Publifarum n° 21 - Le Québec recto/verso

Français québécois ? Le choix lexical d'élèves et étudiants québécois face à la question de l'avenir du français québécois

Mira EBERZ



Abstract

Francese  | Inglese 

Malgré les progrès achevés dans le cadre de l'aménagement linguistique, la position du français n'a pas atteint la stabilité visée. La légitimité du français québécois dans un contexte officiel est régulièrement mise en question. Les aménagistes considèrent la légitimation du français québécois comme une nécessité absolue afin de contrer ces tendances en codifiant cette variété du français. L'étude ci-présente analyse le comportement linguistique des jeunes locuteurs québécois afin de démontrer l'ancrage de la variété endogène (du français québécois) par le biais du choix lexical.


La particularité du français au Québec s'explique par sa situation minoritaire en Amérique du Nord et sa situation majoritaire dans la province du Québec. Ayant été dominée pendant des décennies par les Anglophones sur le plan économique, politique et linguistique, la population francophone au Québec a réussi à s'émanciper du pouvoir anglophone dans les années 1960. La résolution de la situation diglossique entre l'anglais et le français a nécessité, depuis les années 1970 une stratégie d'aménagement linguistique intégrée dans une politique linguistique. Depuis, une législation linguistique règlemente la situation linguistique au Québec. Malgré l'engagement des organismes linguistiques et de nombreuses campagnes pour la promotion de la langue française au Québec, on continue à s'interroger sur sa qualité et sur la solidité de sa position.

En raison de l'influence du français de référence par les médias et l'immigration allophone ayant tendance à préférer l'anglais comme langue de communication quotidienne, le maintien du français québécois se voit régulièrement confronté à de nouveaux enjeux.

Dans un projet de recherche visant à analyser la politique linguistique au Québec en mettant en exergue l'évolution de l'aménagement linguistique, je me suis concentrée sur deux aspects importants au sein du processus d'aménagement linguistique :

  1. Le comportement linguistique d'élèves et d'étudiants
  2. Les progrès achevés dans la codification du français en usage au Québec

Afin d'émettre des hypothèses quant au comportement linguistique des élèves et des étudiants en enseignement au primaire et au secondaire au Québec, j'ai effectué des sondages portant sur leur choix lexical. 224 étudiants de l'Université de Montréal et 524 élèves fréquentant des écoles secondaires dans la RMR de Montréal et dans la RMR de Québec ont participé au sondage qui a été effectué à base d'un questionnaire. L'article portera sur le choix lexical des jeunes Québécois tout en le mettant en rapport avec les enjeux du français québécois en usage au Québec à l'heure actuelle.

La manifestation des spécificités lexicales du français du Québec dans un contexte d'énonciation formel ressort de l'étude présente. Ceci confirme la nécessité d'une norme endogène et d'un outil de référence décrivant celle-ci.

L'étude présente confirme l'ancrage d'une variété standard du français en usage au Québec dans le comportement linguistique des locuteurs québécois. Si cette tendance se confirme pour la majorité du lexique proprement québécois, il y a de grandes chances que le dictionnaire connaitra une acceptation au sein de la communauté linguistique québécoise.

1. Situation linguistique au Québec et dans l'ensemble du Canada

La situation linguistique majoritaire des francophones dans la province du Québec par rapport à sa situation minoritaire dans le reste du pays fédéral suscite régulièrement des débats dans de nombreux domaines. La répartition linguistique selon le dernier recensement en 2011 révèle la position prédominante du français en tant que langue maternelle, soit comme « […] première langue apprise à la maison […] et encore comprise […] »1, au Québec avec une proportion de 78.9 % de la population québécoise. Dans l'ensemble du Canada, par contre, le nombre de Canadiens de langue maternelle française est en légère baisse avec une proportion de 21.7 % de la population comparativement à 22.1 % en 2006. Le fait que la prédominance du français ne se limite qu'au Québec est confirmé par la proportion faible de francophones hors du Québec, soit 4.0 %.2 Quant à la situation de la langue d'usage prédominante, le français enregistre une hausse parmi les Québécois qui ne sont ni de langue maternelle française ni de langue maternelle anglaise (de 22.9% à 24.1 %3/de 15.7 % à 15.9 %4/de 38.6% à 40.0 %5). Cette même tendance ne peut pas être confirmée au niveau pancanadien où la part de ceux qui déclarent se servir du français comme langue d'usage a diminué (de 2.5 % à 2.4 %). Ce même pourcentage nous révèle également la tendance d'une proportion importante de Canadiens de langue maternelle française vivant à l'extérieur du Québec de délibérément ne pas recourir au français en tant que langue d'usage (4.0 % contre 2.4 %). Cette évolution démolinguistique amplifie davantage la position exceptionnelle du français au Québec par rapport à sa position dans le reste du Canada. Les Canadiens hors Québec sont majoritairement anglophones avec une part de 73.1% de Canadiens de langue maternelle anglaise. Le fait que 83.5 % des Canadiens hors Québec sondés déclarent utiliser l'anglais comme langue d'usage démontre que les immigrants (hors Québec) font le transfert linguistique vers l'anglais.6 Ce constat met le rôle de la politique linguistique au Québec en évidence et confirme qu'elle joue un rôle déterminant dans ce processus de transfert linguistique7.

2. La politique linguistique et la question de la norme du français

2. 1. L'aménagement linguistique au Québec

Le rôle de la politique linguistique s'avère être le fondement de la prédominance du français au Québec et du transfert linguistique vers le français parmi les immigrants. La situation linguistique au Québec s'appuie alors sur les piliers de la législation linguistique qui se révèle être indispensable afin de consolider la position du français au Québec. Ces piliers juridiques ont été créés au cours de l'émancipation linguistique en 1969, 1974 et 1977.8 Ceux-ci sont intégrés à une stratégie d'aménagement linguistique dans le cadre de laquelle des organismes linguistiques ont été instaurés.9 La législation linguistique et le travail terminologique ont été définis comme les piliers fondamentaux de l'aménagement linguistique par certains linguistes.10 Tandis qu'Einar Haugen a proposé un modèle en divisant le processus de l'aménagement linguistique en quatre étapes : 1) sélection, 2) codification, 3) implémentation, 4) élaboration,11 Heinz Kloss distingue désormais la planification du corpus et la planification du statut.12 Ce dernier vise à fixer le statut d'une langue ou d'une variété linguistique par le biais de mesures législatives entre autres alors que la planification du corpus concerne la langue elle-même.

Les mesures prises et mises en œuvre dans le cadre de la planification du corpus (étant notamment de nature législative) ont mené à la consolidation du français. Malgré le progrès de ces processus pendant les quatre dernières décennies, le français au Québec se voit continuellement confronté à d'autres enjeux tels que l'augmentation de l'immigration, et notamment de la population allophone. Bien que les mesures de la politique linguistique prises depuis les années 1970 aient contribué aux transferts linguistiques vers le français, une large proportion des immigrants allophones choisit un cégep anglophone après avoir été scolarisés en français en raison des lois linguistiques qui ont forcé les immigrants à fréquenter l'école francophone. Tandis que le nombre d'allophones parlant majoritairement le français aujourd'hui atteint une proportion de 75,2 %, le nombre d'allophones s'orientant vers l'anglais est passé de 75,2 % à 24,8 %. Cependant, une large proportion d'allophones choisit les cégeps anglophones après avoir fréquenté les écoles primaires et secondaires francophones. Ils déclarent que la qualité du français et notamment l'écart entre le français québécois oral et le français international est une des raisons principales pour justifier leur décision de quitter le système éducatif francophone.13 Ce rapport de cause à effet nous mène aux représentations que les locuteurs québécois et les apprenants du FLS ont du français en usage au Québec. La question des représentations est, en revanche, liée étroitement au conflit normatif qui occupe les linguistes ainsi que le public depuis quelques décennies. Au moment où il n'y a pas de consensus officiel quant à la norme standard, légitimée et les normes d'usage au Québec, les représentations que certains locuteurs ont du français québécois continueront à avoir des répercussions négatives sur le statut du français (québécois). La question de la norme standard14 semble toucher uniquement le domaine de la planification du corpus, soit la détermination des caractéristiques de la variété standard en codifiant et élargissant le lexique. Cette norme standard ne peut pas être déterminée sans considérer la norme d'usage socialement valorisée ainsi que les normes d'usage sociales.15 Ceci nous démontre la complexité de l'aménagement linguistique au Québec et l'interdépendance des deux processus, celui de la planification du corpus et celui de la planification du statut. Le problème des mauvaises représentations du français québécois ne peut pas être résolu si le débat autour du choix de la norme standard au Québec n'est pas suivi d'actions politiques et scientifiques.16 Les instances de la politique linguistique réclament l'enseignement du français standard d'ici (soit le français québécois standard) depuis 1977. L'achèvement du nouveau dictionnaire Usito a fourni le travail scientifique en décrivant et hiérarchisant les différentes variétés du français en usage au Québec, dont la variété standard.

2. 2. L’insécurité linguistique et l'éternelle question de la norme du français au Québec

La variété du français au Québec se distinguant de la variété du français de France, elle comporte certaines caractéristiques linguistiques propres au Québec pour des raisons historiques, géographiques, culturelles et innovatrices (sur le plan lexical).17 Ayant été stigmatisés pendant des siècles,18 ces particularismes linguistiques ont engendré un manque de prestige qui a été (pendant longtemps) la source de l’insécurité linguistique des locuteurs québécois, qui semble persister à un certain degré.19 Plusieurs études effectuées depuis des années 198020 démontrent le changement de la perception du français québécois permettant d'en inférer une plus grande acceptation de la variété québécoise qui semble être liée à l'amélioration de la situation socioéconomique de la population québécoise.21 L'exemple du Québec démontre que l'amélioration du prestige socioéconomique d'un groupe entraîne l'amélioration du prestige de la (variété de) langue de ce même groupe ainsi qu'un lent processus de sa standardisation.22

Comme dans d'autres régions de la francophonie,23 telles que la Belgique, la tentative d'imposer une norme exogène, celle de France, qui a été créée à l'extérieur du pays, mène à ce sentiment de maîtrise insuffisante (= insécurité linguistique) face à la norme de référence.24 La revendication des linguistes des années 196025 d'aligner le français au Québec sur la norme du français hexagonal a aggravé cette situation. Les réalités culturelles et identitaires différentes reflétées dans les normes d'usage sociales québécoises constituent des entraves à l'identification avec la norme centrale (dite exogène). L'écart entre le français québécois et le français de France empêche les locuteurs québécois de s'adapter à celle-ci. Les différences perçues comme étant significatives par certains linguistes (notamment à l'oral ; sur le plan phonétique) sont au cœur du débat normatif qui a mené plusieurs linguistes à revendiquer l'endogénéisation de la norme linguistique.26 Ceux-ci justifient leur revendication en démontrant l'ancrage des nombreuses différences phonétiques, lexicales et sémantiques dans l'usage linguistique standard qui, en revanche, est contesté vivement par les représentants du courant antagoniste, les exogénistes.27 Niant l'existence d'une variété standard propre au Québec, ces derniers réclament l'alignement du français québécois sur la norme hexagonale. Ce conflit normatif de nature idéologique ne peut être résolu qu'en fournissant une description scientifique du français québécois en usage au Québec basée sur une base de données rassemblant une large partie de productions langagières de types divers (orales, écrites). Cette description scientifique a été entreprise par le groupe FRANQUS qui vient de mettre en ligne le dictionnaire Usito.28

Les tenants d'une norme proprement québécoise sont convaincus que les problèmes (persistants, malgré les changements attitudinaux29) des représentations négatives du français québécois et de sa qualité peuvent être résolus en décrivant et légitimant une norme linguistique endogène.30 Avec la légitimation du français d'ici, l'on répond à un besoin exprimé en 1977 par l'Association des professeurs du français et en 1990 par le Conseil de la langue française.31 Cette revendication a été soulignée en 2001 par la Commission Larose qui souhaite « […] [la] mise en œuvre [d'] une politique de valorisation du français standard en usage au Québec. »32 L'élaboration d'un outil décrivant le français en usage au Québec tout en mettant en lumière le lien avec le français en usage dans le reste de la francophonie est exigée par plusieurs acteurs : la politique linguistique et éducative, les linguistes et les locuteurs québécois.

2. 3. Conflit émanant du manque d'adéquation de la description du français en usage au Québec

Le lexique constitue, de nature générale, le domaine qui est en évolution constante. La politique linguistique contribue également à l'évolution du lexique du français au Québec avec sa politique terminologique qui renforce le caractère différent du français québécois. En examinant les travaux terminologiques des organismes linguistiques québécois, on se rend compte du nombre élevé de québécismes de création qui ont été créés afin de combler un certain besoin lexical ou afin de remplacer des emprunts à l'anglais.33 Ayant pour vocation de promouvoir l'usage de ces créations lexicales, les organismes linguistiques du Québec entrent en conflit avec la norme centrale/exogène. Les ouvrages de référence (ayant pour fonction de refléter la norme) élaborés en France qui sont en usage au Québec ignorent une proportion importante de ces termes ou les considèrent (de manière dépréciative) comme variétés régionales. Par conséquent, les locuteurs québécois cherchant ces termes dans un des dictionnaires français se rendent compte du caractère spécifique du français au Québec et réalisent, une fois de plus, l'écart entre la norme centrale et la norme endogène. Le fait qu'ils se servent automatiquement d'autres instruments linguistiques par inadéquation des dictionnaires de France, explique le nombre élevé de consultations des services linguistiques offerts par l'OQLF, tels que la Banque de dépannage linguistique et le grand dictionnaire terminologique34.

Les professionnels en langue (notamment les professeurs de l'enseignement primaire et secondaire) sont écartelés entre la seule norme légitime et décrite, voire la norme centrale, et la réalité linguistique au Québec. Ils sont confrontés à la problématique de devoir passer outre à la norme centrale afin de transmettre le français d'ici ou afin de répondre aux besoins langagiers du Québec. La politique linguistique et terminologique a besoin d'un ouvrage de référence légitimant la norme endogène pour promouvoir l'usage des créations terminologiques.

Les professeurs de français sont régulièrement confrontés à cette situation d'écartèlement entre les termes ancrés dans leur culture (québécismes originaires de France, québécismes de création etc.) et la norme centrale excluant ces termes. Afin de mettre en œuvre la revendication des institutions québécoises d'enseigner le français d'ici et de contribuer à l'amélioration de la qualité de la langue, un dictionnaire reflétant une norme qui correspond au comportement linguistique des élèves est nécessaire.

3. Étude menée au Québec

3. 1. Objectif et méthodologie

Étant donné que les adversaires35 d'une norme linguistique québécoise nient l'existence d'une variété standard, je me suis attelée à voir si les locuteurs québécois utilisent les termes proprement québécois dans un contexte officiel/public/formel ou s'ils utilisent plutôt les termes hexagonaux. Il ne s'agit pas d'évaluer la compétence linguistique des répondants, mais de dégager le comportement linguistique dans une situation formelle. On envisage notamment d'étudier la disponibilité et la préférence de certains mots tout en étant conscient du caractère limité et peu représentatif de l'étude.

Étant donné que les élèves et les étudiants jouent un rôle de premier plan dans la transmission du français, 524 élèves et 224 étudiants ont été interrogés. Le recueil des données s'est fait via un questionnaire. Dans le cadre de cet article, ce ne sont que les données des élèves qui sont traitées.

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Dans une partie du questionnaire, les répondants ont dû nommer les objets qu'ils ont vus sur l'image. Ils ne pouvaient pas choisir parmi plusieurs termes proposés pour ne pas être influencés préalablement. Les objets36 présentés sous forme de photographes/dessins ont au moins deux dénominations, dont une dénomination du français de France37 et une autre du français québécois.38 Plusieurs synonymes sont possibles dans certains cas. La situation de communication – celle d'une production écrite dans un contexte scolaire/universitaire – a été préalablement explicitée pour que les participants choisissent le registre qui leur semble approprié. Les québécismes attendus dans cette partie du questionnaire se divisent en trois catégories :

  1. les québécismes considérés comme étant standard39
  2. les québécismes de registre familier
  3. les québécismes critiqués

3. 2. Résultats

Pour 9 sur 18 objets les répondants utilisent majoritairement des mots du français québécois pour désigner les objets. Le tableau 1 illustre les désignations choisis par les répondants. Afin de simplifier la présentation, le tableau ne comporte que les mots du français québécois et du français de France les plus fréquemment utilisés. Il est à noter que les élèves (entre 13 et 19 ans) ont la tendance d'utiliser les mots du français québécois à une proportion élevée. Une diminution de l'usage des termes du français québécois (telle qu'elle a été constatée par J. Maurais (2008)40) ne peut être confirmée que pour certains termes ce qui s'explique partiellement par le fait que les répondants sont plus jeunes et, par conséquent, moins scolarisés que les 18-34 ans des études précédentes.

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Si on analyse les termes utilisés les plus fréquemment selon le marquage que le groupe de recherche FRANQUS a attribué aux termes du français québécois, on note que les termes utilisés à une proportion élevée par les élèves appartiennent au français québécois standard :

Il ressort de l'étude que 8 objets sur 10 sont majoritairement désignés par les termes du français québécois standard et pas par les termes du français de France. Ce résultat (qui se veut pas être représentatif) me permet d'inférer que le français québécois standard semble être ancré dans le comportement linguistique des élèves enquêtés dans une certaine mesure. Les élèves utilisent spontanément et automatiquement le terme du français québécois standard ce qui démontre une certaine acceptation de ces termes parmi les locuteurs québécois.

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En revanche, les termes maïs et cintre sont préférés aux termes du français québécois blé d'Inde et support.

La nationalité des sondés nous révèle la tendance des locuteurs non-québécois d'opter majoritairement pour les termes du français de France. Cela induit, a contrario, que les locuteurs de souche québécoise se servent majoritairement du terme du français québécois.

Deux sur quatre québécismes critiqués se remarquent par leur usage élevé, même majoritaire : brassière et lumières sont d'usage courant dans le comportement linguistique des sondés malgré les tentatives des organismes linguistiques de bannir ces termes.

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Quant aux termes de registre familier, il ressort de l'analyse que les élèves font preuve d'une conscience linguistique prononcée tout en évitant ces termes de registre familier dans le contexte universitaire/scolaire. Les élèves québécois choisissent automatiquement le terme neutre ce qui nous permet d'en inférer que les répondants sont conscients du caractère inapproprié du terme québécois dans un contexte formel.

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Conclusion

Rappelons que les québécismes choisis pour l'étude ne prétendent pas être représentatif de l'ensemble des québécismes. Une certaine prudence quant à l'interprétation des résultats s'impose. Rappelons aussi que les résultats dégagés ne se rapportent qu'aux élèves interrogés dans les régions métropolitaines de Montréal et de Québec.

Lorsqu'on demande aux élèves de désigner des objets conformément au contexte formel, l'on constate la désignation majoritaire par les québécismes de registre standard/neutre au moment où deux termes de registre standard (l'un du français québécois et l'autre du français de référence) concurrencent. La tendance qui se dégage est que l'usage d'un français standard/neutre qui est considéré comme étant québécois dans des situations formelles semble être ancré dans le comportement linguistique. La préférence majoritaire de l'usage du français standard en usage au Québec (avec des spécificités endogènes) se manifeste dans l'étude présente. La transmission des termes du français québécois standard ne semble pas être en péril si l'on prend en compte le comportement linguistique des futurs modèles linguistiques (notamment les enseignants et les journalistes, professionnels de la communication), tel qu'il est démontré dans cette étude.

En outre, le choix lexical des locuteurs québécois en comparaison à celui des locuteurs non-québécois témoigne d'un centre normatif différent en fonction de la variation diatopique ce qui est un signe pour la dissolution du monocentrisme du français.

Les répondants évitent majoritairement les termes du français québécois au moment où un terme du français québécois de registre familier ou du français québécois critiqué est en concurrence avec un terme du français de référence tout en étant conscient du contexte d'énonciation. Cela nous mène à la constatation que les locuteurs québécois sont sensibilisés aux registres différents au sein du français québécois ce qui témoigne non seulement d'une conscience linguistique prononcée mais aussi d'une variation linguistique, plus précisément d'une variation diastratique et d'une variation diaphasique du français québécois.

Les résultats démontrent que les spécificités lexicales du français du Québec sont ancrées dans le comportement linguistique des locuteurs québécois ce qui justifie, une fois de plus, le besoin d'un dictionnaire hiérarchisant et légitimant les usages, comme celui du groupe FRANQUS. La tendance se dégage qu'une norme endogène s'impose davantage qui nécessite une description adéquate pour pouvoir servir d'outil de référence pour les modèles linguistiques, tels que les professeurs et les professionnels en communication.

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jeunes chercheurs quebec

Note

↑ 1 Le concept de langue maternelle est définie ainsi par Statistique Canada : http://www.statcan.gc.ca/concepts/definitions/language-langue01-fra.htm [18.05.2014]

↑ 2 Les données démolinguistiques se rapportent aux chiffres du dernier recensement, disponibles sur le site internet de Statistique Canada : [i:url=http://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2011/as-sa/98-314-x/2011001/tbl/tbl3-fra.cfm%20%5b03]http://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2011/as-sa/98-314-x/2011001/tbl/tbl3-fra.cfm [03[/i:url]. 2014]

↑ 3 Québécois de langue maternelle autre que française et anglaise déclarant parler le français le plus souvent. http://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2011/as-sa/98-314-x/2011001/fig/fig2-fra.cfm [03.2014]

↑ 4 Québécois de langue maternelle autre que française et anglaise déclarant parler le français régulièrement comme langue secondaire.

↑ 5 Québécois de langue maternelle autre que française et anglaise déclarant parler le français le plus souvent et régulièrement.

↑ 6 10.4 % des Canadiens hors Québec sondés sont apparemment des Canadiens de langue maternelle tierce qui se dirigent vers l'anglais comme langue d'usage.

↑ 7 « Le terme transfert linguistique désigne le fait de parler le plus souvent à la maison une autre langue que sa langue maternelle. » (Corbeil 2013), « Trajectoires linguistiques et langue d'usage public chez les allophones de la région métropolitaine de Montréal », Office québécois de la langue française, p. 7.

↑ 8 1969 : deux lois, une loi au niveau fédéral (Loi sur les langues officielles) et une loi au niveau provincial (Loi 63, Loi pour promouvoir la langue française) ; ces lois sont suivies de la Loi 22 (1974) et de la Loi 101 (1977)

↑ 9 Cf. Dos Ghali, Dominique, 1993, p. 3, Calvet, 1999, p. 154 f, Baylon, 1996, 175.

↑ 10 Aménagement linguistique connait de multiples désignations ; language planning et normalisation linguistique servent de désignations alternatives pour aménagement linguistique, terme davantage utilisé par les linguistes québécois.

↑ 11 Cf. Haugen, Einar, 1983, p. 270.

↑ 12 Cf. Kloss, Heinz: 1969, Research possibilities on Group Bilingualism; A Report, Universite Laval. C.I.R.B., Quebec, p. 81.

↑ 13 Conseil supérieur de la langue française (2011): La langue d'enseignement au cégep. Montréal : Conseil supérieur de la langue française, p. 13.

↑ 14 Norme standard = norme prescriptive considérée comme celle à suivre (cf. Aleong 1983, p. 260)

↑ 15 Norme d'usage socialement valorisée = norme d'usage sociale utilisée par l'élite (cf. Bourgain 1990, p. 82). Normes d'usage sociales = regroupe les formes linguistiques utilisées majoritairement par un certain groupe social (cf. Bourgain 1990, p. 82)

↑ 16 Actions politiques : le Conseil de la langue française lance régulièrement des actions visant la sensibilisation pour la langue française, cf. « Je réseaute en français ». Actions scientifiques : élaboration d'un ouvrage de référence qui rend compte des différentes normes d'usages sociales, dont la norme d'usage socialement valorisée; un ouvrage de référence tel que l'Usito, élaboré par le groupe de recherche FRANQUS.

↑ 17 Innovations terminologiques des institutions linguistiques du Québec, Office québécois de la langue française (OQLF), anciennement OLF (Office de la langue française).

↑ 18 Stigmatisation du français québécois jusqu'aux années 1980 est étroitement liée à la situation socioéconomique de ses locuteurs (associée comme étant inférieure) selon certaines études effectuées dans les années 1960/70 (Lambert, Hudgson, Gardner et Fillenbaum (1960), Preston (1963), Brown (1969), Taylor, Simard (1981), Heller, Bartholomot, Levy, Ostiguy (1982))

↑ 19 L'insécurité linguistique n'est pas encore résolue; pourtant l'insécurité linguistique est en train de diminuer; Cf. Wim, Remysen (2010): « La politique linguistique des médias publics au Québec et en Flandre : de quelle conception de la langue est-il question? », dans Wim Remysen et Diane Vincent (dir.), Hétérogénéité et homogénéité dans les pratiques langagières : mélanges offerts à Denise Deshaies, Québec, Presses de l'Université Laval, p. 115-150.

↑ 20 Études effectuées par Bouchard et Maurais (1999), Bouchard et Maurais (2001)

↑ 21 Cf. Laur, Elke (2002), « La qualité, le statut et la perception du français au Québec », dans : Revue d'Aménagement Linguistique, hors série, p. 160.

↑ 22 Cf. Laur, Elke (2002), p. 157.

↑ 23 Cf. Francard, Michel (2008) : Variétés de français en Belgique. Dans : La langue française dans sa diversité. Québec : Direction des relations publiques du ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine.

↑ 24 Cf. Klinkenberg, Jean-Marie (1994) : Des langues romanes. Bruxelles: De Boeck & Larcier, p. 52.

↑ 25 Alignement au français de France, revendication faite de la part des puristes dans les années 1960

↑ 26 Endogénéisation: processus de légitimer une norme de référence endogène, donc une norme qui prend l'usage de la variété locale comme centre

↑ 27 Exogénistes: les linguistes défendant la norme hexagonale, soit exogène comme norme de référence au Québec

↑ 28 Usito: www.usito.com

↑ 29 L'étude de J. Maurais (2008),Les Québécois et leur norme. L'évaluation par les Québécois de leur usage linguistique démontre l'amélioration de la perception du français québécois en comparaison avec les études menées dans les années 1970 : on constate une acceptation nette du français québécois par le refus de l'alignement sur le français hexagonal ainsi que la préférence du français québécois en tant que langue d'enseignement (Maurais (2008), p. 99) ; Néanmoins, l'insécurité linguistique subsiste à un certain degré parce que l'auto-perception de la propre performance linguistique n'est pas majoritairement positive (Bouchard, Maurais (1999).

↑ 30 Cf. Cajolet-Laganière, 1996.

↑ 31 Cf. AQPPF, 1977, p. 10-12; CLF, 1990, p. 31.

↑ 32 Commission des États généraux sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec (2001), Le français, une langue pour tout le monde. Une nouvelle approche stratégique et citoyenne, Montréal, Publications du Québec, p. 89.

↑ 33 Cf. Villers, Marie-Éva de (2005), Le vif désir de durer, Montréal, Québec Amérique, p. 54.

↑ 34 Disponible en ligne sur le site de l OQLF (www.oqlf.gouv.qc.ca)

↑ 35 Exogénistes se groupent autour de Diane Lamonde et Monique Nemni

↑ 36 11 sur 16 objets choisis dans cette catégorie ont été repris de ceux études précédentes (A. Paquot en 1983, J. Maurais en 2006); pour permettre une comparabilité solide d'un point de vue scientifique, ces termes ont été repris.

↑ 37 Se réfère à ce que d'autres linguistes appellent le français de référence ou le français international.

↑ 38 Choix terminologique qui se distingue d'autres linguistes qui utilisent plutôt canadianismes ou régionalismes; le terme québécisme(s) est également utilisé de façon synonymique dans cet article.

↑ 39 Standard/neutre selon la codification entreprise par le groupe FRANQUS; tels qu'ils sont enregistrés et marqués dans le dictionnaire du groupe de recherche FRANQUS

↑ 40 Cf. Maurais, Jacques (2008), p. 12.

 

Dipartimento di Lingue e Culture Moderne - Università di Genova
Open Access Journal - ISSN 1824-7482