Publifarum n° 19 - Ricerche Dottorali in Francesistica

L’intertexte épique moderne dans la théorie et la pratique de l’épopée chez Chateaubriand

Pierino GALLO



Abstract

The different types of intertextuality (quotation, allusion, translation), applied to the mechanisms of the first genre (epic), and analysed through the works of an author grappling with various revolutions, are much more than an erudite practice. Examined in an apologetic treatise such as the Génie du christianisme, then in the poetic extension of two primary epic works, Les Natchez and Les Martyrs, the modern epic intertext traces out a point of view depending both on the rhetoric structure and on the history of mentalities. The poets Chateaubriand recalls thus become the ideal interlocutors to work out a discourse on History. Following a three-terms approach (topic, characters/passions, landscapes), the intertextual mosaic of Chateaubriand sometimes reveals a cultural connivance sometimes inaugurates a poetical and political contestation. The analysis of these tensions finally helps us to construct the most representative image of the poet in his Time.

Évoquer l’épopée chez Chateaubriand, c’est, comme souvent à propos de ce genre, risquer de se heurter à une série de problèmes et d’idées préconçues.

L’histoire du « Grand Œuvre » au XVIIIe siècle est bien celle d’un fiasco ; un grand nombre d’arts poétiques, héritage d’Aristote, dresse les uns contre les autres poètes, hommes de lettres et critiques. On se bat sans succès contre de vieux paradoxes.

Néanmoins, si l’on a pu parler de « case vide »1 à propos de Calliope, l’expression ne saurait convenir à l’importante réflexion qu’elle engendre au tournant des Lumières à l’époque romantique.

Depuis le projet de La Henriade (1728-1730) – et malgré la mise à mort d’un certain Malézieu–,2 il n’y a pas un seul auteur qui ait nié l’entreprise.3 Les raisons de cette obstination sont peut-être à chercher, en grande partie, au sein même du statut générique. L’épopée est « l’œuvre somme », au sommet du panthéon littéraire ; sa Muse chante les gestes d’une nation ou d’un peuple et réserve au poète le laurier éternel. Qui plus est, une épopée commémore, représente4 et élabore des valeurs qui reflètent autant l’homme que sa communauté. Dans cette marge de re-construction du réel et tout en partant du présent de l’Histoire, le poète peut créer une réalité vraisemblable, « fabriquer »5 d’autres sens. Si l’épos déchaîne donc les passions littéraires, c’est d’abord en raison de ce trait disons « philosophique ».6 À cela il faut ajouter les multiples coexistences entre « attentes du lecteur », « stratégies de l’auteur » et caractéristiques normatives des ouvrages,7 ce qui fait que les genres littéraires deviennent genres historiques, rattachables « à une étape du développement d’une culture ».8 C’est d’ailleurs de l’écart entre assises stylistiques9 et progrès des mentalités que s’engendre la « Querelle des Anciens et des Modernes ».10 Dès le XVIIe siècle, le problème qui s’impose c’est de mettre les préceptes d’autrefois au diapason des nouvelles exigences. De là, l’assidu questionnement sur la modernité où l’épique – fait de codes mais porteur de valeurs – détenait une très grande place.11 Comment adapter, par exemple, les machines merveilleuses à l’esprit des Lumières ? Fallait-il évoquer des panthéons morts, s’adresser au christianisme ou inventer d’autres agents ?12 Quels sujets fallait-il préférer ? Quel type d’héroïsme mettre en scène ? Les enjeux, motivés par le Temps, débouchaient, au point de vue esthétique, sur l’« imitation » et, partant, sur le choix des modèles. À une arène bien étroite (Homère et Virgile) venaient alors s’ajouter John Milton, le Tasse, Camoëns, Ossian et l’épopée primitive, à tel point que l’évocation de ces maîtres, revenant à des filières différentes, se faisait « procédé signifiant ».

Loin d’être froids et stériles, les siècles de Boileau et de Voltaire avaient renouvelé le pari. Entraînés par la Révolution, l’épopée ne devait que scander, coup sur coup, les gageures du présent : un nouvel être humain, son rapport à l’Histoire, un désir collectif palingénésique et l’essor esthétique d’un virage capital.13 Car, c’est dans ce carrefour, d’après Hans Robert Jauss, que la « modernité » peut encore être viable.14

L’intertexte épique moderne. L’écrivain et les maîtres travestis

Chateaubriand semble bien sûr y répondre. Reste pourtant à comprendre par quel biais il formule sa vision, afin d’aborder le sujet par le même point de vue. La question des modèles, la pratique de la « référence » et la tendance de l’auteur à composer par lambeaux15 nous conduisent aisément au concept d’intertexte. Mosaïque ou texture si on se fie à Marcellus,16 l’écriture du jeune noble n’est jamais, pour autant, une simple toile d’araignée. Nourri d’innombrables lectures, il emprunte, coupe, colle, retranche et réadapte des morceaux préexistants d’une étonnante variété. Citations, allusions, résumés, commentaires se succèdent en effet dans des pages où la griffe du lecteur est patente. Du reste, « l’écrivain original – dira-t-il – n’est pas celui qui n’imite personne, mais celui que personne ne peut imiter ».17 Ce qui change, par rapport à une étude rhétorique vouée aux sources, réside plutôt dans la perspective ; le focus est centré sur le point d’arrivée : « seuls importent l’aval et les transformations qu’il fait subir à l’amont ».18 Bref, ce qui fait d’un collage polymorphe le travail d’un génie ce n’est plus simplement le domaine exclusif du modèle, celui-ci devenant symbolique à travers sa reprise. On observe « ce que le texte fait des autres textes, comment il les transforme, les assimile ou les disperse »,19 dans une démarche au statut « opératoire ». Ainsi, pris au sein d’un travail sur la lettre – sujet d’une réécriture éloquente – l’écrivain codifie ses messages.

Qu’il y ait chez Chateaubriand une stratégie en la matière, c’est ce qu’on arrive bientôt à penser,20 surtout si l’on étend notre analyse à l’espace fictionnel, là où l’épopée multiplie les transferts sémantico-idéologiques : exilé en Angleterre sous la Révolution, traversant la Terreur et héritant des débris,21 il devait bien connaître l’exigence de refaire le réel, de penser une renaissance, de lier son destin malheureux au destin de son peuple et, par là, d’envisager l’être humain au lendemain de ses transformations. L’intertexte d’une « œuvre monde »22 devait alors lui paraître un domaine favorable, car il tente plusieurs fois la voie épique. D’abord, par un traité à vocation religieuse, le Génie du christianisme, puis par deux exemples d’épopée, Les Natchez et Les Martyrs.

Il n’est pas difficile, si on parcourt sa copieuse production, de comprendre dans quel groupe de poèmes ou chez quels devanciers il aurait dû chercher une connivence textuelle. Les témoins s’y répètent d’un bout à l’autre. Si un passage des Mémoires peut servir à illustrer le sentiment d’interaction de ses œuvres – « cette société d’illustres égaux se révélant les uns aux autres par des signes, se saluant et s’entretenant ensemble »23 – ce n’est qu’à partir de l’édifice catholique, mieux, à partir de l’exil – période de fructueuses intuitions24 – qu’il construit son corpus : « Mes études corrélatives au Génie du Christianisme m’avaient de proche en proche […] conduit à un examen approfondi de la littérature anglaise ».25 De ce grand réservoir, deux seront les élus :

Lorsqu’en 1793 la révolution me jeta en Angleterre, j’étais grand partisan du Barde écossais : j’aurais, la lance au poing, soutenu son existence envers et contre tous, comme celle du vieil Homère. […] Dans l’ardeur de mon admiration et de mon zèle, […] je traduisis quelques productions ossianiques de John Smith.26

Lorsqu’au commencement de ma vie, l’Angleterre m’offrit un refuge, je traduisis quelques vers de Milton pour subvenir aux besoins de l’exil.27

Au-delà des soucis alimentaires, le moyen traductif28 conduit Chateaubriand à nourrir son génie de la sève des poètes, à glisser des messages sous la lettre et à observer l’épopée par « le petit bout de la lorgnette ». Les fragments ossianiques incarnant l’invention toute récente du primitivisme, les Modernes avaient cru surpasser Aristote par l’essor d’un génie original.29 Les disputes sur l’authenticité des poèmes, retrouvailles du chercheur Macpherson,30 intéressaient moins l’Enchanteur que la puissance suggestive des images. Retourner aux origines, vues d’un œil nostalgique, pouvait bien satisfaire le désir national d’une palingénésie. L’élément élégiaque, certains types de passions malheureuses, formaient enfin la matière du pauvre « chantre » émigré, précurseur de la mélancolie.31 Une étude sur l’Ossian de John Smith développe davantage ces enjeux, car elle passe par la « trans-position ». Pour sa grande variété d’engrenages, pour ses choix et ses écarts, le fait même de traduire est parlant : il s’engendre d’une poétique de la répétition et d’une technique de la transformation.32 En suivant un triple axe conceptuel (« Histoire collective », « histoire personnelle », « Poétique et Religion »), Chateaubriand absorbe le « texte source » sans jamais renoncer à remanier et réorienter son message. Entre coupures et rajouts, il érige son propre sens grâce à un nombre de mots-clé : « patrie », « infortunes », « champs du carnage », « rivage inconnu ».

Le rapport de l’auteur avec l’autre « génie-mère », Milton, n’est pas très éloigné. L’aventure de Paradise Lost s’insérait de bon droit dans une vision du monde négative. Qui plus est, le Péché originel aussi bien que la Chute suscitaient dans la France post-révolutionnaire les plus sombres réflexions. Cultivé avec Fontanes au bord de la Tamise,33 ce poème de l’homme malheureux conduisait Chateaubriand à traduire des fragments qu’il aurait intercalés dans le Génie du christianisme.34 C’est le ton de l’apologétique que l’on peut apercevoir derrière tous les morceaux prélevés, traduits, remaniés : « Dans le Génie du Christianisme (1802) – affirme Agnès Verlet –, Milton est présenté comme le premier poète épique chrétien, celui qui a su trouver dans la Bible l’inspiration que les poètes trouvaient chez Homère ou Virgile, et Chateaubriand, pour étayer la thèse politique et religieuse du Génie »35 l’avait traduit et imité. Milton, du reste, avait mis son histoire dans ses ouvrages et avait greffé à la forme épique « une parole nouvelle de politique et de poésie ».36 « Position traductive » et « horizon de traduction » marquent enfin la « subjectivité du traducteur » en lui imprimant une « épaisseur signifiante propre ».37 Les accents sont presque tous concentrés sur Satan et ses pairs, dont les retranchements par rapport à la source soulignent notamment la révolte et la haine. Plus sublime chez Milton, le Rebelle se teint là des couleurs de la Révolution qui, à leur tour, vivifient les conseils et assombrissent les paysages. Par ce même transcodage, les discours du jeune Couple sont repris dans un ton d’obéissance et de chaste soumission. Le poète devait rendre, en passant par le maître, une Histoire bien connue ; la modulation de ses vers ne faisait que pousser dans ce sens :

Qu’on nous permette de penser qu’il y a quelque chose de plus intéressant, de plus grave, de plus semblable à la condition humaine, dans un poème qui aboutit à l’infortune, que dans celui qui se termine au bonheur.38

Chateaubriand reviendra sur l’épopée miltonienne pour la traduire en entier en 1836.39 

La théorie de l’épopée dans le « Génie du christianisme »

Le Génie du christianisme met en scène de nombreux changements. Œuvre de circonstance pour beaucoup,40 issue d’une conversion peu sincère,41 le traité a néanmoins une importance capitale. L’avènement du christianisme, placé à l’origine du monde moderne, avait causé, d’après l’apologiste, « le changement total de l’humanité », « la transformation des peuples ». L’innovation était dans la morale, « un principe nouveau de société, un autre droit des gens, un autre ordre d’idées ».42 Un ouvrage pour mesurer les effets esthétiques, politiques et historiques du virage était donc bien souhaité car, du reste, une rhétorique de l’humain s’imposait presque partout.

Dans ce genre d’analyse, l’épopée devait être à l’honneur. C’est ce qu’atteste la « Poétique » du Génie :43 dans le choix du corpus l’ancien nœud est tranché. Et cela, nous semble-t-il, par un dépassement. Sans nier aux Anciens la beauté de leurs vers, Chateaubriand rattachait aux Modernes, nourris de la Bible, la fabrique d’une nouvelle épistémè : « la pensée chrétienne, en suscitant des sentiments et des caractères que le paganisme ne pouvait connaître, a créé l’homme moderne. Les passions ont pris des formes nouvelles par le sentiment du péché, par l’appel et la nostalgie de l’au-delà, par une insatisfaction qui nous torture sans remède ».44 « Sujets », « caractères » (« passions »), « descriptions » devaient être, par la suite, ses critères de lecture. De là un va-et-vient continu de reprises, de remaniements, de morceaux retranchés et recousus, une mosaïque de modèles soit cités soit repris en traduction. Le Tasse témoignait, par les gestes des Croisés, du « beau idéal moral » des Chrétiens ; Dante et Milton d’un certain « sublime noir », détectable surtout dans les lieux et les esprits des ténèbres ; Klopstock d’une passion inédite45 et Gessner d’un accent élégiaque propre aux temps patriarcaux.46 Un chapitre sur La Henriade47 clôt enfin le livre I où le sage philosophe est tantôt combattu tantôt réévalué ou replié à l’exigence.48 C’est par lui que l’auteur reformule son idée d’épopée en réagissant « à coup de sources » : « Les montagnes de la Navarre n’avaient-elles point encore quelque Druide, qui, sous le chêne, au bord du torrent, au murmure de la tempête, chantait les souvenirs des Gaules, et pleurait sur la tombe des héros ? Je m’assure – conclut Chateaubriand – qu’il y avait quelque chevalier du règne de François Ier qui regrettait […] ces temps où la France s’en allait en guerre contre les mécréants et les Infidèles ».49 Au sujet trop historique de Voltaire (le cadre de La Ligue), l’écrivain vient opposer l’épopée chevaleresque à côté de la mode ossianique (« une Épopée doit renfermer l’univers »,50 précise-t-il). L’enjeu des paysages convoque davantage l’ancien Barde : au Chrétien Macpherson51 revenait, en fin de compte, cette idée des « plaisirs de la douleur »,52 avatar de la « mélancolie ».53 Bernardin de Saint-Pierre en prendra la relève en mêlant au sublime noir de Milton, le sublime d’un passé révolu : « Il est certain que le charme de Paul et Virginie54 consiste en une certaine morale mélancolique qui brille dans l’ouvrage, et qu’on pourrait comparer à cet éclat uniforme que la lune répand sur une solitude parée de fleurs ».55

Enrichie d’ornements inédits, n’ayant pas pu survivre sous l’aspect des topoï, Calliope s’est donc christianisée, sinon romanisée. Le merveilleux est devenu « passionné », comme les hommes qui en occupent la portion principale. Les vertus et les vices ont été présentés, à côté d’un nouveau sentiment : le « vague des passions ».56 Doué d’une richesse intérieure, cet Adam au lendemain de la Chute reproduit ses contrastes et transfère ses mystères dans les lieux qu’il habite. C’est l’essor du domaine descriptif où un sublime pathétique s’impose par la soif d’infini (le désert), ou par l’impasse de la finitude. L’intertexte, en tissant des modèles – discutés au besoin – ne fait que projeter l’épopée vers une refondation : un dialogue entre faits et fiction, « Moi historique » et « Moi intime », capable d’accorder un moule ancien à ses nouveaux contextes d’écriture.

« Les Natchez » et « Les Martyrs ». Le renouveau possible ou les voies de l’intertexte

Chateaubriand ne s’arrête pourtant pas au seul niveau prescriptif. L’épopée reviendra plusieurs fois sous sa plume, au tournant des deux siècles, pour marier théoricien et poète. Si l’auteur du Génie croira joindre aux préceptes les deux contes Atala et René,57 ce n’est qu’à travers Les Natchez – fresque indienne où ils sont nés – qu’il se fait chantre épique. Roman, puis « épopée de l’homme de la nature », ils ont certes dû subir une série de contrecoups religieux après l’ancienne obéissance aux Lumières. Mi-épopée mi-roman noir, ils apparaissent aujourd’hui comme une œuvre stratifiée et polymorphe58 dont l’auteur offre les clés de lecture : on obtient un style épique « par la nature du sujet, par celle des caractères et par la description des lieux ».59 Suivant l’intertexte à partir de ces trois paramètres, niveau idéologique, historique et esthétique s’entrecroisent dans un jeu de surimpressions. Épopée d’une race morte, Les Natchez puisent souvent leur matière aux Incas de Marmontel.60 Roman noir sur la Révolution, ses esprits des ténèbres se réunissent en conseil rappelant le Satan de Milton et, par lui, le souvenir d’autres « joutes oratoires ».61 Les paysages sont tantôt traversés – comme chez Dante – par les ombres du Péché, tantôt composés d’éléments ossianiques qui rappellent les combats des passions et un bonheur disparu. C’est ainsi que pratique descriptive et lecture symbolique trouvent enfin leur terrain idéal. Un dialogue entre Chactas et son hôte Fénelon (on est en France au siècle de Louis XIV)62 contribue par ailleurs à résoudre la question : état de nature ou état de société ? Les renvois à l’archevêque de Cambrai, en prônant les principes du Génie,63 replacent le récit dans l’espace novateur dont participe le Télémaque.

Projet épique avorté si l’on pense aux Anciens, Les Natchez font revivre l’épopée dans la seule voie possible, en accord avec la complexité du réel. Les Martyrs (1809), plus liés d’un côté aux exigences rhétoriques,64 ne s’éloignent pourtant pas de cette ligne. Ils héritent par exemple une forme mixte : d’abord roman personnel,65 ensuite longue épopée. « Le corps du texte dépeint un monde en formation où la religion chrétienne est présentée […] comme apte a consoler, à métamorphoser les doutes et les angoisses ».66 Or la scène s’ouvre à l’âge de la persécution de Dioclétien, à la fin du IIIe siècle. Dans ce contexte où cohabitent le « poète de Sorrente » (le Tasse) et « l’aveugle d’Albion » (Milton), la référence épique moderne est fondamentale.67 Elle construit les actants de l’intrigue en joignant la tradition homérique (incarnée par Cymodocée) à la veine nordique (la gauloise Velléda), en renouvelant un merveilleux plus humain jusqu’à faire de Satan un Chef jacobin,68 et en donnant aux tableaux naturels les accents d’une tristesse palpitante.

Conclusion

Si « l’épopée a le pouvoir de fabriquer un passé comme leçon sur le présent », « tout autant qu’elle contribue à la constitution d’une mémoire historique et à la réflexion sur l’Histoire, elle vaut comme œuvre d’actualité ».69 Dans une époque de transition telle que la vit Chateaubriand, cette constante ligne de force est doublée. Le travail sur la lettre, la pratique de l’intertextualité, en évoquant les témoins de la modernité, infléchissent le poème vers des formes inédites, romanesques d’un côté, politiques, subjectives, voire individuelles de l’autre.

La nature de l’emprunt, le fait même d’emprunter, la façon d’assembler des morceaux hypertextuels, fondent enfin les principes d’un procès indispensable d’exégèse. « Il est possible [chez Chateaubriand] d’examiner la puissance des modèles que le texte actualise à l’aune de leur sphère d’influence. Cependant, il paraît délicat de dissocier ainsi les différents plans du texte : le lexique, les images, les cadres rhétoriques, séquentiels, génériques ou esthétiques nous disent toujours une même chose. L’œuvre dispense sans cesse une série de signaux, qui doivent être reconnus ».70


Note

↑ 1 Expression empruntée à S. Himmelsbach, L’épopée ou la « case vide ». La réflexion poétologique sur l’épopée nationale en France, Niemeyer, Tübingen, 1988.

↑ 2 On devait bien se souvenir, au XVIIIe et au XIXe siècle, de l’épisode lié à Monsieur Voltaire et à Nicolas de Malézieu à propos de La Henriade ; le deuxième, questionné sur le sort de ce long poème, prononçait pour les lettres françaises une condamnation on ne peut plus durable : « Vous entreprenez un ouvrage qui n’est point fait pour notre nation : les Français n’ont pas la tête épique ». Et Voltaire de rappeler ce mot fameux dans son Essai sur la poésie épique (1733).

↑ 3 J.-M. Roulin analyse ce phénomène et recense un grand nombre de tentatives épiques de Voltaire à Chateaubriand. Cf. L’Épopée de Voltaire à Chateaubriand : poésie, histoire et politique, Voltaire Foundation, Oxford, 2005.

↑ 4 Sur ces questions propres au genre, voir D. Madelénat, L’Épopée, PUF, Paris, 1986 et les études de G. Mathieu-Castellani, « Pour une poétique de l’épique : représentation et commémoration » , Revue de Littérature Comparée, LXX (1996), p. 389-404 ; « Le monde, comme en un miroir », in G. Mathieu-Castellani (éd.), Plaisir de l’épopée, PUV, Saint-Denis, 2000, p. 5-19.

↑ 5 « Le poète doit être artisan de fables ». Aristote, Poétique, trad. de J. Hardy, Gallimard, Paris, 1996, p. 95 (1451b).

↑ 6 « En effet, l’historien et le poète ne diffèrent pas par le fait qu’ils font leurs récits l’un en vers l’autre en prose […], ils se distinguent au contraire en ce que l’un raconte les événements qui sont arrivés, l’autre des événements qui pourraient arriver. Aussi la poésie est-elle plus philosophique et d’un caractère plus élevé que l’histoire ». Ibid., p. 93-94 (1451b).

↑ 7 Réflexion empruntée à J. Molino, « Les genres littéraires », Poétique, 93 (1993), p. 4.

↑ 8 Ibid., p. 8.

↑ 9 Voir aussi P. Larthomas, « La notion de genre littéraire en stylistique », Le Français moderne, 3 (1964), p. 185-193.

↑ 10 Pour l’historique et le détail des débats, on renvoie à l’examen de M. Fumaroli, « Les abeilles et les araignées », paru dans La Querelle des Anciens et des Modernes, Gallimard, Paris, 2001, p. 7-220.

↑ 11 Il est sans doute utile de rappeler qu’une seconde querelle, née au sein de la première, se produisit en France entre 1711 et 1717. Aussi connue comme « Querelle d’Homère », elle fut lancée par l’helléniste Mme Dacier à cause du ton conservateur de ses deux traductions de l’Iliade (1711) et de l’Odyssée (1716). Cf. l’essai cité de M. Fumaroli, p. 206-212.

↑ 12 Le problème des agents surnaturels ainsi que les solutions proposées sont illustrés par Ph. Roger, « “Le dernier effort de l’esprit humain ?” Réflexions sur l’épopée au siècle des Lumières », in P. Frantz (éd.), L’Épique : fins et confins, PUFC, Besançon, 2000, p. 157-173.

↑ 13 C’est au passage des Lumières au premier romantisme qu’Annie Becq rattache la naissance de l’esthétique moderne. Cf. A. Becq, Genèse de l’esthétique française moderne : de la raison classique à l’imagination créatrice, 1680-1814, Albin Michel, Paris, 1994.

↑ 14 Jauss rattache la notion à un contexte pragmatique précis : « ce sens ne se réduit pas à celui d’un simple topos littéraire intemporel. Il se déploie bien plutôt à travers les changements d’horizon de l’expérience esthétique, et nous pouvons le découvrir dans sa fonction de délimitation historique ». H. R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, Gallimard, Paris, 1990, p. 177.

↑ 15 « Sans bibliothèque, l’écrivain serait condamné au silence, et le « don du ciel », le talent, puise à la parole des morts ». Ph. Antoine, « Sur le style de Chateaubriand :  “don du ciel” ou “don des morts ” », Chateaubriand, numéro d’Atala, 1 (1998), p. 40. 

↑ 16 Le Comte de Marcellus, un des premiers biographes de Chateaubriand, rapporte plusieurs témoignages de la bouche de l’auteur sur ses lectures et ses procédés de composition. Voir, de ce dernier, Chateaubriand et son temps, Michel Lévy, Paris, 1859.

↑ 17 Génie du christianisme, II, l. I, ch. 3, p. 637. Mon édition de référence est : Essai sur les révolutions - Génie du christianisme, texte établi, présenté et annoté par M. Regard, Gallimard, Paris, 1978.

↑ 18 S. Rabau, “Introduction”, in S. Rabau (éd.), L’intertextualité, Flammarion, Paris, 2002, p. 16. La notion d’intertextualité apparut d’abord sous la plume de J. Kristeva (Σημειοτική. Recherches pour une sémanalyse, 1967), puis sous celle de R. Barthes (« Texte (théorie du) », Encyclopaedia Universalis, 1973). En 1982, G. Genette se livrera à une classification des pratiques qu’il appelle désormais « transtextuelles » (Palimpsestes. La littérature au second degré).

↑ 19 Ibidem.

↑ 20 De nombreux travaux l’ont confirmé dans les quinze dernières années. Deux ressortent du volume collectif présenté par J.-C. Berchet, Le Voyage en Orient de Chateaubriand, Éditions Manucius, Houilles 2006 : M. Piva, “Texte et intertexte : les citations de Chateaubriand” (p. 153-173) ; J.-M. Roulin, “La référence épique” (p. 211-225). D’autres constituent les actes du colloque Relectures de Chateaubriand (Université Rennes II, 18-20 juin 1998) ; ils sont rassemblés par C. Montalbetti sous le titre significatif de Chateaubriand. La fabrique du texte, PUR, Rennes, 1999.

↑ 21 Sur cette phase capitale de la vie de l’auteur, on pourrait consulter P. Christophorov, Sur les pas de Chateaubriand en exil, Les Éditions de Minuit, Paris, 1960 et G. D. Painter, Chateaubriand, une biographie (1768-93 : Les Orages désirés), trad. de S. Nétillard, Gallimard, Paris, 1979.

↑ 22 Ainsi dans l’essai de F. Moretti sur le développement de l’épopée: Opere mondo : saggio sulla forma epica dal Faust a Cent’anni di solitudine, Einaudi, Turin, 1994.

↑ 23 Chateaubriand vient de parler de John Milton, de Camoëns et du Tasse. Cf. Mémoires d’outre-tombe, I, l. XII, ch. 1, p. 712 (“Incidences”). Et plus bas : « On renie souvent ces maîtres suprêmes ; on se révolte contre eux ; on compte leurs défauts ; on les accuse d’ennui, de longueur, de bizarrerie, de mauvais goût, en les volant et en se parant de leurs dépouilles ; mais on se débat en vain sous leur joug. Tout se tient de leurs couleurs ; partout s’impriment leurs traces », p. 714. Je cite de l’édition en 4 tomes de J.-C. Berchet, Garnier, Paris, 1989.

↑ 24 Le bilan de P. Nerozzi résume les enjeux esthétiques aussi bien que ceux psychologiques agissant sur la vie du futur écrivain. Voir “Sept ans de séjour en Angleterre (1793-1800)”, in B. Didier, E. Tabet (éd.), Chateaubriand avant le Génie du christianisme, Actes du Colloque ENS Ulm, Champion, Paris, 2006, p. 11-27.

↑ 25 Mémoires d’outre-tombe, I, l. XII, ch. 1, p. 709.

↑ 26 “Préface” de “Dargo, Duthona, Gaul, poèmes traduits du gallique en anglais par John Smith”, in Mélanges et poésies, Œuvres complètes de M. le Vicomte de Chateaubriand, Ladvocat, Paris, 1828, t. XXII, p. II-III. John Smith avait donné ces textes sous le titre de Galic Antiquities : consisting of a History of the Druids particularly of those of Caledonia ; a Dissertation on the Authenticity of the Poems of Ossian ; and a collection of Ancient Poems, Translated from the Galic of Ulin, Ossian, Onan, etc., T. Cadell, Londres / C. Elliot, Edimbourgh, 1780.

↑ 27 F.-R. de Chateaubriand, Essai sur la littérature anglaise, chapitre sur “Milton”, cité de l’édition Mouchard de Le paradis perdu, traduit et présenté par Chateaubriand, Belin, Paris, 1990, p. 97.

↑ 28 Voir M.-É. Bougeard-Vetö, “Les premières traductions de Chateaubriand”, in B. Didier, E. Tabet (éd.), Chateaubriand avant le Génie du christianisme, cit., p. 133-154.

↑ 29 Sur la réévaluation de la poésie primitive et sa victoire sur les règles classiques on peut lire C. Lucken, “Ossian contre Aristote ou l’invention de l’épopée primitive”, in G. Mathieu-Castellani (éd.), Plaisir de l’épopée, cit., p. 229-255.

↑ 30 L’historique de ce phénomène est illustré par P. Van Tieghem : Ossian et l’ossianisme dans la littérature européenne au XVIIIe siècle, J. B. Wolters, La Haye, Groningue, 1920 et Ossian en France, F. Rieder & Cie Éditeurs, Paris, 1917, 2 vol. Le débat est aiguisé, en 1760, par la parution des Fragments of Ancient Poetry, Collected in the Highlands of Scotland and Translated from the Galic or Erse Language. La traduction de Melchiorre Cesarotti en Italie (1772) et celle de Le Tourneur en France (1776-1777) témoignent du succès de cette mode.

↑ 31 Lamartine a pu dire de Chateaubriand : « Il était l’Ossian français : il en avait dans l’imagination le vague, les couleurs, l’immensité, les cris, les plaintes, l’infini » (des Nouvelles Confidences, cité par P. Van Tieghem, Ossian en France, cit., t. II, p. 183). Dans une « Lettre à Fontanes » (décembre 1800), Chateaubriand l’apparente à Homère en le décrivant comme « la grande fontaine du Nord, où tous les bardes se sont enivrés de mélancolie ». Cf. Correspondance générale, Gallimard, Paris, 1977, t. I (1789-1807), p. 115.

↑ 32 Aspects chers à J.-R. Ladmiral dans son Traduire : théorèmes pour la traduction, Gallimard, Paris, 1994.

↑ 33 « Nous dînions souvent dans quelque taverne solitaire à Chelsea, sur la Tamise, en parlant de Milton et de Shakespeare : ils avaient vu ce que nous voyions ; ils s’étaient assis, comme nous, au bord de ce fleuve, pour nous fleuve étranger, pour eux fleuve de la patrie ». Mémoires d’outre-tombe, I, l. XI, ch. 3, p. 694.

↑ 34 Précisément dans la “Poétique du christianisme” (IIe partie), constituée de cinq livres et occupant plus de 150 pages du traité.

↑ 35 A. Verlet, « Chateaubriand et Milton : traduction ou remémoration ? », Bulletin de la Société Chateaubriand, 43 (2001), p. 62.

↑ 36 Essai sur la littérature anglaise, “Milton”, in J. Milton, Le paradis perdu, cit., p. 57.

↑ 37 Principes empruntés à A. Berman, Pour une critique des traductions : John Donne, Gallimard, Paris 1995, p. 75.

↑ 38 Génie du christianisme, II, l. I, ch. 3, p. 632.

↑ 39 « Je viens me rasseoir à la table de mon hôte : [Milton] m’aura nourri jeune et vieux ». Essai sur la littérature anglaise, “Milton”, in J. Milton, Le paradis perdu, cit., p. 97. Sur ce travail de « nutrition », je renvoie à M.-É. Bougeard-Vetö, Chateaubriand traducteur. De l’exil au Paradis perdu, Champion, Paris, 2005.

↑ 40 Les circonstances dans lesquelles où elle fut conçue (en plein Concordat) et les phases de sa genèse sont étudiées par Y. Le Febvre, Le ‘Génie du Christianisme’, Edgar Malfère, Paris, 1929 ; P. Christophorov, « La genèse du Génie du Christianisme », CAIEF, 3-5 (1953), p. 191-208 et M. Regard (cf. la “Notice” annexée à son édition, p. 1580-1614).

↑ 41 Dans la Préface à la première édition, Chateaubriand signalait deux décès à l’origine de sa nouvelle foi chrétienne, ceux de sa mère (1798) et de sa sœur Julie (1799). Son aveu semble néanmoins peu croyable, car très peu exhaustif. Voici le passage en question : « Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d’interprète à la mort m’ont frappé. Je suis devenu chrétien. Je n’ai point cédé, j’en conviens, à de grandes lumières surnaturelles, ma conviction est sortie du cœur : j’ai pleuré, et j’ai cru » (p. 1282 dans mon édition de référence).

↑ 42 Mémoires d’outre-tombe, IV, l. XXXIV, ch. 7, p. 53.

↑ 43 Au centre de l’article de P. Christophorov, « La “poétique du Christianisme” de Chateaubriand », CAIEF, 21 (1969), p. 235-246.

↑ 44 M. Regard, “Notice”, in Essai sur les révolutions - Génie du christianisme, cit., p. 1605.

↑ 45 Chateaubriand se réfère précisément au caractère d’Abbadona, l’ange repentant de La Messiade (1748-1773).

↑ 46 La Mort d’Abel (1758) nous retrace la vie de nos premiers Pères après la chute du paradis.

↑ 47 Épopée de Voltaire (1728-1730) qui met en scène l’histoire de la Ligue (La Ligue en effet était son titre primitif - 1723) dans un cadre national qui s’étend de 1588 (réunion d’Henri III de Valois et d’Henri de Navarre, le futur Henri IV) jusqu’à 1594, entrée du Bourbon à Paris. Le chapitre du Génie en question est le cinquième du livre I (IIe partie).

↑ 48 Voir T. Logé, « Voltaire et la ‘Poétique du Christianisme’ de Chateaubriand », Studi francesi, 63 (1977), p. 435-454 et P. Christophorov, « Un chapitre de la Poétique du christianisme : La Henriade », Poetica (1967), p. 534-555.

↑ 49 Génie du christianisme, II, l. I, ch. 5, p. 643.

↑ 50 Ibidem.

↑ 51 Dans la “Lettre au C. Fontanes, sur la seconde édition de l’ouvrage de Mme de Staël”, Chateaubriand s’efforçait de montrer comment, l’Ossian étant sorti d’un Chrétien (la question sur l’authenticité était résolue), les nouveautés esthétiques de ses poèmes devaient être également rattachées au christianisme.

↑ 52 On peut lire, à propos de la conception nostalgique du “Purgatoire” : « Homère et Ossian ont chanté les plaisirs de la douleur : κρυεροιο τεταρπώμεσθα γόοιο, the joy of grief. » Génie du christianisme, II, l. IV, ch. 15, p. 756. Chateaubriand pense ici à Carric-thura :« La joie de la douleur est agréable ! elle est comme l’averse au printemps, lorsqu’elle amollit la branche du chêne et que la jeune feuille dresse sa tête verte ». Mais aussi à Croma : « Il y a de la joie dans la douleur quand la paix s’installe dans le cœur de ceux qui sont tristes. Mais la douleur consume […] ceux qui sont mornes et leurs jours sont peu nombreux. Ils s’évanouissent comme la fleur que le soleil domine de sa hauteur couverte de moisissure, la tête chargée des gouttes de la nuit ».

↑ 53 Voir sur ce point J.-M. Roulin, « “L’Âge de la mélancolie”, un débat littéraire au seuil de la modernité », Bulletin de la Société Chateaubriand, 43 (2001), p. 14-23.

↑ 54 Paul et Virginie (1788), pastorale exotique de Bernardin de Saint-Pierre, insérée dans la fresque préromantique des Études de la Nature.

↑ 55 Génie du christianisme, II, l. III, ch. 7, p. 705.

↑ 56 Ibid., II, l. III, ch. 9.

↑ 57 Atala, faisant d’abord partie d’un manuscrit américain, fut publiée seule en 1801 et annexée au Génie du christianisme dès 1802 pour illustrer les “Harmonies de la religion, avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain”. René, retranché du même amas exotique, fit toutefois sa première parution dans l’apologétique, dont il formait le quatrième livre de la seconde partie (à la suite du chapitre “Du vague des passions”). La genèse des récits est illustrée par F. Bercegol et C. Smethurst dans leurs éditions, publiées dans les Œuvres complètes, Champion, Paris, 2008, t. XVI, p. 11-51 (pour Atala) ; p. 377-389 (pour René).

↑ 58 La première ébauche de ce projet remonte à 1789-1790. Enrichi des impressions d’un voyage chez les Indiens (1791), le manuscrit sera perdu, reconstruit pendant l’exil et plié à la forme épique sous le conseil de Fontanes. Abandonné et saccagé par la suite, il ne sera publié qu’en 1826 dans l’édition Ladvocat des Œuvres complètes. Sur l’histoire du manuscrit et la genèse des Natchez, on peut consulter l’“Introduction” de J.-C. Berchet à son édition de Atala, René, Les Natchez, Le Livre de Poche, Paris, 1989.

↑ 59 F.-R. de Chateaubriand, “Préface” des Natchez, in Œuvres romanesques et voyages, texte établi, présenté et annoté par M. Regard, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1969, t. I, p. 164. Je cite d’après cette édition.

↑ 60 Les Incas, ou la Destruction de l’empire du Pérou (1777), épopée civique d’un philosophe illuminé.

↑ 61 Celles de la Convention. En 1789, Chateaubriand est à Paris, fréquente quelques séances des assemblées révolutionnaires et connaît Mirabeau. Dans les Mémoires d’outre-tombe, il nous décrit une séance de l’Assemblée nationale où l’influence infernale de Paradise Lost est patente (I, l. V, ch. 12-13). Sur cet aspect des Natchez je renvoie à A. Principato, « L’Essai historique et l’épopée des Sauvages en vis-à-vis », Bulletin de la Société Chateaubriand, 46 (2004), p. 33-45 et à J.-M. Roulin, « Assemblées et discours dans Les Natchez et Les Martyrs :fictions de la Révolution », Dix-huitième siècle, 40 (2008), p. 665-682.

↑ 62 Le périple du Sachem à Paris est longuement relaté dans Les Natchez (du livre V au livre VIII) et constitue un exemple de “récit enchâssé”. Cf. J. Pommier, “Chateaubriand en Amérique et le cycle de Chactas”, in J. Pommier (éd.), Dialogues avec le passé, Nizet, Paris 1967, p. 57-78 (version plus tardive de « Le cycle de Chactas », Revue de Littérature Comparée, XVIII (1938), p. 604-629).

↑ 63 « Comment vous expliquerai-je ensuite, ce sixième sens où les cinq autres viennent se confondre, le sens des beaux-arts ? Les arts nous rapprochent de la Divinité… » ; « Si les vertus sont des émanations du Tout-Puissant ; si elles sont nécessairement plus nombreuses dans l’ordre social que dans l’ordre naturel, l’état de société qui nous rapproche davantage de la Divinité, est donc un état supérieur à celui de nature ». Les Natchez, l. VII, p. 272-273. Ces mots sont prononcés par Fénelon lui-même et résument la thèse édifiante des Aventures de Télémaque (1699), où la vertu est à la fois un concept philosophique, pédagogique et théologique : « Pour vous, ô mon cher Télémaque, je [Narbal] prie les dieux, qui vous conduisent comme par la main, de vous accorder le plus précieux de tous leurs dons, qui est la vertu pure et sans tache… » (Livre III). Chateaubriand met à contribution sa source pour reformuler la doctrine du « beau idéal moral » ébauchée dans le Génie (II, l. II, ch. 11-12, p. 679-685).

↑ 64 Car ils sont rédigés, en tant que preuve justificative d’un système, dans le but d’appuyer par l’exemple la théorie du Génie.

↑ 65 Les Martyrs de Dioclétien. La comtesse d’Andlau a pu refaire l’historique de sa composition à partir de l’exemplaire de Vintimille. B. d’Andlau, Chateaubriand et Les Martyrs. Naissance d’une épopée, José Corti, Paris, 1952.

↑ 66 S. Tribouillard, “L’épopée chrétienne comme la plus haute expression de la société ou Bonald critique “du poëme épique à l’occasion des Martyrs””, in S. Neiva (éd.), Déclin & confins de l’épopée au XIXe siècle, Gunter Narr, Tübingen 2008, p. 235.

↑ 67 Au point que Chateaubriand pensa ajouter un “Examen” et des “Remarques” pour signaler ses sources.

↑ 68 On peut lire sur la bouche du Démon une transposition de la Marseillaise : « Dissimulant les chagrins qui le dévorent, Satan parle ainsi à l’assemblée : “Dieux des nations, Trônes, Ardeurs, guerriers généreux, milices invincibles, race noble et indépendante, magnanimes enfants de cette forte patrie, le jour de gloire est arrivé : nous allons recueillir le fruit de notre constance et de nos combats. Depuis que j’ai brisé le joug du tyran, j’ai tâché de me rendre digne du pouvoir que vous m’avez confié” ». Les Martyrs, l. VIII (dans mon édition de référence, Œuvres romanesques et voyages, texte établi, présenté et annoté par M. Regard, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1969, t. II, p. 238).

↑ 69 S. Tribouillard, “L’épopée chrétienne comme la plus haute expression de la société ou Bonald critique “du poëme épique à l’occasion des Martyrs””, in S. Neiva (éd.), Déclin & confins de l’épopée au XIXe siècle, cit., p. 234.

↑ 70 Ph. Antoine, « Sur le style de Chateaubriand : “ don du ciel ” ou “ don des morts” », cit., p. 43.

 

Dipartimento di Lingue e Culture Moderne - Università di Genova
Open Access Journal - ISSN 1824-7482