Entretien avec Laurent Mauvignier et Tanguy Viel
Cet entretien a eu lieu à l'Alliance Française-Galliera de Gênes le 8 juin 2007. Les deux auteurs livrent ici leur rapport à l’écriture.
Maxime Pierre : Tanguy Viel, Comment décririez-vous en quelques mots le projet de vos livres ?
Tanguy Viel : Ce sont des romans qui ont pour but d’être de purs romans, d’être seulement des romans. La seule chose que je sais dire de mes livres c’est que leur but ultime est de raconter une histoire, et de la raconter le mieux possible.
Maxime Pierre : Mais il faut rappeler que le Black Note a pour thème des joueurs de jazz, tandis que Cinéma se réfère à des souvenirs de films. Chez vous, l’univers littéraire, comme l’indiquent les titres, semble attiré vers d’autres domaines artistiques. Où se situe-t-on dans ces deux livres : dans la littérature, la musique, le cinéma ?
Tanguy Viel : En fait, je dois préciser que les titres ne sont pas de ma propre décision à chaque fois : le Black Note est un choix de l’éditeur tiré du nom du lieu dans lequel habitent les quatre personnages du livre. Quant à Cinéma, c’est un projet beaucoup plus formel où un narrateur raconte l’histoire d’un film du début à la fin. Donc, par analogie, puisque je faisais un roman à partir d’un film, je l’ai appelé Cinéma.
Pour parler plus généralement, le Black Note est la première tentative de construire un roman à partir d’une somme très fragmentaire d’éléments de fiction venus de différents horizons que j’avais constitués pendant des mois comme des envies d’écrire mais qui n’arrivaient pas à aboutir comme une fiction pure. Ce n’est pas un livre que j’aurais écrit en deux mois d’une seule traite. C’est plutôt un livre qui s’est fabriqué à partir de la somme des fragments que j’ai essayé de réunir pour former la fiction qui pourrait les faire tenir ensemble. D’ailleurs, c’est un livre dont on peut ressentir l’hétérogénéité. Comme je n’ai jamais trouvé cette ligne pour raconter une histoire avec facilité ou en commençant avec un scénario et ensuite en venant remplir les cases du scénario, je me suis trouvé, après ce livre qui était plutôt un petit miracle puisque j’étais parvenu à homogénéiser une matière plutôt éparse, dans un moment de crise. Je me trouvais, en effet, confronté à l’impossibilité non pas d’écrire, puisque j’arrivais à écrire de manière fragmentaire, des impressions, des sensations, des moments de fiction, des personnages, des décors, enfin tout ce qui peut constituer un univers romanesque, mais je n’arrivais absolument pas à les transformer. À ce moment là, j’ai été saisi par un mouvement de panique qui a duré un ou deux ans ; et c’est dans un moment de grande fatigue que j’ai eu l’idée d’écrire Cinéma, c’est-à-dire de prendre un film déjà existant, en l’occurrence Le Limier de Mankiewicz, et d’imaginer un narrateur qui raconterait ce film de A à Z. Finalement, parce que, pour moi, le cinéma était la matrice des histoires, des récits, et il le faisait bien. Ensuite, bien sûr, j’ai connu la même crise : c’était reculer pour mieux sauter. Et puis ça s’est débloqué à force de travailler, et j’ai compris qu’écrire un roman c’est un énorme travail dans le sens où il faut accepter que la matière qu’on a au départ dans un crâne est une matière hétérogène et que le but ultime est de raconter une histoire, c’est-à-dire d’essayer de donner un fil et une fluidité à un tout. Et donc, c’est cela que je fais en prenant quelquefois des arguments assez policiers, assez simples, pour réussir à y faire rentrer des espaces : des espaces atmosphériques, des espaces sensibles, des caractères, des psychologies, et puis j’essaie de les faire tenir ensemble dans une ligne directrice qui donne l’impression que le tout a été écrit d’un seul jet.
Maxime Pierre : On a finalement l’impression que c’est assez caractéristique de votre écriture d’utiliser une autre matière artistique, soit le cinéma, soit, dans un autre livre, le théâtre. Dans Secret de famille vous reprenez sous la forme d’une sorte de sitcom l’histoire de Phèdre que l’on connaît par l’univers de la tragédie. Vous reprenez donc l’argument tragique de Phèdre pour le transformer en histoire de famille moderne. Là encore, semble-t-il, vous prenez une matière externe au romanesque que vous réinvestissez ensuite d’un autre sens. Est-ce que c’est pour vous un moteur pour écrire ?
Tanguy Viel : En ce qui concerne ce livre, il s’agit plus précisément d’un petit sitcom radiophonique qui parle de Phèdre. C’était plutôt un jeu : le détournement d’un objet littéraire. En général, j’ai un rapport complexe à l’écriture et ce qui m’intéresse davantage dans le travail du romancier, c’est la composition. Pour reprendre les catégories de la rhétorique, l’invention est une somme de petites inventions qui sont de petits courts-circuits entre l’envie d’écrire une scène et celle d’y faire passer quelque chose. Pour ce qui est de l’élocution, qui est le troisième terme de la rhétorique, elle vient presque d’elle-même, parce qu’il y a un moment où on trouve un souffle, une manière d’écrire, un narrateur, et c’est à ce moment là que tout s’organise. Pour moi, le plus compliqué est précisément de composer, de prendre ces éléments et de les mettre ensemble. J’ai donc besoin le cas échéant de me resservir des matrices que je trouve dans le cinéma ou dans la littérature et, d’une manière générale, des histoires telles qu’elles sont contées depuis des millénaires, parce qu’elles sont comme des modèles. Je n’ai pas l’impression d’être dans le détournement, au contraire : j’ai l’impression que je vais chercher là des moyens d’arranger ma propre matière. Souvent, quand même, c’est le cinéma qui m’aide, parce que j’y suis sensible, parce qu’il y a une vitesse et un rapport à la composition qui oblige à penser à un début, un milieu et une fin pris dans un seul bloc. Si je fais la comparaison avec le roman feuilletoniste du dix-neuvième siècle, le rapport à la composition est moins intense puisqu’il est produit par blocs séparés. Dostoïevski pouvait se permettre de se poser moins de problèmes de composition, du moins pas les mêmes, que quelqu’un qui écrit aujourd’hui un livre de cent cinquante pages et qui demande à la page cent quarante de raisonner avec la page deux, c’est-à-dire qui cherche à trouver des symétries, enfin une intensité.
Maxime Pierre : Laurent Mauvignier partagez-vous l’expérience de Tanguy Viel ? Est-ce que pour vous il y a un point de départ, une matrice, une matière hétérogène ou bien une matière extérieure qui vous dit : tout cela ça va prendre, et va former un récit. Ou bien le récit surgit-il d’ailleurs ou différemment ?
Laurent Mauvignier : Tout d’abord je voudrais revenir à cette idée de partir d’éléments hétérogènes pour arriver à quelque chose d’homogène. Dans mon cas, il y a souvent la question du traumatisme, de l’accident, ou de quelque chose qui « vrille » le récit. Et cette notion pour moi se pose de manière esthétique, avec toujours le même point d’achoppement : Comment fait-on entrer le chaos dans quelque chose qui va être un livre et qui doit, à la fin, être homogène ? Comment organise-t-on tout cela ? Et même si, à un moment, il y a quelque chose qui se déplace, comment faire pour que cela se déplace sans en avoir l’air dans une structure organisée ? Et je voudrais ajouter au sujet des références du théâtre ou du cinéma : ce ne sont pas pour moi des choses extralittéraires. Après tout, ce sont des objets du monde comme une table ou une chaise. Et finalement, même si Tanguy et moi avons a priori des objets différents, on reprendrait assez volontiers à notre compte l’idée de Balzac selon laquelle il n’y a pas de différence entre une table et une psychologie, quand il s’agit de la mettre en scène dans un roman.
Maxime Pierre : Pour tous les deux donc le roman apparaît comme cette forme littéraire qui permet d’accueillir de manière homogène des éléments disparates. Est-ce que vous avez choisi le récit parce qu’il vous semblait être la forme idéale ? En d’autres termes, êtes-vous tentés par d’autres formes qu’elles soient plus théâtrales, ou poétiques, ou bien est-ce que pour vous le récit reste la forme idéale qui permette, pour reprendre votre expression, d’intégrer aussi bien une table ou une psychologie ?
Laurent Mauvignier : Pour moi, au départ, il y a eu pendant très longtemps, dans mon parcours de lecteur et d’étudiant, l’interdit du roman. Il était impossible dans les années 80 d’écrire un roman. Ou alors on pouvait commencer à envisager l’idée d’écrire un roman si on passait par le mode de l’ironie. Il fallait en tout cas montrer « patte blanche » en signifiant bien qu’on n’était pas dupe de ce qu’est un roman, de son artifice. Mais dans tous les cas la modernité s’était arrêtée à Guyotat, qui en était un peu la finalité, son illisibilité comme le point de vitesse indépassable, la vitesse de la lumière. A la suite de quoi, écrire un roman semblait être une régression, un renoncement, une restauration au sens réactionnaire… C’était très lourd, et cet interdit a stimulé mon désir, non pas de revenir au roman, mais d’écrire des romans avec le 20ème siècle, en réintégrant le désir et le plaisir de la lecture. Parce que, finalement, la différence entre un roman du 19ème siècle et du 20ème siècle n’est pas si grande. De la même manière, quand vous découvrez Racine après Beckett, vous ne trouvez pas que ça s’oppose. Un peu l’idée qui consisterait à imaginer un Balzac qui aurait lu Claude Simon. Par ailleurs, cette sensation d’interdit était aussi stimulante parce qu’on avait conscience que le cinéma occupait l’espace laissé en jachère par la littérature, à savoir tout simplement la question du récit, la question des personnages, parfois même la question épique, qu’on trouve par exemple chez Scorsese. Et, bien que je ne sois pas cinéaste, Raging Bull, par exemple, fait partie des choses qu’on a envie de faire, de lire. Ecrire un roman pour moi n’est pas une stratégie, ni une théorie, au sens ou il faudrait ou il ne faudrait pas. Disons qu’à force de côtoyer la littérature contemporaine, je me rends compte que je ne me satisfais pas d’une certaine forme d’avant-garde, une façon par exemple de traiter les textes de manière éclatée : j’aurais l’impression de faire de la parodie d’avant-garde. De façon plus déterminante, il y a eu à un moment donné la découverte de certains auteurs : François Bon, en particulier, qui a été important parce que d’un seul coup il intégrait le présent à la littérature, il montrait par exemple un paysage mais sans retirer les antennes de télévision et tout ce qui pouvait déranger. Et ça, ça a été un choc. Et puis il y a eu aussi Thomas Bernhard qui montrait que le récit n’était pas forcément ringard ou réactionnaire, mais était – et reste – un moyen de dire notre époque et de dire le monde.
Maxime Pierre : Si j’ai bien compris, il y aurait quand même eu, au départ, une terre interdite du récit que vous auriez eu envie d’aborder ?
Laurent Mauvignier : Non, ce n’est peut-être pas aussi dramatique que je le dis… C’est beaucoup plus simple. Comme l’idée qu’il y aurait un beau gâteau au chocolat auquel on aurait pas le droit de toucher…
Maxime Pierre : Et pourquoi pas ?
Laurent Mauvignier : Parce qu’on vous explique bien : il y a une histoire du vingtième siècle, et la déconstruction du roman. Et en même temps, on a cette petite envie irrépressible et que vous essayez de faire taire, ce fantasme qui reste. C’est une espèce de retour à ses lectures d’adolescents, à un roman qui vous plaise, tout simplement, de manière très naïve. Il y a un rapport au désir et à l’interdit. Et puis il y a un moment où on essaie des choses et puis on va vers cela plutôt qu’ailleurs. Et donc, la question n’est pas tant de définir ce qu’on va faire, mais plutôt de se rendre disponible à quelque chose dans lequel on se sente bien pour travailler. C’est cette idée de délimiter un territoire que l’on explore : le roman de ce point de vue n’a rien de sacré. Le roman n’est pas dogmatique. Il ne dit pas qu’il ne faut pas faire ceci ou cela, il a une fâcheuse tendance à être iconoclaste : pas de hiérarchie des éléments. On raconte une histoire, et à travers elle, il y a autant d’enjeux formels, de jeu formel, que de contenus. La seule chose à dire, c’est qu’aujourd’hui, le roman est une possibilité littéraire. Il ne s’agit pas de la sacraliser, pas de retour à un hypothétique âge d’or, pas de mythe du dernier écrivain, de la belle langue, pas plus qu’il ne s’agit de continuer à taper sur le prétendu cadavre, dans le fantasme d’une tout autant hypothétique avant-garde pure et dure.
Maxime Pierre : Tanguy Viel, est-ce que vous avez le même rapport au récit que Laurent Mauvignier ?
Tanguy Viel : Oui, je suis complètement d’accord. Au départ, il y a le désir inexplicable d’écrire. Dès que je décide qu’un narrateur raconte une histoire, on entre dans la zone du roman. Disons, pour simplifier, que la poésie est cette zone qui exclut la temporalité et donc la narration : c’est très dur en poésie de mettre du temps. La poésie me semble plutôt du côté de l’instantané. Quant au théâtre, ça pourrait être une autre forme possible. D’ailleurs, de plus en plus, je trouve que ce n’est pas si différent. Peut être moins que je ne le pensais au départ… Parce que, finalement, c’est juste une autre manière de proposer les informations à l’intérieur d’une forme…
Laurent Mauvignier : Oui, vu que l’un est l’autre nous sommes confrontés à cette question des personnages. Il y a, par exemple au théâtre, ce rapport à l’incarnation qui avait été évacué, et c’est vrai que nous nous reposons ce type de question. Et donc, il n’est pas étonnant que nous venions vers le théâtre, alors que ce n’était pas le cas au départ. C’est qu’il y a peut-être la même façon d’appréhender les problèmes. C’est moins la question de la langue qui compte, que la question d’une composition, d'une rapidité, d'une efficacité, d'une présence. Et finalement ce n’est pas éloigné du roman.
Tanguy Viel : Sauf que dans le roman on est en plus metteur en scène. On peut choisir le tempo, les lumières, cadrer, couper quand on veut, et donc le roman me semble plus ample car il offre cette possibilité d’être de tous les côtés à la fois. Alors, si on n’est ni obsessionnel ni narcissique au point d’être un formaliste dirigé vers le signifiant pur, si on n’est pas idéologue, on a toutes les raisons du monde de choisir le roman parce que c’est la palette qui ouvre le plus de possibilités.
Et cela répond je crois à un sentiment de crise que vient de décrire Laurent Mauvignier : nous parlons ici d’une génération qui est extrêmement inquiète par la représentation et qui refuse de produire sans cesse de la métaphore, de l’image en général et donc du récit à fortiori c'est-à-dire toutes ces lignes de sens qu’on jugerait trop totalitaires ou directrices. Donc, il y a une panique devant le langage qui produit une littérature assez aphasique, ânonnante, dont les formes les plus abouties sont une certaine forme de poésie ou de roman. Mais ce n’est pas ainsi que je perçois le monde ni la langue : pour moi ce n’est pas une perversion permanente qui refuserait que chaque mot soit investi de vie et de sens que je pourrais utiliser aussi. Cela ne m’empêche pas d’inquiéter ce sens, d’en douter régulièrement, de rechercher de nouvelles formulations ou de nouvelles associations, parce que la langue est ce qui permet de saisir la singularité de ma vision du monde. Et même s’il est vrai qu’il y a toujours un combat avec la langue originale, celle-ci peut très bien se fondre dans une langue commune. Il s’agit enfin de réaliser un compromis avec la communauté utopique qui accepte le roman comme récit fondateur pour plusieurs, car si l’on écrit un roman c’est pour que d’autres jouissent du récit qu’on raconte. Et en même temps, cela permet de faire partager en sous main une inquiétude plus personnelle sur la langue. J’ai l’impression de ressentir qu’on peut partager ce désaccord dans une forme fictionnelle, lorsque j’arrive à cette forme qui est un objet assez lisse, mais qui a son efficacité presque… hollywoodienne. Et en même temps on a réussi à reformuler, à redire, à déplacer, à décaler et évidemment à inventer. Et de ce point de vue c’est peut-être typique de ces auteurs – Laurent citait François Bon ou Thomas Bernhard, et l’on pourrait aussi ajouter Jean Echenoz – qui se sont avancés à nouveau sur des territoires du récit avec une forte dose d’inquiétude, même trop forte pour nous. C’est la raison pour laquelle ils ne sont pas allés à fond dans le roman.
On parlait d’ironie, on pourrait parler de maniérisme ou de minimalisme, mais dans tous les cas, on voit bien qu’il s’agit de formes qui sont allées timidement vers le roman. Sauf peut-être Thomas Bernhard qui est un peu celui qui a réussi. Je le considère comme le plus grand écrivain européen de la deuxième moitié du vingtième siècle : pour moi, il est plus important que Beckett, parce qu’il permet d’être à la fois dans cet espèce d’irréductible de la langue et de cette radicalisation presque formelle et en même temps de continuer à traîner du récit, de la charge émotive, de l’image, de la mémoire, voire même du temps social. Voilà : c’est ce que j’aime dans le roman.
Maxime Pierre : Laurent Mauvignier, vous parliez tout à l’heure des personnages qui font partie des choses que vous aviez envie de remettre dans le roman. En même temps, vos titres de livres donnent l’idée de personnes assez anonymes si l’on pense à Loin d’eux, Ceux d’à côté, Seuls, ou Dans la Foule, qui renvoie à une masse sans nom. Y a-t-il un retour des personnes ? Quel rôle jouent les personnages, notamment pour Dans la Foule, roman qui a été parfois qualifié d’« orchestral » ou de « polyphonique », où des points de vue sont confrontés les uns aux autres ?
Laurent Mauvignier : Disons que le personnage au départ n’est jamais ni un collage ni un coloriage. Ce n’est pas un personnage préétabli dont je me contenterais de raconter les aventures. Il se développe dans l’écriture parce qu’il y a narration. Il se réalise par l’écriture, donc de ce point de vue Beckett n’est pas loin de mes préoccupations notamment dans le monologue. La foule, c’est vrai, c’est une chose informe, mais il va y avoir des personnages. Je crois que le roman, de toute façon, contrairement à la sociologie ou à la philosophie qui travaillent sur des catégories générales, attaque au contraire par le singulier, par le particulier. Il me semble qu’il est important de ne pas instrumentaliser les personnages pour illustrer des idées, des thèses. Le reproche a souvent été fait à Balzac, il reste d’actualité. J’ai vraiment commencé à écrire quand j’ai laissé venir les personnages, et c’est passé par cette langue là, par cette forme là. La construction du personnage est indissociable d’un fait de langue : ça se fait comme ça et chaque personnage a son inflexion, sa silhouette.
Quant à la question de la polyphonie, je n’ai pas l’impression de faire un roman polyphonique dans la mesure où j’ai l’impression qu’il n’y a qu’une seule voix, une seule écriture. Simplement il y a des inflexions différentes, il y a des états psychiques différents. J’ai l’impression de glissements, de mouvements, de plaques tectoniques, qui font que l’on passe d’un état à un autre. Je ne crois pas à l’idée d’une analyse psychologique, avec cette fameuse image du scalpel. Je ne crois pas que cela soit si vrai parce que j’ai l’impression que dès que je vais dans un endroit, le personnage va tourner autour, c’est-à-dire qu’il y a une méfiance vis-à-vis de ce qui se dit. Très souvent je vais dire une chose mais il y a des moments où on va dire le contraire et où le personnage va revenir en arrière. Pour moi le personnage est toujours à la recherche de lui-même dans le travail de l’écriture. Mais il fait prendre aussi en compte le rapport aux autres, l’action, car tout cela se travaille ensemble. C’est pour cette raison peut-être que la question du théâtre commence également à se poser pour moi car je commence à avoir une frustration : la langue occupe peut-être parfois un peu trop de place et parfois j’aimerais que les personnages puissent se débarrasser de ça. Pour moi le personnage est en mouvement, je n’arrive pas à le percevoir comme une chose fixe. Il y a une recherche du devenir du personnage, et puis au départ il y a cette question : ce que j’avais envie de retrouver, surtout dans mes premiers livres, c’est que le lecteur éprouve une empathie avec quelque chose qui « cogne ». De la même manière que le personnage avec ses petits fantasmes, se cogne contre le réel, un peu à la Bovary, j’avais envie que le lecteur sorte des livres qu’on consomme. Je voulais redonner un peu de présence, faire sortir de l’univers de la télévision. Simplement que, par un personnage, par une histoire, un roman, on ait quelque chose qui soit de l’ordre de l’émotion, de la rencontre, d’un point de contact.
Maxime Pierre : A vous écouter, on a l’impression que ce n’est pas tant le retour du personnage. On aurait envie de dire que ce sont des personnes que vous mettez en scène. C’est-à-dire pas seulement des silhouettes avec une couleur de cheveu, un habit…
Laurent Mauvignier : Oui, mais pourtant, ils ont tout cela quand même.
Maxime Pierre : Tanguy Viel est-ce que pour vous, le personnage a cette même dimension ?
Tanguy Viel : En fait, j’ai l’impression, mais peut-être que je me trompe, que mes personnages sont plus des figures que ceux de Laurent. Je ne pourrais pas pour ma part appeler un roman Dans la Foule car il s’agit toujours de quatre ou cinq personnages et que cela se passe généralement en huis clos. Et lorsque j’écris un livre je n’arrive pas du tout à imaginer que ce sont des voix qui portent des ensembles, mais plutôt des rapports extrêmement intimistes.
Laurent Mauvignier : C’est vrai que pour l’instant tu as surtout joué avec des figures, par exemple, dans Insoupçonnable, c’est la Femme Fatale…
Tanguy Viel : Oui, mais ce n’est pas quelque chose que je pense au départ. Ce ne sont pas des figures qui sont constituées à l’avance. Pour moi ce sont finalement ce que j’appellerais des vecteurs d’atmosphère car ce que j’aime le plus c’est écrire des sensations. Et ces sensations-là, elles sont atmosphériques. Alors souvent cela peut-être même paysagiste - rien ne me plaît plus qu’une description paysagiste - mais ça peut être aussi de l’atmosphérique. Cela peut être aussi par exemple l’ombre portée d’un personnage sur un autre avec un contre-jour d’une fenêtre, par exemple. C’est de l’ordre de l’obsession physiologique de l’émotion : des positions de pouvoir, de peur ou de tyrannie, toutes sortes de rapports qui m’obsèdent. Mais pour les traiter atmosphériquement je me rends compte que le mieux est de les renforcer par l’archétype. Et ainsi, cela devient la Femme fatale, la figure du Mal, la figure du Coupable par exemple etc. Donc cela devient des archétypes pour lesquels d’ailleurs le cinéma me sert énormément. A ce moment-là, je pense à plein de personnages de cinéma parce que c’est ma réserve naturelle de psychologies. Et, de ce point de vue, j’ai l’impression qu’à la fin j’ai des « types », plus que dans les romans de Laurent, mais quand le « type » est achevé, le roman se termine. Et c’est à ce moment là que je pourrais commencer un roman classique au sens où je pourrais utiliser la psychologie aboutie d’un personnage et lui faire vivre des aventures. En fait, de ce point de vue là, il y a un point commun entre Laurent et moi : c’est que la construction du type se fait dans le livre lui-même. Mais je passe mon temps à faire l’aller et retour entre ce que je ressens et l’écriture. Par exemple, il y a très souvent des rapports dominant-dominé qui s’installent et qui ne sont pas réductibles à un rapport père-fils. Je me rends compte que pour écrire, il faut que je prenne le point de vue du dominé et donc le point de vue de la narration et de l’énonciation qui est celui du faible qui se débat avec des gens qui comprennent mieux que lui le monde qui les entoure. Je n’ai jamais écrit de roman familial mais finalement cela peut se figurer sur une scène assez archaïque au sens grec de la tragédie. Donc je pense que mon rapport est assez différent.
D’où vient d’ailleurs que mon rapport à la fiction est beaucoup moins situé dans l’épaisseur du monde, qu’il est beaucoup plus pris dans des situations qui vont être renforcées au maximum. Et les personnages sont assez classiques : pour moi les figures classiques, que je cherche à ne pas faire transparaître dans mes personnages, ce sont un Vautrin, un personnage de Dostoïevski, des Grandes Espérances de Dickens, et beaucoup de personnages hitchcockiens, beaucoup de James Stewart, de Gary Grant. Des personnages qui arrivent à cristalliser les enjeux, pas psychologiques, mais des situations physiques qu’ils remplissent.
Maxime Pierre : Est-ce que vous avez l’impression que d’un roman à l’autre il y a des retours ? On a vu le personnage faible qui revient chez Tanguy Viel, la scène archaïque qui se rejoue à chaque fois. Est-ce que pour vous le passage d’un livre à l’autre est une forme de retour à des choses que vous avez déjà dites, ou bien vous passez à autre chose ?
Laurent Mauvignier : A chaque nouveau livre on se dit que l’on arrivera à écrire un livre meilleur que ce qu’on a déjà fait. Le prochain sera toujours meilleur. On entend ce que les autres nous en disent, et c’est toujours celui qui trouve la faille qui a raison. Le recul que l’on prend (qu’on essaie de prendre) sur son propre travail, incite à modifier ce qu’on a déjà fait, à lui redonner une nouvelle chance. Parfois, c’est volontaire, il y a le besoin de revenir sur des territoires : pour Dans la Foule, je me suis servi de La Bassée, parce que j’avais besoin d’un contrepoint. C’était un projet qui était radicalement différent des précédents, j’avais besoin pour assumer cette différence d’aller chercher un point d’origine, et je suis donc retourné dans le premier lieu du premier livre. En outre, au moment où j’écrivais, je me suis aperçu que le vrai point commun n’était pas dans le traitement polyphonique des personnages, mais notamment dans deux personnages, dont la jeune femme, qui s’appelle Tana, elle a 23 ans, perd son mari avant de se perdre elle-même dans l’alcool et une sorte de révolte autodestructrice, personnage dont on trouve déjà l’esquisse dans Loin d’eux, avec Céline, la cousine. On se rend compte que l’on a des figures de répétition, des obsessions. Le seul moyen d’en comprendre la nature, c’est de reprendre le motif et d’y revenir, ce sont des personnages, mais aussi des gestes (une cigarette qu’on écrase, une façon de poser un corps), une précision plutôt dans le détail que dans le plan d’ensemble, une couleur, une situation. Parfois il faut plusieurs livre pour comprendre non pas ce qui ce cache derrière, mais comment il y a là des éléments qui nourrissent l’écriture, la font vivre.
Pier Luigi Pinelli : Je voudrais dire quelque chose à propos du retour du personnage. Vous avez dit qu’il y a des personnages qui vous hantent, est-ce que vous avez l’impression que parfois l’écrivain va avoir quelque chose qui lui donne de l’émotion et qu’il la laisse de côté en se disant qu’il l’utilisera dans un prochain roman ?
Laurent Mauvignier : Oui, ça marche un petit peu comme en musique : parfois on a des motifs, des situations. Pour cela la notion de création du personnage est très floue. On pourrait se demander quand commence la vie d’un personnage, parce qu’il y a des moments où on a certaines intuitions, certaines impressions, mais il peut aussi y avoir quelqu’un qui passe sur un vélo rouge, et on a envie que ce soit quelque part dans un livre. Est-ce qu’il va tomber du vélo ? Est-ce qu’il va se passer quelque chose ? Ce sera peut-être le début d’une histoire ou pas. On ne sait pas toujours à quel endroit on utilisera les choses. Le problème est que, souvent, on écrit des choses pour s’en débarrasser. Pourtant, souvent, écrire une scène ne nous débarrasse pas de l’obsession et, au contraire, d’une certaine manière elle la valide, elle lui donne une existence. On se questionne sur le résultat et on a plutôt l’impression de quelque chose qui se nourrit, qui vient au contraire prendre de l’ampleur là où l’on pensait trouver une solution, une évacuation. Il est très étonnant de voir comment les figures se reproduisent, reviennent avec des variations sans délivrer de message ni à l’auteur ni au lecteur.
Cecilia Rizza (à Tanguy Viel) : Le rapport avec le cinéma dans vos livres est certain, mais je voudrais savoir si vous avez été influencé par les autres formes d’expression artistique par exemple les beaux-arts et la musique.
Tanguy Viel : Non, parce que, pour moi, le cinéma est l’art qui se rapproche le plus de la littérature, parce qu’il contient une narration et une durée. Pour une question d’histoire personnelle, je commence maintenant à m’intéresser à la peinture, pour la réflexion sur la lumière par exemple. Je pense en tout cas que la peinture m’aidera toujours moins que le cinéma pour constituer des durées longues. La musique pour moi est un art qui est à l’exact opposé de l’écriture ; chez moi il n’y a aucune porosité possible entre la musique et l’écriture. J’écoute beaucoup de musique, mais cela ne me parle pas par rapport à l’écriture. La seule chose qui peut se passer, et il s’agit là d’un fantasme, c’est qu’au moment où j’écoute de la musique et cela peut être aussi bien un quatuor qu’une musique rock contemporaine, je vais trouver une humeur que j’avais rêvé de reproduire dans un livre. Mais c’est qu’au moment de l’écoute où l’émotion ressentie va me donner l’envie d’écrire, mais cela reste à ce niveau-là.
Rosa Galli Pellegrini : Est-ce qu’en écrivant vous envisagez un lecteur idéal ?
Tanguy Viel : La réponse pourrait être quasi métaphysique puisqu’on écrit pour tous et n’importe quel écrivain pourrait répondre ainsi, dans l’absolu. Dans le ‘tous’ il faut être prêt à assumer ce qu’est ‘tous’, c’est-à-dire sûrement pas 80% ou 90% des lecteurs ou une quantité sociologique, mais il faudrait envisager l’humanité entière qui doit être à même d’écouter toutes les phrases. Pour employer les mots de tout à l’heure, dans la balance entre inquiétude et communauté, je dirais que les romans de François Bon sont plus des romans inquiets que communautaires, et que les miens tendraient à être plus communautaires qu’inquiets. Plus on fait pencher la balance vers l’espoir, plus le livre semble plus et le lectorat augmente du fait que cela implique aussi une question de quantité et de chiffres de ventes. Au fond, pour moi, toucher tout le monde signifie que je ne peux pas faire des livres qui sont déterminés par cette question-là, parce que je dois envisager toute sorte de public, les universitaires très exigeants ou des gens qui n’ont pas l’habitude de lire et qui doivent être capables de lire l’objet à nu, qui ne doit pas être trop référencé.
Laurent Mauvignier : Cela répond aussi à la question : pourquoi le roman et pas la poésie ? C’est vrai qu’il y a quand même l’idée que le roman est un art suffisamment mineur pour être ouvert à tout le monde, et qui a fait suffisamment ses preuves pour être artistiquement quelque chose de fort et d’intéressant. Pour moi, l’idée que ce soit un art qui puisse se lire à un premier degré, à un second degré et à un troisième degré etc. est très importante, même s’il peut y avoir des malentendus, plusieurs niveaux de lecture qui ne s’opposent pas. Et d’ailleurs, même s’ils s’opposent, les malentendus c’est déjà la polysémie, le brouillage. J’aime assez l’idée qu’un roman obscurcisse en même temps qu’il montre.
Tanguy Viel : Je n’identifie pas l’écriture à un acte de résistance, de subversion, aucune catégorie qui ferait que la littérature serait identifiée comme quelque chose de différent de la langue partagée, que cela se montre. Je suis un grand blanchotien dans l’âme, mais je ne peux pas le suivre aujourd’hui, dans la question de la littérature comme veille, comme résistance, je ne peux pas demander à la phrase d’être une vigie. Je pense qu’elle relève d’une expérience qui est partageable. La singularité est partageable.
Annie Oliver (à Laurent Mauvignier) : Vous avez réintégré les structures du roman, mais il me semble que ce que vous faites dans vos romans n’a rien à voir avec le roman précédent, ils sont très différents. Vous refaites du roman, mais vous faites plus : le lecteur trouve dans vos romans l’histoire du roman, vous faites du roman avec ce qui faisait du roman, avec ce qui est générateur du roman, personnages, atmosphères etc. Mais vous le faites en sachant ce qu’on peut faire maintenant. Le lecteur retrouve l’histoire de la littérature ou aussi l’histoire du cinéma, vous en faites une homogénéisation, une synthèse dans vos textes. Je trouve que dans votre dernier roman [Dans la Foule] la culture du cinéma est totalement intégrée dans l’écriture.
Quelle est l’importance du cinéma pour vous ? Est-ce que vous êtes conscient de cette histoire du roman qui vous fait écrire ?
Laurent Mauvignier : En ce qui concerne le cinéma dans mon travail, souvent on me dit qu’il y a un aspect cinématographique dans mes livres, notamment dans le dernier. Disons que c’est une question que je ne me pose pas. A une époque, je voyais plus de films que je ne lisais. Le cinéma fait tellement partie de notre civilisation qu’il est difficile de faire la part des choses dans les multiples zones d’interactions et d’influences. Quand on parle de cinéma, on parle souvent de la façon dans le cinéma raconte une histoire, ce qui n’est pas le cinéma, mais l’art des histoires, la question de la narration. Et sur ça, le cinéma doit tellement à la littérature… Il y a des tonnes de livres qui sont cinématographiques et datent d’avant l’invention du cinéma, il faudrait aussi rappeler ce que le cinéma doit à la littérature pour pouvoir démêler un peu ces influences réciproques et croisées. Le cinéma pour moi compte pour la question du montage, de la façon dont on passe d’une scène à l’autre : où placer une coupure, où faire une ellipse. Ce qui compte aussi et qui n’est pas seulement le fait du cinéma mais seulement de notre temps, c’est la question de la vitesse et du rythme.
Tanguy Viel : Pour répondre à la question sur l’histoire du roman, cela ne concerne pas la conscience de l’histoire du roman, mais pour moi c’est un mystère de savoir pourquoi si je lis, encore aujourd’hui le début de La Femme de trente ans de Balzac, « un air de tristesse s’évanouit de son visage » je le trouve très beau, et si je le lis dans un livre qui sort aujourd’hui je le trouve très mauvais. Dans le rapport à la lecture on prend rarement en compte le pacte historique qu’on fait avec certains livres, et alors, lorsqu’on se demande comment l’histoire de la littérature est intégrée dans un roman aujourd’hui, il se trouve qu’il y a un certain nombre de choses que je trouve mauvaises chez certains auteurs et que je trouve géniales chez d’autres auteurs à condition qu’elles soient dans la période où il fallait les faire. Comme si on avait un inconscient de l’histoire littéraire qui permettait de codifier chaque lecture en fonction de l’époque dans laquelle elle a été écrite. Pour moi cette question est extrêmement troublante parce que je ne peux pas expliquer pourquoi aujourd’hui le point focal est si différent qu’il empêche d’écrire cette phrase. On n’écrirait pas « un air de tristesse » parce que plutôt que d’écrire le mot tristesse on essaierait de trouver un signe beaucoup plus moléculaire pour essayer de faire passer la notion de tristesse. On essaierait de saisir l’épaisseur presque matérielle de sa signification, alors qu’on voit bien que l’unité chez Balzac c’est le visage ou bien les sentiments. Cela relève tout à fait de l’inconscient car on sent que l’on ne pourrait pas écrire les mêmes romans que Balzac aujourd’hui.
Laurent Mauvignier : Il y a une question de pertinence, on ne peut pas intégrer les mêmes catégories.
Tanguy Viel : Oui, on est des êtres historiques, chargés de plusieurs couches de roche et on fait appel à chaque couche à chaque fois qu’on repart. Le goût se modifie, on n’écrit pas de la même manière. Il faut être capable de tirer de son propre présent un rapport à la langue qui se singularise, et en même temps je dirais qu’une personne honnête ne devrait pas écrire comme Balzac aujourd’hui. Un autre problème est celui de se ‘désengluer’ de l’histoire.
Maxime Pierre : Le cinéma est un art très populaire, est-ce que le plaisir du cinéma que tout le monde éprouve ce ne serait pas un point commun que vous auriez aussi puisque vous dites que vous écrivez pour tout le monde, ce que font beaucoup de réalisateurs de cinéma ?
Tanguy Viel : Oui, fondamentalement je m’identifie à ce qui s’est passé dans l’Amérique des années 40-50 et donc on a dû faire un gros travail, notamment en France par les Cahiers du cinéma, pour arriver à faire passer Fritz Lang ou Hitchcock, c’est-à-dire accepter que d’un côté on est dans des contraintes de production et de séduction qui les rendent effectivement populaires et qu’en même temps ils arrivent à tisser des liens extrêmement singuliers avec une vision du monde. Et je pense qu’à l’intérieur du roman je pourrais refaire ce compromis, et ce n’est pas un hasard si la technique du cinéma m’intéresse aussi comme durée : j’ai l’impression de faire des livres qui s’écrivent en deux heures, et surtout, même si on ne les lit pas forcément d’une traite, leur économie est basée sur une économie extrêmement cinématographique. D’ailleurs, et je le dis après avoir lu récemment la Poétique d’Aristote, les fondements de l’art d’Hollywood ne sont pas très loin de ce texte. Notamment sur la question de la mémoire du spectateur : ne jamais donner plus d’informations que le spectateur n’est capable de se souvenir jusqu’à la fin de l’objet. C’est une donnée que moi, inconsciemment, je prête à mon travail ; j’ai toujours peur qu’à la page 60 le spectateur ait oublié ce qui s’est passé à la page 10 alors, du coup, je réduis ou je rappelle l’information. Hitchcock avait exactement le même procédé : une information n’est valable que quand elle a été annoncée trois fois dans le film. Ce genre de choses concerne à la fois la fabrication de l’objet, c’est des enjeux poétiques purs, et en même temps ce sont des enjeux d’ordre de pure séduction, d’ordre mythologique et industriel aussi. Le roman aussi est un objet industriel et il suit le chemin du cinéma.