L’avènement du train, l’essor de la modernité : représentations et images du train dans les dictionnaires du XIXe et XXe siècle
Indice
1. Le texte lexicographique, miroir d’une époque
2. Le dictionnaire comme lieu de légitimation ou d’exclusion : le choix inévitable du lexicographe
3. Les termes techniques et la norme lexicographique
4. Étude des paratextes : les programmes des lexicographes au XIXème et XXème siècles
5. Analyse d’un terme emblématique de la modernité : l’avènement du « train »
Abstract
Francese | IngleseL’avènement du train représente sans doute l’une des innovations les plus marquantes du XIXème siècle, et elle devient en quelque sorte le symbole de la modernité qui s’introduit dans la vie quotidienne : comment les dictionnaires, considérés depuis toujours comme des miroirs de la société qui les produit, accueillent-ils cette nouveauté éclatante ? Comment les mots du train sont-ils enregistrés dans le texte lexicographique, lecture de référence de la société du temps ? Quel est leur traitement dans la macrostructure, ainsi que dans la microstructure, des dictionnaires du XIXème et XXème siècle ? Nous nous proposons de répondre à ces questions à travers l’analyse des mots concernant le micro-domaine ds chemins de fer dans les dictionnaires les plus importants du XIXème siècle et de la première moitié du XXème, et notamment à travers l’analyse d’un grand monument culturel, le Grand Dictionnaire Universel du XIXème siècle de Pierre Larousse.
1. Le texte lexicographique, miroir d’une époque
Dès les origines de la pratique lexicographique, que l’on peut dater en France de la moitié du XVIème siècle pour les premiers exemples de lexicographie en langue vulgaire et du début du XXVIIème (1606) pour les ouvrages lexicographiques monolingues, le texte du dictionnaire se présente au lecteur comme un discours qui s’articule sur un double niveau, en même temps un discours sur la langue et – bien plus qu’on ne pourrait l’imaginer – un discours sur le monde1. Le dictionnaire est un témoin de la réalité sociale, historique, culturelle, de son contexte de production, dont il reflète l’esprit, l’atmosphère. En tant que produit culturel par excellence, le dictionnaire véhicule une image, une représentation de l’homme et de la société, des croyances et des idéologies qui l’ont produit, et il est donc inévitablement soumis à une « hypothèque culturelle » (DUBOIS et DUBOIS, 1977), qui se manifeste aussi bien dans la formulation de définitions et d’exemples, que dans la structure morpho-syntaxique des énoncés, dans les connotations liées aux entrées sélectionnées, dans la fonction capitale des marques d’usage (COLLINOT, MAZIÈRE, 2001).
Le texte lexicographique joue un rôle fondamental dans l’élaboration des représentations sur la langue (c’est le mythe du dictionnaire-oracle cité par Jean PRUVOST, 2000) : pour le locuteur moyen, tout mot qui ne figurerait pas dans le dictionnaire de langue serait automatiquement exclu du lexique de cette même langue(un mot qui n’est pas dans le dictionnaire n’est pas français, c’est l’utopie du lexique total toujours selon PRUVOST, 2000).
Dans la réalité de la pratique lexicographique, la nomenclature est nécessairement limitée et réduite (Dubois et Dubois affirmaient en 1971 qu’un dictionnaire affichant dans son programme l’enregistrement de tous les mots de la langue française relèverait de l’ « imposture publicitaire ») ; l’avènement de l’Internet a, certes, décloisonné les possibilités d’enregistrement lexicographique, mais la description de la totalité du lexique reste toujours une utopie. La sélection des entrées qui formeront la nomenclature est donc le fruit d’un choix du lexicographe, un choix qui n’est jamais innocent, car il est toujours guidé par ses représentations, son idéologie linguistique et culturelle :
“La plupart des dictionnaires français ont un caractère normatif : leur but véritable n’est pas de présenter un tableau fidèle et authentique du français à une certaine époque, mais de constituer un recueil de mots acceptés, “fixés”, l’omission étant, dans la pensée de beaucoup de lexicographes, une condamnation implicite”2
2. Le dictionnaire comme lieu de légitimation ou d’exclusion : le choix inévitable du lexicographe
Le dictionnaire est donc l’une des manifestations les plus évidentes de la norme d’une époque et d’une culture données ; le cas de la lexicographie française est dans ce contexte emblématique, l’histoire du genre lexicographique étant le reflet fidèle, dès les débuts, de l’entreprise d’imposition d’une norme linguistique (le processus de grammatisation selon Auroux, 1992) fortement centralisée.
Si les premiers ouvrages monolingues, tels le dictionnaire de Nicot (1606), ont le but principal de légitimer le statut des langues vulgaires, leur attribuant la même dignité que les langues classiques qui dominaient depuis des siècles l’expression de la culture et des savoirs, c’est à partir du XVIIème siècle que la centralisation progressive du pouvoir politique et le consolidement de la monarchie centrale au détriment des pouvoirs locaux exigent l’imposition d’une norme linguistique homogène. Cette norme trouvera dans l’organisme de l’Académie Française son bras armé (…dans un sens linguistique, bien sûr) : la première édition du Dictionnaire de l’Académie (1694) représente l’explicitation des principes de la norme linguistique du bon usage identifiés dans un texte lexicographique ; dans la Préface les auteurs, après six décennies de travaux préparatoires, se proposent de défendre la gloire du souverain (auquel le dictionnaire est dédié) par leur œuvre dictionnairique, comparée aux armées royales. Dans cette Préface, les auteurs expliquent ensuite de façon minutieuse les critères de sélection adoptés pour l’élaboration de la nomenclature, inspirés d’un purisme linguistique idéologiquement marqué, qui implique :
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l’exclusion des archaïsmes (en pleine rupture avec le siècle précédent et la tradition classique) ;
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l’exclusion des néologismes (souvent ostracisés et considérés comme des formes de corruption de la pureté de la langue) ;
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l’exclusion de termes « bas, vulgaires et qui blessent la pudeur », qui dérivent pourtant des domaines les plus divers, avec des excès de zèle parfois ridicules (on n’oubliera pas la polémique célèbre sur les termes poitrinede veau et tête de veau) ;
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l’exclusion des termes appartenant aux langages des arts et métiers (termes techniques et scientifiques), considérés comme excentriques par rapport au bon usage de la plus saine partie de la cour et des bons auteurs codifié par Vaugelas dans ses Remarques (1647).
Toutefois, le poids des termes scientifiques étant incontournable dans la communication – alors comme à l’heure actuelle – d’autres dictionnaires de l’époque présentent une vision plus complète du lexique. Parmi tous les ouvrages de la fin du XVIIème siècle, le dictionnaire de Furetière (1690) rivalise avec celui de l’Académie et l’emporte nettement pour ce qui est de la description et de la valorisation des vocabulaires techniques, à tel point que l’Académie sera obligée en 1698 à publier un Supplément à son dictionnaire, consacré aux termes techniques et dirigé par Thomas Corneille, le frère du bien plus célèbre auteur du Cid.
3. Les termes techniques et la norme lexicographique
Pour les termes techniques et scientifiques (qui resteront encore pendant longtemps relégués dans le secteur des arts et métiers) la publication du Dictionnaire de l’Académie marque le début d’une longue période d’exclusion – ou mieux, d’ostracisme – dans le domaine de la lexicographie monolingue française. Les dictionnaires de langue du XVIIème siècle respectent fidèlement (avec la remarquable exception de Furetière) la norme de l’usage de la Cour, cantonnant les termes spécialisés à l’usage populaire, fortement dévalorisé.
Les technicismes ne retrouveront leurs lettres de noblesse que lors de la publication de l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert, premier ouvrage terminologique au sens moderne, dont l’essor coïncide avec l’élaboration des vocabulaires techniques et scientifiques (ZANOLA, 2014) : les progrès rapides des sciences et des techniques pendant cette période exigent l’élaboration de taxonomies conceptuelles de plus en plus élaborées et partagées, qui puissent garantir la transmission des nouvelles théories, et par conséquent de vocabulaires spécialisés de plus en plus complets.
Le XVIIIème siècle marque alors un tournant dans la pratique lexicographique, un passage de l’ostracisme à l’admission et à la légitimation des termes techniques (opportunément signalés par des marques d’usage diatechniques) dans la nomenclature. Le dictionnaire se confirme ainsi comme un miroir fidèle de son époque, des grandes découvertes scientifiques et techniques, en un mot du progrès. Certains secteurs considérés comme plus prestigieux sont normalement privilégiés, comme c’est le cas des sciences dures en général et de la médecine en particulier ; les secteurs techniques resteront pendant longtemps encore les victimes d’un préjugé négatif, d’une « tare » de registre plus bas, qui les pénalisera lourdement.
C’est à partir du XIXème siècle que les technologies vont finalement obtenir leur droit de cité dans le texte lexicographique, en vertu de leur importance croissante et incontournable dans la communication quotidienne, importance grandissante au cours des siècles suivants (à ce propos, nous renvoyons entre autres à BOULANGER, 1996 et JOSSELIN-LERAY, 2010). C’est donc sur les dictionnaires de cette période que nous allons approfondir notre recherche.
4. Étude des paratextes : les programmes des lexicographes au XIXème et XXème siècles
Afin de mieux comprendre le rôle et la place accordés aux termes techniques dans les dictionnaires de langue générale qui nous intéressent tout spécialement dans le cadre de cette contribution (dans la période donc de 1835 à 1930, avec une expansion jusqu’aux années 20003), nous avons passé en revue les principaux ouvrages de cette période, avec une attention particulière pour les paratextes et les préfaces programmatiques, que nous reproduirons dans les paragraphes suivants.
4.1. Le Dictionnaire de l’Académie de 1835
En pleine Révolution Industrielle, les Académiciens ne peuvent que reconnaître, dans leur Préface, des lacunes dans la nomenclature de leur dictionnaire, notamment dans les domaines scientifiques et techniques. Toutefois, les auteurs justifient leur choix d’exclusion sur la base de la nature apparemment éphémère des vocabulaires techniques, constamment soumis aux aléas des innovations et des nouvelles découvertes :
« Sur ce dernier point, en effet, son vocabulaire usuel est pauvre et restreint. Sans doute, il eût été facile de le grossir beaucoup par les nomenclatures techniques et les classifications de chaque science, telles qu'elles existaient alors : on sait que cette idée même fut l'occasion du schisme et des critiques de Furetière, qui en profitant du travail de l'Académie, l'ensevelit dans un Dictionnaire universel des sciences et des arts. Un écrivain de nos jours, savant philologue et brillant coloriste, a parfaitement justifié l'Académie de n'avoir pas compris dans son recueil de la langue cette foule de termes techniques, dont Borel et Thomas Corneille firent alors des lexiques, maintenant oubliés. Ces nomenclatures, en effet, qui sont autant de langues particulières, changent de fond en comble, par le progrès même des sciences, et n'offriraient souvent aujourd'hui que la date inutile d'une erreur détruite, ou d'une ignorance qu'on n'a plus. La nomenclature médicale ou chimique du dix-septième siècle serait tout à fait dénuée pour nous de sens et d'usage, tandis que la langue littéraire de la même époque est un type immortel. »
L’impossibilité de fixer une fois pour toutes la terminologie scientifique, de par sa nature variable et passagère, devient dans cette édition la motivation d’un ostracisme qui perdure, dans le dictionnaire institutionnel par excellence, en dépit d’une réalité de la communication courante de plus en plus teintée de technicismes.
4.2. Le Dictionnaire National de Bescherelle (1845)
Bien différente de l’idéologie puriste de l’Académie s’avère la position de Bescherelle dans son Dictionnaire national de 1845 : dans ce cas, l’enthousiasme du lexicographe rappelle les accents de Furetière, et l’intégration des néologismes techniques dans le texte lexicographique apparaît comme une conquête du progrès et de l’intelligence humaine :
« Mépriser d'ailleurs le vocabulaire des arts et métiers, c'est mépriser la langue essentielle de la civilisation ; car ce n'est pas par les lettres ni par les sciences que la civilisation a commencé, mais bien certainement par les métiers. Et c'est quand le peuple lit, quand le peuple s'instruit, qu'on voudrait lui retirer dans le dictionnaire l'explication des mots les plus essentiels de son langage ! Tel dédain, de nos jours, serait un anachronisme aussi révoltant qu'insensé. Notre nomenclature et donc la plus abondante, la plus riche qui se soit encore rencontrée en aucune langue et dans aucun dictionnaire.
[…]
Aujourd'hui donc, la langue française est incomparablement plus complète que du temps de Louis XIV. Même comme langue usuelle, elle s'est considérablement développée. Comme langue scientifique, politique, etc., etc., quelle extension n'a-t-elle pas prise ! En vérité, nous ne concevons pas le dédain avec lequel de prétendus hommes de lettres, d'autant plus exclusifs qu'ils ont moins d'importance, traitent la nomenclature et les acceptions de la langue, sous le rapport des sciences, de la politique, de l'industrie, du commerce, en un mot, de l'omniprogrès social.
4.3. Le Dictionnaire de l’Académie de 1877
Dans ce cas, comme dans les éditions précédentes du Dictionnaire de l’Académie, l’ensemble de la terminologie technique et scientifique n’est pas considérée comme digne d’être enregistrée dans la nomenclature de la variété décrite dans le dictionnaire :
« Les mots qui appartiennent aux connaissances spéciales, quelles qu'elles soient, l'Académie les renvoie aux dictionnaires spéciaux. Son dictionnaire n'est ni un dictionnaire de science, d'art, et de métier ; ni un dictionnaire de géographie, d'histoire, de mythologie. Les mots que l'Académie puise à ces sources sont ceux qu'un usage plus fréquent a introduits dans le langage commun, et dont le nombre augmente naturellement à mesure que les connaissances elles-mêmes se propagent et entrent dans le patrimoine de tous.
[…]
En ce qui concerne les termes propres aux sciences et aux diverses branches des arts et métiers, la question était plus délicate, ou semblait l'être. Quels termes ont plus besoin d'être expliqués et définis que ceux-là ? Furetière, qui en avait fait la richesse particulière de son dictionnaire universel, reprochait vivement à l'Académie de ne leur avoir pas donné une entrée de droit dans le sien ; ils n'y figuraient effectivement, et ne figurent encore dans les éditions plus récentes, qu'après avoir reçu de l'usage commun leurs lettres de bourgeoisie. L'Académie de 1694 avait-elle eu tort de s'imposer cette limite ? Le temps s'est chargé de la justifier, car ce sont précisément ces termes de science, tombés promptement en désuétude avec la science même d'alors, qui ont entraîné dans leur chute le dictionnaire de Furetière, tandis que, grâce à la prudente réserve de l'Académie, son dictionnaire, avec bien peu de changements, a pu suivre les progrès incessants de la science, et rester ouvert aux termes nouveaux qu'une science, qui ne s'arrête jamais, enfante et popularise tous les jours. Critique à part, qui ne sait combien la langue des sciences a changé de fois depuis deux cents ans, et combien elle change et varie encore au gré presque de tous ceux qui la parlent ou qui l'écrivent ?
[…]
Naturellement la part des sciences et des inventions nouvelles a été grande dans les deux mille mots ajoutés. Les chemins de fer, la navigation à vapeur, le télégraphe électrique ont fait irruption dans notre bon vieux français, avec leurs dénomination d'une forme souvent bizarre ou étrangère ; force a été d'admettre : un télégramme, un steamer, un tunnel, des tramways : l'ombre de nos prédécesseurs a dû plus d'une fois en frémir. L'Académie a pris un soin tout particulier des mots de science, et s'est attachée à en donner des définitions aussi exactes que claires. Si elle y a réussi, comme elle a lieu de l'espérer, le mérite en reviendra à ceux de ses membres qu'elle a pris à son illustre soeur, l'Académie des sciences, laquelle sans doute voudra bien se reconnaître elle-même dans la rédaction de ces articles et n'y trouvera plus rien à redire. »
On remarquera la critique violente au dictionnaire de Furetière ; l’intégration des vocabulaires scientifiques et techniques est durement reprochée au lexicographe rival de la première édition du Dictionnaire de l’Académie, et l’on identifie dans cette intégration la cause principale de l’échec de l’entreprise de Furetière. La nature éphémère et transitoire des termes techniques est encore une fois citée, justifiant aux yeux des auteurs l’exclusion totale de ces expressions de la nomenclature, ou bien leur insertion partielle par une sélection sévère dans les cas d’extrême nécessité.
Toutefois, on voit bien dans cet extrait que même l’Académie ne peut qu’accepter et intégrer le progrès technologique qui domine le XIXème siècle, par l’insertion des néologismes techniques les plus fréquents.
4.4. Le Dictionnaire de l’Académie de 1932
Les rédacteurs de cette édition du Dictionnaire de l’Académie ne s’éloignent pas de la voie tracée par leurs prédécesseurs : la nomenclature du Dictionnaire ne sera perméable que partiellement aux néologismes techniques et scientifiques (qui étaient désormais largement répandus dans la communication courante), choisis après une sélection sévère sur la base du principe de pérennité :
Sans songer à adopter le système encyclopédique de Furetière, « l'Académie, lit-on dans la Préface de la première édition, en bannissant de son Dictionnaire les termes des Arts et des Sciences, n'a pas creu devoir estendre cette exclusion jusques sur ceux qui sont devenus fort communs, ou qui, ayant passé dans le discours ordinaire, ont formé des façons de parler figurées ». L'infiltration dans l'usage commun de ces termes spéciaux, très lente d'abord, s'accéléra forcément à partir du XVIIIe siècle, à mesure que le goût des sciences se répandait dans la société. Aussi n'est-on pas étonné de lire dans la Préface de l'édition de 1762: « Nous avons donc cru devoir admettre dans cette nouvelle Édition les termes élémentaires des Sciences, des Arts, et même ceux des Métiers qu'un homme de lettres est dans le cas de trouver dans des ouvrages où l'on ne traite pas expressément des matières auxquelles ces termes appartiennent. » Et un peu plus d'un siècle après, en 1877, l'Académie acceptait l'introduction dans son Dictionnaire de plus de 2 000 mots nouveaux, dont presque tous étaient de provenance scientifique ou technique.
Aux dernières années du XIXe siècle, quand l'Académie s'occupa de préparer une nouvelle édition de son Dictionnaire, elle se trouva en présence d'une brusque pénétration des vocabulaires des Sciences et des Arts dans le parler de tous qui, depuis, ne devait plus cesser de s'enfler démesurément d'année en année. Non seulement les sciences déjà constituées se renouvelèrent, mais d'autres prirent naissance, comportant en bien des cas des applications à l'industrie. D'autre part, de notables transformations s'opéraient dans l'ordre économique, social et politique. De là un grand nombre de mots nouveaux aussitôt vulgarisés par la conversation, par la presse et par l'école. Quel adolescent de nos jours ne connaît pas par leur nom les différentes pièces d'une automobile ? De quel artisan, de quel paysan de France restent ignorés des termes tels que microbe, sanatorium, otite, diphtérie, hydravion, commutateur, carburateur, court-circuit ?
Mais, dans cet afflux de vocables nouveaux, il en est beaucoup dont l'existence ne peut être qu'éphémère. Les uns disparaîtront avec les objets, eux-mêmes éphémères, qu'ils représentent ; d'autres, qui se sentent de l'improvisation, seront remplacés par des dénominations plus exactes ; d'autres enfin ne dépasseront pas le domaine où ils sont nés et, n'étant compris et employés que par des initiés, n'ont point chance de pénétrer dans l'usage commun. C'est ce départ qu'a essayé de faire l'Académie dans la préparation de cette nouvelle édition.
4.5. Les “monuments lexicographiques” du XIXème siècle : Littré e Larousse
A côté des dictionnaires institutionnels de l’Académie, le paysage lexicographique français du XIXème siècle est aussi profondément marqué par deux grandes personnalités, deux figures différentes par naissance et formation, mais réunies dans leur passion pour la diffusion de la culture savante à travers le dictionnaire : Emile Littré et Pierre Larousse.
L’un érudit (Littré), destiné à une brillante carrière de médecin, l’autre (Larousse) provenant d’une famille d’origine modeste, républicain et révolutionnaire, ces deux hommes sont à l’origine des deux monuments lexicographiques du XIXème siècle, deux ouvrages destinés à marquer l’histoire de la dictionnairique de leur époque et des époques suivantes. Le Dictionnaire de la langue française de Littré (4 volumes) est publié chez Hachette en 1872, après une trentaine d’années de travail patient et méticuleux. Il s’agit d’un dictionnaire pour un public cultivé, inspiré des principes de la philologie et de l’histoire de la langue, caractérisé par une préférence évidente pour « les meilleurs auteurs » de l’histoire littéraire française. Comme le remarque Jean Pruvost :
« Le dictionnaire de la langue française eut un franc succès auprès du public cultivé qui trouvait dans cet ouvrage une somme d'informations jusque-là inégalée quant à l'étymologie et à la filiation historique des sens d'un mot, le tout cautionné par de grands auteurs. Aussi prit-on rapidement l'habitude d'évoquer "le Littré" avec déférence, comme une autorité ; il devint même l'instrument indispensable de toute recherche sérieuse en langue française. Son prestige ne diminua guère au fil des années, ainsi, jusqu'à la publication du Dictionnaire de Paul Robert, presque un siècle après, Littré fut le plus souvent considéré comme la seule véritable référence des lettrés »4
Si le public de référence du Littré est un public érudit et cultivé, Pierre Larousse vise un lectorat bien différent par son Grand dictionnaire universel du XIXème siècle (désormais GDU) en 15 volumes publiés entre 1865 et 1878. L’objectif de Larousse est avant tout de fournir aux instituteurs et aux élèves de la nouvelle école républicaine, laïque, gratuite et obligatoire (la publication de ce dictionnaire se situant dans les années entre la Loi Guizot et les Lois Ferry) un outil de diffusion de la langue et de la culture françaises, à vocation encyclopédique et ouvertement pédagogique ; c’est toujours Pruvost qui commente :
« P. Larousse, admirateur de Diderot, disciple de Proudhon et d'A. Comte, ambitionne en fait de donner à la France un nouveau monument encyclopédique, alliant la description de la langue et la diffusion des savoirs. Et ce sont pas moins de 20 000 pages en petites caractères sur quatre colonnes, presque sans aucune illustration, qui feront de ce dictionnaire une œuvre jamais refaite dans de telles proportions. […] Larousse avait un objectif : diffuser la pensée républicaine propre à instaurer une société démocratique et laïque. Son dictionnaire, dont on pouvait par exemple commander une feuille, celle correspondant à l'article qui vous intéressait, eut pour public privilégié les instituteurs et toute une population modeste aspirant au savoir. »5
4.5.1. Étude des paratextes : les programmes de Littré et de Larousse
Quelle est la position de Littré et puis de Larousse à l’égard du progrès technique et scientifique et de la terminologie qui l’accompagne inévitablement ? On en retrouve les traces dans les paratextes de leurs Préfaces, que nous reproduirons brièvement dans les paragraphes qui suivent.
4.5.1.1. Littré
« L'Académie a donné dans son Dictionnaire un certain nombre de termes de métiers; mais depuis longtemps les lexicographes ont pensé qu'il fallait étendre davantage cette nomenclature. Furetière et Richelet ont effectivement dirigé leurs recherches de ce côté et fourni un complément notable. Depuis, ce complément s'est beaucoup agrandi, d'autant plus que l'industrie, s'incorporant davantage à la société, a rendu utile à tout le monde la connaissance d'un grand nombre de ces termes particuliers. A ce genre d'intérêt qui est le premier, la langue des métiers en ajoute un autre qui n'est pas sans prix : c'est qu'on y rencontre de temps en temps de vieilles formes, de vieux mots ou de vieux sens, qui, perdus partout ailleurs et conservés là, fournissent plus d'une fois des rapprochements explicatifs. Ici aussi la nomenclature n'est fixe que du côté du passé, elle est mobile et progressive du côté du présent et de l'avenir : de nouveaux procédés se créent tous les jours et exigent concurremment de nouveaux termes et de nouvelles locutions.
La question des termes scientifiques est de même nature. La science elle aussi influe de toutes parts sur la société, et dès lors les termes qu'elle emploie se rencontrent fréquemment dans la conversation et dans les livres ; de là la nécessité, pour un lexicographe, de les enregistrer et d'augmenter le fonds qui est déjà dans le Dictionnaire de l'Académie. Avant tout il faut remarquer que la langue scientifique diffère essentiellement de celle des métiers. En effet, tandis que la langue des métiers est toujours populaire, souvent archaïque, et tirée des entrailles mêmes de notre idiome, la langue scientifique est presque toute grecque, artificielle et systématique ; là l'étymologie se présente d'elle-même. Ce qui est difficile, c'est de donner brièvement des explications claires de choses souvent compliquées. La langue scientifique, il est à peine besoin de l'ajouter, est dans une rénovation et une extension perpétuelles ; car chaque jour les connaissances positives se modifient et s'amplifient. Puis le champ est immense et, pour ainsi dire, sans limite. Pour ne citer que la botanique et la zoologie, les espèces y sont, dans chacune, au nombre de bien plus de cent mille, toutes pourvues d'un nom spécifique. Enfin, dans cet amas de termes souvent changeants et qui plus d'une fois dépendent de principes et de systèmes différents, il y a bien des cas où un dictionnaire général ne peut faire comprendre en peu de mots tant de dépendances, encore moins tenir lieu de dictionnaire technique. En conséquence il m'a semblé qu'il fallait faire un choix, prendre les termes qui ont chance de se rencontrer et d'être de quelque besoin à un homme cultivé, demeurer non en deçà mais au delà de cette mesure, et pour le reste s'en remettre aux dictionnaires spéciaux, qui seuls ici peuvent tout donner et tout faire comprendre. »
On remarquera que la position de Littré ne s’éloigne pas du sillage des rédacteurs du Dictionnaire de l’Académie : le vocabulaire des sciences et des techniques est trop vaste, et trop éphémère, pour que le dictionnaire de langue puisse en fournir une description exhaustive, pour laquelle il vaut mieux confier la tâche aux dictionnaires techniques.
4.5.1.2. Le GDU de Larousse
Dans le GDU de Pierre Larousse, la prudence de ses prédécesseurs immédiats est remplacée par l’adhésion totale et enthousiaste au progrès technique et scientifique. Larousse est un homme du progrès et de nombreux articles de son dictionnaire monumental sont consacrés aux termes et concepts des sciences et des techniques, décrits et présentés par l’esprit encyclopédique et passionné qui caractérise toute l’œuvre et la personne de Larousse (CORMIER et PRUVOST, 2005), esprit qui ressort avec évidence dans les lignes suivantes :
« Les sciences, les arts, l'industrie, luttent de vitesse avec les locomotives de nos chemins de fer, avec le télégraphe électrique lui-même ; il faut les suivre dans cette course rapide, les devancer même quelquefois, si l'on veut arriver à temps ; il faut surtout faire dominer cette vaste exposition de nos connaissances actuelles par un principe large, fécond, qui repousse loyalement toute suggestion, toute exigence de parti, pour ne sacrifier qu'aux droits imprescriptibles de la justice et de la vérité, sans se laisser détourner de sa voie ni par des atténuations intempestives des fausses doctrines, ni par la perspective des périls que l'on court quelquefois lorsqu'on prend courageusement les DROITS DE LA PENSÉE comme devise de son drapeau. »
5. Analyse d’un terme emblématique de la modernité : l’avènement du « train »
Comme nous l’avons vu dans les pages précédentes, les positions théoriques et méthodologiques des lexicographes de la période considérée à l’égard de l’intégration des termes techniques dans les dictionnaires sont diverses et multiformes. Cette diversité nous amène à approfondir l’analyse par le biais d’un cas particulier, un cas paradigmatique, l’un des concepts-symboles de la modernité, à savoir le transport ferroviaire. L’avènement du train comme événement-clé de la modernité se répercute en effet avec une force particulière dans le domaine lexicographique et dans le texte du dictionnaire ; dans les paragraphes suivants, nous analyserons les concepts et les termes liés à cette innovation bouleversante, ainsi que son impact culturel dans la société et dans la langue qui en est la représentation, codifiée dans le texte lexicographique.
Avant d’entrer dans le détail de l’analyse, il nous semble néanmoins opportun de rappeler quelques dates fondamentales dans l’évolution des chemins de fer en France, dates qui pourront s’avérer utiles par la suite afin d’identifier le rapport entre progrès technologique et description lexicographique dans les dictionnaires sélectionnés pour notre analyse ; voici donc une brève chronologie des étapes principales des chemins de fer sur le territoire français6 :
Dans un premier temps, l’innovation fondamentale provoquée par l’avènement du train au niveau technologique et plus largement au niveau social engendre des réactions diverses : de l’enthousiasme, bien sûr, mais également de la crainte, voire de la terreur face à la nouveauté, au changement. La possibilité de se déplacer à une vitesse élevée pour l’époque, le bruit des moteurs à vapeur, la chaleur, le mouvement des wagons sur les rails, sont souvent à l’origine d’une vision démonisée du train, considéré comme un monstre mécanisé, une machine diabolique, comme il ressort évident de ce rapport de l’Académie de médecine de Lyon, (daté de 1835)7 :
“Le passage trop rapide d’un climat à un autre produira sur les voies respiratoires un effet mortel. Le mouvement de trépidation suscitera des maladies nerveuses, tandis que la rapide succession des images entraînera des inflammations de la rétine. La poussière et la fumée occasionneront des bronchites. Enfin, l’anxiété des périls tiendra les voyageurs dans une perpétuelle alerte et sera le début d’affections cérébrales. Pour une femme enceinte, tout voyage en chemin de fer entraînera une fausse couche.”
L’objet train nous semble enfin catalyser de façon paradigmatique les phénomènes liés à la réception de l’innovation technologique, au niveau social aussi bien qu’au niveau de la rédaction lexicographique.
Pour cette raison, nous focaliserons maintenant notre attention sur le terme train e sur les termes corrélés chemin de fer, wagon, rail à l’intérieur des dictionnaires les plus importants entre XIXèmeet XXèmesiècles : cet excursus dans la macrostructure et dans la microstructure de notre corpus pourra apporter des éléments ultérieurs de réflexion.
6. Le terme « train » : histoire d’un mot voyageur
Les dictionnaires sélectionnés pour notre étude et composant notre premier corpus sont les suivants : le Dictionnaire de l’Académie française (éditions de 1832-35, 1872-77 et 1932-35), le Dictionnaire national de Bescherelle (1845), la première édition du Dictionnairede la langue française de Littré (1872). Un deuxième corpus est revanche constitué de diverses éditions successives du dictionnaire Larousse, à savoir : le GDU de 1865, et les éditions du Petit Larousse de 1911, 1959 et 2007.
Pour ce qui concerne le traitement de l’entrée train, les résultats de notre brève recherche peuvent être ainsi résumés :
Terme de chemin de fer. Suite de voitures ou wagons qui se meuvent ensemble. Train de marchandises. Train d'aller. Train de retour. Train de grande vitesse. Train-poste (au plur. des trains-poste), train qui, sur les chemins de fer, emporte le courrier et les lettres. Train express, voy. EXPRESS. Train-éclair, train qui va très vite. Train de plaisir, train destiné à conduire directement un certain nombre de voyageurs dans un lieu déterminé, puis à les ramener.
TRAIN se dit, en termes de Chemins de fer, d'une Suite de wagons traînés par une locomotive. Le train est en marche. Le train s'est arrêté. Train rapide. Train express. Train omnibus. Train-poste. Train direct. Train de luxe. Train de marchandises. Le conducteur du train. Prendre le train. Monter dans un train. Manquer le train.
Pour ce qui est de la locution chemin de fer, le Dictionnaire de l’Académie 1832-35 consacre un article à part à ce concept :
Chemin de fer, Chemin dont la voie est formée par deux lignes parallèles de barres de fer ou de fonte scellées dans des soubassements de pierre, et sur lesquelles des chariots garnis de roues de fonte roulent avec très-peu de frottement, de manière à économiser la force motrice.
Plus… laconique Littré se limite à une brève définition : Chemin de fer, voie formée de deux rails ou bandes de fer parallèles, sur lesquelles roulent des wagons.
Enfin, le Dictionnaire de l’Académie 1932 enregistre :
Chemin de fer,Chemin dont la voie est formée par deux lignes parallèles de barres de métal ou rails, sur lesquelles roulent les trains. La voie, les rails, les stations, la gare d'un chemin de fer. Prendre le chemin de fer. Il se dit aussi de l'Entreprise même d'un chemin de fer. Le directeur, les administrateurs, les employés, les actionnaires d'un chemin de fer. Les employés de chemins de fer.
L’acception technique s’impose donc progressivement à l’intérieur des dictionnaires de l’Académie et du Littré, tout en restant en position moins évidente par rapport aux acceptions plus anciennes et traditionnelles.
Un traitement bien différent est en revanche pratiqué dans les dictionnaires Larousse, notamment pour ce qui est du micro-champ lexical des termes chemin de fer, train, wagon, rail. Nous analyserons cette série dans le détail et en perspective diachronique, afin de vérifier l’évolution de l’importance de ce micro-domaine de termes techniques dans le texte lexicographique de la série Larousse. Notre corpus sera composé des dictionnaires suivants :
(i) GDU Larousse 1865
(ii) Petit Larousse Illustré 1911
(iii) Petit Larousse Illustré 1959
(iv) Petit Larousse Illustré 2007
(i) GDU Larousse 1865 : l’esprit encyclopédique et pédagogique qui animait Pierre Larousse est bien évident dans son ouvrage de 1865 : les informations consacrées au micro-domaine ferroviaire sont concentrées autour de l’entrée train (une acception à l’intérieur d’un article plus ample) ; on retrouve également l’entrée wagon, qui comprend une description riche et détaillée de la composition des voitures, des sièges, accompagnée par quelques notations polémiques sur la situation des passagers de la troisième classe :
« Hélas! quel repos, et dans quel état sort-on de ces voitures après trente-six ou. quarante heures de voyage .sur du bois ! Le lit de camp du soldat offrirait plus de douceur, et quand on est enfermé dans ces caisses qui ressemblent plutôt à des boîtes à mouches qu'à des voitures à hommes, on l'envie quelquefois ».
L’article chemin de fer présente une longueur considérable (300 pages environ dans l’édition originale) et contient, selon les principes de la vocation encyclopédique propre du GDU, des informations variées :
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Une digression étymologique complexe sur l’origine de l’expression ;
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Un historique détaillé et précis, extrêmement bien documenté, de l’histoire du transport ferroviaire en France ;
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Une longue argumentation sur l’opportunité de confier la gestion des chemins de fer à l’Etat ou bien à des Compagnies privées – qui révèle en filigrane l’esprit républicain de Larousse ;
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Un compte rendu très exhaustif de la législation en vigueur à l’époque à l’égard de la gestion du transport ferroviaire ;
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Une discussion approfondie sur toutes les marchandises et les modalités de transport ferroviaire.
Esprit passionné et curieux, Larousse fait preuve également d’un sens de l’humour marqué, s’amusant bien souvent à transcrire dans son dictionnaire des anecdotes comiques et des scènes ordinaires, comme dans les exemples suivants :
Un registre destiné à recevoir les plaintes est déposé dans toutes les gares - c'est une justice qu'il faut rendre aux chemins de fer - et la plupart sont lardés d'imprécations qui feraient pâlir celles de Camille, de lamentations qui laissent loin derrière elles celles de feu Jérémie ; mais ces plaintes ne sont point suivies d'effet une fois sur cent.
Un employé, faisant le contrôle des billets dans une voiture de première classe, reçoit d'une villageoise un billet de troisième. «Mais c'est un billet de troisième que vous avez, lui dit-il. - Je sais ben, mon bon monsieur ; aussi j'ai compté les voitures : une, deux, trois ; et je suis entrée dans la troisième. »
Un Français se trouvait dans l'express du Havre en compagnie d'un Anglais et d'une Anglaise. Il s'adresse à cette dernière : «Madame, me permettez-vous un cigare ? » Milady reste muette ; mais milord répond brusquement en roulant des yeux de bulldog : « no ! votre fiumêe importunait Médème. » Le Français remet mélancoliquement son havane dans son étui et prend le parti de s'endormir. Quelques minutes après, une affreuse odeur de tabac le saisit au nez et à la gorge... Le gentleman est occupé à pantalonner une pipe monstre ! « Ah ! ça, mais, s'écrie notre compatriote, qu'est-ce que vous me chantiez tout à l'heure que la fumée incommodait médëme? Aoh! yes, votre flumée à vo, mais pas fiumée à moa, puisque c'était mon épouse. »
(ii) Petit Larousse Illustré 1911 : le Petit Larousse de 1911 enregistre un article consacré au transport ferroviaire sous l’entrée Chemin de fer : dont la voie est formée par deux lignes parallèles de barres de fer sur lesquelles roulent les wagons. La définition brève est compensée par l’avènement des premières illustrations, à vocation ornementale mais aussi encyclopédique, comme il ressort de l’exemple suivant, qui présente un vocabulaire technique désormais entré dans l’usage commun :
(iii) Petit Larousse Illustré 1959 : le concept de train est bien présent en sous-vedette dans l’article consacré à Chemin de fer : dont la voie est formée par deux lignes parallèles de barres de fer sur lesquelles roulent les wagons. La définition est la même que dans l’édition de 1911, mais l’illustration rend compte de l’évolution technologique, par une représentation plus détaillée et une terminologie de plus en plus spécialisée :
(iv) Petit Larousse Illustré 2007 : Si l’on passe à l’une des éditions plus récentes du PL, le terme train a droit à un article hypertextuel. On remarque d’abord que l’acception technique a…gagné la première position, alors que les autres ont été reléguées dans des positions secondaires (c’est le critère de fréquence qui l’emporte) :
L’iconographie a profondément changé, et elle représente désormais l’écorché d’un wagon d’un TGV où les termes techniques se multiplient :
L’article consacré à la locution chemin de fer est enfin révélateur d’une mutation diachronique accomplie dans le sémantisme de la locution : l’acception qui était la plus moderne il y a 150 ans est désormais signalée comme désuète :
Pour (ne pas) conclure…
L’introduction des progrès technologiques à l’intérieur du texte lexicographique peut être considérée comme un long parcours couronné par le succès. Le dictionnaire de langue du XXIème siècle est désormais, de façon de plus en plus évidente, un dictionnaire technique et spécialisé, où les nouvelles découvertes techniques et scientifiques trouvent leur place à l’honneur (Boulanger parlait déjà en 1996 du dictionnaire de langue comme d’une « voie royale pour les technolectes »), par de nouvelles dénominations, parfois empruntées à d’autres langues (l’anglais notamment), parfois nouvellement créées en exploitant les ressources propres de la langue française.
Les technologies occupent une place fondamentale dans la vie quotidienne, la communication ordinaire est désormais composée pour une bonne partie de termes de spécialité. Les dictionnaires actuels semblent avoir bien compris et intégré cette familiarité avec les anciens « termes des arts et métiers », et leurs nomenclatures accueillent bon nombre de technicismes ou de termes scientifiques. Les préjugés à l’égard de ces entrées sont désormais considérés comme des anachronismes, dans un monde où tous les jours nous sommes obligés à passer un document au scanneur, faxer un document ou, dans le secteur ferroviaire qui nous intéresse dans ces pages, composter notre billet… dans l’espoir que notre train – qui n’est plus depuis un siècle au moins une innovation – se présente à l’heure au rendez-vous !
Bibliographie sélective
AUROUX, S., Histoire des idées linguistiques, t. 2 : Le développement de la grammaire occidentale, Liège, Mardaga, (Philosophie et langage), 1992.
BOULANGER, J-C., « Les dictionnaires généraux monolingues, une voie royale pour les technolectes », TradTerm 3, 1996, pp.137-151.
COLLIGNON, L., GLATIGNY, M., Les dictionnaires, initiation à la lexicographie, coll. “Textes et non textes”, Paris, Cedic, 1978, pp.206.
COLLINOT, A., MAZIÈRE, F., Un prêt à parler : le dictionnaire, Paris, Presses Universitaires de France, 1997.
CORMIER M.C., PRUVOST, J. (éds) Les dictionnaires Larousse. Genèse et évolution. Québec. PUM, 2005.
DUBOIS, J., et DUBOIS, C., Introduction à la lexicographie : le dictionnaire, Paris, Larousse, 1971.
IMBS, P., Préface au Trésor de la langue française, Trésor de la Langue Française , tome I, 1971, pp.XI-XLVII.
JOSSELIN-LERAY, A., « Affiner la description des termes dans les dictionnaires généraux : l’apport d’un corpus de vulgarisation », Lexis, n°4, « Linguistique de corpus et lexique », 2010, pp. 65-104.
PRUVOST, J., Dictionnaires et nouvelles technologies, Paris, PUF, 2000.
REY-DEBOVE, J., Etude linguistique et sémiotique des dictionnaires français contemporains, La Haye, Mouton, 1971.
REY, A., Les dictionnaires; forme et contenu, “Cahiers de lexicologie” 7, II, pp.66-102, 1963.
ZANOLA, M.-T., Arts et métiers au XVIIIème siècle, Etudes de terminologie diachronique, Paris, L’Harmattan, 2014.
Corpus d’analyse
Grand Dictionnaire Universel du XIX siècle de Pierre Larousse. DVD-ROM, Paris, Ed. Redon.
Petit Larousse Illustré, Paris, Larousse, 1911.
Petit Larousse Illustré, Paris, Larousse,1959.
Petit Larousse CD-ROM, Paris, Larousse, 2007.
Base de données « Dictionnaires d’autrefois », ARTFL Project, Université de Chicago, http://www.lib.uchicago.edu/efts/ARTFL/projects/dicos/
Note
↑ 1 La littérature à ce sujet est foisonnante ; nous nous limiterons à renvoyer le lecteur au texte paradigmatique de Collinot et Mazière (2001).
↑ 2 MATORÉ, G., Histoire des dictionnaires français, Paris, Larousse, 1968, p.200 (c’est nous qui soulignons).
↑ 3 Pour les Dictionnaires de l’Académie et pour le Dictionnaire National de Bescherelle, ainsi que pour le Littré, le corpus est tiré de la base de données de l’ARTLF http://www.lib.uchicago.edu/efts/ARTFL/projects/dicos/ (consultée le 20 janvier 2016).
↑ 4 J. Pruvost, nel suo Musée virtuel des dictionnaires, http://www.u-cergy.fr
↑ 5 ibidem
↑ 6 http://www.sncf.com/fr/portrait-du-groupe/histoire-sncf (consulté le 15 mars 2016).
↑ 7 http://lhpro.free.fr/dossier-histoire/revolindus/revolindus.htm (consulté le 10 mars 2016).