Publifarum n° 11 - Autour de la définition

Vers un croisement des typologies définitoires: le cas du blogue «Les amoureux du français»

Chiara Molinari


1. Prémisses

Traiter de la définition signifie aborder un sujet vaste, complexe et dont les racines remontent loin dans les siècles. La réflexion sur la nature et sur les caractéristiques des définitions a caractérisé la pensée des philosophes Grecs et a accompagné le développement du courant lexicographique.

L’activité définitoire est, en effet, intrinsèque à la pensée humaine dans la mesure où elle est à la base de la communication et de la compréhension réciproque: l’accord (ou le désaccord) sur le sens des mots est à la base de la réussite (ou de l’échec) de la communication. Définir un mot signifie expliciter le sens du mot de façon à éviter toute ambiguïté et à en réduire la polysémie, souvent considérée comme source de richesse mais aussi de malentendu (SOUTET 2005).

Si les dictionnaires constituent l’endroit privilégié des définitions, il n’en est pas moins vrai que des définitions, plus ou moins cachées, se glissent dans d’autres types de discours: citons, à ce titre, le discours scientifique où, selon le degré de scientificité, l’on découvre des définitions plus ou moins spécialisées. Le discours didactique est, lui aussi, parsemé de définitions à valeur explicative.

Dans ce cadre, nous nous attacherons aux définitions contenues, non pas dans un dictionnaire ou dans un ouvrage de référence, mais dans un blogue. Le choix du blogue n’est pas neutre: dispositif qui appartient aux nouveaux médias, le blogue jouit actuellement d’espaces de plus en plus amples sur la toile. Les sujets abordés sont des plus disparates: politique, sciences, sport, informatique, cuisine, mode, voyage, lecture, musique. La langue aussi fait partie de cet ensemble hétérogène: les blogues consacrés à des problématiques de nature linguistique commencent à être de plus en plus diffusés sur la toile. Citons à ce titre le blogue Langue saucepiquante, contenu dans le quotidien Le Monde1 et le blogue Les amoureux du français, animé par Paul Roux, conseiller linguistique du quotidien québécois LaPresse.2
C’est sur ce dernier que nous allons réfléchir.

Espace de communication médiatisée par ordinateur, où chacun peut exprimer ses considérations à propos du sujet traité, le blogue ne se réduit pas à une simple juxtaposition de messages. Ceux-ci s’y enchaînent et déterminent la nature dialogale du blogue: «Les médias traditionnels envoient des messages, les blogs démarrent des conversations» déclare Loïc Le Meur.3
Néanmoins, les blogues correspondent à un genre textuel mixte dans la mesure où ils conjuguent des traits propres aux dimensions orale et écrite. D’une part, s’ils se rapprochent de l’interaction écrite, il n’en reste pas moins qu’ils échappent aux paramètres conventionnels permettant d’en décrire la structure.

Il s’agit, en effet, d’une interaction ouverte dans laquelle le nombre des intervenants (ou mieux, des blogueurs) n’est ni limité à l’avance, ni fixé une fois pour toutes et leur identité est inconnue: non seulement ils écrivent avec un pseudonyme mais, même s’ils parviennent à établir des relations plus ou moins amicales, leur connaissance demeure virtuelle. Le nombre des destinataires est, lui aussi, indéfini. Les répliques s’enchaînent selon une alternance non régulière: souvent, l’ordre des répliques est interrompu par d’autres interventions, de sorte qu’il est parfois difficile de suivre le développement de l’interaction. D’autre part, l’absence de voix est en quelque sorte comblée par le recours à un style oralisé: ellipses, abréviations, raccourcis, syntaxe simplifiée, vocabulaire plus relâché ponctuation expressive (les points d’exclamation, de suspension et les émoticones sont particulièrement fréquents) (GADET 1996).

Il s’ensuit que la structure particulière du blogue engendre un genre textuel et discursif mixte dérivant de la fusion de genres différents: le genre épistolaire, la conversation ordinaire, le discours scientifique, pour n’en citer que quelques-uns.

2. L’activité définitoire dans Les amoureux du français

Le blogue Les amoureux du français se situe dans un contexte particulier, à savoir le contexte québécois, celui-ci étant marqué par une double diglossie : diglossie entre les langues française et anglaise d’une part et entre les variétés français québécois et français standard de l’autre.

Y sont abordées, de façon plus ou moins directe, les problématiques principales de la langue française au Québéc: ses relations avec les français hexagonal, la nécessité de nommer des réalités proprement québécoises, la volonté de parvenir à une définition identitaire, les relations avec la langue anglaise. Ces catégories sont loin d’être étanches : dans la plupart des cas, elles se croisent et s’entremêlent. Par exemple, les discussions au sujet des anglicismes impliquent souvent un renvoi au traitement différent réservé aux anglicismes en France et au Québec. Les sujets lancés par Paul Roux ne sont pas choisis au hasard, mais ils sont souvent inspirés par des événements sociaux ou par des phénomènes linguistiques relevés dans les médias écrits ou oraux.

Quant à la structure du blogue Les amoureux du français, nous remarquerons que si les messages ont pour but d’entamer et de faire surgir le débat, celui-ci est destiné à se développer presque uniquement parmi les blogueurs. Une fois la discussion développée, Paul Roux intervient rarement.

Par ailleurs, les discussions sont souvent caractérisées par une sorte de décomposition thématique: parfois, les sujets lancés par P. Roux sont laissés de côté au profit d’autres thématiques proposées par les blogueurs eux-mêmes.

Comme nous l’avons annoncé plus haut, l’objectif du blogue Les amoureux du français est de susciter des débats autour de questions linguistiques ayant trait à la grammaire, à la phonétique, à la syntaxe et, plus souvent, au lexique. Loin d’être acceptées da manière passive, les définitions proposées par l’auteur du blogue sont constamment renégociées par les intervenants: ceux-ci «prennent la parole» pour corroborer les considérations de Paul Roux mais, plus souvent, pour y apporter des nuances, pour les modifier, voire pour les récuser et introduire des définitions différentes.

Dans le cas spécifique que nous avons pris en considération, le blogue ne vise pas à convaincre le public des lecteurs – blogueurs; au contraire, il vise plutôt à soulever le débat au sujet des problématiques linguistiques dont il est question. D’après nous, l’objectif du blogue est de favoriser la conscience linguistique du public, qui se trouve, de ce fait, engagé à faire avancer la réflexion sur la langue. Cela n’exclut pas le recours à des structures argumentatives.

3. Analyse des définitions

Étant donné l’étendue du blogue, nous avons choisi de limiter notre exploration aux articles publiés au cours de l’année 2008 (janvier-septembre) quoique, parfois, des renvois aux années précédentes s’avèrent nécessaires. Les définitions que nous avons repérées sont nombreuses et de nature hétérogène. Néanmoins, elles peuvent être rassemblées dans deux catégories principales, à savoir les définitions d’autorité et les définitions naturelles. Nous constaterons que, à leur tour, ces catégories sont loin d’être homogènes.

3.1. Les définitions d’autorité

Les définitions d’autorité s’appuient sur le recours, de la part des blogueurs, aux outils lexicographiques. En général, les dictionnaires cités sont les suivants: le Petit Robert, le Grand Robert, le Larousse, le Lexis, le dictionnaire Hachette, le Multidictionnaire, le Grand Dictionnaire Terminologique. Mais on y retrouve aussi un renvoi au Trésor de la langue française et au Dictionnaire de l’Académie française. Parmi les instruments qui confèrent une certaine autorité à leurs propos, les blogueurs citent aussi l’Office Québécois de la langue française.

Le renvoi aux dictionnaires les plus connus et censés décrire la norme de référence permet aux intervenants de mieux asseoir leur discours qui ne devrait pas, de ce fait, être remis en cause. Par conséquent, il nous semble que les définitions des dictionnaires s’inscrivent dans un discours plus ample visant à exclure toute réfutation, voire toute argumentation, de la part des autres intervenants. En général, les définitions contenues dans les dictionnaires sont des définitions descriptives: celles-ci «spécifient l’usage référentiel des mots à l’intérieur d’une communauté linguistique» (Riegel 1987: 34). Parfois, les dictionnaires sont tout simplement cités entre parenthèses:

[…] «Relier sommairement, après pliage des feuilles et assemblages des cahiers, avec une couverture de papier» («Petit Robert»). […] (raymondjoly, 13 juin 2008).4

Plus fréquents sont les cas où le renvoi au dictionnaire est accompagné de commentaires, qui témoignent du respect que les sujets lui vouent:

[…] Quant à «chance», le Grand Robert, véritable puits inépuisable de connaissances, nous dit, outre le sens plutôt heureux que M. Roux a bien expliqué: «2. (XIIIe) Mod. (littér ou style soutenu) Manière (heureuse ou malheureuse) dont les événements se produisent.» […] (Pierrette Laberge, 25 septembre 2006).

J’ai consulté mon Grand Robert fidèle et voici ce qu’il en dit: […] (s_allard, 27 juin 2007).

L’emploi de l’adjectif possessif suivi de l’adjectif à valeur axiologique affective fidèle (KERBRAT-ORECCHIONI 1999: 95) traduit le rapport privilégié, intime que l’usager entretient avec le dictionnaire en question.

Bien qu’inscrites dans un cadre discursif, les définitions peuvent être citées de manière schématique, encadrées simplement par les guillemets:

Une autre raison pour AGRAFER en se servant d’une AGRAFEUSE, et non d’une *BROCHEUSE, est que BROCHER, quand il s’agit de réunir des feuilles de papier, a un sens bien différent: «Coudre et encoller les feuillets d’un livre de manière à obtenir une reliure rapide et peu coûteuse», une BROCHURE, par opposition à une reliure en bonne et due forme («Trésor de la langue française»). «Relier sommairement, après pliage des feuilles et assemblages des cahiers, avec une couverture de papier» («Petit Robert»). […] (raymondjoly, 13 juin 2008).

Mais, dans la plupart des cas, elles sont introduites par des verbes tels que désigner, signifier ou par des expressions plus complexes:

«Je me reporte au dictionnaire Larousse. Voici la définition de ce mot: […]» (P. Roux, 26 juin 2008).

Dans certains cas, la définition n’est pas citée entièrement. Le blogueur ne signale que l’un des sèmes indiqués dans le dictionnaire, à savoir celui qui convient davantage au contexte dont il est question:

[…] Cela dit, j’aimerais attirer l’attention sur l’évolution du mot «modération» et son usage dans le contexte des blogues. […] Un coup d’oeil dans mon Petit Robert 2007 révèle que «modération» avait jusqu’alors le sens de « adoucir » […] (s_allard, 25 avril 2008).

La définition du Petit Robert n’est pas rapportée telle quelle mais elle subit une double transformation. Non seulement elle est brusquement réduite par le blogueur à l’un des synonymes signalés par le dictionnaire, mais elle fait aussi l’objet d’un changement de catégorie grammaticale: modération est en effet défini par le synonyme adoucissement, signalé ici dans sa forme verbale adoucir.

Dans d’autres cas, le recours à l’autorité du dictionnaire est l’un des éléments convoqués au cours d’une argumentation afin de réfuter les thèses avancées par d’autres blogueurs. Dans le fragment ci-dessous, le blogueur critique l’affirmation de P. Roux, lorsqu’il affirme que le verbe abrier est encore en usage au Québec dans la langue populaire. Pour ce faire, il s’appuie sur la définition de populaire contenue dans le Petit Robert et dans le Multidictionnaire. La visée argumentative de la définition d’autorité est ici au premier plan:

Je ne crois pas qu’on puisse opposer la langue «soutenue» à la langue «populaire». L’adjectif «soutenu» sert à qualifier un registre de langue (et devrait donc s’opposer plutôt à «familier» ou à «courant»), alors que «populaire» désigne un emploi propre à une classe sociale (pauvre et sans instruction).

Si l’on se fie à la définition de «populaire» que donne le Petit Robert (dans son emploi linguistique): «Qui est créé, employé par le peuple et n’est guère en usage dans la bourgeoisie et parmi les gens cultivés», on se rend bien compte qu’il est tout à fait absurde de prétendre qu’un verbe comme «abrier» appartient à la langue populaire. Des gens de toutes les classes sociales emploient ce mot ce mot au Québec. D’ailleurs, «abrier» est marqué comme familier dans le Multidictionnaire.

Pour finir, permettez-moi de citer un extrait de l’entrée ABRIER du Dictionnaire de Dagenais qui m’a bien fait rire: «Il ne faut pas dire “mieux vaut se bien ABRIER ou ABRILLER et ouvrir la fenêtre de sa chambre pour la nuit que de S’ABRIER légèrement et laisser la fenêtre fermée», mais «mieux vaut bien se couvrir […]»

Je me demande bien à quel registre appartient une phrase comme celle-là… Mieux vaut se bien abrier!? (Bataille, 21 mai 2008).

La dernière remarque permet d’observer que les définitions lexicographiques sont parfois employées à des fins ironiques, pour se distraire ou faire de l’humour.

Cela dit, malgré l’autorité dont elles jouissent, les définitions lexicographiques peuvent aussi être considérées comme insuffisantes dans la mesure les dictionnaires ne sont pas à même de suivre l’évolution de la langue. Considérons l’intervention suivante à propos de modération:

[…] j’aimerais attirer l’attention sur l’évolution du mot «modération» et son usage dans le contexte des blogues. Je dis tout de go que je suis très favorable à la nouveauté et à l’évolution. Un coup d’oeil dans mon Petit Robert 2007 révèle que «modération» avait jusqu’alors le sens de «adoucir». […] Pour revenir au blogue, comment est-ce qu’une «modération» peut être serrée? Or il ne s’agit pas de vraiment de modérer les propos de participants […] mais plutôt de gérer le flot de messages pour assurer le respect de certaines consignes. En fait il s’agit d’une forme de contrôle, au sens de vérifier, aiguiller. À mon avis, il serait plus juste de parler de «contrôle serré» ou de «gestion serrée». D’où vient le nouvel usage de «modération»? On le devine bien, c’est la promiscuité avec l’anglais. En effet, en anglais un «moderator» dans un débat n’est pas là pour modérer mais simplement pour gérer les débats. En français on dirait un animateur. […] Du coup, «modération» en français vient d’acquérir un nouveau sens qui à première vue peut sembler en contradiction avec son sens premier. Un autre anglicisme diront sans doute nos amis puristes. […] On verra ce que l’avenir nous réserve. (s_allard, 25 avril 2008).

Dans ce cas spécifique, la définition du Petit Robert dans l’édition de 2007 paraît insuffisante, en ce qu’elle n’a pas encore intégré le sème qui renvoie au rôle de l’animateur d’un débat et qui résulte de l’influence de l’anglais. Néanmoins, s’agissant d’un anglicisme, l’on peut se demander si le PetitRobert étendra les sens de modération ou bien si les francophones proposeront le retour à animateur en tant qu’équivalent français pour le terme anglais moderator. Ou encore, l’influence de l’anglais pourrait s’exercer seulement au Québec, ce qui amènerait à remettre en question les contours de la communauté linguistique et, par conséquent, la valeur absolue conférée aux définitions descriptives. Toujours est-il que ce dernier exemple rend compte, plus que les autres, de l’activité métalinguistique du blogueur et de sa tendance à revenir sur la définition pour proposer des réajustements. Ces dernières considérations nous permettent de mieux effectuer la transition vers les définitions naturelles.

3.2. Les définitions naturelles

La catégorie des définitions naturelles est décidément plus hétérogène. D’après Robert Martin, l’expression définition naturelle peut indiquer à la fois «la définition d’objets naturels» et «une définition formulée par les locuteurs eux-mêmes et non par le technicien qu’est le lexicographe» (MARTIN 1990: 88). C’est dans cette deuxième acception qu’elle sera employée dans ce cadre. Autrement dit, les définitions naturelles reflètent l’activité métalinguistique du locuteur, c’est-à-dire leur capacité à commenter un lexème, verbal ou nominal.5
En ce sens, les définitions naturelles sont un espace où se manifeste la conscience linguistique du locuteur. Voici quelques exemples:

[…] Pour comprendre les «colons des collines», le lecteur devrait d’abord savoir qu’un «colon» désigne un bouseux et que les collines renvoient au mot «hill» de l’original anglais […] (jinnyoutaouais, 22 mai 2008).

Dégrafer, ce n’est pas enlever les agrafes, mais détacher le tissu des agrafes. […] Enlever les agrafes, c’est désagrafer, et l’appareil est une désagrafeuse, féminin comme l’agrafeuse (philologue, 13 juin 2008).

Le blogue Les amoureux du français étant consacré, de manière spécifique, à des questions linguistiques, les marqueurs de la définition naturelle (x désigne y; x veut dire y;x est y) se rapprochent des marqueurs employés pour introduire les définitions lexicographiques. Dans certains cas, la présence des guillemets empêche de reconnaître l’origine exacte de la définition: s’agit-il d’une définition lexicographique dont la source a été oubliée ou bien s’agit-il effectivement d’une définition naturelle?

Cependant, dans la plupart des cas les définitions naturelles s’éloignent de manière nette du modèle des définitions lexicographiques. Plus difficile à cerner, dans la mesure où elle fait souvent partie d’un cadre discursif plus vaste, cette typologie définitoire n’en est pas moins présente dans notre corpus. Au contraire, elle y joue un rôle central, étant donné que l’objectif même du blogue est de réfléchir sur la langue, d’élucider certains mots ou certaines expressions.

Les définitions naturelles constituent une forme de lexicographisme, c’est-à-dire «une définition lexicographique spontanée et subjective, construite en discours sans référence à un outil lexicographique ou à un appareillage théorique, mais prétendant en tenir lieu, et relevant d’une lexicographie populaire» (PAVEAU 2006: 153). En effet, les définitions naturelles (ou spontanées, pourrait-on dire) traduisent, dans la plupart des cas, les représentations que les locuteurs possèdent de la langue et de leurs conceptions de la société. En d’autres termes, elles seraient la manifestation linguistique de ce que Paveau définit comme des prédiscours, c’est-à-dire «un ensemble de cadres prédiscursifs collectifs qui ont un rôle instructionnel pour la production et l’interprétation du sens en discours […]» (PAVEAU 2006: 14) et dont l’élaboration est donc mise en scène. Il s’agit «des données antérieures aux discours qui sont mobilisées dans leur production» (PAVEAU 2006: 17). Partagées par l’ensemble d’une communauté, ces données rendent compte du croisement de voix diverses et sont, par conséquent, de nature polyphonique.

Les définitions naturelles mettent en œuvre des plans énonciatifs divers. Plus précisément, nous avons rencontré trois cas de figure: premièrement, les définitions impersonnelles; deuxièmement, les définitions où le locuteur s’exprime à la première personne; troisièmement, celles où le locuteur parle au nom d’une communauté. Considérons ces trois cas dans le détail.

Les définitions impersonnelles ne présentent aucune marque de l’activité énonciative:

[…] francophone signifie «qui parle français» […] (philologue, 16 avril 2008).

L’absence de marques énonciatives contribue à les situer dans une dimension atemporelle, de vérité générale, proche des définitions lexicographiques.

Mais, les définitions peuvent aussi être strictement liées aux points de vue des blogueurs qui prennent la parole:

[…] Mon utilisation d’abrier est ce qui ressemble le plus à abriter parce que normalement, je crois qu’abrier veux dire couvrir pour réchauffer, envelopper alors que abriter contient une notion de refuge, de protection… il y a une nuance […] (demoi, 21 mai 2008).

Dans ce cas spécifique, le sujet – énonciateur est impliqué directement dans la modalité énonciative. Cependant, malgré la présence du pronom de première personne, l’énoncé ci-dessus se situe sur un plan non-embrayé, dans la mesure où l’absence des déictiques et l’adverbe normalement signalent que la définition en question est coupée de la situation d’énonciation et est censée être toujours vraie pour le locuteur. Par ailleurs, nous remarquerons que la définition de abriter est énoncée de manière indirecte: le blogueur ne fournit pas une définition sur le modèle X désigne Y, mais se limite à énoncer deux sèmes, deux définisseurs spécifiques qui participent de la définition du verbe en question.

Lorsque l’énonciateur se dévoile, les définitions naturelles ont souvent une valeur stipulatoire: «énoncer une définition stipulatoire, nous rappelle M. Riegel, c’est d’abord assigner un sens arbitraire à un terme existant ou nouveau; mais c’est aussi s’engager à suivre l’usage ainsi instauré et inviter le lecteur interprète à en faire autant» (RIEGEL 1987: 33). Considérons l’exemple suivant:

«Réclamation», au sens de «protêt» (comme on disait naguère au hockey amateur) ou de «contestation» est une «erreur» (voyez l’utilité, et les nuances, de mes nombreux guillemets) parce que le terme est inutile dans le contexte qui nous occupe. […] Conservons «réclamation» pour le cas où l’on demande à être remboursé pour l’essence payée trop chère… Je n’ai rien contre le terme «challenge» […] mais ayons au moins le bon goût de prononcer ce mot d’origine française, effectivement, à la française plutôt qu’à l’anglaise (demande-t-on aux anglophones de le prononcer à la française?) (Ivanoe, 14 juin 2008).

Le recours à l’impératif explicite la valeur stipulatoire de la définition qui se trouve, de ce fait, transformée en un acte propositif et directif, visant à la stabilisation du sens.

Enfin, certaines définitions ne sont valables qu’à l’intérieur d’une communauté donnée. Par exemple, dans l’article suivant, P. Roux juxtapose les définitions selon les communautés francophones dans lesquelles elles sont actualisées:

[…] Dans le reste de la francophonie, tantôt ne signifie plus que «cet après-midi». Le mot est vieilli au sens de «dans un proche avenir», sens demeuré courant chez nous.

- Ils viendront tantôt.

Au Québec comme en Belgique, on emploie aussi tantôt au sens de «il y a peu de temps».

- Je l’ai vu tantôt.

Quant à un autre tantôt, l’expression a le sens de «à un autre moment». (P. Roux, 1 juillet 2008).

Le fonctionnement des groupes nominaux au Québec, en Belgique, dans le reste de la Francophonie se rapproche des déictiques spatiaux: s’ils introduisent un contenu indépendant de la situation d’énonciation, il n’en reste pas moins que celle-ci est strictement liée au cadre spatial dans lequel elle se situe. Le pronom déictique de première personne pluriel nous contribue à souligner l’écart existant entre deux communautés francophones (le Québec et le reste de la francophonie) et, en même temps, circonscrit le cadre dans lequel se situe le blogue: par l’emploi de nous, l’animateur se reconnaît comme québécois et délimite le public auquel le blogue s’adresse. Au contraire, le pronom on qui figure juste après, rend compte d’un élargissement de la communauté francophone, qui regrouperait ainsi les communautés québécoise et belge. Les pronoms personnels nous semblent donc relever de ce que Paveau définit comme des formes de deixis encyclopédique marquée, c’est-à-dire des formes linguistiques qui, en même temps, soulignent et contribuent à élaborer des savoirs partagés, voire des représentations collectives (PAVEAU 2006: 173-175).

Cependant, dans la plupart des cas, ces trois typologies définitoires se croisent dans des ensembles discursifs plus étendus, où il est possible de dégager des dynamiques discursives plus complexes. Les interventions consacrées aux définitions des anglicismes ou à la confrontation entre les définitions en français standard et en français québécois conviennent à illustrer notre hypothèse. Voici les considérations de P. Roux et de quelques blogueurs à propos des mots blancs et autochtones:

[…] Les dictionnaires ne mettent pas de majuscule à autochtone quand il désigne simplement une «personne originaire du pays où elle habite». Mais chez nous, il est vrai, le mot s’applique plus spécifiquement «aux premiers habitants du pays, par opposition à ceux qui sont venus s’y établir». En ce sens et employé au pluriel, le terme désigne les peuples aborigènes. […]

C’est pourquoi la minuscule peut gêner, notamment lorsqu’il est question des Blancs et des autochtones. Il y a quelques années, j’avais suggéré de contourner la difficulté en parlant des Blancs et des Amérindiens, ou encore, des Blancs et des peuples autochtones. Mais Antidote va plus loin en recommandant d’écrire le mot avec une majuscule lorsqu’il désigne la «population autochtone». Je me rallie à cet avis. […] (P. Roux, 17 juin 2008).

Les deux définitions de autochtone que P. Roux oppose doivent être mises en relation avec les contextes social et géographique (français hexagonal et québécois en l’occurrence) qui les sous-tendent. Nous remarquerons que la signification de autochtone en français standard est citée au moyen d’une définition d’autorité, bien que les sources exactes ne soient pas mentionnées: il s’agit d’une définition impersonnelle, présentée comme ayant une valeur générale, atemporelle et sans aucune marque énonciative. En revanche, lorsqu’il décrit le sens plus proprement québécois de autochtone, le sujet participe de son énonciation: le choix du pronom nous indique qu’il se reconnaît comme appartenant à la communauté québécoise.

La polysémie de autochtone est ensuite reprise par d’autres blogueurs:

[…] cette acception du mot - et donc la majuscule préconisée ici - ne me semblent exister qu’au Canada. Nous n’avons en Europe que des autochtones, mais nous nous en contentons… (manneken, 18 juin 2008).

Le pronom nous change son référent pour désigner ici la communauté francophone européenne. Néanmoins, les définitions québécoises de autochtone et de blancs sont soumises à quelques réajustements de la part d’autres blogueurs, d’après qui ils seraient trop réducteurs pour désigner l’ensemble hétérogènes de ces peuples:

Oui, je trouve que l’utilisation de termes généraux qui parlent de masse plutôt que de peuples spécifiques est quelque peu réducteur. Comme si il fallait couper le monde en deux: Occidentaux et Orientaux, Blancs et Autochtones. […] De la même façon que le terme Blancs pour désigner le reste de la population québécoise, tel que soumis dans l’exemple de M. Roux ne me semble pas correct non plus, puisque le Québec est composé d’une multitude d’ethnies et non pas de Blancs uniquement. […] (zazou73, 18 juin 2008).

Ces dernières interventions traduisent la conscience linguistique, ethnique et identitaire des blogueurs et prouvent que, en dépit de l’autorité des outils lexicographiques, les définitions sont transitoires, peuvent être remises en question et modifiées en fonction des représentations, voire de l’imaginaire linguistique des sujets (HOUDEBINE: 2002). Dans le dernier extrait notamment, le blogueur nie l’équivalence entre le terme à définir et la réalité indiquée dans la définition. Cependant, dans ce cas, le blogueur ne parvient pas à proposer d’autres solutions, ce qui permet d’affirmer que «it is the easiest of all things to demolish a definition, while to establish one is the hardiest» (WIERZBICKA 1985: 1).

Néanmoins, les propositions de définitions sont très fréquentes à l’intérieur de notre corpus.

C’est le cas de la discussion qui se développe autour de la relation entre les emprunts à l’anglais et les formes correspondantes en français standard et en français québécois. Les exemples sont nombreux. Considérons le cas de challenge, réclamation et contestation:

«On parle de réclamation lorsqu’un joueur de tennis conteste une décision de l’arbitre. En anglais, je crois qu’on utilise le terme challenge (beaucoup plus parlant). Je trouve que le mot réclamation n’est pas approprié. Auriez-vous une solution à suggérer?» demande Claude Landry.

Vous avez raison: le mot réclamation n’est pas approprié, car il désigne un recours judiciaire. Pour ma part, je ne m’oppose pas à challenge, terme généralement employé en France. L’anglais avait emprunté ce mot à l’ancien français (chalenge). Il est revenu en français d’abord au sens de «défi sportif», puis aujourd’hui au tennis, au sens de «contestation d’une décision». L’origine française du mot pourrait contribuer à le faire accepter dans notre langue.

Challenge a engendré challenger, verbe employé en français depuis presque un siècle.

-Chaque joueur a droit à deux challenges.

- Il a challengé la décision du juge de ligne.

Toutefois, cette suggestion (trop parisienne, diraient mes amis aménagistes) risque de rebuter de nombreux Québécois. Je connais mon monde. Je propose donc contestation et contester ainsi que appel et en appeler ou faire appel. […] Qu’en pensez-vous? (P. Roux, 3 juin 2008).

Ce débat peut être considéré comme représentatif des discussions présentes dans le blogue à propos de l’acceptation et conséquente intégration ou refus des anglicismes et des propositions de francisation qui s’ensuivent. Dans ce cas spécifique, des points de vue différents se croisent et s’opposent: celui de l’usage courant, qui tend à un usage fautif de réclamation; celui du français standard, qui accepte l’emprunt intégral challenge; et, enfin, celui du français québécois, qui préfère exclure les anglicismes pour les remplacer avec les mots français correspondants. Les dynamiques entre ces trois pôles sont exprimées à l’aide de positionnements énonciatifs divers. Dans les deux premiers cas, on assiste à l’effacement du sujet; celui-ci revient là où l’énonciateur se reconnaît comme appartenant à la communauté québécoise, à laquelle il n’adhère toutefois pas complètement. En effet, s’il reconnaît le français québécois comme «sa» langue, il n’en reste pas moins qu’il ne s’inclut pas dans le groupe de locuteurs québécois qui refusent les anglicismes. En revanche, l’énonciateur se rallie davantage au positionnement du français hexagonal, qu’il cherche à rapprocher du français québécois par le biais d’un processus de négociation au cours duquel il s’appuie sur une forme de lexicographisme diachronique (PAVEAU 2006): autrement dit, il remonte aux sources de challenge afin de prouver sa non - étrangéité à la langue française. Le renvoi à l’étymologie du mot en question traduit non seulement la volonté de réactualiser le sens original d’un mot, mais relève aussi d’une volonté argumentative du moment que le parcours historique de challenge est exploité par l’énonciateur en vue de légitimer sa présence dans la langue française. Enfin, loin d’imposer ses propres définitions, la question finale ouvre le débat aux lecteurs, ce qui confère aux définitions un caractère transitoire: elles peuvent changer sous l’influence du contexte social et identitaire. Ainsi, les représentations sociales et culturelles deviennent-elles un capital symbolique (BOURDIEU 1982: 69) dont la performativité se traduit dans leur capacité à influencer les pratiques linguistiques. Cela justifie les réactions des autres blogueurs, qui proposent d’autres solutions ou approfondissent des définitions déjà présentées:

En anglais, on dit «challenge» dans les deux cas, pour décrire le défi qui se dresse devant soi une autre joueur ou équipe, et aussi pour décrire cette… chose… que peuvent faire un joueur ou joueuse deux ou trois fois par manche (set?) d’un match de tennis. Mais je trouve que «défi» va mieux pour une confrontation et «contestation» ou «appel» est plus à propos pour la révision vidéo d’une balle atterrie proche d’une ligne. (wildwilly, 4 juin 2008).

C’est par le biais d’une définition stipulatoire que l’énonciateur propose l’emploi d’un mot et lui attribue une définition bien précise. Nous remarquerons, encore une fois, la conscience métalinguistique des locuteurs québécois qui, bien que sous une modalité dubitative, n’hésitent pas à légiférer en termes de langue, se transformant ainsi en sémanticiens avertis.

Les définitions stipulatoires sont aussi révélées par le recours aux «gloses de spécification de sens» au sens de, en ce sens (JULIA 2001). Ces gloses sont présentes dans les définitions lexicographiques aussi bien que dans les définitions naturelles. En spécifiant le sème qui doit être actualisé dans un contexte précis, les gloses visent à une réduction de la polysémie, qui demeure seulement au niveau de la langue saussurienne. Elles permettent d’orienter le sens d’un mot et peuvent être considérées comme une instruction pour la bonne interprétation du sens:

Une lectrice reproche à un chroniqueur de La Presse l’emploi de lunatique au sens de «distrait». «Cet adjectif, écrit-elle, est mal employé: lunatique est un adjectif péjoratif qui signifie capricieux, fantasque, à l’humeur changeante. […]

En français international, lunatique est effectivement un synonyme de «déconcertant, capricieux, enclin aux sautes d’humeur, d’humeur changeante». Mais au Québec, on donne aussi à cette épithète le sens de «dans la lune». En ce sens, lunatique est un québécisme […] La politique de La Presse en matière de québécismes est souple. Certains sont jugés de bon aloi, d’autres sont déconseillés. Et plusieurs sont laissés à la discrétion des chroniqueurs. Lunatique appartient à cette dernière catégorie. Pour ma part, je ne l’emploierais pas […] (P. Roux, 17 avril 2008).

Vu la nature ouvertement métalinguistique de notre corpus et vu le contexte linguistique et identitaire particulier dans lequel le blogue se situe et qui est à l’origine du blogue même, nous avons estimé important d’examiner de près quelques-uns des articles où sont abordées les problématiques linguistiques les plus actuelles au Québec. En effet, parfois la discussion dépasse le cadre des mots qui font l’objet explicite des articles du blogue et parvient à toucher les sujets les plus importants de la linguistique québécoise. Nous pensons, par exemple, aux débats qui se développent autour de la question des anglicismes ou encore sur l’opposition, bien connue au Québec, entre puristes et aménagistes. Le concept de purisme est non seulement abordé dans un article spécifique proposé par l’animateur du blogue, mais il s’insinue, de manière transversale tout au long du blogue, dans des articles consacrés à d’autres sujets. Quoiqu’il ne fasse pas l’objet de définitions de manière explicite, le purisme n’en est pas moins défini à plusieurs reprises. Considérons l’article suivant:

[…] hdufort a écrit ceci: La légitimité d’un mot tient à son inclusion dans les dictionnaires. Un mot peut être utilisé par des millions de gens, des paysans aux intellectuels de salon en passant par le romanciers, pendant des décennies, sans qu’il ne soit légitime pour autant. Tant qu’il n’est pas «reconnu» ou même «attesté», il est considéré comme erroné.

C’est là la définition même du purisme.

Comme simon_dugas et sapine ont félicité hdufort de sa remarque, on peut soupçonner la présence de plusieurs “puristes” sur ce blogue!! […] (pellem, 23 mai 2008).

La définition du purisme est ici donnée sous une forme implicite, à savoir à travers la description de l’une de ses caractéristiques principales, celle-ci consistant à considérer comme légitimes seulement les mots cités dans la nomenclature du dictionnaire. D’autres sèmes, permettant de compléter la définition du phénomène du purisme, sont présents dans d’autres articles. Voici un extrait d’une autre intervention:

[…] Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’expliquer, les puristes partent d’un jugement de valeur: il y a le bon et le mauvais langage. Le puriste se fout de l’explication du comportement langagier, il veut condamner le mauvais et le remplacer par le bon. Un puriste n’est pas un scientifique du langage même s’il essaie parfois de s’appuyer sur certaines recherches ou notions scientifiques. […] (s_allard, 23 mai 2008).

Ces définitions, qui se répondent d’un article à l’autre, permettent au public d’assister à l’élaboration même de la définition spontanée: celle-ci résulte d’un travail permanent et interactif de reconstruction et d’associations de sèmes concernant un domaine précis. Il s’ensuit que le lecteur participe, lui aussi, de cette recomposition: après avoir lu et tissé les liens entre les articles, c’est à lui de reconstruire la définition de purisme. Définition qui, au fil du débat, s’enrichit grâce à l’apport de plusieurs voix et qui se veut donc polyphonique, au sens bakhtinien du terme; mais aussi définition éphémère dans la mesure où elle n’existe pas physiquement. Par conséquent, le travail de reconstruction étant individuel, les définitions peuvent non seulement comporter des écarts, mais surtout subir des modifications au gré des interventions du public.

Cette typologie définitoire, que l’on ne peut inscrire dans un cadre figé et définitif, appelle une dimension discursive au cours de laquelle des voix diverses se juxtaposent, voire s’opposent. D’une part, tout en se déclarant contraire au purisme, un blogueur cherche à en atténuer l’image négative, selon laquelle le purisme s’opposerait à tout changement et refuserait, de ce fait, l’évolution linguistique:

[…] La position puriste est ouverte à l’évolution du français. Elle n’a pas le choix: être contre cette évolution équivaudrait à soutenir que la langue française est une langue morte. Idée indéfendable.

La position puriste accepte que certains québécismes soient intégrés au corpus du français standard (en particulier, ceux de bon aloi, comme on disait jadis). Donc, encore une fois, soutenir, comme Germaris le défendait il y a quelques jours, et comme le fait hdufort ici (avec sa seconde suggestion) que la langue française devrait accueillir une liste limitée de québécismes est tout à fait compatible avec la position puriste. Certains purismes sont plus rigides que d’autres, certes, mais ils partagent la même couleur.

Le purisme se distingue du laxisme en défendant la position selon laquelle il faut débarrasser le français d’éléments considérés comme menaçant sa qualité, du moins jusqu’à ce qu’ils reçoivent l’imprimatur des autorités linguistiques (dictionnaire, linguistes, jadis, l’académie). Par ricochet, le puriste croit qu’on ne devrait enseigner que cette forme épurée du français. […] (pellem, 24 mai 2008).

De l’autre, la tentative de modifier la représentation du purisme en atténuant sa rigidité est rapidement désavouée par un autre blogueur qui intervient pour nier toute attitude d’ouverture du purisme:

À mon avis, vous définissez le purisme de la mauvaise façon.

Le puriste n’est pas ouvert aux anglicismes, aux québécismes et aux néologismes. […] (simondugas, 24 mai 2008).

Les définitions spontanées peuvent donc être démenties au profit d’un positionnement opposé.

Sans citer l’ensemble des extraits qui, de manière directe ou indirecte, traitent du purisme, quelques remarques nous paraissent importantes afin de mieux saisir les enjeux liés aux définitions spontanées. Premièrement, nous constaterons que les définitions spontanées révèlent les représentations des sujets qui les formulent et, en même temps, contribuent à construire des représentations collectives. En d’autres termes, il nous semble que, du moins dans le cas spécifique du blogue que nous sommes en train d’étudier, c’est-à-dire d’un blogue dont l’arrière-plan est le contexte québécois, les définitions spontanées traduisent le travail sémantique et cognitif des sujets qui cherchent à ébaucher les représentations des phénomènes linguistiques, culturels et identitaires à propos desquels ils s’expriment. Ce travail cognitif s’exprime notamment par le biais de reformulations et d’auto-reformulations de nature explicative, au cours desquelles le blogueur cherche à expliquer le sens d’un mot au public, non pas à partir d’un texte source mais à partir de ses propres définitions (FUCHS 1994).

Deuxièmement, la mise en place des représentations implique aussi un réagencement des positionnements énonciatifs: ceux-ci sont caractérisés par une transition constante d’un plan embrayé, où s’expriment les représentations individuelles, à un plan non – embrayé, où se manifestent les représentations collectives. Entre parenthèses, la présence importante du plan non – embrayé trahirait, d’après nous, une volonté de distanciation de la part des locuteurs du phénomène du purisme linguistique.

Troisièmement, les représentations dont il est question ne vont pas sans faire appel aux prédiscours dont elles émanent. Autrement dit, elles «relèvent […] des cadres de savoir et de croyance qui informent directement les discours produits […]» (PAVEAU 2006: 21). Non seulement, ces représentations sont un espace où se croisent des voix autres, mais elles contiennent des traces de ces prédiscours. Celles-ci sont de nature hétérogène. Nous en citerons trois à titre d’exemple. Tout d’abord, l’emploi de l’adverbe généralement qui renvoie à une attitude presque stéréotypée, faisant partie d’un savoir culturel partagé :

Ce n’est pas pour rien que les puristes décrient généralement le langage des jeunes en même temps qu’ils râlent contre les linguistes laxistes (s_allard, 3 juin 2008).

Ensuite, le recours à l’étymologisme, considéré par Paveau comme une forme cultivée d’appel aux prédiscours (PAVEAU 2006: 146-149):

[…] puriste [pyYist] n. et adj. ÉTYM. 1625; «puritain», 1586; de pur. […] (gaetanfo, 28 mai 2008).

Enfin, les formes de soulignement métadiscursif (PAVEAU 2006: 150), c’est-à-dire des expressions telles que comme on disait ou comme certains l’ont affirmé, qui signalent un renvoi à des voix antérieures sur l’axe diachronique:

[…] La position puriste accepte que certains québécismes soient intégrés au corpus du français standard (en particulier, ceux de bon aloi, comme on disait jadis) […] (pellem, 24 mai 2008)

4. Pour (ne pas) conclure…

À la fin de notre voyage au cœur des définitions à propos de la langue française, nous espérons avoir montré la richesse et la complexité des typologies définitoires. Si les définitions lexicographiques sont des définitions d’autorité, il n’en reste pas moins que les locuteurs, loin d’être gênés, n’hésitent pas à proposer leurs propres définitions. S’agit-il d’un phénomène typiquement québécois ? Rappelons que l’activité métalinguistique au Québec est très intense, à tel point que la linguiste Marty Laforest remarque que «le véritable sport national des Québécois consiste à parler de la langue» (LAFOREST 1997: 9). Il n’en reste pas moins que, dès lors que l’on sort du cadre bien réglé de la lexicographie officielle, les définitions se complexifient. Il ne s’agit plus simplement d’énoncer les sèmes qui permettent d’aboutir à la définition. Au contraire, les locuteurs s’engagent dans un travail de composition et de réajustement de la dimension sémantique des mots qui s’inscrit dans une dimension discursive caractérisée par la confrontation entre positionnements énonciatifs divers et par l’appel aux prédiscours.

Doit-on considérer les définitions spontanées comme moins officielles par rapport aux définitions lexicographiques ? Sans dénier leur valeur, il est vrai que celles-ci résultent d’un lent travail sémantique qui les amène à transmettre des représentations socioculturelles homogènes et figées. En revanche, les premières participent et rendent compte de l’évolution de la langue et des représentations culturelles et identitaires. Par conséquent, elles se rapprochent davantage du changement et sont à même de saisir les nuances culturelles et linguistiques multiples et contradictoires qui se font jour dans la société actuelle.

Bibliographie:

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J. BOUTET, Interview avec Josiane Boutet, janvier 2003, http://labo.dynalang.free.fr/article.php3?id_article=18 (consulté en août 2008).

C. CANUT , «L’épilinguistique en question», in G. SIOUFFI, A. STEUCKARDT (sous la dir. de), Les linguistes et la norme, Berne, P. Lang, 2007, p.49-72.

P. CHARAUDEAU , D. MAINGUENAU (sous la dir. de ), Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Seuil, 2002.

J. CHAURAND, F. MAZIERE (sous la dir. de), La définition, Paris, Larousse, 1990.

C. FUCHS, Paraphrase et énonciation, Paris, Ophrys, 1994.

F. GADET,Le français ordinaire, Paris, Colin, 1996.

F. GADET, «La langue française au XXe siècle. I. L’émergence de l’oral», in J. CHAURAND (sous la dir. de), Nouvelle histoire de la langue française, Paris, Seuil, 1999, p.581-667.

A.-M. HOUDEBINE (sous la dir. de), L’imaginaire linguistique, Paris, L’Harmattan, 2002.

C. JULIA, Fixer le sens. La sémantique spontanée des gloses de spécification du sens, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2001.

C. KERBRAT-ORECCHIONI, L’énonciation, Paris, Colin, 1999.

M. LAFOREST, États d’âme, états de langue. Essai sur le français parlé au Québec, Montréal, Nuit Blanche éd., 1997.

F. MOURLHON-DALLIES, F. RAKOTONOELINA, S. REBOUL-TOURÉ, Les discours de l’internet: nouveaux corpus, nouveaux modèles?, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2004.

M.-A. PAVEAU, Les prédiscours, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2006.

J. REY-DEBOVE, Le métalangage : étude linguistique du discours sur le langage, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1978,

M. RIEGEL, «Définition directe et indirecte dans le langage ordinaire: les énoncés définitoires copulatifs», Langue française, n. 73, février 1987, p.29-53.

G.E. SARFATI, M.-A. PAVEAU (sous la dir. de), Les grandes théories de la linguistique. De la grammaire comparée à la pragmatique, Paris, Colin, 2003.

O. SOUTET (sous la dir. de), Lapolysémie, Paris, Presses Universitaires de l’Université Paris-Sorbonne, 2005.

A. WIERZBICKA, Lexicography and conceptual analysis, Usa, Karoma Publishers, 1985.

Sitographie:

www.lemonde.fr

http://blogues.cyberpresse.ca/amoureuxdufrancais/

http://www.loiclemeur.com/france/


Note

↑ 1

www.lemonde.fr

↑ 2

Le blogue est consultable au site http://blogues.cyberpresse.ca/amoureuxdufrancais/

↑ 3

http://www.loiclemeur.com/france/

↑ 4

Précisons que les fautes de grammaire et les coquilles contenues dans les interventions des blogueurs n’ont pas été corrigées. À la fin de la citation figurent, entre parenthèses, le pseudonyme du blogueur et la date de publication de son intervention.

↑ 5

Entre parenthèses, précisons que dans son article, R. Martin parle d’activité épilinguistique du locuteur. En nous appuyant sur les réflexions de Culioli, d’après qui la réflexion épilinguistique se situerait plutôt dans une dimension inconsciente, il nous semble que le concept de métalinguistique convient davantage à la nature du cadre que nous explorons, étant donné la nature même du blogue, où le public est appelé à réfléchir sur la langue (BOUTET 2003; CANUT 2007).

 

Dipartimento di Lingue e Culture Moderne - Università di Genova
Open Access Journal - ISSN 1824-7482