Marie NDiaye : de l’écriture migrante à une écriture de la migration
Abstract
Francese | IngleseDans le troisième récit de Trois femmes puissantes Marie NDiaye, écrivaine française d’origine sénégalaise, dresse le portrait d’une jeune migrante, le premier personnage de femme africaine dans son œuvre. Quelles sont les modalités que l’écrivaine utilise pour raconter une histoire si éloignée de son vécu? Dans cette communication je propose une analyse du récit centrée sur trois axes fondamentaux: la problématique identitaire du personnage, le traitement de l’espace, l’alternance diégétique, thématique et stylistique entre réalisme et fantastique.
Il me faut commencer par deux mises au point, indispensables dans un colloque dont le titre est «Lire le roman francophone». En effet, en premier lieu, même si le mot «roman» est marqué sur la couverture de la première édition Gallimard de Trois femmes puissantes,1 il s’agit plutôt de trois récits séparés, reliés certes par le retour de quelques personnages et de plusieurs motifs thématiques et stylistiques, mais narrativement autonomes. En second lieu, Marie NDiaye n’est pas à proprement parler une écrivaine francophone, comme elle ne cesse de le souligner. Elle est née en France, de mère française et de père sénégalais; mais ce père africain a bientôt abandonné la famille et est retourné vivre en Afrique. Marie NDiaye a donc grandi en France, dans un contexte culturel uniquement français. Les contacts avec son père ont été très rares et elle a voyagé seulement deux fois en Afrique. Cependant, les difficultés à se définir par une identité univoque hantent ses personnages et cela peut avoir une relation avec un questionnement personnel de la romancière sur son identité métisse. Son nom de famille et sa couleur de peau la renvoient en effet à ses origines et à son rapport problématique avec la figure paternelle.
La critique s’est souvent efforcée de définir Marie NDiaye: française où africaine? Mais cette question est anodine:2 l’identité est un concept bien plus complexe, qui ne se réduit pas à une appartenance nationale ou culturelle. En plus, si l’on considère l’identité d’un écrivain, les seules réponses possibles se trouvent dans son œuvre littéraire.
Or: avec Trois femmes puissantes pour la première fois Marie NDiaye situe de façon explicite une œuvre littéraire en Afrique, au Sénégal, le pays de son père. On pourrait formuler l’hypothèse que ce lien énigmatique de la romancière avec le continent africain est l’un des multiples facteurs qui ont fasciné le Jury du Prix Goncourt, qui a élu Trois femmes puissantes en 2009. En effet, avec cette œuvre, l’écrivaine fait face de façon plus directe qu’avant à son trouble identitaire, a son «métissage tronqué»,3 comme Marie elle-même le définit, enfin à son «africanité», même si de façon très différente dans chacun des récits qui composent Troisfemmespuissantes.
Je vais concentrer mon attention sur le troisième récit, celui de Khady Demba. C’est l’histoire d’une jeune veuve contrainte d’émigrer vers l’Europe par sa belle-famille et des mésaventures qu’elle doit affronter dans son périple jusqu’à trouver la mort avant de traverser une frontière entre l’Afrique et l’Europe. C’est l’histoire d’une migrante africaine racontée par une écrivaine qui n’a pas vécu l’expérience de la migration, dont l’origine africaine a marqué les traits, mais non la culture. Comment Marie NDiaye, dont l’œuvre ne peut pas être assimilée à la catégorie de plus en plus vaste de la littérature migrante, arrive-t-elle à raconter une histoire de migration? Quelles sont les modalités narratives qu’elle adopte pour le faire? Ce sont ces interrogatifs que je me propose d’approfondir, à travers une analyse du récit centrée sur trois axes fondamentaux: la problématique identitaire du personnage, dont le titre de l’œuvre et l’usage des noms propres dans la narration sont des indicateurs; ensuite le traitement de l’espace; enfin l’alternance entre réalisme et fantastique, qui peut être étudiée au niveau des choix de diégèse et de focalisation, au niveau du style et au niveau de certains leitmotive thématiques tels que la description du corps ou la présence d’oiseaux.
Tout d’abord le lecteur doit se confronter à un «titre paradoxal», comme le souligne Éric Fassin dans son article paru dans La Nouvelle Revue Française.4 L’adjectif «puissantes», concernant des femmes qui subissent de nombreuses humiliations, paraît en effet déplacé. Mais ces femmes ne sont pas des victimes; elles ne se laissent pas écraser par les drames qu’elles vivent, elles ont une force de résistance extrême et c’est déjà dans le titre que Marie NDiaye a voulu le signaler.5 Les héroïnes du livre sont, chacune d’une façon différente, réellement puissantes et cela marque une discontinuité avec les figures féminines des œuvres précédentes, comme Ida Porfido a relevé.6
Le personnage de Khady Demba est l’emblème de cette «puissance paradoxale»: Marie NDiaye dresse le portrait d’une femme douée d’une dignité inaliénable, très éloignée à la fois de sa vie et des personnages qui peuplent habituellement ses récits: c’est la première femme africaine de son œuvre et la première qui est très peu concernée par le sentiment d’incertitude identitaire. Cela peut être mis en rapport avec le fait que Khady est libre des liens familiaux qui constituent le noyau problématique pour tous les personnages de l’œuvre de Marie NDiaye. Les parents de Khady ne se sont pas beaucoup occupés d’elle, mais elle a reçu l’affection de sa grand-mère avant, de son mari après, ce qui lui donne confiance en elle-même dans les moments de difficulté:
apparaissaient de temps en temps le visage flou de son mari qui lui souriait d’un éternel et charitable sourire ou, moins souvent, celui de l’aïeule qui l’avait élevée et protégée et qui avait su reconnaître, bien qu’elle l’eût traitée avec rudesse, qu’elle était une petite fille particulière nantie de ses propres attributs et non une enfant parmi les autres […]. À présent encore c’était quelque chose dont elle ne doutait pas – qu’elle était indivisible et précieuse, et qu’elle ne pouvait être qu’elle-même.7
Khady n’est ni fille ni mère, puisqu’elle n’est jamais tombée enceinte pendant les trois années de son mariage. Son désir de grossesse est présenté comme une hantise angoissante, qui s’explique très bien dans un contexte culturel qui ne confère presque aucun droit à une femme sans enfants. Libérée de cette hantise, elle acquière une confiance plus forte en ses moyens: Marie NDiaye veut probablement souligner la pureté d’un être humain qui vit pour lui-même, hors des liens familiaux, la liberté d’une femme sans compromission avec le masculin. Les figures paternelles, si problématiques dans l’œuvre (et dans la vie) de l’écrivaine, sont en effet absentes dans ce récit.
Les noms propres jouent aussi un rôle fondamental dans la certitude identitaire qui caractérise l’héroïne. En effet Khady ne cesse de se répéter son nom dans les moments de difficulté,8 pour se souvenir constamment de son unicité. Par l’importance attribuée au nom de sa protagoniste, Marie NDiaye veut marquer l’humanité de tout migrant, trop souvent oubliée, comme l’explique elle-même dans un entretien:
cette femme n’est pas désespérée, car c’est quelqu’un qui ne s’oublie jamais, qui n’oublie jamais qui elle est, même si c’est un être assez simple, et même si cela ne tient qu’à un nom, son nom propre, Khady Demba, qu’elle se répète, mais un nom c’est beaucoup. Dans la situation que je décris – et qui est assez douce par rapport à la réalité que subissent ces gens –, le nom est ce qui la personnifie encore : ces gens sont considérés comme une grosse masse même plus humaine, même pas une masse de bétail car le bétail on en prend soin car il rapporte… Ils sont traités comme des êtres qui n’ont plus leur unicité, leur valeur, leurs sentiments, leur vie, tout ce qui fait qu’un être humain est unique.9
Par ailleurs, le personnage de Khady accomplit un véritable parcours d’autonomisation en prenant conscience10 de son périple de migrante, ce qui passe surtout par l’apprentissage des noms de tout ce qui l’entoure: «elle pouvait envisager maintenant que toute chose eût un nom et qu’elle l’ignorât, elle réalisait, gênée, avoir cru que ce qu’elle connaissait avait seul un nom».11 Cependant, le lecteur n’a pas droit à des repères géographiques précises. Khady part probablement du Sénégal, le pays du père de la romancière, qui est le cadre des deux premières histoires de Trois femmes puissantes,12 mais on ne peut pas en avoir la certitude. Le flou du contexte géographique a peut-être la fonction de souligner l’universalité du parcours de Khady, parcours exemplaire de chaque migration entre l’Afrique et l’Europe.
Le traitement narratif de l’espace est toujours très riche de significations dans l’œuvre de Marie NDiaye, hantée par une quête identitaire dont le binôme père-patrie est l’un des noyaux problématiques les plus évidents. Dans le troisième récit de Trois femmes puissantes l’image du grillage séparant l’Afrique de l’Europe est emblématique de la division entre deux pôles géographiques, mais aussi identitaires, difficiles à concilier. En effet, comme l’a affirmé Shirley Jordan, «C’est le seuil dans toute sa complexité anthropologique et politique qui est le locus fondamental de l’œuvre de Marie NDiaye».13 La frontière est l’obstacle principal auquel doit faire face tout migrant:14 Khady essaie de la dépasser même si elle ne sait pas ce qu’elle va trouver de l’autre côté,15 dominée par une logique qui défie ses possibilités de compréhension. Son voyage est une sorte de parabole de toute migration, l’entre-deux par excellence, d’une patrie où le retour est impossible à une destination inconnue et difficile à atteindre. Khady est amenée d’un lieu inconfortable à un autre ; entre eux, les lieux fermés occupent une place fondamentale. Il semblent presque signifier l’enfermement du personnage en lui-même et l’impuissance à communiquer avec autrui: la voiture qui la transporte au début du voyage, le bateau duquel elle s’enfuit, la «gargote aux murs de terre, sans fenêtre»16 où elle doit se prostituer. Cet univers fait de déplacement perpétuel, de rejet, d’inadéquation, d’inconfort est le cadre de toute l’œuvre de Marie NDiaye: il ne s’agit pas seulement de la condition des migrants, mais peut être de celle de tout être humain contemporain, qui se trouve de plus en plus confronté à «l’impossibilité radicale de toute appartenance».17
L’histoire de Khady se situe donc à la fois dans le particulier et dans l’universel, selon un choix de la romancière, qui conjugue le réalisme de la chronique avec le pouvoir imaginatif de la littérature: «Pour ce récit-là, je voulais moins de romanesque, pas de magie ou à peine, mais une volonté de rendre compte, tout en faisant malgré tout un objet littéraire, pas un documentaire ».18 La troisième histoire de Trois femmes puissantes a donc un caractère de témoignage qui la rend très proche de la réalité de la migration; cependant la transposition littéraire, par rapport à un documentaire où un article, rend cette thématique bien plus touchante pour le lecteur.19 Cette double position du lecteur, entre distanciation et identification, est encouragée par plusieurs techniques différentes.
Il faut considérer tout d’abord les choix concernant la diégèse et la focalisation. Tous les récits de Trois femmes puissantes se caractérisent par une narration hétérodiégétique et par une focalisation interne fixe sur un personnage, selon la terminologie utilisée par Gérard Genette.20 Dans le cas de la troisième histoire, la focalisation se concentre sur Khady. Le lecteur a ainsi accès aux sentiments et aux émotions de la protagoniste de son point de vue même. Cependant, le choix de l’homodiégèse aurait facilité davantage l’identification du lecteur avec la jeune migrante, alors que la présence d’un fort contrôle sur l’histoire de la part d’une instance narrative extérieure limite au contraire l’impact émotif sur le lecteur, en lui imposant une distanciation critique par rapport aux événements racontés. Le lecteur se situe donc lui aussi dans un territoire de l’entre-deux, entre adhésion à la narration et réflexion sur la réalité.
Cet équilibre entre réalité et fiction est obtenu aussi grâce à des références thématiques très différentes entre elles. D’un côté le récit est parsemé de descriptions très détaillées du corps de la protagoniste, un corps souffrant d’une plaie à la jambe et d’une infection vaginale. L’écriture semble vouloir susciter le dégoût du lecteur, comme dans la description du rapport sexuel-type entre Khady et l’un des ses clients:
il s’allongea sur Khady qui écartait le plus possible sa jambe malade […] afin d’éviter tout heurt, et alors qu’il la pénétrait en laissant échapper souvent une plainte étonnée, car la récente démangeaison qui enflammait et desséchait le vagin de Khady échauffait aussitôt le sexe du client, elle rassemblait toutes ses forces mentales pour contrer les multiples attaques de la douleur qui assaillait son dos, son bas-ventre, son mollet.21
Marie NDiaye revendique ce choix esthétique: «Ce qui m’intéresse, c’est ce défi là, essayer d’introduire dans ce qu’on espère être une œuvre d’art des éléments aussi laids, aussi réels, du réel le plus vulgaire».22 La mise en récit des sensations physiques est aussi, plus en général, l’une des modalités principales que l’écrivaine utilise pour susciter un sentiment d’empathie entre le lecteur et son personnage.
De l’autre côté, ce réalisme extrême entre en conflit avec la présence dans le récit d’éléments étranges, inquiétants, difficiles à expliquer rationnellement: il s’agit toujours pour les récits de Marie NDiaye d’ «un univers insolite où quelque chose d’anormal mine insidieusement les règles de notre compréhension ordinaire».23 C’est surtout la présence des oiseaux qui trouble les personnages et le lecteur dans tout le livre, créant une sorte de leitmotiv qui relie les trois récits. Les oiseaux sont un signe métaphorique et symbolique de l’Unheimliche, l’inquiétante étrangeté freudienne,24 en incarnant un sentiment de peur face à une situation inhabituelle. Dans la troisième histoire de Trois femmes puissantes, par exemple, Khady imagine que l’homme qui la conduit au début de son voyage est en réalité un corbeau:
l’homme […] était seul à s’agiter, arpentant fébrile le bitume sableux et défoncé, et dansotant, rebondissant involontairement dans ses chaussures de sport vertes exactement, songeait Khady, comme sautillaient non loin les corbeaux noirs et blancs, noirs au cou largement bordé de blanc, desquels il était peut-être, peut-être, le frère finement changé en homme le temps d’emporter Khady. Un frisson d’angoisse troubla son impassibilité.25
La métamorphose est produite par la désorientation du personnage, mais elle n’a pas réellement lieu: il s’agit d’un phénomène faisant partie de la catégorie todorovienne de l’ «étrange»26 parce qu’il concerne les sentiments des personnages sans défier la raison du lecteur. Cependant, l’image fantasmatique des oiseaux éloigne le récit du réalisme d’une chronique.
Ce système binaire, conciliant l’ambition littéraire et la volonté de rendre compte, se reflète nécessairement dans l’écriture. De longues périodes très élaborées s’alternent ainsi à des phrases au rythme sec et rapide. Cette alternance s’explique par des motivations d’ordre thématique. Un trait stylistique obsédant dans Trois femmes puissantes est le contraste entre une prose ample et les sentiments négatifs des personnages, comme le souligne la quatrième de couverture de la première édition Gallimard:
L’art de Marie NDiaye apparaît ici dans toute sa singularité et son mystère. La force de son écriture tient à son apparente douceur, aux lentes circonvolutions qui entraînent le lecteur sous le glacis d’une prose impeccable et raffinée, dans les méandres d’une conscience livrée à la pure violence des sentiments.27
Par exemple, l’un des moments de plus grande angoisse de Khady, le voyage en voiture avec l’homme-corbeau auquel on vient de faire référence, coïncide avec une période qui s’étend sur trois pages.28 Par contre, quand la protagoniste s’enfuit de la barque pleine des migrants, prenant ainsi une décision consciente et autonome qui va la combler d’ une «joie ardente» (p. 282), les phrases se raccourcissent à l’extrême, ce qui est souligné typographiquement par les alinéas:
Le fond de la barque était rempli d’eau.
Elle agrippa son paquet, s’accroupit contre l’un des côtés du bateau. […]
Elle resta ainsi hébétée, stupéfaite, tandis que grimpait encore dans la barque un tel nombre de personnes qu’elle craignit d’être étouffée, écrasée.
Elle se mit debout, titubante. […]
Elle tira sur son pagne mouillé, passa une jambe par-dessus le bord du bateau, attrapa son ballot, souleva l’autre jambe. […]
Elle sauta dans l’eau (ibidem).
On peut constater en effet que la syntaxe tend à se simplifier parallèlement au parcours de prise de conscience de Khady, avec une réduction de la longueur des paragraphes au fur et à mesure que l’histoire avance vers son épilogue:29 à un climax ascendant au niveau de la tension du récit, correspond un climax descendant au niveau structurel et stylistique.
La fin du récit est emblématique de la tonalité que Marie NDiaye a donnée à l’histoire de Khady et à tout le livre dans son ensemble. L’image des oiseaux revient avec force, mais de façon différente, parce qu’elle transmet une idée de paix et de sérénité. La métamorphose en oiseau de Khady, accompagnée par la certitude identitaire qui ne la quitte jamais, rend la représentation de sa mort moins tragique:
C’est moi, Khady Demba, songeait-elle encore à l’instant où son crâne heurta le sol et où, les yeux grands ouverts, elle voyait planer lentement par-dessus le grillage un oiseau aux longues ailes grises – c’est moi, Khady Demba, songea-t-elle dans l’éblouissement de cette révélation, sachant qu’elle était cet oiseau et que l’oiseau le savait (p. 316).
On retrouve cette métamorphose dans le contrepoint, court épilogue présent à la fin de chaque histoire de Trois femmes puissantes, dans lequel la focalisation se déplace sur un autre personnage. Le choix de ce terme musical renvoie à la présence de deux ou plusieurs lignes mélodiques opposées et entrecroisées en même temps. Dans le contrepoint de la troisième histoire la narration suit le point de vue de Lamine, un garçon qui a aidé Khady dans son voyage, mais qui ensuite a été amené à la faire prostituer et à lui voler enfin son argent pour pouvoir poursuivre son parcours vers l’Europe. Lamine, arrivé en France, pense souvent à Khady avec des remords, mais l’image de l’oiseau se manifeste encore une fois, en signifiant le pardon et le calme : «il parlait à la fille et doucement lui racontait ce qu’il advenait de lui, il lui rendait grâce, un oiseau disparaissait au loin» (p. 317).
Ce glissement du réalisme au fantastique du double épilogue a la fonction d’un côté de gommer le tragique de la mort de la protagoniste, de l’autre d’augmenter la puissance littéraire de cet épisode, avec l’image poétique de l’oiseau qui s’envole.30
Les ailes de l’oiseau Khady disparaissent à l’horizon et en même temps le lecteur ferme les pages de Trois femmes puissantes, en gardant l’émotion d’un poignant récit de migration. L’histoire d’une jeune africaine voyageant vers l’Europe est racontée par une écrivaine française qui achève le parcours inverse, en faisant, pour la première fois, de la terre de ses origines paternelles une source d’inspiration littéraire. Motivations biographiques, volonté de renouveler son écriture dans le sens d’un plus grand engagement, continuelle recherche d’un équilibre entre participation émotive et conscience critique du lecteur: avec tout cela Marie NDiaye bâtit un récit de portée universelle.
Bibliographie
Œuvres de Marie NDiaye analysées ou citées
M. NDIAYE, En famille, Paris, Éditions de Minuit, 1994.
M. NDIAYE, Trois femmes puissantes, Paris, Gallimard, 2009.
Ouvrages critiques sur Marie NDiaye
«Dossier Marie NDiaye», Le Matricule des anges, n° 107, octobre 2009, p. 20-29.
É. FASSIN, «Puissance paradoxale des femmes chez Marie NDiaye», La Nouvelle Revue Française, n. 593, avril 2010, Paris, Gallimard, p. 153-160.
S. JORDAN, «La puissance de Khady Demba», Actes du colloque «Une femme puissante - l’œuvre de Marie NDiaye», Mannheim, mai 2011, sous presse.
I. PORFIDO, «Trois femmes puissantes de Marie NDiaye, ou “comment s’extraire […] de ce rêve infini, impitoyable, qui n'était autre que la vie même”», in Matteo Majorano (dir.), Écrire le fiel (Marges critiques/Margini critici, n.15), Bari, B.A. Graphis 2010, p. 32-44.
D. RABATÉ, Marie NDiaye, Paris, INA, Culturesfrance, Textuel, 2008.
Ouvrages critiques généraux
S. FREUD, L'inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Folio essais, 1985.
G. GENETTE, Figures III, Paris, Seuil, Collection Poétique, 1972.
M. KUNDERA, L’art du roman, Paris, Gallimard Folio, 1986.
A. MAALOUF, Les identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998.
T. TODOROV, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, 1976.
Sites Internet
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N. KAPRIELIAN, «L’écrivain Marie Ndiaye aux prises avec le monde», Les Inrocks, 30 août 2009, http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/1251629881/article/lecrivain-marie-ndiaye-aux-prises-avec-le-monde/.
N. MICHEL, «3 questions à… Marie NDiaye», Jeune Afrique, 15 septembre 2009, http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2540p086-088.xml1/interview-litterature-ecrivain-marie-ndiaye3-questions-a-marie-ndiaye.html.
I.VITALI, «L’ailleurs, le chez-soi et le monde : la Welteliteratur de Milan Kundera», in R. GORRIS CAMOS, L. COLOMBO, P. PERAZZOLO (dir.),Venus d'ailleurs. Ecrire l'exil en français, Actes de la Ve journée de la Francophonie de Vérone, Publif@rum, n.17, 2012,
Note
↑ 1 M. NDIAYE, Trois femmes puissantes, Paris, Gallimard, 2009.
↑ 2 Cf. A. MAALOUF, Les identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998, p. 10 : «L’identité ne se compartimente pas, elle ne se répartit ni par moitiés, ni par tiers, ni par plages cloisonnées. Je n’ai pas plusieurs identités, j’en ai une seule, faite de tous les éléments qui l’ont façonnée, selon un “dosage” particulier qui n’est jamais le même d’une personne à l’autre».
↑ 3 N. MICHEL, «3 questions à… Marie NDiaye», Jeune Afrique, 15 septembre 2009, http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2540p086-088.xml1/interview-litterature-ecrivain-marie-ndiaye3-questions-a-marie-ndiaye.html,«Aujourd’hui, j’ai plutôt conscience […] de ce que représente un métissage tronqué dont on n’a que les apparences».
↑ 4 É. FASSIN, «Puissance paradoxale des femmes chez Marie NDiaye», La Nouvelle Revue Française, n. 593, avril 2010, Paris, Gallimard, p. 155.
↑ 5 L. CLAIR, «La discrète empathie», in «Dossier Marie NDiaye», Le Matricule des anges, n. 107, octobre 2009, p. 27-28 : «il m’importait qu’on ne se méprenne pas sur ces femmes-là, qui devaient être d’entrée de jeu vues comme des femmes puissantes, parce que peut-être ce n’était pas absolument évident quand on allait lire leurs histoires respectives. Donc, d’une manière, je force l’interprétation, j’impose un point de vue de lecture…[…] Ce qui les rend puissantes, c’est le fait que, malgré tout, elle ne sont pas des victimes, même dans des situations où peut-être objectivement elles le sont, essentiellement elles ne le sont pas – elles ne se voient pas telles».
↑ 6 I. PORFIDO, «Trois femmes puissantes de Marie NDiaye, ou “comment s’extraire […] de ce rêve infini, impitoyable, qui n'était autre que la vie même”», in M. MAJORANO (éd.), Écrire le fiel (Marges critiques/Margini critici, n.15), Bari, B.A. Graphis, 2010, p. 39: «il est possible de remarquer une évolution nette de l’image de la femme: de désemparée ou asservie (Fanny ou Rosie), elle accède, bien qu’au prix de beaucoup d’efforts, à une forme de liberté lui permettant de préserver sa part d’irréductible, d’inaliénable, sa dignité».
↑ 7 M. NDIAYE, Trois femmes puissantes, cit., p. 253-254.
↑ 8 Ivi,p. 280: «elle songea: Oui, moi, Khady Demba, toujours heureuse de prononcer muettement son nom et de le sentir si bien accordé avec l’image qu’elle avait, précise et satisfaisante, de sa propre figure ainsi qu’avec son cœur»; Ivi, p. 309: «son esprit était clair et vigilant et elle se sentait encore parfois inondée d’une joie chaude quand, seule dans la nuit, elle murmurait son nom et une fois de plus le trouvait en convenance exacte avec elle-même».
↑ 9 N. KAPRIELIAN, «L’écrivain Marie Ndiaye aux prises avec le monde», Les Inrocks, 30 août 2009, http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/1251629881/article/lecrivain-marie-ndiaye-aux-prises-avec-le-monde/.
↑ 10 Les mots se reliant à la sphère sémantique de la compréhension sont de plus en plus présents dans l’histoire de Khady, suivant son parcours de prise de conscience. On peut relever le même leitmotiv aussi dans les autres histoires du livre.
↑ 11 M. NDIAYE, Trois femmes puissantes, cit., p. 292.
↑ 12 Le pays n’est jamais nommé explicitement, mais beaucoup d’indices permettent d’y situer les deux premières histoires du livre: les références à la ville de Dakar, avec la prison de Reubeuss, lesquartiers de Grand-Yoff, de Colobane ou du Plateau, le journal Le Soleil, le cimetière de Bel-Air, sont très claires.
↑ 13 S. JORDAN, «La puissance de Khady Demba», communication présentée au colloque «Une femme puissante - l’œuvre de Marie NDiaye» du mois de mai 2011 à Mannheim. Les actes du colloque ne sont pas encore publiés, mais M.me Shirley Jordan m’a personnellement envoyé sa communication, ce dont je la remercie ici. Souvent les personnages de NDiaye se trouvent au-delà d’un seuil ou d’un grillage (il y a un grillage dans chacun des trois récits de Trois femmes puissantes), éléments de séparation qui soulignent l’exclusion de certains individus d’une société qui n’accepte pas leur différence. Cette problématique est en particulier au centre du roman En famille: M. NDIAYE, En famille, Paris, Éditions de Minuit, 1994.
↑ 14 Cfr. M. KUNDERA, L’art du roman, Soixante-neuf mots, Paris, Gallimard Folio, 1986, p. 143-181. Ce n’est pas par hasard que Kundera, écrivain émigré, insère le mot frontière dans son dictionnaire intime, dans la liste de «[s]es mots-clés, [s]es mots-problèmes, [s]es mots-amours» (p. 144), de ses «mots-thème», comme les définit Ilaria Vitali: I.VITALI, «L’ailleurs, le chez-soi et le monde : la Weltliteratur de Milan Kundera», in R. Gorris Camos, L. Colombo, P. Perazzolo (éds.),Venus d'ailleurs. Ecrire l'exil en français, Actes de la Ve journée de la Francophonie de Vérone, Publif@rum, n. 17, 2012, http://www.publifarum.farum.it/ezine_printarticle.php?publifarum=29d5348e609938edf41cc89ca5d52522&art_id=210.
↑ 15 M. NDIAYE, Trois femmes puissantes, cit., p. 289: «ce que c’était exactement que cela, l’Europe, et où cela se trouvait, elle remettait à plus tard de l’apprendre».
↑ 16 Ivi, p. 302.
↑ 17 S. JORDAN, «La puissance de Khady Demba», cit.
↑ 18 L.CLAIR, «La discrète empathie», cit., p. 29.
↑ 19 N. KAPRIELIAN, «L’écrivain Marie Ndiaye aux prises avec le monde», cit.: «Si la matière littéraire est assez intéressante ou prenante, ces trajectoires restent mieux en mémoire que ce qu’on peut lire dans les articles ou voir en images. Les articles peuvent dépersonnifier, on lit vite – un article, ça passe, ça reste comme anonyme. Pas la littérature».
↑ 20 G. GENETTE, Figures III, Paris, Seuil, Collection Poétique, 1972.
↑ 21 M. NDIAYE, Trois femmes puissantes, cit., p. 303.
↑ 22 D. ANTOINE, «Marie NDiaye, La force du style, Dominique Antoine s’entretient avec Marie NDiaye», Interlignes, curiosphere.tv, http://interlignes.curiosphere.tv/?auteur=marie-ndiaye.
↑ 23 D. RABATÉ, Marie NDiaye, Paris, INA, Culturesfrance, Textuel, 2008, p. 14.
↑ 24 S. FREUD, L'inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Folio essais, 1985.
↑ 25 M. NDIAYE, Trois femmes puissantes, cit., p. 269.
↑ 26 T. TODOROV, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, 1976, p. 51-52.
↑ 27 M. NDIAYE, Trois femmes puissantes, cit., quatrième de couverture.
↑ 28 Ivi, p. 271-273: de «Elle fixa des yeux» à «que dirait-on de Khady Demba, Khady Demba».
↑ 29 Ivi, le texte est structuré ainsi: premier paragraphe de p. 247 à p. 283 (36 pages); deuxième paragraphe de p. 284 à p. 296 (12 pages); troisième paragraphe de p. 296 à p. 299 (3 pages); quatrième paragraphe de p. 299 à p. 307 (8 pages); cinquième paragraphe de p. 307 à p. 308 (1 page); sixième paragraphe de p. 308 à p. 310 (2 pages); septième paragraphe de p. 310 à p. 314 (4 pages); huitième paragraphe de p. 314 à p. 316 (2 pages); contrepoint de p. 316 à p. 317 (1 page).
↑ 30 Cf. S. JORDAN, «La puissance de Khady Demba», cit., qui mène une fine analyse de toutes les implications esthétiques et éthiques du glissement entre récit et conte: «La véritable puissance de Khady Demba […] est dans le rapport très particulier qui s’établit entre elle et le lecteur. […] le lecteur se sent […] impliqué dans de nombreuses questions éthiques, qui sont souvent évoquées par l’opération du fantastique».