Un problème de compréhension. Tradition et roman policier en Afrique noire
Résumé
Le roman africain francophone reçoit le genre du roman policier de l'Occident, mais il sait lui imprimer un cachet spécifique. L'un des traits de cette spécificité est le rôle et la fonction que la Tradition y joue. L'essai apprécie et illustre cet aspect.
Francophone African novel inherits crime novel from Western literature, but it gives special features to it. One of these features is the role and the fonction that Tradition has in the plot. This essay points out this subject.
«Au long de son évolution, le policier a fait montre d'une faculté d'adaptation et de transfert sans égal.»1
C'est justement grâce à ce trait essentiel de sa nature que le genre a pu s'enraciner, se développer, mais surtout s'adapter à l'Afrique noire jusqu'à parvenir à se faire l'une des voix de l'expression de son identité, de sa spécificité.
Les noms d'auteurs africains de romans policiers — en laissant à cette étiquette un référent assez vaste et où l'unité et l'homogénéité ne sont plus nécessairement de mise — augmentent de plus en plus: Modibo Sounkalo Keita, Moussa Konaté, Baenga Bolya, Achille F. Ngoye, Aïda Mady Diallo, Théo Ananissoh.
En général, l'énorme capacité d'adaptation du roman policier peut aussi être jaugée à partir de l'incroyable fécondité du schéma de base qui en constitue normalement l'essence; un schéma de base, apparemment très rigide et cependant à même de générer des œuvres à chaque fois fort différentes.
Comme le relève toujours Jacques Dubois, on se trouve face à «une formule première qui ne s'épuise pas [...] et [à] une matrice narrative entraînée dans une transformation incessante, dans l'introduction de modules nouveaux sur le marché de la lecture» (p. 53).
Cette matrice narrative est à ce point solide et incontournable qu'on peut même la retrouver, presque sous la forme d'un rappel métanarratif, dans L'honneur des Kéita de Moussa Konaté.
Face à une énigme qui se présente sans voies d'accès, le commissaire Habib ne peut que faire relever à son fidèle inspecteur Sosso: «Il nous manque le lieu, le mobile, l'arme du crime et le meurtrier, autant dire tout.»2 Tout, c'est-à-dire l'impasse du vide pour toutes les cases qui entrent obligatoirement en jeu dans le roman policier traditionnel et qui correspondent aux questions classiques auxquelles tout bon enquêteur doit assurer une réponse: où?, pourquoi?, comment? qui? Et, pour compléter le schéma: quand?
Les parcours d'adaptation du roman policier concernent toutes les macrostructures narratives du texte. Autrement dit, chacune des questions précédentes pourrait avoir une réponse "africaine": le système des personnages, le cadre de l'action, le domaine social et sociologique, pour ne citer que les éléments macroscopiques d'un texte, peuvent bien être africanisés.
À partir de cette réflexion assez banale, je me propose pourtant de focaliser un trait fortement spécifique du roman policier africain et qui me semble être l'une des caractéristiques qui assurent son originalité et qui stimulent davantage son lecteur.
Je vais ainsi essayer d'approfondir un aspect que j'ai déjà eu l'occasion de relever de manière secondaire,3 et d'identifier le rôle, la fonction et le statut que la Tradition peut avoir dans le roman policier africain.
La Tradition entre déjà en jeu au niveau du schéma matriciel du roman policier dans la première expression du genre en Afrique noire, c'est-à-dire L'archer bassari de Modibo Sounkalo Keita. Ici, l'arme du crime, qui va assurer l’identification du coupable, est constituée par les flèches traditionnelles que seuls les Bassari d'Oniateh savent construire et que seuls des initiés — comme le vieux Sambou — peuvent reconnaître:
Le vieillard se releva légèrement sur son siège et prit son temps avant de répondre:
— Cette histoire, crois-moi, dépasse la simple anecdote d'un archer fléchant des cibles sélectionnées. Je suis en mesure de te dire que ces flèches viennent très précisément du village bassari d'Oniateh. [...] J'ai eu [...] l'occasion de m'initier à certaines techniques et à certains secrets à caractère magique dans les villages où j'ai pu me constituer un capital d'estime, et ils sont nombreux. Ceux d'Oniateh m'ont présenté leur forgeron et sa technique particulière de fabriquer des outils et des armes.4
De même, le mobile de l'archer assassin est la volonté de punir l’offense perpétrée envers les mœurs de la Tradition ancestrale et dont témoigne la vente sacrilège de l'Idole sacrée d'Oniateh, dictée par le besoin de trouver de l'argent pour faire face à la famine qui frappe le village (p. 194), mais malgré cela, non moins coupable:
— Alors, attaqua Atumbi toujours coléreux, il a fallu toucher à l'intouchable, accomplir le sacrilège. Il fallait de l'argent ? L'Idole d'or fut évoquée. Vendre l'Idole d'or! [...] Les divinités ont protesté. [...] L'idole fut vendue mais l'argent en fut détourné. Désabusé, je fis une statuette de remplacement en cuivre. Mais les divinités la boudèrent et demandèrent le lavage dans le sang du grand sacrilège qui les avait offensées (p. 158-159).
Le mobile de l'action criminelle a encore une fois un rapport intime et profond avec un aspect de la Tradition dans La polyandre de Bolya.
L'enquête qu'il mène pour découvrir qui a laissé trois Blacks émasculés sur un trottoir de la Bastille apprendra à l'inspecteur Robert Nègre que le journaliste français Bourru a été poussé vers une folie meurtrière à cause de son incapacité d’accepter la polyandrie de sa compagne Oulématou, héritage de la princesse africaine qu'était sa mère.
Un Camerounais, arrêté par la police, dévoile l’existence de cette réalité traditionnelle concernant les Guidars:
— Non, chez nous une femme peut contracter plusieurs mariages. Elle peut être première épouse dans l’un et seconde dans l’autre.5
Oulématou ne fera que confirmer l'existence et l'importance de cet aspect de la Tradition qu’à ses yeux, il faut maintenir vivant toujours et partout:
Voilà pourquoi la femme abissi se marie le même jour avec trois époux. Ce n’est pas parce que nous sommes en Europe, à Paris, qu’il faut oublier nos traditions les plus nobles », ajouta Oulématou (p. 122).
Tout cela poussera l'inspecteur Nègre vers une lecture des faits qui se révèlera fautive, mais qui montre bien le rapport potentiel entre crime et Tradition:
Le mobile des meurtres ne pouvait qu’être que le ressentiment de maris éconduits et abandonnés (p. 123).
Dans Sorcellerie à bout portant d'Achille N'Goye, la Tradition ancestrale, les cultes d'époques lointaines ainsi que la pratique de la magie sont à la base du mobile des coupables.
De même, Zito, arrivé d’Europe pour la mort de son frère et engagé, malgré lui, dans l’enquête concernant ce meurtre, découvre que pour «contrer les sortilèges, préserver sa position sociale, gérer le cours de sa carrière, neutraliser ses chefs» et «pour jouir de l'invulnérabilité»,6 Tsham «fétichait» à son tour:
Non pas en touche-à-tout inconscient de ses actes, mais en pratiquant inconditionnel. Son corps n’était plus qu’un musée ambulant de gris-gris. Amulettes, «cables» fabriqués à son intention et quelquefois enduits de l’huile de palme, enrobaient ses avant-bras, son cou, sa taille. Outre sa bague de mariage, il en portait une autre, en ivoire, qui contenait du venin. Sa mascotte.7
Pour sa part, dans L'honneur des Kéita, Moussa Konaté choisit comme mobile du crime l'infraction aux règles de la Tradition — se rapportant, ici, aux systèmes des castes maliennes ainsi qu'à l'interdit de l'inceste —, sur laquelle se base l'honneur de la famille des Kéita, comme le révèle le vieux Sandiakou:
En réalité, continua le chef de Nagadji, la mère de Kankou est une femme de caste, une griotte Kouyaté dont la famille habite une petite ville, près de Bamako. Depuis toujours, nous, les Kéita, nous avons été les maîtres des Kouyaté et c'était la première fois qu'un Kéita s'accouplait avec une Kouyaté. C'était la honte aussi bien pour nous que pour nos griots. C'est pourquoi nous nous sommes juré de garder le secret pour l'éternité. [...]
Quand j'ai appris que Fatoman s'était accouplé avec sa sœur, j'ai compris que pour les Kéita de Nagadji la fin avait sonné, parce que, com'saire, l'enfant qui naît de l'inceste n'est pas un être humain, mais un monstre. [...]
— Oui, acquiesça le chef sans laisser percer la moindre émotion, c'est moi qui ai tué Fatoman. [...] je n'ai fait que mon devoir, rien que mon devoir, et je ne regrette rien.8
Et le plus beau roman policier de Moussa Konaté, L'empreinte du renard, où l'inspecteur Habib mène son enquête au Pays Dogon, partage ce choix de composition et le développe davantage.
Face aux meurtres dont il faut identifier le coupable, la situation se révèle tout de suite difficile:
— Je crois qu’on va bien s’amuser au pays dogon, ironisa le commissaire sans transition. Avec un adolescent comme maire, des assassinats sans auteur et sans arme, le tout dans un environnement irrationnel, c’est du plaisir.9
La remarque presque amusée du commissaire Habib souligne la nature exceptionnelle de cette enquête qui se heurte avec la réalité du Pays Dogon, région dont le peuple est très attaché à la Tradition.
Le jeune maire de Pigui l'affirme indirectement lorsqu'il est convoqué à Bamako:
— C’est ça. Vous savez, chez nous les Dogons, ce n’est pas comme ici. On peut tuer sans être vu. Sans utiliser une arme (p. 61).
Habib même, une fois arrivé au Pays Dogon, reconnaît que l'altérité de cette région constitue un obstacle pour son travail:
— Oui, Sosso, tu sais bien qu’il est hors de question de procéder à une autopsie. Tu imagines la réaction des Dogons si nous avisions de toucher aux sépultures. D’ailleurs, perchées comme elles le sont, je ne vois pas qui pourrait aller les déloger. Mais pourquoi diable nous avoir envoyés ici ? (p. 112)
Malgré cela, Habib parviendra, par degrés, à la solution de l'énigme.
D'abord, aidé par les laboratoires de la région, il établit la nature de l'arme qui a tué les jeunes gens sur lesquels il est en train d'enquêter.
Le docteur Diallo, directeur de l'hôpital de Bandiagara, va lui apprendre cette première vérité:
— [...] En fait, la victime est morte entre huit et neuf heures, ce matin, suite à un empoisonnement. [...] Le genre de poison utilisé nous est familier, parce qu’il est caractéristique de la région. Il y a, chaque année, un certain nombre de décès qui lui sont dus. C’est une plante rare, une herbe, en réalité, qui pousse sous quelques rochers, dans des endroits humides, ce qui n’est pas courant ici. Les Dogons l’appellent la tête jaune, parce que la tige de la plante se termine par une fleur jaune. Toutefois, en soi, ce poison n’est pas virulent. Il ne le devient qu’associé à une autre substance vénéneuse, parce qu’il semble alors — je dis bien il semble — acquérir des propriétés nouvelles, d’une efficacité extraordinaire. Malheureusement, le niveau d’équipement de notre labo ne nous permet pas d’aller plus loin (p. 176).
Encore une fois, l'arme du crime relève du domaine des savoirs traditionnels, de ce bagage culturel qui demeure inconnu à tout étranger, «loin de soupçonner tous les savoirs de tous les ordres qui s[e] nichent» (p. 178) dans ce pays.
Le poison de la tête jaune, on le saura par la suite, est en effet combiné au venin des cobras "conditionnés", apprivoisés par Kodjo, dit le Chat, à même d'escalader la falaise «avec une vélocité et une dextérité étonnantes» (p. 97) pour aller s'entretenir avec l'Ancêtre, qui est censé demeurer au sommet.
Le Chat, d'ailleurs, est l'une des figures le plus intimement liées à la Tradition:
— Il est plutôt devin. Il serait un des meilleurs prédicateurs de la région. On dit qu'il déchiffre le mystère de l'avenir en lisant les traces des pattes du renard que les Dogons appellent Yourougou. C'est aussi un spécialiste des plantes médicales (p. 98).
Par ailleurs, le Hogon, chef spirituel du village dogon, expliquera bien, du point de vue de la Tradition qu'il incarne et dont il est l'une des voix les plus respectables, le rôle que Kodjo joue dans les assassinats dont il est accusé:
Ce ne sont pas les serpents qui mordent, c’est Lèbè qui tue, car c’est lui le premier des serpents. Celui que vous prenez pour le maître des serpents n’est en réalité que le serviteur de Lèbè. En fait, entre vous et nous, il y a un problème de compréhension, parce nous ne donnons pas le même sens aux mots. Nous, nous accomplissons la volonté d’Amma et de Lèbè et nous serons solidaires jusqu’à la mort. C’est cela que je voulais vous faire comprendre (p. 249).
Loin d'être un discours dont le but serait simplement de disculper ou de justifier le Chat afin d'amoindrir sa culpabilité, les paroles du Hogon montrent bien que le tueur est avant tout Lèbè, le premier ancêtre dogon, celui qui, enterré au pays du Mandé, ressuscita sous forme de serpent. Kodjo ne serait que l'intermédiaire de sa volonté. La volonté de frapper des jeunes qui ont voulu prendre la terre du Hogon pour l'exploiter et en tirer un avantage financier.
Autrement dit, «Tous ces jeunes gens sont morts pour une raison précise : c’est qu’ils sont allés à l’encontre de l’ordre qui est établi ici depuis des siècles» (p. 237).
L'infraction à la Tradition engendre un châtiment exemplaire infligé, selon la vision du monde des Dogons, par la Tradition même, dans la figure de Lèbè, et par un moyen qui naît des savoirs que la Tradition assure et transmet à l'intérieur d'elle-même.
D’ailleurs, le Pays Dogon est caractérisé par des coutumes, des croyances religieuses, des mœurs et des habitudes qui relèvent d'une Tradition ancestrale que la modernité semble avoir sinon totalement effacée, sensiblement estompée même au Mali. À Bamako, le maire de Pigui a donc bien le droit d'affirmer «chez nous les Dogons, ce n'est pas comme ici» et à maintes reprises, le roman classe la réalité dogon comme un monde autre par rapport à celui qu'habitent les autres Maliens et qu'il n'est pas facile de pénétrer :
— Pardon, mon commandant, je ne veux pas dire qu’il faut croire à l’irrationnel, pas du tout. Seulement, si vous partez sur une base autre que la leur, vous avez peu de chances d’entrer dans leur monde et de les amener à s’ouvrir. C’est pourquoi il est nécessaire de faire semblant de penser comme eux pour les mettre en confiance (p. 123).
L'empreinte du renard, par sa complexité pour ce qui est du sujet de cette réflexion critique, témoigne de manière exemplaire des nombreuses conjugaisons possibles, dans l'univers de l'Afrique noire, entre la Tradition et la formule génératrice du roman policier et aide ainsi à focaliser de manière synthétique cet aspect spécifique du genre dans la déclinaison qu’en offre l’Afrique noire.
D’abord, L'empreinte du renard ne fait que mettre en relief de manière macroscopique ce que d'autres romans policiers suggèrent parfois avec plus de discrétion: la Tradition fait encore partie, même dans le monde contemporain, du tissu culturel de l'Afrique noire et il est impossible, même dans une enquête policière, de l’ignorer.
Presque paradoxalement, donc, impliquer la Tradition dans le fonctionnement du roman policier, en premier lieu, ne fait que répondre — selon une réponse africaine — au besoin de créer un "effet de réel" dont le genre saurait fort difficilement se passer.
Cependant, les indices liés à la Tradition qui apparaissent dans ces romans sont systématiquement sujets à un procès d'explicitation.
Cela se justifie facilement en songeant à un lecteur non-africain qui aurait besoin de ce type d'explication vu que sa culture est étrangère à celle qui entre en jeu dans le roman.
Et pourtant, la situation est plus complexe car, comme on le voit dans L'empreinte du renard, l'explicitation s'adresse avant tout à Habib et à Sosso, maliens, mais étrangers à la Tradition dogon, comme le commissaire le reconnaît avec une grande sincérité :
— [...] J’ai été façonné à l’école occidentale, qui m’a appris la rationalité, le cartésianisme. Tout ce qui sortait de ce mode de penser n’était pas digne d’intérêt (p. 143).
On entrevoit, dans ces quelques réflexions, la nouvelle réalité africaine où Modernité et Tradition semblent désormais incapables de se parler et où la Tradition serait de plus en plus effacée par ce «cartésianisme» — mot qui suinte le colonialisme intellectuel français et occidental — dont il est question même dans Ramata, roman d’Abasse Ndione.
Là, le professeur Armando Gomis, homme de science, se propose de refuser une lecture surnaturelle — à laquelle, malgré lui, il cèdera — des événements qui le frappent:
Mais il était impossible, absolument impossible, au seuil du troisième millénaire, de penser à des histoires de fantômes, croyances révolues depuis belle lurette, même en milieu rural. D’autant plus que lui, cartésien par sa formation, [...] n’y avait jamais cru.10
Et si c’était en effet une vengeance divine ou mystique comme il ne voulait pas l’admettre ? Au fond, ces choses-là pouvaient bien exister, en réalité. Dans ce cas, il risquait de mal finir en continuant à se soigner à la méthode occidentale à l’aide de pilules, gouttes et gélules. [...] Ce qu’il faudrait, c’étaient les prières et le safara, cette eau ayant lavé des versets de Coran écrits sur du papier blanc sans rayures ou sur une tablette en bois, d’un bon marabout ainsi que les grigris et les charmes d’un féticheur sérieux (p. 426-427).
Le «cartésianisme», qui voudrait la Tradition, avec ses savoirs et avec ses mystères, effacée partout en tant que signe d’une culture arriérée, d’un pays en retard sur la Modernité, considérée comme une valeur absolue, doit céder, d’une manière ou d’une autre, à cette réalité incontournable et qui est l’une des essences mêmes de l’Afrique noire : «L’Afrique était pleine de mystères insondables, dépassant tout entendement et raisonnement scientifiques» (p. 428).
Et pourtant, là où la Tradition parvient à se faire complice, mobile, arme d'un crime, le roman policier semble aussi reprendre, en écho, un thème que le roman africain a depuis longtemps proposé : l'attaque et la critique violente contre la Tradition ancestrale lorsqu'elle s'avère étouffement de la liberté, entrave à tout type d'affranchissement, exploitation de l’obscurantisme pour des raisons de pouvoirs et de contrôle.
La complexité du statut de la Tradition dans le roman policier africain témoigne avant tout des potentialités extraordinaires que le genre assurément possède et que les meilleurs écrivains savent bien employer.
Elle témoigne aussi de la composante sociologique dont le roman policier semble ne pas vouloir se séparer et qui justifie davantage son efficacité même cadre de la littérature africaine, apparemment si éloignée de la culture occidentale qui a donné naissance à ce genre.
Le statut de la Tradition dans le roman policier africain, enfin, signale, comme le souligne le commissaire Habib, qu’il existe, entre culture occidentale et culture africaine, une opposition qu’il est nécessaire de dépasser : pour mener à bon terme une enquête policière, en prenant conscience du fait qu’on se trouve face à deux conceptions du monde dont l’une n’exclut pas nécessairement l’autre.
Et le roman policer africain offre ainsi, aux Africains, dans les propos du meilleur commissaire de Bamako, et à tous les lecteurs du monde, une leçon de tolérance civile :
— [...] J’ai été façonné à l’école occidentale, qui m’a appris la rationalité, le cartésianisme. Tout ce qui sortait de ce mode de penser n’était pas digne d’intérêt. Or, ceux à qui nous avons affaire ici n’appartiennent pas à notre univers et nous n’osons pas nous avouer que nous les tenons, du point de vue de la pensée, pour des primitifs. Alors nous les méprisons. J’ai eu mal ce matin, parce que j’ai découvert cette vérité. Tu vois, les choses ne sont pas aussi simples, et nous-mêmes, imbus de notre science, nous ne savons pas qui nous sommes. Il ne s’agit pas, en fait, de faire semblant de les comprendre, mais d’admettre qu’ils ont le droit d’avoir leur univers à eux.11
Note
↑ 1 J. DUBOIS, Le roman policier ou la modernité, Paris, Nathan, 1992, p. 49.
↑ 2 M. KONATÉ, L'honneur des Kéita dans L'assassin du Banconi suivi de L'honneur des Kéita, Paris, Gallimard, «Série noire», 1998, p. 210.
↑ 3 Je me permets de renvoyer à mon article sur «Polars d'Afrique», Plaisance, n. 11, 2007, p. 101-114.
↑ 4 M. SOUNKALO KEITA, L'archer bassari, Paris, Karthala, 1984, p. 110.
↑ 5 BOLYA, La polyandre, Paris, Le Serpent à plumes, 1998, p. 60.
↑ 6 A. F. NGOYE, Sorcellerie à bout portant, Paris, Gallimard, «Série noire», 1998, p. 102.
↑ 7 Ibidem.
↑ 8 M. KONATÉ, L’honneur des Kéita, cit., p. 290-292.
↑ 9 M. KONATÉ, L'empreinte du renard. Meurtres en Pays Dogon, Paris, Fayard, «Points policier», 2006, p. 65.
↑ 10 A. NDIONE, Ramata, Paris, Gallimard, «Folio policier», 2008 [2000] p. 413.
↑ 11 M. KONATÉ, L’empreinte du renard, cit., p. 143.