La Vierge du Grand Retour de Raphaël Confiant et A barca di a Madonna de Ghjacumu Thiers ou de la centralité convergente des marges
Chez nous soyez Reine [...]
R. Confiant, La Vierge du Grand Retour, Paris, Gallimard, « NRF », p. 150
Ghj. Thiers, A barca di a Madonna, Ajaccio, Albiana, 1996, p. 62-632
Introduction
L’année 1996 voit la parution, dans l’espace francophone, de deux romans dont l’arrière-plan historique est le même: le pèlerinage de Notre Dame de Boulogne sur le territoire français entre 1943 et 1948.
A partir de l’analyse de ces deux romans, le premier, La Vierge du Grand Retour (dorénavant VGR) écrit par le martiniquais Raphaël Confiant, le deuxième, A barca di a Madonna (dorénavant BM), par le corse Ghjacumu Thiers, nous allons tenter de dégager les raisons de cette convergence thématique, de la remontée dans l’imaginaire, à la moitié des années 90, d’un événement qui a profondément marqué la population martiniquaise et corse.
De plus, au-delà de la thématique historique liée à cet événement, d'autres et peut-être plus fascinantes convergences entre les deux œuvres sont remarquables: la polyphonie énonciative (ou la choralité), l’imaginaire biblique, le détournement de l'esprit religieux canonique, l’interface entre l’Histoire et l’histoire personnelle, familiale et communautaire des personnages et, non moins important, l’ancrage énonciatif dans l’île.
La toile de fond historique
L'évènement autour duquel s'organisent les intrigues des deux romans est l'arrivée de Notre Dame de Boulogne ou Notre Dame du Grand Retour sur les deux îles, respectivement en 1947 (Corse) et en 1948 (Martinique): les statues, parties de Lourdes, devaient retourner dans leur lieu d’origine, à Boulogne-sur-Mer. Ce «pèlerinage à l'envers», dans lequel c'est la Madone qui se déplace vers les fidèles, fut organisé par l'Episcopat français et se déroula du 28 mars 1943 au 29 août 1948. Ainsi qu'on l'apprend de sources historiques, «quatre reproductions de la statue nautonière de N.-D. de Boulogne [...] ont sillonné la France; elles ont ainsi parcouru plus de 100 000 kms, entraînant des foules à pied qui, en priant et en chantant, accompagnaient la Madone» (PEROUAS 1983: 37). A la fin de la guerre, le pèlerinage ne fut pas interrompu: le succès populaire poussa le clergé à faire parcourir à la statue de la Vierge toutes ces régions du territoire français qu'elle n'avait pas encore traversées, à l'exception des évêchés dont les responsables se montrèrent contraires à ces formes de religion populaire proches de l'idolâtrie et de certaines municipalités communistes où la procession fut interdite.
L'adhésion grandissante au communisme de la population française, suite à la contribution du parti à la Résistance, est justement une des raisons que les historiens (et les auteurs des deux romans) donnent pour expliquer l'effort d'organisation fourni par l'église: il s'agirait d'une ultime tentative pour ramener les masses vers la religion catholique. C'est d'ailleurs la polysémie du mot «retour» qui est intéressante: les textes de l'époque parlent aussi bien du retour de la statue de la Vierge à Boulogne, que du retour, sous ses auspices, des hommes partis à la guerre (prisonniers, déportés, etc.), ainsi que du retour de la France à Dieu et des hommes à la religion (PEROUAS 1983: 48).
Intérêt de la comparaison et problématique
La coïncidence dans la date de parution de ces deux ouvrages – phénomène sur lequel les deux auteurs attirent eux-mêmes l'attention (CONFIANT 2006; THIERS 2001) – démontre une certaine «concomitance d'imaginaires et d’émotions», pour reprendre les propos de Thiers (2001). Leurs dates de naissance (Confiant est de 1951, Thiers de 1945) laissent supposer que les récits du pèlerinage aient fait partie du quotidien des deux enfants. De plus, leur appartenance à une même génération d'intellectuels engagés dans le débat identitaire de leur communauté3, ainsi qu'une formation scolaire et universitaire française semblable d'écrivains participant à la «communauté» francophone, dans une situation de diglossie et de marginalisation, y sont certainement pour quelque chose. C'est justement cette formation française des deux auteurs qui aurait laissé des «friches»: des éléments de la personnalité, ceux liées à la culture «locale», qui n’auraient pas été développés et que les écrivains auraient éprouvé le besoin d’explorer à un certain moment de leur parcours: en 1996.
Mais au-delà de l’anecdote, la problématique que nous nous proposons d'éclaircir est la suivante: est-il possible de dégager un fil rouge unissant les deux opérations narratives? Comment cette prise de parole au niveau de la fiction de la part de deux écrivains engagés politiquement s'articule-t-elle avec la mémoire et les problématiques identitaires de communautés minoritaires? Quelle est la force symbolique de l'histoire de Notre Dame du Grand Retour? Autant d'interrogations auxquelles nous allons essayer de répondre après avoir analysé les deux ouvrages séparément, mais sur la base de quelques points significatifs identifiés comme communs.
La Vierge du Grand Retour de Raphaël Confiant ou de l'histoire double
Le choix thématique du voyage de la Vierge du Grand Retour à la Martinique en 19484 est certainement un choix à grand effet, développé par Confiant dans la veine ludique et picaresque. Du point de vue de la stratégie narrative et dans l'économie du récit, le «Voyage» occupe un rôle central et nécessaire dans la mesure où il est chargé de mettre en scène et en évidence les modalités du rapport entretenu entre la Martinique et la Métropole: un fait divers donc qui se mue en discours de nature politique. Bien sûr d'autres anecdotes auraient pu être choisies comme point de départ pour raconter le malaise d'un peuple et d'une terre situés aux marges les plus extrêmes du territoire français, vivant dans un régime de dépendance. Cet épisode cependant, en tant qu'axé sur l'un des grands piliers de la tradition culturelle blanche et en même temps de la stratégie de colonisation, à savoir sur la religion, apparaît particulièrement apte à évoquer de manière exaspérée un conflit entre civilisations. L'auteur exploite ainsi toutes les potentialités liées à la gestion d'un objet de culte théoriquement super partes comme la Madone, pour mettre dos à dos deux univers antagonistes et les conduire jusqu'à l'issue de leur(s) histoire(s), proposée(s) en termes de catastrophe ou mieux d'Apocalypse.
Sous le couvert du sacré («sous le manteau» de la Vierge, pourrait-on dire) et sous le prétexte d'offrir une raison renouvelée de dévotion à une communauté éloignée du Centre, l'Église de France et la caste des grands propriétaires blancs créoles (béké) comptent dompter un peuple menacé par le communisme et par l'athéisme, par les déviances religieuses et par l'insubordination générale à la mère-patrie (CONFIANT 2008). La Madone elle-même est donc impliquée dans cette opération douteuse, faisant figure de «complice» des nouveaux Conquistadores qui vont voler les offrandes faites par les pauvres gens au cours du pèlerinage. De son côté la population, du moins au début, nourrit de grands espoirs dans la venue de la Vierge, dont elle attend une amélioration de ses conditions de vie et la satisfaction de ses rêves grands et petits, tous liés au rêve fondamental de la libération du Nègre des malédictions que l'Histoire avec sa «grande hache» lui a assignées – y compris une certaine interprétation de la Bible. Une représentation stratégique du point de vue narratif, que celle du pèlerinage, avec une fonction double, en miroir: d'une part celle de théâtraliser le discours politico-idéologique sur le danger pour la France de perdre une terre qu'elle fait semblant de vouloir sauver de l'obscurantisme, d'autre part celle de mettre en scène le malaise social et politique de la communauté noire dû à une violence «exogène», dont celle proposée ici n'est qu'une métaphore. Tandis que la plupart du petit peuple martiniquais vit sa misère quotidienne en se confiant au Ciel, quelques rares individus l'affrontent par contre avec la conscience, plus ou moins historique et politique, des inégalités sociales et des abus des Blancs, mais aussi avec le souci de l'apparente incapacité des Noirs à se réconcilier avec eux-mêmes. Il s'agit, dans le deuxième cas, de syndicalistes voués à la cause de manière héroïque, mais aussi de quelques dévots à la Vierge qui commencent à nourrir de sérieux doutes à propos de l'entreprise sacrée et qui se tournent plutôt vers des mouvements politico-religieux autochtones, non sans montrer parfois une forme de fluctuation entre différents credo, pratiques superstitieuses ou formes de syncrétisme religieux. Le pèlerinage devient ainsi une occasion d'agrégation, de confrontation et de cohésion importante pour le petit peuple, qui évolue en spirale autour de la Vierge, tandis que ses histoires quotidiennes se multiplient dans la dérive inépuisable du récit.
Au centre de l'espoir général d'un grand rachat qui tarde à venir, une figure christique, symbolique et alternative, celle du Messie noir, émerge en s'opposant à la fonction salvatrice de la Madone (laquelle a par ailleurs son double local et profane en la personne même de la mère du Christ alternatif, Adelise).5 Le Messie noir, que le peuple attend comme libérateur de la nation, fils d'une femme qui tarde depuis onze mois à accoucher (comme si elle attendait, pour le faire, la Vierge et l'Enfant), et d'un père inconnu, ou plutôt de plusieurs pères possibles dont «Papa de Gaulle»,6 sera un être d'exception, capable d'inaugurer des temps nouveaux.7 Mais l’attente de celui-ci s'avèrera vaine puisque le Messie noir sera une enfant mort-née, ainsi que le sera, quelques temps après, le deuxième Messie, son jumeau de sexe masculin. L'allégorie que nous allons définir plus bas «contre-Bible» et qui rythme et accompagne toute l'histoire, parle à deux reprises de la naissance du libérateur. Si la première occurrence prophétise (en vain) que «l'enfant […] renaîtra du néant» (VGR: 228), la deuxième énonce par contre que le nouveau-né «tombe aussitôt dans le néant» (VGR: 388). On pourrait déjà oser interpréter symboliquement la mort des deux grands espoirs jumeaux comme l'échec de deux événements historico-politiques capitaux dans l'histoire des Noirs, à savoir l'Abolition de l'esclavage (1848) et la Départementalisation de la Martinique (1946-48), deux événements eux-mêmes «morts-nés» selon certains analystes politiques. Avec la mort du Messie, le constat d'un avenir de désespoir et de dissolution s'installe d'emblée dans le pays, accompagné néanmoins (dans la partie proprement anecdotique de la fiction, c'est-à-dire hors Bible noire) par la fin apocalyptique des Blancs.8
Dans le système de dramatisation du conflit entre Blancs et Noirs pour l'affirmation du droit de ces derniers à une identité spécifique – une question à base raciale, culturelle, sociale, idéologique et politique –, l'allégorie intercalaire de type biblique que nous avons mentionnée et qui parcourt tout entier le roman, acquiert une importance considérable. Modelée à partir du texte sacré par excellence – la Bible – conjointement à la centralité du thème sacré du pèlerinage même de la Madone, l’allégorie contribue à donner à l'ensemble du texte une ossature à base apparemment religieuse. En fait, la présence d'une «anti-Bible» ou «contre-Bible»,9 qui préside au développement de l'ensemble du roman, bouleverse de fond en comble les assises du propos religieux canonique. La contre-Bible développe un discours global très fort de contre-religion, ou de religion-contre, qui se place en opposition avec la lecture judéo-chrétienne du texte sacré et conteste en entier une certaine vision du monde, au profit d'un vécu et d'une pensée différents.
Si la Bible peut être considérée comme un mythe, sa réélaboration désacralisante fait ainsi s'effriter le mythe pour faire place à un contre-mythe. Par le truchement d'une lecture récréatrice qui dénature la parole de Dieu en l'adaptant et en la recontextualisant dans l'univers nègre, l'auteur en arrive à concevoir un nouveau mythe où l'origine, la fondation, l'histoire et la geste du peuple noir occupent une position centrale dans un discours auparavant intouchable, «centralisé » et monopolisé par le Blanc dans son propre intérêt. Ainsi resémantisée et recentrée, la nouvelle Bible enfreint avant tout le mythe (négatif) de la malédiction originelle de Cham et de la damnation irréversible du nègre. Cette réécriture passe par l'utilisation de la forme parodique;10 à partir de l'autorité reconnue du Livre, celui-ci est déconstruit et subverti dans son sens jusqu'à donner lieu à un objet différent, voire opposé. Mais qu'en sera-t-il du nouveau mythe d’origine? Ayant comme héros un Messie mort-né, il ne pourra que s'auto-détruire, déclarant par là-même son impuissance à se fixer, à se définir donc comme mythe. Quels mythes fondateurs se reconnaît d'ailleurs la littérature (et la civilisation) antillaise si ce n'est celui du marron et du Ti-Jean des contes créoles, ou encore celui du bateau négrier, grand mythe d'origine, négatif?
L'imaginaire du roman, fondé essentiellement sur une modalité duelle (Noirs et Blancs, bons et méchants, Bible et contre-Bible, mythe et contre-mythe, religion et contre-religion)11 incite aussi à lire dans VGR les formes d'une épopée et d'une contre-épopée. L'épopée coloniale (la persistance des béké sur l'île avec leurs privilèges n'étant que le prolongement de l'épopée coloniale de l'âge d'or) a ainsi son pendant dans l'épopée populaire du rachat des Noirs, poursuivi aussi bien à travers la dévotion collective à la Madone qu'à travers l'action politique et les mouvements de défense de la race. Ces deux épopées, chacune à sa manière, ont leur moment-clé dans la célébration du grand événement de la venue de la Vierge et s'enracinent dans un légendaire qui se mêle à l'histoire et dans un merveilleux qui se mêle au quotidien. En fait, la notion d'épopée s'avère ici en évolution. Si jusqu'à un certain moment le mouvement du récit implique des deux côtés un caractère qui est somme toute euphorique, par la suite l'épopée héroïque s’affaiblit, rongée graduellement par la dysphorie, jusqu'à se convertir en épopée tragique. La marque du tragique va plus tard assumer une allure pathétique et ludique dans un cas (celui des Noirs), grandiose et burlesque dans l'autre (celui des béké). Un glissement progressif donc de l'épopée glorieuse vers l'épopée tragique, de l'épopée tragique vers la tragi-comédie (des Noirs) et la comédie héroï-comique (des béké). Dans les dernières pages, les parties protagonistes tombent toutes les deux dans la débâcle: pour les béké celle-ci est racontée en détail (l'avion à bord duquel ils se sauvent, s’écrase), déclarée en même temps par la dernière citation de la contre-Bible («tout ce monde-là éprouva l'Apocalypse», VGR: 391), tandis que pour les Noirs elle est seulement suggérée dans l'avant-dernière citation «sacrée». Le lecteur s'attend ainsi à ce que la mort de ceux qui ont abusé du sacré et de l'humain marque la fin d'un régime d'exploitation, faisant par contre émerger les opprimés. À l'envers et paradoxalement, les toutes dernières pages de la Bible noire disent le futur catastrophique du peuple nègre et sa chute dans le néant («la femme met au monde un enfant [qui] tombe aussitôt dans le néant. La Femme s'enfuit […] et cache [sa] folie», VGR: 388). Ce qui se lit en métaphore comme un constat de la fin de tout espoir, une déclaration d'impuissance et de déception quant à la possibilité de tout changement dans la réalité de la Martinique. Ni le sacré, ni la politique active, ni les doctrines les plus disparates ne semblent pouvoir offrir une issue ou une voie de fuite viables pour subvertir l'ordre des choses, l'immobilité historique du DOM Martinique, la fixité séculaire de sa condition, ni pour faire sortir les consciences des gens de leur incertitude identitaire.
Si c'est le récit dans son ensemble (mené principalement à la troisième personne) qui véhicule la pensée de l'auteur, il faut souligner que le lieu par excellence des constats, des instances et des prévisions de l'auteur sur le pays et sur son histoire est bien celui de la contre-Bible qui, à partir d'un espace démarqué par l'italique, rythme et dirige le reste de la narration. Ici une troisième personne grammaticale, une voix off, nouvelle voix d'autorité contrecarrant celle de la Bible, fait parler, menacer, prophétiser, prescrire un Dieu nouveau, le Dieu des Noirs. Dans le nouveau livre sacré, la parole révélée, rapportée dans la Bible par plusieurs auteurs, est conçue, révélée et rapportée par un auteur unique – Confiant – dont la voix révèle, rapporte et interpelle l'Histoire, comme si elle était placée à l'extérieur, tout en se montrant très impliquée. Dans un régime narratif où c'est une voix placée à un niveau supérieur qui majoritairement raconte l'histoire de tout un groupe de personnages qui évoluent sans pour autant prendre la parole pour gérer directement la narration, il y a cependant quelques cas ponctuels d'énonciation à la première personne; cela vaut la peine qu'on s'arrête brièvement sur la valeur de cette émergence. Philomène, la péripatéticienne-carmélite, se raconte et raconte les attentes ou les oppositions de sa communauté à propos de la venue de la Vierge. Le prophète noir Cham signe deux documents sur la doctrine de la polygamie et sur la religion des Blancs. Mathieu Salem, le centenaire né en esclavage, se fait le porte-parole de la punition divine pour les Blancs impies. L'Évêque de la Martinique écrit au Cardinal Chef de l'Église de France sur l'opportunité de réévangéliser l'île et se penche sur son histoire raciale, sociale et politique, rapportée à la morale catholique; il écrit encore aux fidèles pour annoncer qu'une statue de la Vierge restera à la Martinique. On a ensuite deux listes, l'une des miracles, l'autre des offrandes à la Madone, sous forme de documents anonymes rédigés de toute évidence par l'Église. La fonction de ces voix et de ces extraits «authentiques» (CONFIANT 2008) semble être celle d'offrir une sorte d'échantillonnage et de synthèse des maintes présences humaines qui dans le roman ne parlent qu'à travers l'auteur omniscient, comme pour suggérer une forme de polyphonie et pour offrir en même temps un témoignage direct sur les questions soulevées par le roman. Philomène parle ainsi pour le petit peuple avec son emportement et ses réserves; le prophète Cham représente de manière extrême les problématiques raciales qui agitent les consciences antillaises; Mathieu Salem symbolise la mémoire historique d'une époque ancienne, mais non révolue, rattachée au présent et transmise à la jeune génération; l'Évêque incarne l'esprit de direction et de surveillance d'une Église exploiteuse, acoquinée avec les béké dans un colonialisme qui n'en finit plus de sévir. En fonction des modalités esthétiques et énonciatives adoptées par l'auteur pour suggérer la participation de toute une foule de personnages au discours romanesque, on sera donc porté à lire VGR comme un roman choral plutôt que polyphonique.
Par la mise en scène de l'Histoire non enregistrée de la communauté noire martiniquaise, un auteur engagé, historien et inventeur, redécouvre et recrée ainsi un lambeau du passé oublié et en reconquiert la mémoire afin de mieux comprendre le présent et l'avenir.
A barca di a Madonna ou des vérités multiples
Résumer l'intrigue du roman (procédé que nous estimons nécessaire étant donné sa diffusion limitée) n'est pas chose facile, car celui-ci émerge d'un système énonciatif très complexe qui contribue largement à en organiser la structure.
Dans les années 90 (présent diégétique), la narratrice principale, Maria Laura Cristiani, rentre en Corse depuis Paris afin d’élucider un mystère concernant sa naissance. Une phrase sibylline prononcée par la tante qui l'a élevée sur son lit de mort, («A Madonna… a barca… a barca di a Madonna…»), pousse Maria Laura à enquêter sur les rapports entre le pèlerinage de Notre Dame de Boulogne en Corse et son histoire familiale et personnelle. Elle apprend finalement de son oncle Petru Maria, qu’elle serait née du viol subi par sa mère Laura, le jour de l'arrivée de Notre Dame de Boulogne à Bastia. Maria Laura, à la recherche des coupables du viol, retrouve ensuite Mémé le Poulpe, un simplet qui s'occupe tous les jours de son grand-père, Lorenzu Cristiani, dans une maison de retraite. Mémé, dans une sorte de délire, lui raconte le viol et indique comme coupables trois des anciens compagnons de Résistance du grand-père communiste. Maria Laura les assassine tous les trois. Ce récit principal est entrecoupé par un autre, en italiques, énoncé par un infirme qu'il est possible d'identifier avec Lorenzu Cristiani et qui, entièrement paralysé et incapable de parler, (se) raconte ses souvenirs de la Résistance, ainsi que le supplice quotidien auquel le soumet Mémé qui lui raconte le viol de sa fille par les trois Résistants habillés en confrères. Un jour, Mémé perd l'équilibre et tombe dans le ravin sous le regard enfin soulagé de l'infirme. Le récit est complété par le journal de Petru Maria, contenant de longues réflexions philosophiques sur les villes et les civilisations, et par le dernier chapitre dans lequel une des tantes de Maria Laura raconte la mort accidentelle de sa nièce et son délire de folie au cours des derniers mois de sa vie, contredisant la dernière partie du récit de Maria Laura, donnant une version banale de la mort de sa sœur et de la naissance de la narratrice et annulant l'identification de l'infirme avec Lorenzu Cristiani ainsi que celle du simplet avec Mémé le Poulpe: il s'agirait d'inconnus auxquels Maria Laura rendait visite sans aucune raison apparente.
Le lecteur se trouve donc non seulement devant un puzzle dont les pièces éparses ne forment pas un tout cohérent – car les différentes voix se contredisent et le même narrateur livre parfois des versions légèrement divergentes – mais il est d’emblée forcé de tenter cette même entreprise de reconstitution que mènent la narratrice et le romancier: l’importance de la reconstruction du passé n’en est que soulignée par la difficulté d’établir une vérité définitive, vérité qui permettrait d’atteindre, par le biais de l’histoire personnelle de Maria Laura, celle de toute une communauté et de son identité. Car c’est bien la question des origines qui est posée.
Si les voix énoncent des vérités contradictoires, il est un obstacle qui fait écran encore en amont au dévoilement des faits: l’impossibilité énonciative ou le manque de fiabilité des narrateurs. D’abord Maria Laura, mère qui abandonne ses enfants à leur père et qui adopte progressivement des comportements de plus en plus marqués du sceau de l’obsession et du dérèglement, pour devenir une criminelle. Ensuite l’infirme, dont la paralysie est le signe d’un problème cérébral qui pourrait avoir atteint également les facultés intellectuelles. Le journaliste, l’oncle Petru Maria, se montre dans l’effort même de l’écriture: peut-on donc prendre ce qu’il écrit comme description de la réalité ou est-il en train d’affabuler? Mémé le Poulpe, le simplet, a perdu la tête dans son enfance: est-il crédible en tant que détenteur de la vérité sur le viol? Tous ces phénomènes se cumulent et s’emboîtent, du moment que l’énonciation polyphonique implique une stratification des énonciateurs, dont aucun n’est finalement crédible: dès lors, comment faire confiance à Maria Laura la folle qui raconte ce que lui aurait dit Mémé le simplet? Reste la voix finale, apparemment rationnelle, de Maria Divota qui sonne comme le glas de tout ce qui précède, mais surtout de l’orgueil du lecteur qui se serait fait envoûter par le mensonge. Si rien n’est crédible jusque là, pourquoi Maria Divota le serait-elle? Cette voix finale n’est-elle pas une tentative d’occulter une vérité monstrueuse, déshonorable et inacceptable, une manifestation ultime de l’«omerta» contre laquelle Maria Laura doit lutter?
Le soupçon et l’omerta sont, avec la paralysie et la violence, les éléments dominants de ce sombre tableau, dans le contenu aussi bien que dans la forme de l’œuvre, ce que le lecteur est amené non seulement à comprendre rationnellement, mais à ressentir, de façon presque palpable. Qu’il soit ici suffisant de citer l’incipit et l’explicit de la BM:
Aghju a paura, ma stamane ùn ci la facciu à esse à l'ora in Puretta. […] Serano dece minuti ch'è no simu bluccati in u tunellu. Principa à puzzà, principia (BM: 9, nous soulignons).12
Ogni tandu si ghjimba ver'di u vechju è pare ch'ellu li dicessi qualcosa à l'arechja. Ma e sore pensanu ch'ellu face solu vista di parlà (BM: 156, nous soulignons).13
On commence par la peur dans un tunnel et on finit par «faire semblant de parler». Or, dans un texte où les noms et les prénoms des personnages sont marqués à la fois par la chrétienté, le culte marial – presque tous les membres de la famille dont le patronyme est significativement Cristiani s’appellent «Maria» – et l'universalité – cristianu signifie en corse, comme dans de nombreuses langues romanes, «individu» -, il est difficile de ne pas être tenté de faire le lien entre l'histoire individuelle/familiale et le destin d'une communauté. La parole corse est-elle dès lors impossible? L’histoire de l’île, dans une de ses pages les plus glorieuses, celle de la Résistance, émane ici du grand-père, un homme paralysé, agrancatu, mot dont la fréquence est très élevée dans le roman, ainsi que l’a justement souligné Renucci (2001: 74). Le sentiment de claustrophobie, d’étouffement, représenté par cette voix emprisonnée dans un corps déjà mort, renvoie d’une part à une société imprégnée de la culture du silence, dans laquelle la prise de parole est vue avec soupçon, et d’autre part à une relation étouffante avec la religion, qui semble l’envelopper de ses tentacules et dont la langue elle-même ne semble pas pouvoir se libérer. En effet, alors même que la langue corse – que Thiers choisit pour son expression littéraire – tente de prendre ses distances par rapport à la religion, elle est forcée d’employer des tournures et un lexique qui relèvent de ce même religieux: «Dicenu chì si sò viste cose d'un antru mondu. Nimu ne hà più parlatu mai, cum'è sè tanta ghjente mossa si vergugnava d'esse stata ingannata. A Corsica hè cambiata miraculi dapoi tandu. Ancu di grazia...»14(BM: 41, nous soulignons).
Ceci nous mène à nous interroger sur les rapports que le roman entretient avec la religion, et notamment avec le culte marial.
Le choix de la venue de Notre Dame du Grand Retour comme arrière plan historique de BM est expliqué par l'auteur (FASULO, BENUCCI 2005) par la volonté de représenter la société corse à un moment clé de son histoire, situé à l'interface entre une culture traditionnelle figée, avec ses rites et ses formes de religion populaire, et un avenir problématique qui doit être construit. Si on y ajoute le caractère ambigu de cet épisode, source de cohésion sociale, de ralliement et d'espoir populaires à l'ombre desquels se met en place un projet socio-politique (orchestré d'après certains par la connivence entre la CIA et le Vatican) dans le but de ramener à l'Église les populations attirées par le communisme, il est facile d'y voir un cas emblématique. Ce caractère à la fois symbolique et paradoxal du pèlerinage de la Vierge est d'ailleurs souligné par le romancier avec l'introduction du viol au cœur même de la procession qui accompagne à travers la ville de Bastia le parcours de Notre Dame de Boulogne et des statues des douze Vierges de Corse. Il s’agit donc bien de la convergence d’une violence doublement endogène (le viol de la jeune fille mariale par des individus caractérisés par leur appartenance non seulement à une confrérie religieuse mais aussi à un groupe de résistants), et d’une violence exogène, beaucoup plus subtile, mise en œuvre par le clergé français contre les fidèles corses. Le «grand retour» de cette «madonna strangera» (BM: 100) est aussi bel et bien un retour de l’île sous l’autorité de la France.
La culture corse est imprégnée de culture religieuse: de nombreux mouvements de base y ont vu le jour (les Giovannali au XIVe siècle, les Battuti au XVe), alors que le clergé a participé activement à la Révolution Corse du XVIIIe siècle, pendant laquelle, du moins selon certains témoignages, la Vierge a été proclamée par Pascal Paoli Reine de Corse: «Diète de Corte 30 Janvier [1735].- […] la diète, dans un élan de foi […] choisit pour Reine la Vierge Marie, et ordonna que l'image de sa souveraine fût brodée sur les drapeaux et gravée sur les monnaies du royaume» (GIROLAMI-CORTONA1906: 270). Bien que cette version des faits soit mitigée par des ouvrages plus récents (JEHASSE, ARRIGHI 2008: 307), le mythe survit. La religiosité corse, qui présente en effet de nombreux aspects populaires (un grand culte des saints et de leurs représentations, ce qui est souligné par Thiers dans la formulation du titre du roman, où c’est la barque, l’objet matériel, qui vient en premier), a vraiment scandé la vie des habitants de l’île jusqu’à une époque très récente et certains phénomènes, tels que les confréries, en ont modelé profondément le tissu social. Le choix de l’épisode de Notre Dame du Grand Retour est donc particulièrement significatif dans ce contexte de grande dévotion traditionnelle pour une figure considérée par la population comme étant liée à la fois au père de la patrie Pascal Paoli et à la France, cette mère-partie dont la Corse se rapproche à la fin de la deuxième Guerre Mondiale en s’éloignant de l’Italie. Ainsi que l'exprime un des personnages de BM:
Capisci, qual pudia più campà, dopu tanti morti, tante inghjulie, tamanta barbaria, tant strazii in a carne è u core di l'omu s'ell'ùn c'era micca a primessa dichjarata chì u flagellu avia avutu principiu è fine, è chì ellu s'era frammessu u divinu per fà la compia? Hè stata cusì per u mondu sanu. In Corsica è in altrò. Ma in Corsica, per via di a tradizione è di a so pudenza a chjesa si n'hè tichjata ...15(BM: 40, nous soulignons)
La relation à Notre Dame du Grand Retour est finalement ambiguë: reconnue comme une figure appartenant à la tradition corse, elle est toutefois définie, dans le roman, comme «étrangère» et «bourgeoise» («[…] issa Madonna strangera, liscia e rosula cum’è una signora»,16BM: 100), coupable de priver le peuple corse des quelques biens matériels qu'il est arrivé à sauver du désastre de la guerre.
La Bible aussi, texte fondateur de la civilisation judéo-chrétienne, répertoire de mythes par excellence, est présente en filigrane dans BM par la problématique de l’énonciation. BM, par ses références bibliques17, entraîne les écritures saintes dans un mécanisme de déconstruction et de détournement du mythe, qui fait de l’épopée fondatrice à racine unique (GLISSANT 1981, 1990) un récit polyphonique. Cette polyphonie, qui n’est pas sans rappeler le chant traditionnel corse, mène toutefois, dans le cadre du roman, à une situation d’incertitude extrême, de perte de points de repère, à un flou généralisé. Ces deux pôles semblent renvoyer au conflit dans lequel sont prises les cultures «minorées», tiraillées entre la recherche d'une identité forte et monolithique qui leur permettra de survivre figées dans le temps, et le besoin de proposer des identités plus accueillantes et ouvertes, qui toutefois en mettent en danger la survie à cause précisément de leur porosité. BM pourrait être lu comme la tentative, vouée à l’échec, de construire deux épopées mythiques: celle de la Résistance et de la Libération (récit de l’infirme) et celle de la Vendetta sur les causes historiques du malaise (récit de Maria Laura). Mais les socles mêmes de ces deux épopées sont dangereusement lézardés du moment que les Résistants sont peut-être des violeurs et que la vengeance de Maria Laura s’exerce peut-être contre des innocents.
Il nous reste à enquêter sur l’émergence de tout cela à un moment donné de l’histoire, l’année 1996, en concomitance avec le roman de Confiant. Le retour du religieux dans les années 90, après une phase laïque dans la société occidentale (PACE 2007) et peut-être la traduction, en 1994, en langue corse des Evangiles (ARRIGHI 2002: 120) pourraient expliquer la sensibilité de Thiers. Le romancier, interrogé directement18, s’est exprimé en termes de «constitution du sujet citoyen», à savoir d’une volonté de la part des écrivains des «marges», arrivés à leur maturité artistique, de fouiller le passé de leur société, en particulier des événements qui les ont marqués dans leur enfance, au moment de la constitution du sujet affectif. Il s’agirait donc d’un retour «rationnel» sur l’«émotionnel».
Toutefois, nous croyons qu’il faut aussi regarder de plus près les années 1940 et les années 1990, afin d’y déceler des phénomènes susceptibles de représenter des convergences.
La deuxième Guerre Mondiale est un moment clé de l'histoire récente de la Corse: un éloignement net de l’Italie et de son régime fasciste qui entraîne aussi un éloignement de la langue et de la culture italiennes, jusque là références incontournable pour les Corses. Toutefois, cela ne mène pas immédiatement à un retour des revendications linguistiques, qui avaient commencé à se montrer dès les années 20, car les partisans de la défense de la langue et de la culture corse sont hâtivement confondus avec les irrédentistes et «toute revendication d'un statut public risque d'être vue, au mieux comme une attitude passéiste, au pire comme un choix irrédentiste et fasciste» (ARRIGHI 2002: 73). Parallèlement, les Corses sont pleins d’espoir quant à un renouvellement de la politique française sur l’île, surtout en considération des grands mérites de la Résistance corse et des dirigeants locaux du Parti Communiste:
Sur le plan politique, la transformation du paysage est totale, et on peut parler de révolution. [...] Le Parti Communiste s'implante massivement [...]. Outre son poids dans la lutte armée [pendant la Libération], le rôle du PCF à travers des organisations «de masse» posant des questions concrètes a aussi son importance pour mobiliser les jeunes et les femmes (JEHASSE, ARRIGHI 2008: 434-435).
De fait, le réseau du Parti Communiste est en train de supplanter le réseau religieux dans la vie quotidienne et dans le tissu social de la population. Or, peu après, dans les années 50, la déception est forte: le PC prend des allures de clan et l’attitude de la France ne se montre guère plus éclairée. La tension va monter jusqu’aux événements de 1970 à Aleria. On peut donc affirmer que l’immédiat après-guerre est porteur de grands espoirs qui seront bientôt déçus: Notre Dame de Boulogne représente un moment de forte agrégation de la société corse, désireuse d’en finir avec les souffrances de la guerre et de retrouver une sérénité dans le cadre d’une reconnaissance méritée de la part de la France.
Or, la première moitié des années 90 peut être vue en miroir comme une période sombre de l’histoire corse où se mêlent épisodes de violence extrême et tentatives d’y mettre fin: d’une part la vendetta entre les différentes factions indépendantistes, de l’autre la publication du «manifeste pour la vie» (1995) par un groupe de femmes19, qui «marque l'émergence d'une société civile. Recueillant plusieurs milliers de signatures, organisant des manifestations, elles parviennent à contraindre les pouvoirs publics à réagir» (JEHASSE, ARRIGHI 2008: 468). Et encore: mise en place de réformes issues des revendications identitaires et linguistiques, notamment, en 1996, le début de la scolarisation bilingue français-corse dans l'école primaire. Tous ces événements contribuent certainement à créer une ambiance complexe, où se côtoient le désir de trouver et de mettre à contribution les meilleures ressources de la société corse qui se voudrait enfin porteuse d'un modèle sociétal positif et une résurgence des pires héritages de la violence et du clientélisme. Dès lors, croyons-nous, ces deux âmes de l'île nourrissent le roman, contribuant à composer l'ambiance sombre de BM ainsi que, peut-être, à développer chez l’écrivain un regard lucide à la recherche des causes du malaise du présent dans l’exploration problématique du passé.
Dans le cas de la Corse, l’épisode de Notre Dame de Boulogne constitue à la fois un événement présent dans les souvenirs de ceux qui y ont assisté, et occulté du discours présent, ainsi qu’il ressort des témoignages contenus dans le court-métrage La visita (FASULO, BENUCCI 2005) et ainsi que l’affirme un personnage du roman: «Quelli chì eranu si n'arricordanu cum'è s'ellu fussi avà, ma ùn ne parlano micca vulinteri oghje. Ùn si sà à ghjustu perchè. […] U fattu si stà chì oghje parenu cose stalvate sia in un paese luntanu luntanu, sia più d'un seculu fa»20(BM: 60).
BM est donc un ouvrage qui porte un regard problématique sur une société corse où celle des années 90 ne se reconnaît que de façon très partielle. L'impression partagée par de nombreux Corses, aujourd'hui, est celle d'avoir été alors manipulés par l'Église et par la France et d'avoir été non seulement dérobés des quelques biens qu'ils avaient sauvés de la guerre, mais de leur liberté et de leur dignité: du droit à l'élaboration d'une culture autonome, à un développement libre de relents néocolonialistes, privées de cette renaissance, qui s'annonçait après la guerre, et qui reste à construire aujourd’hui encore, malgré le viol qui en est à l'origine, malgré le mystère qui l'entoure et peut-être malgré une banalité encore plus effrayante. Car si le «mythe» de la naissance de Maria Laura lui confère le droit à la vengeance et par là une identité claire et puissante, n'est-il pas plus difficile de reconstruire la mémoire collective à partir de l'incertitude et en l'absence de toute fondation mythique? Ancrage fondateur qui se révèle problématique, du moment que «le caractère mythique du récit est associé à des personnages qui échafaudent des scénarios imaginaires capables de donner du sens à leur propre vie comme à celle de leur peuple» (RENUCCI 2001: 220). Et c'est peut-être là que réside le défi de Ghjacumu Thiers: dans cette dialectique du réel et de l’imaginaire, de l’individuel et du collectif.
Conclusion
Au terme de nos analyses, le moment est arrivé de nouer les fils de nos deux discours qui ont avancé parallèlement, unis en apparence par un seul dénominateur commun, celui du thème du pèlerinage de la Vierge de Boulogne à travers les périphéries de l’«empire». Le but que nous nous étions posées était de dégager dans la conclusion un possible fil rouge unissant les deux opérations narratives, en nous interrogeant sur la prise de parole, de la part de deux écrivains engagés, vis-à-vis de la mémoire, des problématiques identitaires et du devenir de leurs communautés respectives pour comprendre, finalement, la force symbolique de deux histoires axées sur un tel sujet.
Si l’émergence simultanée dans la conscience créatrice des deux écrivains d’un même sujet apparemment lié au simple folklore sacré apparaît comme un fait étrange en soi, il faut toutefois se dire que l’épisode en question ne peut pas ne pas avoir eu un poids important dans la dialectique du réel et de l’imaginaire des deux auteurs, qui semblent le charger d’une incontestable valeur métaphorique.
Thiers et Confiant se penchent sur des communautés périphériques, marginalisées, minoritaires, minorées, accablées non seulement par le pouvoir dominant d’une Métropole perçue encore comme une puissance coloniale, mais aussi par des questions de malaise interne qui sont le fruit d’une histoire faite de silence, de honte et d’auto-dévalorisation. Des communautés aux prises donc avec une violence qui est aussi exogène qu’endogène et qui entrave l’imagination et la construction d’un avenir dynamique, alors que celui-ci paraît au contraire bloqué, figé dans une situation problématique d’inguérissable impuissance. S'il est vrai que le roman de Confiant semble se tourner vers une temporalité projetée vers l’avant, l’image d’un avenir possible se bloque à l’improviste et, avec elle, la projection dans le futur de toute une communauté. L’histoire de Thiers se tourne au contraire exclusivement vers le passé, à partir d’un présent miné à la base par l’impossibilité des personnages (et de la communauté entière) à se reconnaître dans une seule version et vision de l’h/Histoire, dans une vérité univoque, déclarant ainsi l’égarement identitaire et opérationnel de toute une collectivité.
En prenant comme point de départ ou comme nœud de l’intrigue un épisode historique du vécu communautaire, les deux auteurs – qui déploient des imaginaires très différents, sombre pour l’un, carnavalesque pour l’autre – remontent à la source mémorielle d’un événement et de son contexte: les deux sont traumatisants à cause de la violence du Centre, qui impose et exploite. En même temps, mais avec un intensité différente, les auteurs évoquent d’autres événements traumatisants, individuels ou collectifs, plus ou moins lointains du point de vue temporel, mais ayant tous des retombées sur le présent. C’est de la réévocation de ces blessures, différentes pour les deux communautés, mais également de l’énonciation de la matrice commune (la France) de ces traumatismes métaphoriques, que naissent les politiques de représentation de l’h/Histoire spécifiques aux œuvres de Thiers et de Confiant. Tous les deux mènent une opération de déconstruction et reconstruction de la mémoire, proposant dans leurs récits le face-à-face entre une mémoire et une (ou plusieurs) contre-mémoire(s), qui impliquent, dans le cas de Thiers une communauté qui est confrontée surtout à elle-même, dans celui de Confiant une confrontation surtout avec la Métropole. Dans les deux cas, la volonté des auteurs est bien de faire émerger le non-dit, de découvrir la face cachée d’une histoire collective ou individuelle (mais largement emblématique) afin d’éclairer le présent et de l’aider à trouver une direction de marche vers l’avenir. Toutefois, dans les deux romans, le «message» final est pessimiste: fouiller dans le passé peut en effet probablement servir à comprendre ce passé et même l’immobilité du présent, mais non pas, à ce qu’il paraît, à éclairer ce dernier de manière à le modifier et à le conduire vers un avenir positif. C’est dans ce sens que les chapitres conclusifs des deux œuvres ressemblent à une pierre tombale qui se referme, chez Thiers, sur une vérité collective inconsistante et impossible, chez Confiant sur des revendications et des espoirs communs qui ne seront jamais satisfaits. Les sociétés dépeintes et analysées avec une grande lucidité fictionnelle par Confiant et Thiers, quoiqu’elles soient traversées par des moments de grands espoirs (trahis), apparaissent ainsi emprisonnées au-dedans d’elles-mêmes, impuissantes, chacune pour ses propres raisons, à exprimer une tension évolutive.
Le thème de la Vierge s’impose ainsi à nos deux écrivains comme un moment de coagulation autour duquel se cristallisent, s’imbriquent, se développent et s’interrogent les identités menacées et problématiques de deux communautés – avec toute la complexité que le terme «identité» comporte dans le cas de cultures et de pays dominés et chargés d’une histoire difficile. Si le besoin d’écrire sur ou à partir de ce sujet surgit d’exigences communes générales et génériques, propres aux pays «colonisés», il est évident que, vu la provenance géographique des deux écrivains, ce qui motive la spécificité de leur travail et qui le traverse a au contraire des origines et une nature différentes. Dès lors, pourquoi publient-ils tous les deux en 1996, s’exprimant sur un même événement qui s’est produit à un même moment de l’histoire? Quel est le sens symbolique différent et spécifique que ce choix peut prendre dans leur imaginaire? Nos réponses ne feront ici que reprendre ou approfondir certains éléments déjà exposés ou mentionnés dans nos analyses, dans le but de fournir une possible clé de lecture historique.
Nous pouvons ainsi affirmer que pour Thiers les années 90 sont un moment où des tendances contradictoires s'affrontent en Corse et où les intellectuels ont besoin de porter un regard sur le passé qui leur permette de comprendre le présent: ils se tournent alors vers des moments-clés de leur histoire personnelle et communautaire. L'épisode de la Vierge du Grand Retour est dans ce contexte un phénomène idéal pour différentes raisons: il conjugue l'histoire personnelle de Thiers (souvenirs, constitution du sujet émotionnel) et l'histoire de la Corse; il exprime un certain type de rapports entre France et Corse par le biais de l’image du viol; il représente les contradictions de la société corse dans son rapport à la religion (les formes de religiosité traditionnelle frôlant l’idolâtrie; l’importance des confréries qui soudent le tissu social mais se révèlent autant coupables de viol que les instances du pouvoir métropolitain et clérical). C’est donc là une interrogation profonde qui est adressée à la Corse sur son origine et son identité.
Quant à Confiant, on est frappé par la coïncidence de la parution de VGR avec l’anniversaire d’autres dates capitales, dates mythiques auxquelles l’année 1996 semble se rattacher comme le dernier chaînon d’une série (presque) régulière et certainement saisie de manière non innocente. En remontant le temps à rebours, on retrouve ainsi enchaînés 1996 (publication de VGR), 1948 (pèlerinage de la Vierge en Martinique), 1946 (départementalisation de la Martinique, réalisée en 1948), 1848 (abolition de l’esclavage). Le sens de cette litanie de dates – parfois explicites, parfois implicites dans l’ouvrage – semble résider dans l’urgence de connecter le présent aux étapes fondamentales de la trajectoire historique d’un peuple, par une traversée idéale de 150 ans d’existence collective dans le cadre d’une relation coloniale pluriséculaire liant les Antilles à la France, à former un continuum significatif. Ce qui ne conduit pas nécessairement à une évaluation positive de ce dernier car, pour certains personnages de l’histoire située en 1948 – et pour Confiant lui-même qui s’exprime en 1996 –, malgré les actes de loi, le passé colonial continue de peser sur le peuple martiniquais, maintenu encore par la «mère patrie» dans une condition semi-coloniale, voire de semi-esclavage, condition simplement camouflée par un processus de devenir historique qui n'est en fait que présumé. C’est justement le manque total de confiance dans ce progrès qui se manifeste dans le roman par le fantasme d’un «néant» annoncée à la fin par l’«Apocalypse noire».
Pour conclure, revenons à notre titre oxymorique, «Centralité convergente des marges». Le lecteur aura probablement bien compris que nous avons voulu faire allusion à la convergence de deux œuvres, et de la pensée de leurs auteurs, sur des thèmes communs et sur quelques instances centrales, fondamentales pour des littératures et des civilisations considérées comme marginales par rapport à un prétendu Centre dont elles dépendent, alors qu’elles réclament et déclarent de plus en plus haut et fort la fragmentation de ce même Centre au bénéfice d’un recentrage culturel sur les marges, recentrage susceptible de faire émerger une identité, une dignité et une légitimité locales qui ont été trop longtemps étouffées et tues. C’est au fond le problème du rapport conflictuel avec le pouvoir qui est ici posé, mais en parallèle avec celui de la constitution d’un corps social capable d’élaborer une vision de soi juste, à savoir de s’identifier à soi-même.
Par la lecture croisée et comparée des deux romans et par une analyse qui a voulu être attentive à la fois aux aspects historiques et esthétiques de deux ouvrages manifestement semblables quant à leur sujet mais très différents quant à leur développement, nous souhaitons avoir fait ressortir la circulation d’un même discours profond. Des Antilles à la Corse, celui qui apparaît comme un pur prétexte narratif aura permis à la parole des «périphéries de l’empire» de jaillir sous forme d’une heureuse et étrange coïncidence, développé par deux littératures éloignées dans l’espace géographique et écrites dans deux langues différentes, mais situées à l'intersection de deux ensembles: celui que Paré (1994) définit de l'«exiguïté» et celui de l'espace culturel francophone.
Bibliographie
Les romans
R. CONFIANT, La Vierge du Grand Retour, Paris, Grasset, 1996
Ghj. THIERS, A barca di a Madonna, Ajaccio, Albiana, 1996 (trad. fr. par Hélène Bonerandi: La Vierge à la barque, Ajaccio, Albiana, 1997)
Références critiques et historiques
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Note
↑ 1Carla Fratta est l’auteur de l’analyse du roman de Confiant et de la Conclusion, Anna Giaufret de l'analyse de l’ouvrage de Thiers et de l'Introduction.
↑ 2«La statue blanche glisse sur l'eau et touche la rive. Un groupe de pêcheurs tête nue et pieds nus la prennent et la portent sur un petit autel. L'Ave Maris Stella éclate, jailli de mille poitrines. L'hymne de la foi monte et surmonte toute différence, avec l'accompagnement de la mer qui recommence à battre contre le quai. Et le «Chez nous soyez Reine» revient et recouvre tout. [...] La Madone tient l'Enfant Jésus assis sur son bras gauche et qui désigne le ciel de son doigt dressé; sur sa main droite resplendit un globe doré sous la protection de la croix. [...] La Reine des cieux se met alors en mouvement, soulevée par de solides pêcheurs qui la tournent pour lui présenter la mer immense où resplendit aussitôt son regard protecteur. La mer de la foule en délire se précipite au devant de la Madone blanche et la baise insatiablement» (La Vierge à la barque, p. 67-68). Dorénavant la traduction française sera signalée en note avec la référence VB.
↑ 3Confiant, romancier inépuisable en français et en créole, professeur d'université, journaliste, militant de la cause créole, est très connu pour avoir publié avec Jean Bernabé et Patrick Chamoiseau en 1989 Eloge de la créolité. Thiers (dont BM est le deuxième roman), sociolinguiste, professeur de langue et culture corse à l'Université de Corse, est aussi poète, parolier, dramaturge et romancier en langue corse, ainsi que l'un des militants culturels qui se reconnaissent dans l'appellation de «génération de 1970».
↑ 4On trouve déjà l'épisode dans Texaco de P. Chamoiseau (1992: 371 svv.). Apparemment, à l'époque où ce roman a été publié (novembre 1992), Confiant était déjà en train d'écrire VGR (voir page finale: «Avril 1992 - Mars 1996»), ce qui témoigne des préoccupations semblables des deux écrivains de la Créolité au sujet de la «petite» histoire du pays.
↑ 5Il suffit de confronter les pages 148 (portrait d'Adelise faisant son entrée dans la procession de la Vierge) et 150-151 (description de la statue de la Vierge accueillie par les fidèles) pour se rendre compte de la correspondance parfaite, et parfaitement iconoclaste, entre les deux figures, à une page de distance. Il faudrait également citer un autre double de la Madone, Philomène la péripatéticienne-carmélite; vénérée par le peuple vers la fin de l'histoire comme la «vraie Madone», elle parle de l'amour céleste et est capable d'opérer des miracles. Elle qui, par ailleurs, avec sa fameuse robe bleue, couleur préférée de la déesse vaudou de l'amour Erzulie, en même temps ressemble tellement à celle-ci.
↑ 6À plusieurs reprises on parle positivement de «Papa de Gaulle», icône bien française, père providentiel. Si le peuple veut se démarquer de la mère-patrie, il fait cependant et parallèlement preuve d’attachement à la France: que l'on pense entre autre à Bec-en-Or ayant participé à la fête du Tricentenaire, au rêve d'un voyage dans une France «éternelle et glorieuse», à l'hystérie pour une Madone blanche et «française», mais surtout au personnage de Dictionneur et à son amour exclusif pour le Littré, qu'il n'arrive pas à éliminer de sa vie, choisissant plutôt d'éliminer sa propre personne.
↑ 7Le Messie noir est désigné également comme «nouveau Messie», «un saint», «ange exterminateur», «antéchrist», «Ti-Jean» des contes créoles (passim).
↑ 8VGR: 150, 201, 300, 307. L'anéantissement parallèle des deux races est déclaré par le geste de la statue de la Vierge, que Confiant fait avancer parmi la foule les deux doigts dressés vers le ciel (une posture que le romancier transfère en la modifiant de l'Enfant à la Madone, celle-ci ayant plutôt, dans les reproductions et les photos que nous avons pu voir, un globe dans la main droite).
↑ 9ou encore «Bible-contre» (pour faire écho à la formule de la postcolonialité «littérature-contre», qui sied parfaitement à ce roman) ou, pourquoi pas, «Bible apocryphe».
↑ 10Nous nous permettons de signaler FRATTA 2001 qui, tout en étant axé sur un thème différent, aborde la question de la parodie dans le même roman.
↑ 11Parmi les termes de cette opposition binaire structurante on pourrait ajouter la double signification du geste, de bénédiction et de menace, faite avec ses deux doigts par la Madone, en plus de sa soi-disant double statue (VGR: 341).
↑ 12«J'en ai bien peur, ce matin je ne vais pas arriver à l'heure à Poretta. [...] Il doit bien y avoir dix minutes que nous sommes bloqués dans le tunnel. Et ça commence déjà à sentir mauvais» (VB:9).
↑ 13«De temps en temps il se penche vers lui et il semble qu'il lui dise quelque chose à l'oreille. Mais les sœurs pensent qu'il fait seulement semblant de parler» (VB:167).
↑ 14«Il paraît qu'on a vu des choses de l'autre monde. Personne n'en a jamais plus parlé, comme si toute cette foule transportée avait honte d'avoir été flouée. La Corse a énormément changé, depuis, heureusement...» (VB: 44).
↑ 15«Tu comprends, qui pouvait plus vivre, après tant de morts, tant d'avanies, une telle barbarie, toutes ces souffrances dans la chair et le cœur de l'homme s'il n'y avait pas la promesse officielle que le fléau avait eu un commencement et une fin, et qu'il y avait eu intervention divine pour l'arrêter? Il en a été ainsi pour le monde entier. En Corse et ailleurs. Mais en Corse, en raison des traditions et de sa puissance, l'église s'en est donné à cœur joie...» (VB: 42)
↑ 16«une madone venue d'ailleurs, lisse et rose comme une bourgeoise» (VB: 109)
↑ 17Par exemple à Jéricho. Nous renvoyons pour son analyse à l’excellent article de F. Renucci (2001).
↑ 18Nous tenons à remercier Ghjacumu Thiers pour sa disponibilité. Les interviews ont eu lieu le 23/07/2007 et le 9/08/2008.
↑ 19N'oublions pas d'ailleurs que BM est raconté majoritairement par une voix féminine et qu'il s'agit d'une quête de la vérité sur la mère (celle de la narratrice, mais aussi celle de Dieu et de l'humanité). Malheureusement, il ne nous est pas possible d'explorer toutes ces pistes dans le cadre de ce travail.
↑ 20«Ceux qui y étaient s'en souviennent comme si c'était maintenant, mais ils n'en parlent pas volontiers aujourd'hui. On ne sait au juste pour quelle raison. [...] Le fait est qu'aujourd'hui il semble que ces choses se soient passées dans un pays bien lointain ou depuis plus d'un siècle» (VB: 64).