favorables [BM86]
le «swap», …, [technique] qui permet à un emprunteur de mettre à profit …
À partir de ce qui précède, on peut donc interpréter la structure de certains énoncés définitoires comme le résultat d’une définition en compréhension qui aurait subi l’effacement d’éléments dont la présence n’est pas nécessaire en raison de la règle discursive de l’ellipse. On peut schématiser comme suit le passage de l’énoncé définitoire en compréhension, définition parfaitement redondante et explicite, à un énoncé définitoire partiel, qui se réduit à l’expression des caractères du concept.
Un N est un N’ qui est Vé
Un N, [est un] N’ qui est Vé effacement du prédicat d’identité
Un N, [N’] qui est Vé effacement de l’incluant
Un N, [qui est] Vé effacement du relatif et de être
Un N, Vé
Le même processus d’effacement successifs s’applique aux énoncés introduits par c’est-à-dire, à quelques nuances près concernant les contraintes syntaxiques déjà évoquées (§3.2.2) liées à la conjonction de coordination.
Un N est un crédit qui est Vé
Un N, c’est-à-dire [est] un crédit qui est Vé
Un N+ Expansion, c’est-à-dire [un crédit] qui est Vé
Un N+ Expansion, c’est-à-dire [qui est] Vé
Un N+ Expansion, c’est-à-dire Vé
Ainsi l’apposition qui définit seulement les caractères du concept:
les banques d’affaires, soumises à des restrictions en ce qui concerne l’ouverture des comptes à vue ou à moins de deux ans,… [SBF88]
est-elle interprétable comme la définition en compréhension suivante:
les banques d’affaires [sont des banques qui sont] soumises à des restrictions en ce qui concerne l’ouverture des comptes à vue ou à moins de deux ans; … [SBF88]
4.2.2 L’énoncé définitoire est anaphorique
L’anaphore est une alternative à l’ellipse pour éviter la répétition. Au lieu d’effacer l’élément redondant par rapport au contexte, on le remplace par une expression coréférentielle qui précède et qui est nécessaire à son identification et à son interprétation. Les plus problématiques pour l’autonomie sémantique de l’énoncé définitoire est la reprise anaphorique par un déictique.
Le déictique anaphorique reprend le constituant qui désigne l’incluant:
Le risque économique est celui qui résulte du non-paiement d’une dette par un débiteur du fait de son insolvabilité propre. [ABI79] => Le risque économique est le risque qui…
Le «dividende net» est celui perçu par l’actionnaire, avant impôt sur le revenu. [LB2008:27] => Le «dividende net» est le dividende perçu…
L’incluant n’est pas nécessairement réalisé par un constituant:
L’actionnaire est celui qui détient une part du capital de l’entreprise (les actions). [100F07] => L’actionnaire est (la personne, le partenaire…) qui…
Le déictique anaphorique opère aussi au niveau du déterminant du nom:
Cette pratique fait l’objet d’un contrat d’abonnement entre un exportateur et un factor …[ABI79]
Tout comme l’acte définitoire pointe continuellement vers le discours dans lequel il s’insère pour atteindre à la complétude, il est aussi ancré dans une situation d’énonciation dont il porte les marques.
4.2.3 L’énoncé définitoire n’est pas neutre
La définition terminographique «suppose la neutralité de point de vue» (ISO 704 (2000)) c’est-à-dire l’effacement total de l’énonciateur terminographe, son objectivité, son impartialité, la présentation de la connaissance sans parti pris, sans émotion, sans effet de style ni de mots connotés ou chargés affectivement.
Dans le texte de vulgarisation savante, au contraire, l’exigence d’objectivité du vulgarisateur n’exclut pas son intervention subjective dans son rôle de didacticien: il interprète, il reformule, il évalue, il dialogue implicitement avec le lecteur, il scénarise parfois le terme et le concept dans une narration. Il recourt pour cela à plusieurs moyens :
- l’énoncé évaluatif
Les flux de trésorerie (les cash flows) sont l’alpha et l’omega de la finance. [100F07]
…l’auteur d’un chèque ne sera débité qu’après un délai plus ou moins long; peut-être n’aura-t-il pas réservé sur son compte la somme nécessaire. Ce problème des chèques sans provision est source de litiges innombrables.[TB88]
- la modalisation (adverbes, auxiliaires de mode)
L’ ingénierie financière porte principalement sur l’évaluation des entreprises et la réalisation de montages plus ou moins complexes pour apporter du capital-risque, mettre au point des fusions ou acquisitions, rendre posibles des successions. Il s’agit en somme d’aider les entreprises à se passer du marché financier quand elles n’y ont pas accès, c’est-à-dire quand leurs actions ne sont pas cotées en bourse. [TB88]
Bulle financière. On peut définir une bulle comme une hausse très importante du prix d’un actif (en général financier) ou d’un ensemble d’actifs selon un processus quasi continu, …. [100F07]
- le dialogue implicite avec le lecteur
Il se manifeste par la question rhétorique qui introduit la définition du concept, par la prise de position axiologique (il n’y a pas de doute), par l’usage d’un lexique connotatif et plaisant (escarcelle);
Que se passe-t-il lorsque la banque chargée du paiement (le tiré) voit arriver un chèque non couvert par une provision suffisante au compte du tireur? [TB88]
Qu’est-ce que [le revenu imposable] ? Pour les ménages, il n’y a pas de doute, c’est l’argent qui entre, chaque mois ou chaque année, dans leur escarcelle, donc l’argent sur lequel ils peuvent compter pour consommer ou épargner. Les entreprises, elles, voient affluer dans leurs caisses des sommes importantes qui constituent leur chiffre d’affaires; mais elles ne peuvent en user librement car il faut d’abord, sur cet argent, rétribuer tous les facteurs de la production…[EM94]
Il se manifeste aussi par la prise en compte implicite du profil cognitif du lecteur pour justifier une reformulation de la définition:
D’une façon générale, on désigne par «trésorerie» l’ensemble des moyens de paiement dont dispose un agent économique … pour faire face en temps voulu à ses dépenses et à ses dettes; ou si l’on préfère, l’ensemble des moyens de paiement qui permettent à l’agent économique de poursuivre son activité malgré les décalages entre recettes et dépenses, entrées et sorties de fonds. [TB88]
De ce bref examen il apparaît que l’énoncé définitoire, comme la définition terminographique, privilégie la définition en compréhension, même si parfois, les exigences didactiques du vulgarisateur le conduisent à interpréter la relation sémantique d’inclusion. En revanche l’énoncé définitoire en discours n’est pas redondant et il n’est pas toujours neutre.
5. Conclusion
Dans le corpus économique de vulgarisation savante l’acte définitoire est repérable à certaines traces. En partant des plus immédiates, nous identifions les autonymes, qui se signalent comme termes; le lexique du métalangage qui marque les énoncés définitoires explicites; les énoncés définitoires implicites (classifiants, appositifs et parenthétiques) identifiables après une interprétation sémantique et syntaxique des structures et enfin les énoncés paratactiques qui introduisent par la structure de liste une relation hypéronymique à plusieurs niveaux.
Les termes autonymes que l’auteur pose explicitement comme candidats à une définition sont des noms (propres et communs) et syntagmes nominaux. Il ne déroge donc pas à la praxis du linguiste terminographe, même s’il définit des verbes dans son discours: «ce que l’on décide de considérer comme termes sont des noms ou syntagmes nominaux, sans doute parce qu’on associe à la forme nominale un haut niveau de stabilité et de pouvoir de désignation». (CONDAMINES, 2005: 43).
Comme dans la définition terminographique, c’est la définition en compréhension qui domine dans le corpus. Elle peut s’accompagner de définitions synonymiques, par opposition et d’indications de type encyclopédique. Elle se manifeste par l’énoncé classifiant, qui permet d’introduire dans le texte une nomenclature de termes en relations sémantiques d’hypéronymie. Elle se manifeste aussi par les énoncés définitoires parenthétiques, appositifs et en c’est-à-dire, lesquels lorsqu’ils sont elliptiques ou anaphoriques sont interprétables comme des définitions en compréhension réduites par effacement du prédicat d’identité et/ou de l’incluant, et reconstructibles grâce au contexte.
Contrairement à la définition terminographique, les énoncés définitoires ne sont pas neutres car ils sont constamment porteurs des traces de la modalisation du discours du vulgarisateur. Ce discours sur les termes est double: le discours autorisé du terminologue et le discours du pédagogue. Si l’auteur se réclame d’une autorité supérieure pour dénommer les concepts, légitimer les relations d’équivalence sémantique (synonymes et termes anglais), il se reconnaît aussi le droit de discuter la pertinence de la dénomination, – soit pour la contester, soit pour en souligner la logique facilitatrice–, de reformuler voire d’interpréter les définitions pour les besoins de la cause didactique. L’énoncé définitoire a une fonction didactique et normalisatrice du point de vue de l’acquisition des termes, il a aussi une fonction pédagogique du point de vue de la compréhension des concepts. La dimension pédagogique est confirmée par certains traits qui rapprochent le corpus du discours familier (pseudo-dialogue avec le lecteur, fréquence des énoncés de dénomination et des énoncés en c’est-à-dire, modalisation, connotation). La dimension méthodique et logique apparaît dans la définition en compréhension, dans les sous-catégorisations de concepts et les structures de liste. Cette analyse nous semble avoir montré l’incidence du texte de vulgarisation savante sur l’acte définitoire. Elle suggère en outre une piste de recherche qui aurait pour objet l’étude de certains marqueurs lexicaux potentiels d’énoncés classifiants et d’énoncés définitoires paratactiques.
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