Publifarum n° 25 - La Francesistica italiana à l'ère du numérique

Un nouvel outil numérique pour l'aménagement du français en Italie : l'analyse combinée des représentations linguistiques

Giovanni AGRESTI



Abstract

Italiano  | Francese | Inglese 

In questo articolo presentiamo una ricerca riguardante le rappresentazioni sociali della lingua francese in Italia e il suo eventuale utilizzo in termini didattici - e, più ampiamente, di pianificazione linguistica. Per far questo utilizzeremo un metodo innovativo nel campo delle scienze sociali, e cioè il metodo dell'analisi combinata.

1. Les représentations sociales des langues

Dans cet article nous présentons une recherche concernant les représentations sociales de la langue française en Italie et son éventuelle exploitation au niveau didactique – et, plus largement, en termes d'aménagement linguistique.1

Pour encadrer cette étude, il nous échoit au préalable de définir, quoique rapidement et sans aucune prétention d'exhaustivité, la notion de représentation sociale, qui reçut une première assise théorique dès les années 50 grâce notamment à la réflexion portée par Serge Moscovici, qui se réclamait du concept de «représentation collective» d'Émile Durkheim. Nous retenons tout particulièrement quelques titres (MOSCOVICI, 1989, 1994), à compter de La psychanalyse, son image, son public (1961) où la notion de représentation sociale est définie de manière très générale comme «un univers d'opinions» caractérisé par le fait que celles-ci sont élaborées au cours «d'échanges et d'interactions». Chez Moscovici la construction des représentations sociales se base sur deux processus incontournables: l'objectivation et l'ancrage, qui rendent lisible au sujet ce qui lui est en fait nouveau et étranger. Pour sa part, MOLINER (1996) souligne le rôle fonctionnel de l'objectivation permettant au sujet de reconstituer le réel et de le signifier.

Il est évident que ces processus d'ancrage-réduction de l'inconnu au connu, s'ils sont des mécanismes cognitifs universaux liés à la nature et à la survie même du sujet, se déploient tout particulièrement par rapport à des objets sociaux et culturels «étrangers», dont les langues-cultures – appelant toujours à un travail de décodage. Face à cette étrangeté ou altérité à décrypter, externe ou même interne au sujet, les réponses de ce dernier peuvent varier. En gros, nous pouvons distinguer:

  1. une dynamique positive: le sujet peut souhaiter se rapprocher de ces objets (mouvement d'adhésion ou convergence que disent bien des verbes tels que appréhender, apprivoiser et apprendre), comme c'est souvent le cas pour les langues-cultures étrangères de prestige;
  2. une dynamique négative : le sujet peut souhaiter s'éloigner de ces objets (mouvement de divergence que disent bien des verbes tels que refuser, rejeter, refouler), comme c'est souvent le cas des langues-cultures régionales ou minoritaires, souvent stigmatisées aussi par les membres des communautés linguistiques minoritaires elles-mêmes.2

Les représentations sociales des langues résultent et provoquent à la fois des choix psycho-topologiques ménageant le rapport du sujet à telle langue-culture (aller vers vs s'éloigner de, c'est-à-dire plaquer des jugements positifs ou négatifs sur tel objet linguistico-culturel). Bien évidemment, ces mouvements d'adhésion/rejet dépendent également du contexte: ainsi, je peux avoir honte de ma parole mâtinée d'accent régional lorsque je m'exprime dans un amphi d'université alors que je peux en être fier dans des contextes de connivence, de proximité familiale, de fête traditionnelle au village etc.

De ce point de vue, la psychologie sociale3 rejoint et contribue à éclairer certains réflexes des locuteurs et des communautés, que notamment la «sociolinguistique de la périphérie» (LAFONT, 1997) dès le milieu du XXe siècle, avait commencé à mettre en exergue. Pour ne prendre qu'un exemple, les raisons psychologiques qui conditionnent le fonctionnement du code-switching peuvent souvent découler d'un sentiment de honte que le sujet éprouverait à l'égard de sa propre langue maternelle, socialement marquée par des représentations dévalorisantes (c'est le cas en France des patois), poussant le sujet à se cacher dès qu'une personne tierce rentre dans le scénario de communication et casse par là une interaction confidentielle (LAFONT, 1988).

L'intérêt que recouvrent les langues régionales ou minoritaires pour ce qui est du thème du «lien à la langue» (AGRESTI, 2010) et de l'identité symbolique ne doit pas cacher une autre évidence: n'importe quelle langue-culture est à la fois source et cible de représentations. Par ailleurs, celles-ci, même très diffuses et enracinées, peuvent être modifiées, pour peu qu'on les connaisse en profondeur. Ainsi, l'étude des représentations sociales en général (JODELET, 1994) et celles de langue et identité en particulier occupent aujourd'hui une place de plus en plus importante au sein des recherches en linguistique d'intervention. Savoir de manière scientifique ce que telle communauté pense ou s'imagine de telle langue ou de telle identité culturelle (CALVET 1979: 18-19 a pour sa part parlé de «linguistique doxale» et de «savoir diffus») est un passage incontournable pour envisager des formes d'aménagement linguistique et culturel efficaces. Nous avons consacré le Premier Congrès mondial des droits linguistiques à l'analyse des chaînes d'implications et des bonnes pratiques reliant les représentations des langues à la genèse/fabrication des lois linguistiques et à l'évaluation de leur (éventuelle) application.4

Par ailleurs, les démarches didactiques figurent au premier rang de ces formes d'aménagement. Les formateurs peuvent tirer large profit de l'analyse des représentations sociales des langues et des cultures circulant au sein de leur classe et au-delà, car il n'y a pas de doute quant au fait que ces dernières constituent très souvent une entrave ou alors une motivation fondamentale pour l'apprentissage (comme l'ont mis en évidence, entre autres, CASTELLOTTI ET MOORE 2002: 10; PERREFORT, 1997; MULLER, 1998; GARABATO et alii, 2003). Sans même besoin de rappeler les plus-values d'une introduction culturelle aux langues, le simple fait d'imaginer telle langue comme étant indispensable pour accéder au marché du travail ou, au contraire, comme somme toute inutile dans le monde contemporain globalisé, peut ipso facto en accélérer ou ralentir voire empêcher à jamais son acquisition. Tout apprentissage est finalement une dépense énergétique (AGRESTI, 2013) et tout sujet apprenant raisonne finalement en termes d'économie de l'effort: est-ce avantageux de déployer toutes ces énergies pour apprendre telle langue? Est-ce que ça en vaut vraiment la peine? Quelle est la valeur économique de la motivation à l'apprentissage? Dans quelle mesure une représentation linguistique valorisante ou dévalorisante peut accroître ou diminuer telles motivation et valeur?

2. L'imaginaire linguistique contemporain : quelques remarques

Pour répondre à ces questions complexes il est nécessaire de mieux comprendre ce que nous pouvons nommer, de manière certes un peu simpliste, l'«imaginaire linguistique contemporain (dominant)  »,5 sachant que notre recherche empirique se limite à évaluer un segment très restreint de celui-ci, à savoir (comme plus loin nous le préciserons) les représentations du français circulant au sein d'un échantillon d'enseignants du secondaire suffisamment représentatif de la situation nationale.

Malgré ces indispensables limitations, nous croyons légitime de porter un regard d'ensemble sur cet imaginaire car, depuis la perspective du langage socialisé, l'époque contemporaine est à notre sens caractérisée, du moins en Occident, par quatre tendances majeures:

Ces quatre moments d'un même mouvement (il est assez facile, pour un lecteur avisé, de dénicher les correspondances et les interconnections entre les uns et les autres) sont à la fois la conséquence et la cause d'un imaginaire collectif envisageant la langue comme, essentiellement quoique pas exclusivement, un outil de communication pratique, presque totalement soumis aux lois du marché et, par là, presque indépendant de la donne anthropologique, sociale, historique, ainsi que de la nature pulsionnelle du sujet.6 Pour l'idéologie marchande qui est à la base de cette conception réductrice de la langue et de la communication, toute différence et toute diversité sont autant d'entraves à la circulation des biens et des informations.7

D'autres idées reçues assez diffuses sur la langue viennent déterminer et cristalliser ultérieurement cet imaginaire. Ailleurs nous les avons évoquées et analysées de près (AGRESTI 2012: 323-324): a) toute langue a son «génie» («On plaque des représentations [...] sur des réalités dès lors cristallisées, hypostatisées»); b) «chaque langue est l'image fidèle d'une culture, d'une civilisation, bref [...] elle véhicule une weltanschauung»; c) «une langue est en quelque sorte un être vivant, qui naît, se développe, vieillit et se meurt».

L'action synergique de ces idées, la structure de cet imaginaire ne peuvent pas ne pas avoir de conséquences, parfois même très lourdes, au niveau des représentations et des choix linguistiques individuels, ainsi que des politiques linguistiques de communautés tout entières. En effet, le résultat de l'action de toutes ces idées est non seulement que la langue n'est fondamentalement qu'un outil de communication pratique mais également que toute langue possède une destinée, que celle-ci échappe au sujet et à la communauté et que, finalement, chaque langue est intrinsèquement porteuse de valeurs figées. Bref, dans l'économie de cet imaginaire, la vie et le poids, le rôle social des langues sont un verdict qui semble transcender quelque part la dialectique historique humaine et, partant, sa créativité.

Ainsi, l'impression est qu'aujourd'hui, avec une accélération assez brusque après des années de progrès constant, la lingua franca internationale est (presque) unanimement associée chez l'opinion publiqueaux seules formes de développement possibles. Par l'anglicisation et par la standardisation de plus en plus poussées et encouragées des cursus scolaire et universitaire, non seulement en Italie, mais également dans d'autres pays européens, les classes dirigeantes estiment conduire le pays vers une modernisation indispensable et, surtout, inéluctable. C'est le processus d'internationalisation bien connu, étiquette qui cache, tant bien que mal, un processus de nationalisation anglo-américaine de facto. Toute résistance à ce mouvement paraît vouée à l'échec, car au vu de l'imaginaire linguistique que nous venons d'esquisser, et que l'opinion publique a bon gré, mal gré incorporé, ce processus a bien l'air d'un phénomène fatal, transcendant, qu'il est même bizarre ne serait-ce que d'essayer de remettre en question.

De toute évidence, il s'agit là d'un sujet très complexe et délicat qu'il n'est pas possible d'aborder ici de manière systématique. Ce que nous pouvons néanmoins retenir c'est la polarisation que le déferlement linguistique anglo-américain produit, voire impose au niveau des imaginaires linguistiques. Puisque désormais l'opinion publique a ratifié un certain nombre d'idées reçues – l'anglais est la langue la plus importante, elle est parlée partout dans le monde et ouvre les portes de l'avenir, sans l'anglais rien n'existe8 – il y a lieu de s'interroger sur le rôle des autres langues, et d'abord des autres langues véhiculaires, dont l'espace de communication et le prestige, face à cette hégémonie, semblent se rétrécir comme une véritable peau de chagrin.

Ce questionnement mobilise, une fois de plus, les représentations linguistiques, qu'il nous échoit maintenant d'étudier de manière aussi scientifique que possible. En ce qui concerne tout particulièrement la langue française, nous avons ainsi décidé de photographier les représentations sociales de la langue auprès de l'opinion publique italienne, pour envisager des stratégies d'aménagement linguistique et d'abord, en tant que formateur, de didactique de la langue.

Au vu d'un si vaste programme, il est évidemment indispensable de cerner notre échantillon et d'user d'une méthode crédible, supportée d'outils numériques accélérant et validant cette recherche et, finalement, la rendant possible.

3. Représentations linguistiques et didactique du français langue seconde ou étrangère

Nous ne sommes guère le premier chercheur à étudier les représentations de la langue française et leur éventuelle exploitation en termes didactiques, loin s'en faut! Cependant, ce genre d'enquête est, par sa nature même, toujours d'actualité et à actualiser, car ses résultats évoluent en fonction non seulement des nombreuses variables en jeu, des techniques et des outils exploités etc. mais, aussi et surtout, par rapport aux mouvances historiques et notamment aux avatars de cet imaginaire linguistique qui, nous l'avons vu, se configure comme un système dynamique où le mouvement de chaque pièce peut facilement en déplacer d'autres.

Pour ce qui est du français, nous avons affaire à une bibliographie assez étendue de recherches qui, en raison de la diffusion planétaire de cette langue et, par là, de ses articulations culturelles et territoriales plurielles, se doivent de composer une riche mosaïque.

Nous ne tenterons pas, ici, de dresser un état des lieux de ces recherches. Dans cet article nous nous focaliserons plutôt sur la méthode que nous avons utilisée, sur son outillage numérique et sur les tout premiers résultats, alors que nous consacrerons un travail à venir au commentaire et à une mise en perspective plus conséquents des résultats conclusifs de notre enquête – moyennant, aussi, des comparaisons avec d'autres études semblables.9

Cela dit, parmi les nombreuses analyses des représentations linguistiques du français il est intéressant d'en mentionner d'ores et déjà quelques-unes ayant pour cadre des contextes marqués, en gros: a) des régions où l'enseignement du français se trouve soutenu et porté par des instances politiques et économiques significatives (c'est par exemple le cas, entre autres, de KWADZO, 2005; TRONCY, 2008; DEVAUX, 2014; etc.); ou alors b) des zones de conflit culturel et linguistique, comme les anciennes colonies françaises (BOUKOUS, 1995; AZOUZI, 2008; ABOU HAIDAR, 2012; etc.). L'analyse de ces contextes marqués (qui parfois coïncident) permet de saisir de manière si possible plus nette qu'ailleurs les interactions et les implications reliant la dimension psychologique individuelle aux représentations sociales et les deux aux mouvances de l'histoire et aux politiques de l'enseignement.

4. Notre recherche

4.1 Des problèmes méthodologiques

Comme nous l'avons déjà souligné, l'analyse des représentations linguistico-culturelles peut trouver une première application au niveau des pratiques didactiques, l'apprentissage d'une langue étrangère, dont évidemment le français en Italie, tirant grand profit ou au contraire étant lourdement entravé par les représentations positives/négatives installées dans l'imaginaire des apprenants. Si, pour prendre un exemple plutôt banal, l'idée se diffuse au sein de la communauté que le français est une langue «inutile», la motivation à son apprentissage en résultera énormément affaiblie. D'autant plus que le choix d'apprentissage – d'ailleurs déjà très limité au niveau scolaire en Italie – est le résultat non seulement de la motivation individuelle du jeune apprenant, mais également et surtout des convictions de ses parents et, plus en général, d'un environnement social qui exerce sur lui une pression, directe ou indirecte, consciente ou inconsciente, volontaire ou involontaire. Il nous échoit donc de mieux connaître ce que l'opinion publique italienne pense de la langue et de la culture françaises, car cette connaissance pourrait contribuer ne serait-ce qu'à mieux cibler les formes et les contenus de leur enseignement.

Pour ce faire, en plus de circonscrire rigoureusement notre corpus (constitué d'enseignants du secondaire toutes disciplines confondues)10 il nous faut une méthode et des outils d'analyse nous permettant de contourner les deux problèmes principaux auxquels se heurte forcément ce genre d'entreprise:

  1. la difficulté pour un chercheur individuel de constituer et par là de travailler sur un grand, voire très grand corpus, suffisamment représentatif de la donne nationale;
  2. la difficulté de fabriquer des outils d'enquêtes échappant un tant soit peu à l'idéologie et aux représentations sociales habitant le chercheur lui-même.

Or, nous croyons pouvoir contourner ces deux obstacles majeurs d'une part par l'extension du réseau des collaborateurs, et de l'autre par l'adoption de la méthode d'analyse combinée (désormais: MAC), mise au point par Bruno Maurer (MAURER, 2013a) et, du point de vue de son outillage numérique, par Nicolas Serra de l'IUT de Béziers:11

4.2 Notre questionnaire et notre corpus

Nous proposons ci-dessous le modèle de questionnaire construit à partir de la pré-enquête menée dans une école secondaire de Montorio al Vomano (TE), où notre travail a commencé.

AGRESTI 1

Ce questionnaire à 10 items13 a été administré la première fois à un corpus d'enseignants de l'Istituto Comprensivo de Montorio al Vomano et Crognaleto (TE) et a été ensuite proposé ailleurs, dans des écoles de Teramo,14 Rimini,15 Faenza, Ravenna, Forlì,16 Udine17 et Apricena. Au total, toutes écoles confondues, nous avons jusqu'à présent constitué ce corpus de répondants:

Agresti 2

Nous comptons poursuivre notre enquête tout au long de 2016 grâce à la collaboration de collègues de régions diverses, afin de parvenir à un tableau suffisamment représentatif de l'ensemble du pays ‒ évidemment pour ce qui est du groupe socioprofessionnel des enseignants. Nous allons donc nous borner ici à présenter les premiers résultats de notre enquête, en nous focalisant notamment sur l'aspect méthodologique et technique.

4.3 Le traitement des données

4.3.1 Analyse par genre

Une fois les questionnaires renseignés, les résultats doivent être transférés dans une feuille de calcul au format Excel (où les degrés d'adhésion aux différents items sont transformés en valeurs arithmétiques : -2, -1, 0, +1, +2), qui à son tour doit être téléchargée depuis la page web mise à la disposition des chercheurs affectés au projet «Représentations des langues en contexte multilingue» et hébergée par l'IUT de Béziers.18 Les tableaux suivants montrent ces résultats.

agresti 3

Tableau 3 - Les premiers résultats du corpus des enseignantes (F)

agresti 4

À partir de ces calculs, il est possible de générer deux sortes de graphes, a) normal ou b) en couronnes, pour lire de manière plus immédiate ces résultats.

Ci-dessous les graphes du type a) résultant des deux carottages pris en examen: les résultats de notre enquête auprès de l'échantillon féminin (Graphe 1) et ceux de l'échantillon masculin (Graphe 2, en bas). La nature et l'alignement de ces graphes nous permettent une facile comparaison.

agresti 5

Tout d'abord, nous remarquons que le Graphe 2 (hommes) présente une distribution des items bien plus polarisée que dans le Graphe 1 (femmes) car, à l'exception des items 2 («Langue peu musicale»), 1 («Langue élégante et raffinée»), 5 («Langue de l'autorité scolaire») et 10 («Langue de la grande littérature et de l'art»), tous les autres occupent le milieu, regroupés dans un espace restreint, entre -0,25 et +0,25. Cette différence peut être sans doute interprétée comme un manque de jugement de la part de l'échantillon masculin par rapport à la plupart des items, alors que l'échantillon féminin semble refléter des opinions plus polarisées, quoique l'indice de consensus demeure bas.

À ces différences près, les deux graphes se ressemblent assez pour ce qui est des items situés à l'extrémité du schéma. La prétendue élégance du français obtient ainsi le score maximum chez les femmes (+1,73) ainsi que chez les hommes (+1,21), même si l'indice de consensus varie. Le second item du côté de l'adhésion est, pour les deux échantillons, l'item n. 10, celui qui identifie le français à la grande littérature et à l'art. Là encore les femmes adhèrent davantage (+1,27) par rapport aux hommes (+0,97). À l'opposé, les deux groupes rejettent l'item n. 2 («Langue peu musicale»), presque avec le même score. En résumant, le français est musical, élégant et raffiné, porteur donc de valeurs esthétiques.

En résumant, pour ce qui est des principales différences entre les deux groupes, nous nous bornons à mettre en évidence le rejet de toutes les représentations négatives de la part des femmes, et notamment des items n. 8 («Langue impérialiste», -0,34), n. 6 («Langue de l'arrogance et du snobisme», -0,61), n. 5 («Langue de l'autorité scolaire», -1,12), n. 2 («Langue peu musicale», -1.42) qui chez les hommes se situent plus au milieu du schéma (c'est notamment le cas des items n. 5 et 6. Symétriquement, des représentations positives chez les femmes (c'est le cas des items n. 1, 3 et 10) ont un score d'adhésion plus bas chez les hommes.

4.3.2 Analyse par tranches d'âge

Pour ce qui est des différentes tranches d'âge (hommes et femmes confondus), nous en avons définies 3: moins de 35 ans (24 répondants), entre 35 et 50 ans (66), plus de 50 ans (94). Voici les principaux résultats:

agresti 6

Ci-dessous les résultats de notre enquête auprès de l'échantillon des jeunes enseignants (Graphe 3, en haut), ceux de l'échantillon 35-50 ans (Graphe 4, au milieu) et ceux de la tranche des plus de 50 ans (Graphe 5, en bas).

agresti 7
agresti 8

Ce qui frappe est le substantiel alignement des représentations graphiques, d'une tranche d'âge à l'autre: la variable "classe d'âge" semble exercer beaucoup moins d'influence que le "genre" dans la construction des représentations sociales de la langue française, du moins pour ce qui est de notre corpus. Quelques différences existent néanmoins qui méritent d'être vues de plus près. C'est le cas, d'abord et surtout, de l'item n. 9 («Langue de la communication européenne»), dont l'adhésion évolue du score +0,56 pour les plus de 50 ans jusqu'à la valeur négative de -0,33 pour ce qui est des moins de 35 ans. Cette évolution marque de manière assez évidente la perte du prestige et du rôle de langue véhiculaire internationale du français.

5. Conclusions

Pour reprendre les propos de Maurer (2013b),

Par rapport à d'autres outils existants, qui permettent également d'étudier les représentations sociales des langues, [la méthode MAC], par la nature des résultats qu'[elle] livre, alliant démarche quantitative et qualitative, permet de faire des hypothèses sur la centralité/périphérie de certaines cognitions, pour chaque groupe et chaque langue étudiés.

Pour l'instant, les premiers résultats de notre enquête indiquent que l'univers féminin est, d'une manière générale, particulièrement ouvert à la langue-culture française, même si son statut de langue de culture «haute» et raffinée est reconduit pour l'ensemble des répondants. Néanmoins, les indices souvent faibles de consensus, les modestes scores d'adhésion et un rejet timide des représentations négatives, notamment du côté de l'échantillon masculin, suggèrent que plusieurs modifications de ces représentations peuvent être tentées. L'analyse par tranches d'âge témoigne par ailleurs d'une continuité intergénérationnelle assez remarquable, à quelques significatives exceptions près, concernant notamment le statut de «langue de la communication européenne», au sujet duquel le français a perdu beaucoup de terrain d'une génération à l'autre. Ce dernier résultat, bien que partiel, suggère déjà qu'il est urgent d'orienter la didactique de la langue-culture française vers une ouverture plus poussée aux francophonies et à la communication européenne, et d'abord à la géographie de la langue française.

Nous comptons, à partir des Abruzzes, de l'Émilie-Romagne et du Frioul, au travers de multiples relais locaux, étendre progressivement notre enquête à l'ensemble du territoire national. Cela nous permettra, après coup, de croiser des lectures multiples et de tirer de ces enquêtes des informations fiables (concernant aussi les différenciations territoriales en plus des différences de genre et de classe d'âge) pour mieux cibler l'enseignement et l'aménagement du français au sein de nos institutions ou du moins tâcher de modifier, contrecarrer et monitorer les représentations négatives de la langue française auprès du public italien.

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Note

↑ 1 Le rapport entre didactique et aménagement de la langue française, que nous posons d'emblée, est justifié par le fait que, sans doute aujourd'hui plus que dans le passé (en raison du caractère de plus en plus optionnel du français), la première n'est possible et efficace que s'il y a une demande consciente et un «désir de langue» (GIORDAN, 2010) de la part du public.

↑ 2 Nous disons bien «souvent», et non «toujours». Loin de nous généraliser ce discours: le désignant «langue régionale ou minoritaire» écrase en effet des réalités sociolinguistiques très diverses, qui vont par exemple des communautés résiduelles et sans aucune autonomie politique (comme, en Italie, les Francoprovençaux des Pouilles ou les Grichi de Salente) jusqu'à de véritables nations comme les Catalans d'Espagne.

↑ 3 Et d'autres disciplines telles que la «sociologie, [...], [la] philosophie, [les] sciences du langage, [les] sciences de la communication» (MAURER, 2013b).

↑ 4 www.associazionelemitalia.org/le-nostre-azioni/giornate-dei-diritti-linguistici/cmdl-2015.html

↑ 5 Cette définition concerne ici moins le rapport du sujet aux normes linguistiques, d'après la théorie d'Anne-Marie Houdebine-Gravaud (2002), que la façon d'instituer le rapport entre le sujet et la dimension linguistique à tel ou tel moment de l'histoire.

↑ 6 D'ailleurs, tout outil est, par sa nature même, externe au corps du sujet. Nous avons développé ce raisonnement en AGRESTI 2012: 323.

↑ 7 Ici, nous ne souhaitons qu'aborder ce sujet qui est en vérité extrêmement complexe d'autant plus qu'il se situe au carrefour de sphères et disciplines diverses: la linguistique, la sociologie, la politique, l'économie, l'histoire etc. Tout récemment, nous avons coordonné un ouvrage consacré au concept de commerce de la parole «entre linguistique et économie», cf. AGRESTI, 2015.

↑ 8 Nous nous basons sur les résultats d'une récente enquête sur les représentations (graphiques, picturales) de la langue anglaise auprès d'une population de jeunes italiens de 3 à 18 ans (MAZZARA, 2013).

↑ 9 Y compris, évidemment, les études produites par la communauté scientifique des francisants italiens.

↑ 10 Ce choix ‒ discutable comme n'importe quel choix ‒ est motivé par le fait que l'école secondaire est à notre sens l'un des nœuds stratégiques, voire décisifs, où se définissent les opinions et se déterminent les options pour les études et les professions à venir. Dans ce contexte, nous estimons que l'avis des enseignants (nous soulignons: non seulement les enseignants de français) peut exercer un conditionnement non anodin sur les élèves et leurs parents. Par ailleurs, ce choix n'en exclut pas d'autres: on peut par exemple imaginer l'administration de ce même questionnaire auprès de la population étudiante, ce qui nous permettrait des comparaisons conséquentes.

↑ 11 Cette méthode, nous l'avons déjà expérimentée dans différents contextes (dont AGRESTI ET PALLINI, 2014), et d'abord dans le cadre d'un projet sur les représentations des langues et des identités en Méditerranée en contexte multilingue, projet dirigée par Maurer lui-même. Cf. www.dorif.it/ezine/ezine_articles.php?art_id=104

↑ 12 Il serait naïf d'affirmer ou prétendre une neutralité absolue du chercheur, qui intervient de toutes façons dans la mise au point du questionnaire ne serait-ce que pour sélectionner les items, les formuler de manière compréhensible et les ventiler entre items «positifs» et «négatifs» pour les rendre analysables par le logiciel en ligne. Mais son intervention, dans le cadre de la méthode MAC, est bien limitée.

↑ 13 Ce choix de limiter le questionnaire à 10 items (au lieu de 15 ou 20) a été motivé par l'exigence de simplifier au maximum l'administration des questionnaires, notamment au vu de l'ampleur du corpus que nous souhaitons rassembler.

↑ 14 Nous remercions notre collègue Anna Cacciatore de sa précieuse collaboration.

↑ 15 Nous remercions notre collègue Michela Tonti de sa précieuse collaboration.

↑ 16 Nous remercions notre collègue Roberta Pederzoli de sa précieuse collaboration.

↑ 17 Nous remercions notre collègue Mario Marcon de sa précieuse collaboration.

↑ 18 http://linguiste.iutbeziers.fr/index.php

 

Dipartimento di Lingue e Culture Moderne - Università di Genova
Open Access Journal - ISSN 1824-7482