Formation en traduction spécialisée : Projet collaboratif et logiciels sociaux.
Abstract
Francese | IngleseLe métier de la traduction oblige les traducteurs à maitriser de plus en plus de compétences, linguistique, textuelles, traductionnelles, terminologiques, numériques. Ceux-ci sont appelés à travailler en équipe, et à se plier à un processus composé de plusieurs étapes et opérations spécialisées nécessitant une gestion de projet. Installer un groupe d’apprenants en langues au centre d’un apprentissage de ces compétences combinées peut trouver dans la formule du wiki un environnement personnalisable ouvrant sur les ressources web 2.0 de la Toile et une solution agrégative sollicitant l’initiative et l’autogestion. C’est une expérience de ce genre dont il est rendu compte, autour d’une traduction technique du français vers l’italien concernant des rapports de fouilles d’archéologie sous-marine.
Introduction
À la faveur de la globalisation, les métiers des langues manifestent une expansion constante, tant dans l’enseignement et la formation sur objectifs spécifiques, que dans le monde multiforme de la traduction professionnelle sollicitée par les secteurs privés et publics. Le cadre communicatif de la traduction oblige de plus en plus les traducteurs à maitriser, en complément des compétences proprement linguistiques et traductives, d’autres types de savoir-faire liés aux technologies impliquées par les supports (localisation, sous-titrages, doublage) mais aussi aux diverses phases du processus de traduction dans son ensemble (documentation, terminologie, gestion de projet, révision linguistique, infographie).
Aussi les masters universitaires en langues étrangères se doivent-ils d’axer leurs objectifs sur la pratique professionnelle la plus avancée, afin de former les candidats aux multiples prestations attendues par leurs futurs employeurs.1 L’une des façons d’y parvenir efficacement consiste à encadrer les étudiants dans un projet réel ou dans une simulation globale qui s’en approche le plus possible.
Le présent article rend compte d’une expérience de ce genre, qui associe l’exploitation d’outils numériques collaboratifs à l’apprentissage de la traduction spécialisée et de la terminologie. Elle constitue le cours de « Lingua, Linguistica e Traduzione francese » adressé aux étudiants des deux masters en Lingue Moderne per la Comunicazione e la Cooperazione Internazionale (Classe 38) et en Lingue e Letterature Europee e Americane (Classe 37) de l’Université de Padoue (Italie). Le projet de formation se centre sur l’exercice d’une pratique professionnelle de la traduction spécialisée, fondée en théorie et articulée en un processus méthodologique raisonné. Pour concevoir ce projet, l’enseignante s’est appuyée sur une formation continue et une réflexion convergentes en traductologie (GOUADEC, 1990-2010; BAKER, 2009; HURTADO ALBIR, 2001; SCARPA, 2001), en terminologie (CABRE, 1992; GOUADEC, 1993-2003; L’HOMME, 2004; MAGRIS et al., 2002), en ingénierie des langues (à partir de PIERREL, 2000), en TICE (CALVANI & ROTTA, 2000) et en techniques d’apprentissage des langues (revue Alsic,2) en gestion de projet (FORTI & MASELLA, 2004) ainsi qu’en communication dans les groupes (AMADO & GUITTET, 2012).
L’objectif professionnalisant du cours repose sur un prérequis en matière de maitrise des compétences : un niveau de connaissance de la langue égal ou supérieur au C1 du Cadre Européen Commun de Référence pour les langues,3 qu’il s’agira de renforcer et d’étoffer, principalement dans la gestion des lexiques de spécialité et des techniques de rédaction. Dans le domaine spécifique de la traduction professionnelle, le cours vise en outre à développer des compétences sûres en matière d’extraction d’informations (récolte et lecture critique de documentation concernant le domaine traité, constitution d’un arbre du domaine et identification des termes de spécialité, de leurs collocations et colligations). Ces compétences s’assortissent de compétences technologiques, investies dans la maîtrise de logiciels de traitement automatique des langues (extraction de termes, concordances) ou d’assistance à la traduction (mémoires de traduction et gestion de la terminologie). Le niveau visé par cette première exposition des étudiants à la traduction spécialisée reste ouvert à divers domaines spécialisés : il a pour but de former les futurs traducteurs à l’autonomie de l’information et de sa gestion, quel que soit le domaine soumis à leur expertise. Cette option vise à garantir une certaine ductilité initiale des traducteurs, laissant aux facteurs « temps » et « clientèle » le soin d’orienter et de définir plus tard une spécialisation acquise sur le terrain, au fil des prestations.
L’expérience porte dans ce cas précis sur la traduction commanditée, de français en italien, d’un ouvrage spécialisé de 36036 pages concernant les rapports de fouilles sous-marines au large de Nora en Sardaigne. Leur auteur français, Michel Cassien, archéologue, a laissé ces rapports à l’état de dactylographie. Notre département de Beni Culturali de l’Université de Padoue, lui aussi engagé dans des fouilles à Nora, a voulu fournir aux scientifiques du domaine une traduction italienne de ces rapports de fouilles, qu’il a confiée à notre « équipe de traducteurs » en herbe. Notre donneur d’ouvrage, informateur et réviseur final a donc été le Professeur Jacopo Bonetto, directeur de l’équipe padouane des fouilles à Nora et éditeur scientifique du volume Nora e il mare.4
Cinq objectifs corrélés du cursus visent à répondre à plusieurs des recommandations européennes en matière de formation professionnelle :5
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un objectif théorique : approfondir et appliquer les théories (sémantiques, textuelles, terminologiques, traductologiques) qui fournissent à la traduction spécialisée un bagage scientifique complet (compétence linguistique en langue maternelle et étrangère) ;
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un objectif méthodologique : s’armer de méthodes et d’outils appropriés pour gérer un processus traductif avec une maitrise professionnelle ; établir les bases d’un parcours de formation continue en matière de traduction (apprendre à apprendre pour toute la vie) ;
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un objectif technologique : moyennant une éventuelle mise à niveau informatique, apprendre à exploiter un wiki, un ensemble personnalisé de documents authentiques et des outils Web 2.0 propres à faciliter le travail d’information scientifique et technique et de transfert (compétence numérique) ;
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un objectif collaboratif : apprendre à travailler en équipes structurées et autonomes, apprendre à résoudre les problèmes occasionnés par les tâches (compétence d’initiative et d’entreprise) ;
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enfin un objectif linguistique : se munir de tous les instruments existant sur le marché pour garantir la plus grande maitrise possible de l’écrit, dans une perspective de « zéro défaut » professionnel (GOUADEC 2002 : 167-176) (compétences linguistiques en langue maternelle et étrangère).
Méthodologie de la traduction spécialisée
Considérant que les volets théoriques linguistique et traductologique font l’objet de cours propédeutiques à celui-ci (Master 1 : « Sémantique, Lexique, Phraséologie » et « Théories et méthodes de la traduction spécialisée »), le volet méthodologique appliqué à une traduction commanditée touche à la nécessité de comprendre en pratique pourquoi une traduction professionnelle a intérêt à se plier à un processus ordonné.
Un premier aspect est la terminologie, et donc la garantie que sera utilisé un vocabulaire spécialisé, vérifié en vivier authentique et original, qui soit constant, homogène et conforme à l’usage de la spécialité concernée. Comme il s’agit ici d’une traduction longue (336 pages), exécutée par une équipe de trente-six traducteurs (répartis en six groupes de six), ces qualités d’une traduction technique ne seront assurées qu’à condition, par exemple, que l’établissement du glossaire précède entièrement (autant que faire se peut) la phase de transfert proprement dit et soit entièrement partagé par tous les membres des équipes.
Le parcours choisi s’inspire, notamment, de la réflexion menée à l’Université de Rennes II sous la direction de Daniel Gouadec (1993-2009). Cette optique théorico-méthodologique analyse plus en détail que toute autre, à notre connaissance, la traduction professionnelle comme processus intégré de différentes étapes, depuis l’acquisition du document à traduire jusqu’à la remise du travail accompli, en passant par les opérations suivantes, empruntées au modèle proposé par GOUADEC (2002 : 19) :
- l’analyse du matériel ;
- la recherche encyclopédique et l’approfondissement du domaine de connaissance ;
- la mise en place du matériel terminologique ;
- la mise en place de l’environnement d’aide à la traduction (TAO, mémoire de traduction) ;
- le processus de transfert proprement dit ;
- la relecture personnelle, la lecture croisée entre pairs, le contrôle du réviseur et celui des informateurs ;
- la validation, l’adaptation ;
- le montage du document sur support définitif ;
- et enfin, l’assurance de qualité et tous les contrôles, croisés, horizontaux et verticaux que celle-ci implique.
On observe que le processus complet d’exécution d’une traduction professionnelle comprend de nombreuses tâches et nécessite des compétences complémentaires : non seulement linguistiques et traductionnelles, mais aussi documentaires, rédactionnelles, numériques et gestionnelles.
L’occasion se présente donc d’associer dans un même projet de formation plusieurs types de compétences, conjuguées au fil des unités didactiques (UD) dans l’environnement optimal d’une pédagogie dédiée : le Wiki (voir 4). Celui-ci, à la fois bureau virtuel et agenda d’un processus, comprend autant d’unités didactiques qu’il y a d’étapes à satisfaire, et son calendrier semestriel6 comprend l’équivalent d’un cahier des charges : tâches, matériaux, logiciels et procédures, fenêtres temporelles d’exécution, dates de remise et responsables sont détaillés pour chaque étape.
Comme le montre la figure infra, chaque unité didactique explore méthodiquement et séquentiellement chacune des grandes étapes du processus de traduction : la recherche documentaire et l’élaboration d’un arbre du domaine, l’engrangement de corpus parallèles ou en miroir, l’extraction de termes, les concordances illustrant collocations et colligations, la construction d’une banque de données terminologique multimédia et multimodale, l’examen critique des logiciels d’aide à la traduction constituent autant d’étapes distinctes, pour les besoins de l’analyse théorique, de l’apprentissage procédural et de la maitrise pratique.
Figure 1: Séquence procédurale de la traduction spécialisée
Objectif technologique
Ces étapes s’accompagnent, parallèlement, d’autant d’avancées sur le front de la familiarisation avec les outils numériques, notre priorité allant aux produits Web 2.0, en raison de leur convivialité et de leur gratuité, mais aussi et surtout en vertu de leur fonctionnement participatif et co-élaborateur (MONAHAN, 2002; GODWIN-JONES, 2003; ALEXANDER, 2006; PIOLAT, 2006; SOLOMON & SCHRUM, 2007; O’REILLY & BATTELLE, 2009; NIELSEN, 2010). Il va de soi que l’UD1, par exemple, met en route un parcours d’apprentissage numérique qui ne se limite pas aux premières séances de familiarisation, mais s’enrichit chemin faisant, amalgamant à sa pratique de nouveaux logiciels.
Tout apport technologique nouveau provoque des changements irréversibles sur le plan du langage, des connaissances et, partant, de l’éducation et de la société. Les nouveaux outils numériques ne font pas exception à ce processus de métamorphose compétences (BAWDEN, 2008; CARRINGTON & ROBINSON, 2009; THOMAS, 2011). Leur place grandissante dans les activités professionnelles oblige l’enseignant à intégrer cet apport dans ses programmes au titre de compétence à acquérir. Les technologies numériques n’ont plus à prouver leur utilité dans de nombreux métiers, en particulier dans les métiers des langues ; elles doivent donc avoir leur place également dans les cursus de formation qui y préparent.7
L’intégration des technologies numériques dans l’éducation (en général) se justifie par deux sortes d’impératifs : externes et internes. Les impératifs externes concernent le besoin de préparer nos étudiants à une vie sociale, un emploi professionnel et une citoyenneté compatibles avec le monde en réseau numérique. Or, les soi-disant natifs numériques n’ont pas l’aisance que nous leur croyons, centrés qu’ils sont sur quelques pratiques limitées, quoique insistantes, voire compulsives (téléphonie, Facebook, images et musique), et beaucoup moins sur des pratiques documentaires, linguistiques et textuelles plus élaborées. Les débats sur la question préfèrent maintenant classer les internautes, moins en catégories de « natifs » et de « non-natifs », que de « résidents » et de « visiteurs », par exemple, chacun manifestant un comportement de navigation qui lui est propre (PRENSKY, 2001, 2012; BENNETT et al., 2008; HARGITTAI & WALEJKO, 2008; WHITE, 2008; JONES & SHAO, 2011; WHITE & LE CORNU, 2011; THOMAS, 2011; AMADIEU & TRICOT, 2014).
Dans le cas particulier de la formation à la traduction professionnelle, les impératifs internes s’alignent sur les compétences numériques propres à la profession, qui s’exerce depuis plusieurs années déjà principalement en ligne, du début à la fin de son processus. Le métier de traducteur a depuis longtemps intégré les applications informatiques, selon un progrès vertigineux que certains ont pu qualifier de « cyclone » (GOUADEC 2002 : 219-235). La pratique du métier en a acquis un profil dynamique, en évolution continue, qu’il est impératif de prendre en compte dans les cursus de formation. Plus communément, les impératifs internes concernant les nouvelles technologies touchent aux objectifs d’apprentissage assurés par les outils numériques en classe, en faveur d’une centration sur l’activité co-élaborative et responsable de l’apprenant (CALVANI & ROTTA, 2000; DREXLER, 2010; SENIOR, 2012).
Objectif collaboratif : le wiki
L’avènement du Web 2.0 au tournant du troisième millénaire a fortement contribué à transformer les usagers passifs en contributeurs actifs. On entend par Web 2.0 une génération d’outils dont le quartier général se trouve sur la Toile, tels que les logiciels sociaux, blogs, wikis et tous les systèmes de gestion active de documents (téléchargement, modification, publication, sauvegarde et conservation), qui se fondent sur la communication, le partage et la collaboration, comme Flickr, YouTube, Slide Share etc.8 (ALEXANDER, 2006; SOLOMON & SCHRUM, 2007; NIELSEN, 2010; ROTT & WEBER, 2013; DAVIS, 2013). Mais ils comprennent aussi des logiciels sociaux (gratuits dans leurs fonctionnalités de base) conçus pour le partage de documents et d’activités de traitement en milieu professionnel, moyennant une accessibilité contrôlée : les wiki9 (COUROS, 2007; HENROT, 2010; DIAMOND & GAIER, 2014; HENROT, 2015).
C’est la raison qui nous a poussée à installer ces instruments Web 2.0 au centre du paysage technologique qui constitue l’environnement du cours. Il s’y ajoute deux autres qualités, beaucoup plus triviales : leur gratuité et leur accessibilité en ligne, qui évitent de surcharger les serveurs locaux et n’occasionnent aucune dépense aux étudiants qui en dotent leur bureau personnel. Dans cet ordre d’idées, les institutions envisagent toujours plus, grâce à la multiplication des outils accessibles en ligne, d’offrir aux étudiants des lieux de travail collaboratif en présentiel, sans nécessairement les assortir de matériels prompts à l’obsolescence, dont ils peuvent désormais s’épargner l’investissement. Comme sur les lieux de travail professionnel, on peut désormais demander aux étudiants de travailler avec leurs propres outils, ce que beaucoup font d’ailleurs déjà spontanément.
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler en quoi consiste spécifiquement un wiki : c’est un type de site web (entendu comme collection de documents reliés entre eux par des liens hypertextuels aller-retour, verticaux et horizontaux), dynamique car il peut être mis à jour par tous ses utilisateurs, et dont les contenus se développent à travers la collaboration de tous ceux qui y accèdent ; cette mise à jour permanente procède par ajouts, modifications, suppressions, déplacements des informations saisies par les auteurs précédents. Wikipedia en est l’exemple le plus connu.10 L’utilité d’un tel dispositif dans le contexte de l’enseignement spécialisé est multiple.
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Le wiki est un environnement collaboratif qui permet de fédérer les équipes de travail autour d’un même cahier des charges.
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Une section du wiki peut en effet aisément se configurer comme banque de données terminologique (Figure 2), échafauder un glossaire hypertextuel, avec sa série de liens conduisant de l’index alphabétique à la nomenclature, et de celle-ci à la fiche proprement dite, et de la fiche à ses diverses sources ou à d’autres fiches corrélées (Voir 5 pour cette dernière) :
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Notre wiki se conçoit en outre comme un environnement agrégateur, orbital, concentrique et multidimensionnel, qui déploie, à partir de ses pages et de sa barre latérale (voir ci-dessus, à gauche), un ensemble de liens internes (entre les pages du wiki) et externes (vers d’autres sites, d’autres logiciels ou d’autres pages de site). Il se présente comme une structure à la fois centripète, organisée autour de sa page d’accueil, et centrifuge, puisqu’en route vers de nombreux autres lieux de la Toile.
La population du cours de master en traduction spécialisée français/italien (une bonne trentaine d’étudiants), favorise l’organisation de groupes de travail de quatre à six participants : leur constitution sur base spontanée, par affinités préexistantes, facilite la mise en route du travail en équipe et réduit les risques d’accrocs ou d’échec dans l’histoire du groupe. Les différentes tâches (documentation, terminologie, traduction, rédaction, infographie, révision) sont exercées par chacun des participants qui, au fil des étapes, cherche des documents, compose des fiches terminologiques, traduit et compose son texte. Mais la collecte, la gestion et la production des documents étant collaboratives, chaque groupe désigne, pour chacune de ces tâches spécifiques, un responsable coordinateur qui est chargé de veiller au bon déroulement de la tâche, de (faire) respecter le cahier des charges et de rendre compte des résultats au nom du groupe. Ce calendrier, préconisé par la méthodologie professionnelle exposée en ouverture et établi en accord avec l’enseignant et le donneur d’ouvrage, scande le parcours en deux types d’activités : des séances communes en présentiel et des « intervalles » à distance destinés au travail par groupes.
Les séances en présentiel, introduites et documentées par les pages-mères des UD, sont consacrées à l’exposition des méthodes et concepts clés et à l’apprentissage guidé de logiciels et procédures (manipulation du wiki, extraction de concordances, mémoire de traduction), ou de protocoles (correction d’épreuve, assurance de qualité).
Ces séances de mise en route préparent les équipes à exécuter ensuite la tâche proprement dite, à distance, selon une organisation qui leur est propre. Chaque équipe traite un lot partiel du texte commandité, ce qui demande une ferme coordination non seulement au sein des équipes mais aussi entre les équipes : les étudiants semblent embrasser sans trop de difficulté l’éthique Web 2.0, selon laquelle l’apport des compétences et des productions variées de chacun permet à tous de fournir un travail de qualité supérieure au travail individuel.
Environnement virtuel spécialement aménagé pour la gestion du projet de traduction, notre wiki permet ainsi aux équipes de se ménager, pour chaque UD, des espaces de travail propres, mais aussi de mise en commun avec les autres équipes. Il permet la rédaction à plusieurs mains, la révision entre pairs et le dialogue avec le réviseur. Mais surtout, il favorise le partage de documentation et l’élaboration collégiale du glossaire.
Figure 2 : Parcours d’accès à la section terminologique
Figure 3: Dimensions du wiki
L’utilisation collective du wiki demande la mise en place de compétences numériques internes au wiki (souvent absentes chez les étudiants, mais d’apprentissage rapide) : créer et modifier des pages de wiki, gérer leur historique, créer des dossiers, y ranger des pages et y télécharger des documents, tisser des liens et des rétroliens (pour assurer la navigation aller-retour entre les pages), gérer des tableaux, contribuer à une architecture transparente et partageable (ordre des dossiers, grammaire des noms de fichiers), poster des commentaires dans le respect des règles d’un savoir-vivre en ligne (ESS 2009).
Elle demande en outre la mise en place ou la mise à niveau de compétences variées sollicitées ou facilitées par divers logiciels,11 telles que : engranger et organiser des permaliens (grâce au logiciel de partage de signets Delicious), construire un arbre du domaine (grâce à Cmap Tools, en local, ou à Bubblus, en ligne), repérer et extraire des termes (AntConc), contrôler rapidement des concordances (WebCorp), affronter de façon intelligente et critique les traducteurs automatiques (Systranet, Google Traducteur, Lingoes, Reverso etc.), relier ou incorporer aux pages du wiki intéressées les résultats des élaborations de données produites grâce à ces logiciels (images, vidéos, captures d’écran, cartes conceptuelles).
Objectif linguistique
L’objectif linguistique du cours vise évidemment à garantir une présentation formelle de l’ouvrage (la traduction finie) qui soit impeccable du point de vue de la forme linguistique. Mais pour une utilisation immédiate par le donneur d’ouvrage, cette correction formelle s’assortit également d’un rigoureux savoir en matière de typographie, et d’un certain savoir-faire en matière de composition. Les documents confiés au transfert sont de plus en plus de nature composite, associant le texte à des images, des tableaux, des schémas, des histogrammes, des vidéos, ou construits en sites web etc., de telle sorte que le traducteur ne peut plus désormais se contenter de savoir gérer du texte seul et négliger la phase d’édition dans ses dimensions multimédias.
À ce stade de la formation en traduction, où l’on espère acquise une maitrise honnête, si pas experte, de la langue, on sait néanmoins par expérience quel soin, quelle attention, quelle minutie il faut déployer pour fournir un document répondant au « zéro défaut ». Une préparation efficace à un métier langagier (en langue maternelle comme en langue étrangère) doit amener les étudiants à tout mettre en œuvre pour perfectionner la qualité de leurs productions.
Voici les méthodes et outils sur lesquels nous avons mis l’accent lors de ce projet de traduction :
- une méthode linguistique d’exploitation du dictionnaire se doit d’être efficace et intelligente, fondée sur une connaissance théorique des niveaux d’emplois et des logiques de dépendance entre unités linguistiques :
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des logiques syntaxiques telles que les valences verbales et les colligations qui les actualisent,
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des logiques fréquentielles, telles que les collocations,
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des logiques sémantiques, telles que les semi- figements, les quasi figements etc.;
Voilà l’environnement complexe dans lequel s’est organisée en 2013-2014 la traduction de l’ouvrage sur les fouilles de Nora mentionné plus haut. L’expérience qui en a émergé était donc plus qu’une simulation, puisque le résultat est effectivement sorti de presse sous forme de publication,12 dans un imposant volume de 600 pages comprenant, outre l’original et sa traduction, un ensemble de textes scientifiques de l’équipe des archéologues engagés dans le projet de fouilles.
La traduction a impliqué la gestion de 468 termes, dont de nombreux termes « maison » introuvables dans les dictionnaires et dans les banques terminologiques européennes et canadiennes, pour lesquels s’est révélée fondamentale la recherche sur corpus parallèles spécialisés. Cette recherche terminologique en vivier de textes a impliqué la création d’autant de fiches terminologiques dont est fourni ci-dessous un exemple type, à envergure encyclopédique (des parenthèses latérales sont ajoutées pour en guider la saisie par secteurs).
Figure 4 : Fiche terminologie (linguistique et ontologique)
Conclusion
Le wiki, créé et implémenté sous le contrôle et la responsabilité de l’enseignant, est à la fois un environnement virtuel propice au travail collaboratif, le moyen de gérer l’agenda d’un processus collectif et une fenêtre sur d’autres outils Web 2.0 à portée de clic. Il est modéré et tenu en éveil par ses soins ; mais la tâche la plus cruciale consiste à guider, surveiller et restaurer au besoin l’architecture du wiki dans son déploiement de pages créées par les étudiants et dans le rangement rationnel et mnémonique des fichiers chargés sur le wiki : il est impératif d’exposer aux étudiants les principes d’ordre et de classement, la hiérarchie des dossiers dans le plan du site et la grammaire des noms à donner aux pages et aux fichiers, sans quoi le wiki se transforme rapidement en botte de foin. C’est en effet dans l’engrangement de fichiers externes (images, cartes de concept, vidéos, diapositives) et dans la création de nouvelles pages filles (où chaque groupe élabore sa tâche collective), que la collectivité du wiki impose le plus aux participants de « penser aux autres » en respectant les consignes et critères de classement, et au maitre de toile d’y mettre bon ordre constamment. L’autre tâche exigeante pour l’enseignant consiste à évaluer chaque prestation dans la foulée de son exécution, afin que les participants bénéficient d’un retour critique immédiat, utile à une amélioration constante de ses activités. La grande quantité de prestations fournies comporte donc pour l’enseignant un suivi continu en termes non seulement de mise en route, mais aussi d’évaluations formatives, de consultance, de coaching, de facilitation.
Cependant, l’expérience en vaut vraiment le prix. Les étudiants manifestent à chaque édition, et tout au long du cours, une forte motivation d’apprentissage et de performance, tangible dans la qualité des prestations, le respect des consignes et des délais, les comptes rendus et discussions périodiques. Revu à l’aune des exigences académiques du donneur d’ouvrage, le texte traduit a été publié tel quel. De nombreux étudiants, s’étant découvert un grand intérêt pour un secteur de traduction qu’ils ne soupçonnaient guère au départ, ont cherché et trouvé stages et emplois en traduction.
Pour que notre enseignement des langues reste pertinent aujourd’hui et demain, nos leçons doivent comprendre une large palette de compétences allant bien au-delà de la littérature papier, si nous voulons que nos étudiants apprennent à satisfaire avec toujours plus d’autonomie leurs besoins d’apprentissage en termes de connaissance et de compétence.
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Note
↑ 1 Tels sont, en effet, les réquisits du label « Master Européen en Traduction » (http://ec.europa.eu/emt).
↑ 2 https://alsic.revues.org/, Apprentissage des Langues et Systèmes d’Information et de Communication, revue en ligne, annuelle, fondée en 1998.
↑ 3 http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/Source/Framework_fr.pdf, pp. 25-28.
↑ 4 Nora e il mare. I. Le ricerche di Michel Cassien (1978-1984), Padova, Padova University Press, 2014, en particulier les pp. 56-392. Les pages 50-52 rapportent les tenants et les aboutissants de l’expérience collaborative de traduction.
↑ 5 Dans leur ensemble, celles-ci concernent respectivement : 1) Communication dans la langue maternelle ; 2) Communication en langues étrangères ; 3) Compétence mathématique et compétences de base en sciences et technologies ; 4) Compétence numérique ; 5) Apprendre à apprendre ; 6) Compétences sociales et civiques ; 7) Esprit d’initiative et d’entreprise ; 8) Sensibilité et expression culturelles. http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv:OJ.L_.2006.394.01.0010.01.FRA&toc=OJ:L:2006:394:TOC:
↑ 6 Le processus entier s’est déroulé sur la durée prévue pour le cours (42h en 11 semaines à raison de deux séances de deux heures par semaine), durée à laquelle il faut ajouter le temps nécessaire à la mise au point du texte final. Ayant débuté en mars, il s’est donc clôturé par la remise du texte pour l’édition en juin 2014. Le livre est sorti de presse fin 2014.
↑ 7 La Commission européenne fournit une définition détaillée des différentes composantes des compétences ou « littératies numériques », comme elles sont nommées désormais, dans E-skills for Europe : Towards 2010 and Beyond (http://eskills.cedefop.europa.eu/dowmload/synthesis_report_esf_2004.pdf)
↑ 8 Pour une catégorisation et une définition minimales des logiciels Web 2.0, voir DAVIS 2013.Pour un coup d’œil synoptique, voir le « prisme de la conversation » dessiné par Brian SOLIS et Jess3, avec tous les logiciels sociaux existants à ce jour, dans http://www.briansolis.com/2010/10/introducing-the-conversation-prism-version-3-0/ (dernière visite le 20 avril 2015).
↑ 9 Principalement deux sites de wiki sont adaptés à l’usage pédagogique proposé ici : Wikispaces, (https://www.pbworks.com/education.html) et PBworks (https://www.pbworks.com/education.html), tous deux actifs depuis 2005.Nous travaillons sur PBworks depuis 2008 (HENROT 2010, 2015).
↑ 10 Wikipedia (https://fr.wikipedia.org/wiki/Wiki, dernière visite le 19-12-2015) : « application web qui permet la création, la modification et l’illustration collaboratives de pages à l’intérieur d’un site web. Il utilise un langage de balisage et son contenu est modifiable au moyen d’un navigateur web. C’est un outil de gestion de contenu, dont la structure implicite est minimale, tandis que la structure explicite émerge en fonction des besoins des usagers. Le premier wiki, créé en 1995 par Ward Cunningham pour réaliser la section d’un site sur la programmation informatique, fut appelé WikiWikiWeb. En 2014, selon Alexa Internet, le plus consulté de tous les wikis est Wikipédia ».
↑ 11 Tous les logiciels énumérés ci-dessous sont immédiatement accessibles en saisissant leur nom sur Google.
↑ 12 Voir note 6.