Publifarum n° 21 - Le Québec recto/verso

‘Limité et primitif’ : une analyse du réseau social du Front de Libération du Québec

Megan MELANSON



Abstract

Francese  | Inglese 

Cet article applique au FLQ al théorie du réseau de Rapoport afin de montrer que le FLQ s'est développé en « vagues » de petites cellules ayant des liens étroits, qui semblent cependant fragiles, et que la suppression des nœuds, voire l'élimination totale des cellules n'a pas eu pour effet de démanteler le réseau.


La conviction qui règne parmi les experts étudiant le terrorisme est qu'un réseau à haute densité favorise un endoctrinement efficace dans le cadre d'un processus de radicalisation, mais a également pour effet d'augmenter le degré de vulnérabilité du réseau clandestin (Perlinger et Pedhazer, 12). Tout au contraire, le Front de Libération du Québec (FLQ) n'a jamais cherché à développer sa structure en cellules fort lâche ni ses capacités opérationnelles plutôt limitées. Cette structure, bien que plus clandestine que celles d'autres groupes à haute densité, a mis en place un modèle particulier en « vagues », dont les membres ont été recrutés en fonction de leur idéologie de gauche et radicalisés sur la base d'une frustration naissant des conditions socio-politiques existant au Québec ; les « vagues » ont été généralement désintégrées après toute attaque se traduisant par des arrestations et les acteurs se sont facilement détachés du groupe, sans aucune conséquence particulière.

Bien que le nationalisme soit considéré comme la force motrice du réseau, l'idéologie du FLQ se modifie au gré des six « vagues» de l'organisation. Rapoport soutient que la théorie de la vague comprend : «a cycle of activity in a given time period- a cycle characterized by expansion and contraction phases» (45). Bien que Rapoport envisage quatre vagues dans le terrorisme moderne, je soutiens que la théorie des vagues correspond à une conceptualisation pertinente et visuelle des cycles d'activité qui se sont manifestées au Québec sous le terme générique de « FLQ ». Au lieu de placer les organisations au sein des vagues de terrorisme, je place les cellules du réseau au sein des vagues du réseau lui-même. Lorsque Laurendeau (1990) a lui aussi tenté de recenser le FLQ en 1990, ses listes de 11 périodes du FLQ n’étaient pas à jour ; il y avait encore un débat très ouvert sur qui était et qui n'était pas membre du FLQ. Laurendeau a établi sa liste de membres sur la base des arrestations ayant été réalisées par la police, et il est désormais bien connu que la police a arrêté de nombreux militants de gauche qui n'ont jamais adhéré au FLQ ; en conséquence, il y eut des membres du FLQ qui n'ont jamais été repris dans les listes de la police. Mon analyse a été développée sur la base d'un recoupement d'affaires judiciaires, de documents de la Gendarmerie Royale du Canada ainsi que de sources littéraires.

Vingt-quatre membres connus, âgés entre 19 et 33 ans, ont formé la première vague d'une cellule singulière en mars 1963 qui se désagrégea en juin 1963, après plusieurs arrestations. La deuxième vague est composée de deux branches : l'Armée de libération du Québec (ALQ), composée d'étudiants, âgés entre 18 et 27 ans, originaires d'Outremont, un arrondissement résidentiel aisé à Montréal et Montréal-Est ; et une branche politique pacifique qui publiait l'organe du réseau, La Cognée, traduit en anglais par « The Axe ». Une série d'arrestations, y compris celle des deux membres-fondateurs, Gabriel Hudon et Jean Gagnon, le 5 mai 1964, a provoqué la dissolution de la deuxième vague. La formation de l'Armée Révolutionnaire du Québec (ARQ) au cours de l'été 1964 par trois ex-militaires fut le début de la troisième vague ; les trois membres ont déclaré avoir été victimes d'une discrimination à l'égard des francophones dans le système militaire essentiellement anglophone (Fournier, 80). L'ARQ fut de courte durée, étant donné que la majorité de ses quelques membres fut arrêtée le 29 août 1964, lors d'un vol à main armée réalisé en plein jour dans un magasin d'armes à feu, International Firearms, à Montréal. La tactique de l'ARQ, principalement influencée par les expériences de Schirm en Algérie, a également provoqué un schisme avec La Cognée.

En janvier 1966, l'organisation du groupe Vallières-Gagnon marqua le début de la quatrième vague. Tandis que La Cognée continua à publier une version nationale de l'organe de presse, le nouveau groupe Vallières-Gagnon commença à publier des éditions séparées, qui avaient pour cibles des groupes spécifiques dans une perspective socialiste ; cette vague représentait, une fois de plus, une collaboration entre les étudiants, qui avaient formé une petite cellule appelée « groupe de la rive sud », et les ouvriers au sein de la population des jeunes adultes votants. Le mois d’avril 1968 a marqué le début de la cinquième vague, avec l'organisation du réseau Geoffroy, composé de membres du RIN et de participants à la grève « 7up » et l’apparition du nouvel organe officiel du FLQ, La Victoire, étant donné que La Cognée avait été dissoute environ six mois plus tôt (La Victoire 1). Après avoir donné lieu à la manifestation de violence la plus spectaculaire des six premières vagues, l'attentat à la Bourse de Montréal, la radicalisation des Felquistes reflète une radicalisation de la société québécoise ; des exemples de résistance exaspérée comprennent le « Lundi de la Matraque » du 24 Juin 1968, la manifestation à Saint-Léonard en septembre 1969 et la Grève de 7up. La cellule et la vague ont été techniquement dissoutes le 24 mars 1969, après l'arrestation de Geoffroy, qui fut inculpé de 124 peines d'emprisonnement à vie, la plus lourde sanction jamais infligée par une juridiction du Commonwealth. Deux membres parvinrent à détourner un avion Boeing 727 des lignes aériennes nationales volant de New York à Miami et le forcèrent à atterrir à la Havane afin de s'échapper du Québec. La sixième vague du FLQ a commencé en septembre 1970, avec l'introduction des cellules Chénier et Libération. Des dissensions entre les cellules, qui surgirent en raison du fait qu'elles entendaient véhiculer des images différentes à l'égard du public, a suscité une certaine confusion au cours de la Crise d'octobre et a fait en sorte que la vague apparaisse sous la forme d'un réseau à la densité beaucoup plus élevée qu'elle ne l'était en réalité.

La Révolution tranquille : aggravation des inégalités à Montréal

Au cours du XXe siècle, Montréal-Est était composé de quartiers populaires où des ouvriers d'origine irlandaise et canadienne-française travaillaient dans les usines situées le long du Canal de Lachine. Alors que les autres régions du Québec furent entraînées dans une expansion économique allant de pair avec la Révolution tranquille au cours des années 1960, Montréal Sud-est et Montréal-Est furent frappées par une période de désindustrialisation. En 1961, quatre familles sur dix à Saint-Charles vivaient de l'assistance sociale, et entre 1966 et 1974, le taux de personnes sous assistance tripla (Mills, 46-47). Au départ de l'activisme visant à obtenir de meilleurs logements et des infrastructures culturelles, Montréal Sud-est et Montréal-Est devinrent des nids de résistance, en finissant par coordonner l'activisme avec la Confédération des syndicats nationaux (CSN), les mouvements ouvriers et étudiants. Bon nombre de membres du FLQ étaient des travailleurs de Montréal-Est, ou des étudiants provenant d'autres quartiers, qui ont vécu ou ont participé à cet environnement de militantisme et de résistance contre la pauvreté et le statu quo à Montréal-Est.

Afin de situer le FLQ au sein de cette théorie de la vague, cet article utilisera l'Analyse du Réseau Social (SNA), une méthode d'analyse mixte qui utilise les nœuds (les acteurs individuels) et les liens (relations entre les individus) pour représenter les relations sociales. L'analyse des dynamiques internes régnant au sein du réseau et des modèles de socialisation entre 1963-1971 fait apparaître qu'un des éléments qui nuisit à la capacité de survie du FLQ était la structure lâche des cellules et, par conséquent, le faible niveau de centralité du groupe. Le réseau a continué d'exister sous la forme de vagues d'une ou de deux cellules, malgré les arrestations, les condamnations et la désintégration des cellules précédentes, comme conséquence d'une série de conditions sociales au Québec durant les années 1960 et au début des années 1970.

La première vague du FLQ avait été caractérisée par une volonté croissante chez certains individus de révolutionner le Québec en ayant recours à la violence. La société québécoise en 1963 était en plein ferment ; Maurice Duplessis était mort en 1959, mettant fin au régime d'Union Nationale ayant duré presque 30 ans (Palmer 263). L'Union Nationale avait promu une politique économique visant à attirer les capitaux étrangers de l'extérieur de la province afin d'investir dans les ressources au Québec (Sarra-Bournet, 79). Au cours des élections de 1962, le Parti libéral dirigé par Jean Lesage, avait usé du slogan « Maîtres chez nous », pour affirmer l'unité et la force collective des citoyens du Québec. Le Parti libéral de Jean Lesage avait soutenu qu'il fallait que l'État assume un rôle interventionniste dans la société québécoise et il fit campagne pour la nationalisation des compagnies électriques privées de la province (Bennett et Jaenen 503). L'élection de Lesage s'était faite en promettant de mettre l'accent sur les réformes économiques et sociales au Québec, ce qui soulignait un changement de mentalité qui s'était lentement développé depuis les années 1940 au Québec ; le Québec avait connu un boom économique total depuis le milieu des années 1950 (Bennett et Jaenen 504). Bien que la campagne du Parti libéral ait usé de tons nationalistes, l'objectif principal était de « construire une base large et sûre en vue de l'expansion et la décentralisation de l'industrie » (Manifeste du Parti libéral du Canada), en conséquence « stimulating industrialization through out the province » (Igartua 254) - la nationalisation de l'électricité favorisa la promotion sociale et économique des classes scientifiques et techniques montantes - tandis que l'uniformisation des tarifs de l'électricité permirent aux zones rurales d'accéder à une alimentation électrique moins chère en vue d'un développement industriel. Le succès du Parti libéral lors des élections fut le signe d'un changement de mentalité au Québec, qui mit au premier plan la liberté économique et une réforme au sein des entreprises anglophones. C'est dans ce contexte - tandis qu'avait lieu une sécularisation de la société, la création d'un État-providence et un réalignement de la politique entre factions fédéraliste et séparatistes - et seulement quelques mois après l'élection du Parti libéral - que le FLQ a été formé.

Le FLQ refléta ces réformes économiques pacifiques en exprimant toute sa frustration à l'égard du « big boss » anglophone contrôlant les sociétés au Québec, dans les interviews et dans chacun des trois manifestes. Les membres étaient incités à la violence au lieu de soutenir le Parti libéral en raison de leur idéologie de gauche ; les « vagues » du FLQ ont consisté en un mélange confus d'idéaux, d'idéologies et de niveaux de radicalisation. Alors que certains étudiants semblent avoir organisé une bataille idéalisée contre la bourgeoisie anglaise, d'autres ont embrassé la théorie de Fanon qui prêchait la révolution anticolonialiste grâce à la force de la classe ouvrière, tandis que d'autres encore admettaient une implication dans la violence « juste pour le plaisir » (Cpl leCocq 10).

Le Rassemblement pour l'Indépendance Nationale (RIN) en tant que lieu de recrutement

Le FLQ s'est développé au départ d'une kyrielle d'organisations politiques qui a formé un mouvement indépendantiste contemporain au Québec. Dès 1957, l'Alliance Laurentienne (AL) a commencé à promouvoir l'indépendance du Québec selon une conception d'un Québec catholique libre nommé « Laurentie » (Manifeste de l'Alliance laurentienne). L'indépendance a été envisagée comme étant le seul moyen de garantir que l’identité québécoise, y compris la langue, la culture et la religion, puisse être préservée. Les membres comprenaient des catholiques nationalistes, des étudiants, certains membres des professions libérales et intellectuels de droite (Griffin, 51). Le Rassemblement pour l'Indépendance Nationale (RIN) fut créé à la suite d'une frustration à l'égard de la politique de droite de l'AL et en réponse à celle-ci (L'Indépendance 1). Le RIN a été fondé le 10 septembre 1960 en tant qu'organisme neutre destiné à accueillir un vaste éventail d'associations politiques. En octobre 1962, le Réseau de résistance pour la libération nationale du Québec a été fondé de manière distincte du RIN, mais ses membres participèrent principalement à des délits mineurs de vandalisme. Lorsque les élections de 1962 fournirent une occasion non seulement de tenir des discours, mais également de contester le système politique par les élections, le RIN dut se concentrer sur un programme politique ; rapidement, il devint démocratiquement de gauche et laïque et coupa complètement les ponts avec le Réseau de résistance (L'Indépendance, 52). Le 3 mars 1963, le RIN devint officiellement un parti politique et cinq jours plus tard, le FLQ commit ses premiers attentats à la bombe. La première vague du FLQ a été organisée par les membres du RIN, qui estimaient que le RIN n'agissait pas assez rapidement et par l'application de tactiques violentes (Fournier 33, entrevue avec Bachand). De même, les six vagues du FLQ ont été réorganisées par des membres d'organisations politiques pacifiques, comme le RIN et Parti Pris et ont utilisé les organisations pour recruter d'autres membres, aussi bien des ouvriers que des étudiants de gauche (1984 Fournier, La Cognée, Palmer 2009).

Les membres du FLQ ont été influencés par le mouvement de décolonisation, la Nouvelle gauche, le Marxisme et les tactiques de la guérilla cubaine et sud-américaine ; si l'on exclut la quatrième vague, le FLQ a utilisé des tactiques de guérilla urbaine afin d'inciter les Québécois à se révolter contre les gouvernements de la province et de l'État et à créer un Québec indépendant et socialiste (La Cognée, Le Manifeste du FLQ, 1970). Tous les membres, toutefois, se sentaient isolés du système démocratique ; ils ne croyaient pas que le système électoral ait eu pour résultat de leur donner une voix au sein de la société ; et ils cherchèrent à dénoncer et à saper les gouvernements provincial et fédéral pour imposer leurs revendications par une méthode d'intimidation coercitive.

La Crise d'octobre et un changement de tactique

Durant les années 1960 et au début des années 1970, le FLQ a été présenté par les médias comme un réseau solide, potentiellement hiérarchisé et avec un commandement centralisé et des structures de contrôle ; les membres ont été qualifiés de « terroristes » par les médias. Le FLQ, en réalité, n'était rien de tout cela ; il était formé de petites cellules en des moments différents, chaque vague formant une entité complète et bien distincte. Jacques Lanctôt fut une exception ; il fut recruté à l'âge de 17 ans au cours de la première vague et devint par la suite un « acteur clé » au cours de la cinquième vague, lorsqu'il organisa l'enlèvement de l'attaché commercial britannique, James Cross, avec la cellule Libération. Il existait aussi un lien entre la première et la deuxième vague en raison de liens familiaux ; Georges Hudon et Jean Gagnon ont formé la cellule ARQ en réponse à l'arrestation de leurs frères, Gabriel Hudon et François Gagnon, qui ont été emprisonnés pour leur participation au FLQ au cours de la première vague (Fournier 1984, Palmer 2009, procès de Hudon).

Les cinquième et sixième vagues du FLQ ont encore exaspéré le niveau d'insurrection qui existait dans les quatre vagues précédentes. Comme mentionné plus haut, la cellule de Geoffroy a augmenté ses activités pour provoquer davantage de dommages et a introduit de nouvelles tactiques, telles que les détournements d'avions ; les cellules Chénier et Libération de la sixième vague ont opté pour la prise d'otages par rapport aux attaques habituelles, revendiquées politiquement, contre les infrastructures et les symboles du colonialisme. Bien qu'il y ait eu une communication entre la cellule Libération et la cellule Chénier, celle-ci était minime, et elles ont agi indépendamment l'une de l'autre (Crelinsten, 1978). Il existait des dissensions entre les cellules Libération et Chénier, au cours de la sixième et dernière vague, en raison d'images différentes que les cellules entendaient représenter et incarner. Crelinsten suggère à juste titre que les dissensions entre les deux cellules reflètent curieusement les divergences entre les gouvernements fédéral et provincial : « the Liberation cell responded to dialogue and negotiation with the Quebec government, while the Chenier cell reacted to firmness from the Federal government with escalation and intransigence » (76). En octobre 1970, une « crise » fut provoquée par l'enlèvement de l'attaché commercial britannique au commerce, James Cross, par la cellule Libération, puis, peu après, par l'enlèvement et le meurtre de Pierre Laporte de la part de la cellule Chénier. La Crise d'octobre représenta une série d'événements s'étalant sur une période d'un mois, au cours de laquelle les gouvernements fédéral et provincial entamèrent une vaste action pour supprimer le FLQ, en appliquant la Loi sur les mesures de guerre, qui comprenait des mesures telles que la suppression de l'habeas corpus. Campbell, Clement et Kealey (2012) soutiennent correctement que le FLQ et la Crise d'octobre ont fourni au gouvernement fédéral l'occasion de « tar peaceful movements of dissent with the violence of the FLQ» et de « reassert ‘the rule of law’ » au Québec.

La structure du réseau en tant que variable

La structure du réseau exerce non seulement une influence sur la circulation des informations et des ressources, mais contribue aussi à la durée de vie du mouvement ; ce paragraphe explique comment la structure « lâche et primitive » du réseau a permis au FLQ d'être façonné par les conditions sociales régnant au Québec. Les « vagues » d'activité et d'adhésion au mouvement, au sein du FLQ, ont représenté des obstacles pour l'action de la police et ont en conséquence prolongé la durée de vie du mouvement. Entre 1963 et 1971, les cellules ont continué à se développer après que la police ait « éteint » les cellules précédentes par l'arrestation de leurs membres. Alors que les autorités pouvaient utiliser des tactiques spécifiques pour démanteler les réseaux extrémistes plus grands, plus hiérarchisées et organisés de manière centralisée, la police ne pouvait que viser une cellule du FLQ à la fois au moment où elle apparaissait. La résurgence des cellules FLQ a non seulement créé des difficultés à la police, mais elle était également le reflet des conditions sociales, parmi lesquelles la pauvreté à Montréal-Est, l'aggravation des disparités au Québec et une popularité croissante de la gauche. Cela soulève la question de savoir de quelle manière les conditions se modifièrent pour que le FLQ cesse de se réorganiser et de recruter après la crise d'octobre 1970. Perlinger et Pedhazur affirment que c'est la structure et l'emplacement des exécuteurs qui contribuent aux capacités opérationnelles des cellules, ainsi qu'à leur durée de vie. La structure logistique du FLQ organisée en plusieurs cellules était «limited and primitive» (Perlinger et Pedhazur 14) et s'insérait dans le cadre d'une culture occidentale de la démocratie libérale qui avait peu de sympathie pour le meurtre, et tout spécialement envers les homicides liés aux activités du FLQ. Une nouvelle cellule et, par la suite, une nouvelle vague, se formèrent après que les cellules précédentes eurent été « éteintes » par les autorités provinciales, ce qui suggère que la réorganisation du FLQ à la fin de chaque vague était très affectée par la réponse populaire. La crise d'octobre de 1970 et le meurtre de Pierre Laporte indignèrent au même titre les Québécois et tous les Canadiens et le traitement des individus par application de la Loi sur les mesures de guerre continue encore de nos jours à maintenir un clivage entre l'État et une collectivité infra-étatique. La réponse hautement médiatisée et ferme du gouvernement s'est avérée, à un niveau superficiel, efficace dans la lutte contre le FLQ. La Crise d'octobre, cependant, a aussi suscité une prise de conscience du niveau de pauvreté dans Montréal-Est, et les politiciens locaux commencèrent à affronter les problèmes sociaux, qui avaient été précédemment négligés.

Méthode de mappage, témoignages et limites

L'application de l'Analyse du réseau social au FLQ tire ses influences de Christian Leuprecht (2013) et d'autres universitaires qui s'appuient sur des concepts visuels des réseaux, plutôt que sur des mesures quantitatives. Le caractère illicite des cellules, la clandestinité du réseau, et la controverse liée aux arrestations de militants de gauche en tant que membres potentiels du FLQ ont créé des difficultés initiales lors du mappage de l'organisation. Afin d'identifier les schémas et les rapports entre les nœuds, ou les individus, je me suis appuyée sur les journaux, les dossiers de la GRC, et les transcriptions des audiences des tribunaux. Un grand nombre de Québécois fut arrêté en vertu de la Loi sur les mesures de guerre, parce que soupçonnés d'une affiliation au FLQ ; cependant, beaucoup étaient des artistes de gauche, des politiciens, des universitaires ou des travailleurs affiliés à des syndicats. Afin de schématiser un réseau de manière précise, tous les membres, ou « nœuds », dans cette étude ont été mis en recoupement avec les affaires judiciaires classées et avec la littérature académique, et ont été condamnés en justice pour leur participation au FLQ ; cependant, même ce schéma de base est encore en mesure de créer un modèle qui démontre bien le caractère « lâche » du réseau du FLQ.

Une analyse des différents «nœuds» : les membres et collaborateurs

À l'origine, en 1963, le FLQ comprenait un groupe de 21 membres connus. Il est devenu décentralisé au cours de sa première année en raison d'une guerre secrète avec la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Pendant le reste de son existence, le FLQ fut composé de différentes cellules, qui ont travaillé indépendamment et étaient responsables de leur propre recherche de fonds et d'armes par des vols dans les banques et par des vols de dynamite dans des chantiers de construction. Bien que de nombreux membres aient été recrutés au sein du RIN, la quatrième vague eut recours à une tactique d'initiation qui est fréquente au sein des gangs ; les nouveaux membres devaient commettre un délit pour la cause du mouvement. Jean Corbo (16 ans) fut tué alors qu'il plaçait une bombe lors de son initiation dans le Réseau Vallières-Gagnon. Tout au long des six vagues, il y eut des personnes qui choisirent de soutenir ou de collaborer avec les membres du FLQ, mais qui n'étaient pas considérées comme des membres, de même qu'elles ne participèrent à aucune forme d'initiation violente. Les collaborateurs étaient souvent des amis et/ou la famille de la cellule, qui se sentaient tenus d'épauler les membres du FLQ. Collette Therrien, par exemple, était la petite amie de Jacques Rose dans la cellule Chénier de la sixième vague (Montreal Star802) ; elle commanda du bois pour construire un placard destiné à constituer une cachette secrète, publia des communiqués, et ouvrit un coffre-fort dans une banque du quartier Côte-des-Neiges destiné à des « documents importants ». Elle était également présente lors de la descente de police le 6 novembre, au cours de laquelle elle aida Jacques et Paul Rose et Francis Simard à se cacher dans le placard. Therrien n'était pas un membre du FLQ et n'était pas informée des plans de la cellule, mais apportait son aide à la cellule Chénier par la réalisation de petites tâches en raison de sa relation sentimentale avec Jacques Rose. Dans les tribunaux, les collaborateurs des activités du FLQ étaient considérés comme des membres d'une organisation centralisée et ont souvent été accusés pour leur participation ; Therrien fut accusée de complicité dans l'enlèvement de Pierre Laporte.

Stohl et Stohl posent l'hypothèse que les liens d'amitié et de connaissance peuvent être à la base d'un réseau résilient, et représentent souvent des liens étroits en apparence très faibles (101-102). Ces collaborateurs peuvent sembler de peu d'importance, étant donné qu'ils n'étaient pas financièrement dépendants de la cellule, et qu'il n'y avait aucune conséquence ou menace de violence lorsqu'ils se détachaient du réseau ; ces liens d'amitié et de famille avaient une connotation émotionnelle et, en réalité, créaient les liens les plus forts au sein du réseau. En une occasion, deux membres, Georges Hudon et Jean Gagnon, formèrent la cellule ARQ en réponse à l'arrestation de leurs frères, Gabriel Hudon et François Gagnon, qui furent emprisonnés pour leur participation au FLQ au cours de la première vague.

La plupart des membres et des conspirateurs étaient actifs au sein du milieu radical au Québec, et se connaissaient les uns les autres. Par exemple, Jacques Lanctôt et Paul Rose se rencontrèrent à l'arrière d'un fourgon de police après avoir été arrêtés pendant les émeutes de la St-Jean-Baptiste, en juin 1968. Ensemble, ils choisirent de reconstituer le FLQ en deux cellules après l'arrestation et la désintégration de la cellule Pierre-Paul Geoffroy (Fournier 1984, Crelinsten 1987). Les liens relâchés entre les cellules Chénier et Libération, au cours de la sixième vague, ont été maintenus à un niveau minimum, vu que cela limitait la visibilité du réseau et les probabilités de fuites d'informations du réseau (V.E. Krebs 48). Cependant, cela a créé un réseau beaucoup plus souple et moins établi qui a limité l'activité des cellules, la communication entre elles, et la capacité d'obtenir des fonds, ce qui a eu pour conséquence d'avoir un réseau moins actif et moins radical.

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Ce qui est le plus étonnant dans ce contexte, ce sont les connexions très faibles existant entre les vagues. Bien que les vagues du FLQ se soient généralement développées séparément entre 1963-1971, ainsi qu'il ressort du schéma, il existait de petites connexions entre les vagues ; ces connexions montrent que la communauté de gauche à Montréal a fait fonction de réservoir de recrutement. Le retour de Jacques Lanctôt au sein de la sixième vague après avoir purgé une peine de prison pour sa participation à la première vague, et la poursuite de l'activisme des acteurs clés des précédentes vagues dans d'autres domaines, prouvent que les conditions socio-politiques et les facteurs aggravants existant au Québec étaient encore tous présents. Le lien entre la deuxième et la troisième vague, dans laquelle Hudon et Gagnon perpétuent le destin de leurs frères est également la preuve que les liens familiaux sont importants, et soutient la thèse de Stohl et Stohl qu'il existe des liens solides qui apparaissent faibles. Le recrutement et la poursuite des vagues et des cellules du FLQ étaient très dépendants de cette communauté radicale de militants.

Conclusion

Cette étude montre que le FLQ s'est développé en « vagues » de petites cellules ayant des liens étroits, qui semblent cependant fragiles ; les militants de gauche furent poussés à une mobilisation en raison d'une frustration naissant de la pauvreté qui régnait à Montréal-Est, et à cause de la bourgeoisie anglophone, après la désintégration de la cellule précédente. Un tel réseau lâche était incapable de survivre aux mesures mises en œuvre par les gouvernements fédéral et provincial au cours de la Crise d'octobre. Le FLQ, malgré toute l'attention des médias, semblait incapable de réaliser un état indépendant, notamment par l'impact de l'application de la Loi sur les mesures de guerre. En outre, la réponse populaire à l'assassinat de Pierre Laporte, ainsi qu'un regain d'attention apporté au problème de la pauvreté à Montréal-Est et à la distribution de la richesse au Québec dans le chef des partis politiques démocratiques au cours des années 1970 a mis fin à l'affiliation au mouvement violent après la crise d'Octobre. Qui plus est, le Parti québécois a créé un espace alternatif pour ceux qui soutenaient le nationalisme, mais à travers des institutions politiques pacifiques, et le mouvement marxiste-léniniste gagna en popularité au cours des années 1970 et exerça une attraction sur tous ceux qui étaient animés par des idéologies de gauche.

Le schéma et l'analyse de cette étude ont également montré que la suppression des nœuds et, même, l'élimination totale des cellules n'a pas eu pour effet de démanteler le réseau. En raison d'une frustration engendrée par les conditions sociales, par le système électoral démocratique et par le gouvernement, les membres animés de tendances nationalistes et radicales ont continué à établir des cellules en vagues pendant presque une décennie. Leuprecht et Bakker et al. (2012) suggèrent que connaissant la structure d'un réseau, il est possible de comprendre son but ; dans le cas du FLQ, une communauté de Québécois de gauche se sentait sous-représentée par leur gouvernement «bourgeois» et eut recours à des tactiques de guérilla urbaine en une tentative de radicaliser la société.

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Les Entrevues Académiques

G. Bouchard, entrevue académique, Juin 2013.

Annexe

Légende pour image 1

Première vague : les Membres originaux

Georges Schoeters (33 ans)

Gabriel Hudon (21 ans)

Raymond Villeneuve (19 ans)

Francois Gagnon (19 ans)

Pierre Schneider (18 ans)

Yves Labonté (18 ans)

Jacques Giroux (25 ans)

Jean-Denis Lamoureux (20 ans)

Mario Bachand (19 ans)

Guy de Grasse (21 ans)

Richard Bros (21 ans)

Roger Tetrault (22 ans)

Richard Bizier (18 ans)

André Garand (22 ans)

Alain Gabriel (20 ans)

Alain Brouillard (18 ans)

Jacques Lanctôt (17 ans)**

JP

Jeanne Pépin (25 ans)
Épouse de Schoeters, mais pas un membre.

Deuxième vague : L’Armée de Libération du Québec (ALQ)

Jean Lasalle (21 ans)

Jules Duchastel (20 ans)

Robet Hudon (22 ans)**

Jean Gagnon (22 ans)**

André Wattier (22 ans)

Pierre Nadon (19 ans)

Claude Perron (20 ans)

Maurice Leduc (18 ans)

Claude Soulière (?)

Jean Castonguay

Omer Latour

George Laporte

Comité central deLa Cognée

Jacques Desormeaux (27 ans)**

Troisième vague : L’Armée révolutionnaire du Québec

Pierre Tousignant (?)

Gilles Turcot (?)

Francois Schirm (32 ans)

Cyriaque Delisle (?)

Marcel Tardif (?)

Quatrième vague : le Réseau Vallières-Gagnon

Jean Corbo (16 ans - tué quand il positionnait une bombe).

Robert Lévesques (25 ans)

Rheal Mathieu (19 ans)

Gerard Laquerre (24 ans)

Claude Simard (19 ans)

Serge Demers (18 ans)

Richard Bizier (27 ans)

André Lavoie (22 ans)

Cinquième vague : le Réseau Geoffroy

Pierre-Paul Geoffroy (23 ans)

Pierre Charrette (24 ans)

Alain Allard (23 ans)

Pierre-Leo Lacourse (21 ans)

Groupe de la rive sud

Normand Roy (20 ans)

Michel Lambert (20 ans)

Jean-Raymond Langlois (20 ans)

Sixième vague : Cellule Chenier

Paul Rose (26 ans)

Jacques Rose (23 ans)

Francis Simard (24 ans)

Bernard Lortie (19 ans)

GP

Guy Pisette.

A fourni des informations sur Viger à Robert Dupuis pour aider la cellule Chénier à trouver un endroit pour se cacher.

MV

Michel Viger

A aidé la cellule Chénier à se cacher chez lui.

LV

Louise Verrault (23 ans)

A aidé la cellule Chénier.

RT

Richard Therrien (21 ans)

A aidé la cellule Chénier à construire un placard pour se cacher.

FB

Francine Belisle (20 ans)

Messager des communiqués du FLQ.

CT

Collette Therrien (21 ans)

Messager des communiqués du FLQ.

RD

Robert Dupuis

A aidé le FLQ à trouver un endroit pour se cacher.

YV

Yves Roy

A aidé la cellule Chénier

LB

Lise Balcer (20 ans)

Messager des communiqués du FLQ.

Cellule Libération

Jacques Cosette-Trudel (23 ans)

Louise Cosette-Trudel (23 ans)

Jacques Lanctôt (24 ans)**

Yves Langlois (23 ans)

Jean-Marc Carbonneau (37 ans)

Nigel Barry Hamer (?)

DQ

Denise Quesnel

A aidé la cellule Libération.

HQ

Helene Quesnel

A aidé la cellule Libération.


 

Dipartimento di Lingue e Culture Moderne - Università di Genova
Open Access Journal - ISSN 1824-7482