Descartes constructeur ou la métaphore dans la scène de pensée du texte philosophique
Indice
1. Derrida et Ricœur ou le défi philosophique face à la métaphore
2. La scène de pensée d'un texte philosophique: des sensations qui provoquent le questionnement
3. La scène de pensée du Discours de la méthode ou la fable d'une satisfaction troublée
4. Les métaphores de la construction au cœur de la scène de pensée du « Discours »
Abstract
Francese | IngleseLa place de la métaphore dans le discours philosophique est une question aussi vieille que la philosophie. Cet article fait l'examen et le relais de réflexions menées à ce propos par Paul Ricoeur et Jacques Derrida. Il aborde la relation intime de la philosophie à la métaphore en ayant le souci de ne pas assimiler les deux, ce qui aurait pour conséquence d'enlever à la philosophie tout critère de distinction. Sa proposition de base est de considérer les métaphores comme un élément qui s'articule à la "scène de pensée" du texte philosophique. De cette façon, leur relation à la philosophie se discerne: elles donnent à penser, ou pas, en fonction de ce qu'elles font sentir au lecteur qui regarde la scène, en vertu des sensations de tension qu'elles lui laissent. Ces tensions poussent à s'interroger, activent la pensée. Considérées sous cet angle, les métaphores de la construction, centrales dans le Discours de la méthode de René Descartes, montrent toute leur force. Elles font vivre les tensions intenables du maître-constructeur; ne laissent pas tranquille; imprègnent le lecteur des ambiguïtés du projet cartésien; et font penser.
Le Discours de la méthode de René Descartes est la «fable» d'un parcours philosophique.1 Le personnage principal, Descartes lui-même, raconte son histoire et, à plus d’une reprise, il devient «constructeur». Dans cette fable, il y a une ville avec des maisons à démolir, des matériaux de construction, des plans d'architecte, du sable, du roc et de l'argile; comme il y a la construction entière d'un monde nouveau. Du début à la fin du livre, il y a des constructions qui s'élèvent pièce par pièce, bloc par bloc.
Cet article est une analyse des métaphores de la construction qui peuplent le Discours. Il dialogue avec les propositions de Paul Ricœur et de Jacques Derrida sur le rôle de la métaphore en philosophie, en leur apportant la perspective suivante: les métaphores centrales d'un texte philosophique s'articulent à la «scène de pensée» du texte et c'est là qu'elles jouent leur plus important rôle; induire au lecteur des sensations qui le poussent au questionnement. Pour mener à bien notre contribution, nous cernerons dans un premier temps comment les passages du Discours de la méthode parlant de construction peuvent être considérés comme des métaphores, et quels en sont les enjeux, en puisant principalement dans les réflexions de Ricœur et Derrida. Dans un deuxième temps, nous exposerons l'outil d'analyse qui nous permet d'ouvrir l'horizon: soit la notion de «scène de pensée» que le lecteur peut tirer du texte philosophique. Dans un troisième temps, nous dégagerons la scène de pensée du Discours de la méthode, pour enfin montrer, dans un quatrième temps, comment les métaphores de la construction participent de cette scène et peuvent être comprises dans l'ensemble en fonction d'elle. Leur force philosophique s'impose alors: elles poussent au questionnement en faisant sentir au lecteur, qui regarde Descartes raconter sa vie, combien dans cette fable le personnage principal est pris à la fois de satisfaction et d'inquiétude.
1. Derrida et Ricœur ou le défi philosophique face à la métaphore
Dans son Discours, Descartes examine tout ce qu'il sait. Il refuse de s'appuyer «que sur les principes qu’[il s'était] laissé persuader en [s]a jeunesse sans avoir jamais examiné s'ils étaient vrais.»; il «rejette» les «opinions qui ont pu glisser autrefois dans [s]a créance sans y avoir été introduites par la raison»; il «examine» les propositions mathématiques; «[s]'emploie à examiner» des préceptes et entreprendra «d'examiner» toutes les autres sciences.2 Malgré la réitération de l’«examiner» à certains endroits du texte, quelque chose d’autre dit beaucoup plus en détail, et de façon plus soutenue d'une partie à l'autre de l' œuvre, ce que le philosophe fait : Il démolit et rebâtit son savoir.
Cette autre manière de dire les choses est la métaphore centrale du Discours de la méthode. C'est une métaphore, sur le plan linguistique, en tant que figure de style fondée sur une ressemblance entre l'examen des connaissances et la démolition-reconstruction.3 C'est une métaphore, plus particulièrement, à la lumière de ce que Paul Ricœur appelle dans La métaphore vive la «logique de la découverte».4 Dans cette perspective, la démolition-reconstruction ne fait pas que ressembler à l'examen mené par Descartes; elle en fait partie intégrante. Pourquoi? Parce que la métaphore est alors conçue comme la voie prioritaire, voire incontournable, pour se représenter et explorer l'inconnu. Celui-ci ne peut être représenté et exploré qu'en passant par ce qu'on connaît déjà, avec la supposition que d'une manière ou d'une autre il lui ressemble. Ainsi, exploiter la ressemblance entre deux choses (ou la présupposition de ressemblance) n'est plus un procédé stylistique pour la transmission de quelque chose de fini, pour « l'illustration d'un concept bien assuré »5, mais un procédé cognitif pour la constitution de quelque chose; passage obligé pour aller plus loin, ou simplement ailleurs, dans ce qu'on croit savoir – pour découvrir l'inconnu.6
Dans le Discours de la méthode, Descartes examine tout ce qu’il sait en cherchant une vérité unifiée qu'il n'a pas trouvée dans son cursus scolaire, ni en voyageant. Elle est inconnue: on ne sait pas trop, au fond, ce qu'on cherche. Descartes se la représente et l'explore en faisant comme si elle était l'une de ces constructions à l'architecture ordonnée et harmonieuse qu'il admire tant. Il démolit et reconstruit ce qu'il sait en visant la magnificence d'une muraille, d'un monument, d'une ville — homogène, lisse, proportionné, parfaitement unifié — comme si la vérité qu'il cherche y ressemblait. Le comme si n'est pas un ornement à la ligne d'arrivée, mais une nécessité dans le parcours.
Derrida a radicalisé le caractère nécessaire de la métaphore. Dans La Mythologie blanche, elle n'est plus un moment clé dans un processus, mais l'«origine» même de la philosophie, dans la mesure où l'acte philosophique, son geste fondamental, est le «déplacement de sens» langagier. La métaphore est donc première: sa définition implique toujours un système conceptuel (des oppositions, des hiérarchies, des chronologies) qui lui-même, ultimement, est fondé sur le jeu du langage. La métaphore est en fait l'origine «oblitérée» de la métaphysique qui vise (et s'autorise de) un système conceptuel censé être non métaphorique. Elle est sa « tache aveugle », son « foyer de surdité ».7 Et malgré cette oblitération, elle demeure son déterminant, ce qui éventuellement la fait craquer de l’intérieur et la relance.8
Dans leurs réflexions respectives sur le rôle et la nécessité de la métaphore en philosophie, Ricœur et Derrida réfèrent tous deux à une inquiétude vieille de siècles: reconnaître la dimension métaphorique irréductible du travail philosophique, mais préserver la philosophie de «l'errance sémantique», conserver ses critères de définition propres. Derrida souligne le cul-de-sac que la métaphysique a cru voir :
Le discours philosophique est alors confronté à deux horizons problématiques. Soit il reconnaît son origine [...] Mais alors, dans ce cas [il] risque de se confondre avec le jeu métaphorique des déplacements du sens, de s'ouvrir à l’''errance sémantique''. [...] Soit il efface cette origine, la dissimule […] pour mieux la contrôler.9
Ricœur, quant à lui, valorise l'« imagination scientifique » au sein de la « logique de la découverte », fait apprécier les « intersections » vitales entre les discours philosophiques et poétiques, mais conclut LaMétaphore vive en étant fort soucieux de la « relative autonomie » de la philosophie.10 Dans les faits, ce souci est aussi vieux que la philosophie elle-même (le Socrate de Platon, par exemple, étant obsédé par ce qui le distingue des sophistes). Or, il a été pour ainsi dire revigoré, tonifié, par les réflexions sur le langage qui ont retenu l'attention de toute une époque : La «dénonciation, insistante et justifiée, d'une illusion concernant le discours scientifique […] cette déconstruction du discours “occidental” attaqué de front par Lacan, Foucault, Derrida », invitant selon certains, « dans l'ivresse de la polémique », le spectre d'une «invalidation, plus ou moins explicite, de tout discours scientifique. »11 De tout discours philosophique.
Dans le présent article, nous voulons affronter l'inquiétude évoquée – éviter qu'en reconnaissant le caractère fondateur et irremplaçable de la métaphore en philosophie, celle-ci ne perde tout contour; lui penser des traits propres qui soient compatibles avec ses assises métaphoriques indéniables. Nous relayons en partie le critère de distinction mentionné par Ricœur à la fin de La métaphore vive. Pour saisir le propre du travail philosophique12, il faut considérer la «visée» ou l'«intention» du discours: poser des questions en essayant de trouver des réponses – même si en dernier lieu elles s'avèrent inatteignables. L'effort dans cette direction (celle des réponses) pèserait plus que l'échec.13 En apportant une inflexion à ce critère, mettant l'accent sur le plus important à notre avis, nous dirons que la philosophie, entendue comme pensée et non comme savoir, a essentiellement partie liée avec le fait de se poser des questions, avec une impulsion interrogative. Notre thèse est d'avancer que la métaphore participe de ce qui rend possible cet élan. Non seulement parce qu'elle permettrait de se représenter ce qu'on cherche, une fois le questionnement lancé, ni parce qu'elle serait le fondement même du langage, avec lequel on questionne, mais parce que la métaphore s'articule à ce qui affecte le lecteur d'un texte philosophique et lui donne le goût, voire le pousse malgré lui, à s'interroger.
L'une des particularités de notre approche est ce changement d'angle : aborder le travail philosophique (entendu comme pensée, comme élan d'interrogation) du point de vue du lecteur de textes philosophiques, et non des auteurs. De sorte que l'enjeu de réflexion n'est plus ce que fait l'écrivain de philosophie (Descartes, Ricœur ou Derrida) avec la métaphore (la reconnaître, l'oblitérer, s'en servir comme outil pour se représenter l'inconnu, etc.), mais ce qu'en fait le lecteur. Jusqu'où et comment la métaphore peut-elle être appréhendée dans le texte philosophique pour que soit préservée et nourrie la pensée du lecteur; pour que la dernière page tournée, il se pose activement des questions? Nous y réfléchissons en prenant pour matière à l'étude les métaphores de la construction dans le Discours de la méthode.
2. La scène de pensée d'un texte philosophique: des sensations qui provoquent le questionnement
Pour concevoir ce qui, à la lecture d'un texte philosophique, pousse le lecteur à se questionner, nous partons de deux propositions formulées par Spinoza dans la deuxième partie de l’Éthique dédiée à «la nature et l'origine de l'esprit». Elles concernent l'unité du corps et de l'esprit dans le processus de pensée. En un mot: l'esprit pense ce que le corps ressent et il a d'autant plus d'idées que les sensations ressenties sont riches et variées. Proposition XIII : «L’objet de l’idée constituant l’Esprit humain est le Corps, autrement dit un certain mode de l’Étendue existant en acte, et rien d’autre». Ainsi, proposition XIV : «L’esprit humain est apte à percevoir un très grand nombre de choses, et d’autant plus apte que son corps peut être disposé d’un plus grand nombre de façons. »14
À partir de ces postulats, l'on peut supposer que le texte doit affecter le corps du lecteur pour que se déclenche en lui un questionnement. C'est par les dispositions du corps qu'il touche l'esprit. En d'autres termes, il «donne à penser» en faisant vivre des sensations. L'outil analytique que nous proposons est d'imaginer qu'à la lecture du texte philosophique, le lecteur se trouve face à une scène de pensée, c'est-à-dire une action située dans l'espace et le temps qui attire son attention, capte son regard, et que son vécu de ce spectacle l'affecte de sensation qui l'acculent à se questionner. C'est dans la mesure où les sensations induites au lecteur par son vécu de la scène du texte sont intenables en tant que telles, dans la mesure où elles le plongent dans une tension riche et persistante, que le texte pousse à s'interroger et «fait penser». Les métaphores principales d'un récit philosophique, celles qui reviennent sans cesse, qui le traversent de part en part, s'articulent à sa scène de pensée et stimulent ces sensations.
3. La scène de pensée du Discours de la méthode ou la fable d'une satisfaction troublée
En 1637, quatre ans après la condamnation de Galilée, paraît le Discours de la méthode. Pour bien conduire sa raison, et chercher la vérité dans les sciences.15 La scène de l'œuvre peut être synthétisée en deux grandes parties, entre lesquelles le ton change.
Dans la première partie (comportant les sections 1 à 4 du livre), l'action est celle d'un homme de lettres qui raconte comment, étant jeune, au terme du cursus «au bout duquel on a coutume d'être reçu au rang des doctes»16, il est déçu par la trop grande diversité des prétentions au vrai. Il reprend alors tout ce qu'il a appris et le révise avec sa propre « méthode », pour se rapprocher le plus possible de la vérité qui ne peut être qu'une.17 L'espace est celui du voyage en dehors des salles de classe et celui de l'entrée en soi, seul point à partir duquel on peut se rapprocher de la vérité. Le temps est celui de la jeunesse (Descartes est «nourri aux lettres»18), du début de l'âge adulte (il «sort de la sujétion de ses précepteurs»19) et de l'attente. Le jeune homme attend d'avoir la maturité suffisante pour passer à examen les plus importantes questions: celles de la philosophie. «Je ne pouvais point entreprendre d'en venir à bout que je n'eusse atteint un âge bien plus mûr que celui de vingt-trois ans»20, confesse-t-il. Pendant près d'une décennie, il roule «ça et là», déracinant les erreurs qui se sont glissées dans son esprit.21 Jusqu'à ce qu'un jour, enfin, il s'attaque aux enjeux philosophiques. Roulement de tambours : Descartes doute alors de tout (ce que lui disent ses sens, ses raisonnements, ses idées), et en vient à conclure que lui-même, qui est en train de douter, doit forcément être quelque chose. Sans quoi il n'y aurait rien – ce qu'il était incapable d'imaginer.
Et remarquant que cette vérité, je pense, donc je suis, était si ferme et assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupules pour le premier principe de la philosophie que je cherchais.22
Avec le célèbre « je pense donc je suis », que l'on pourrait traduire par « je doute et devant l'impasse que rien ne soit, je sais – en doutant – que j'existe », le rideau se ferme.
Dans la deuxième partie (comportant les sections 5 et 6 du livre), l'action de la scène est celle du même homme de lettres, au sommet de son art, qui ne raconte plus son passé, mais son présent. Il a récemment écrit un grand traité, contenant tout ce qu’il a découvert au fil des ans, mais en a avorté la publication in extremis.23 Il raconte la censure d'une opinion de physique (celle de Galilée) dont il avait entendu parler, sans l'estimer en rien préjudiciable. Sa condamnation lui fit craindre de s'être mépris lui-même, malgré la prudence de sa méthode de révision des savoirs et son soin de n'écrire au désavantage de personne. Il raconte aussi comment, soucieux que l'on ne s'imagine pas de terribles choses le poussant à se taire, lui est venue l'idée d'écrire quand même un court livre – Le Discours de la méthode. L'espace de cette deuxième partie est autant celui du «monde imaginaire» que Descartes déployait dans son traité inédit24, que celui de la solitude, de l'ermitage, dans lequel le philosophe se retire en fin de vie. Le temps est celui de la maturité atteinte et de l'économie des années qui restent à vivre. En tirer le meilleur exige que Descartes ne publie pas, pour éviter le gaspillage d'énergie en querelles infécondes et pouvoir se consacrer à finir ce qu'il a commencé. «Je crois être d’autant plus obligé à ménager le temps qui me reste que j’ai plus d’espérance de le pouvoir bien employer; et j’aurais sans doute plusieurs occasions de le perdre si je publiais les fondements de ma physique.»25 «J’ai résolu de n’employer le temps qui me reste à vivre à autre chose qu’à tâcher d’acquérir quelque connaissance.»26
Des deux parties qui composent en miroir la scène de pensée du Discours de la méthode se dégage une sensation tout en contraste: cet homme que l'on a suivi de la petite enfance à la programmation des dernières années qui lui restent à vivre, est à la fois profondément satisfait et inquiet. Certes, il a réussi sa mission, s'est rapproché de la vérité plus qu'il ne l'aurait espéré et la satisfaction qu'il en tire est immense. Elle s'énonce en toutes lettres: «Ce qui me contentait le plus de cette méthode était que par elle j'étais assuré d'user en tout de ma raison, sinon parfaitement, au moins le mieux qui fût en mon pouvoir»27; « (...) j’ai trouvé moyen de me satisfaire en peu de temps touchant toutes les principales difficultés dont on a coutume de traiter en la philosophie»28; «il me semble avoir découvert plusieurs vérités plus utiles et plus importantes que tout ce que j’avais appris auparavant, ou même espéré d’apprendre».29 L'homme ne changerait son occupation pour rien au monde30… Mais quelque chose ne va pas. Il tend à se reclure, évite les rencontres savantes, ne travaille avec personne et préfère communiquer avant tout par correspondance. Descartes devient sciemment ermite, et expose ses raisons.31 Il se justifie, s’explique, mais, encore là, l'ermitage ne semble pas suffire... Quelque chose trouble le calme qu'il «chérit sur toute chose», quelque chose inquiète «le parfait repos d'esprit qu['il] cherche».32 Il est satisfait, mais farouche; triomphant, mais pas tout à fait tranquille.
Qu'est-ce donc qui tracasse Descartes? Qu'est-ce qui l'incommode? Est-ce surtout une frustration de publication? Est-ce la sollicitation de l'extérieur, du milieu des doctes, qui le dérange et lui interdit un retrait comme il le voudrait? La réponse ne se donne pas d'emblée, ne se révèle pas dans le récit.... elle se pense, se rumine. La sensation qui émane de la scène – le contentement du personnage de Descartes, son combat d'ermite, son amertume – est complexe dans sa nuance, insaisissable en un seul mot. Elle pousse à se questionner, à chercher ce qui ne va pas. Et les métaphores de la construction l'alimentent, la consolident, donnent des pistes. Le reste de cet article est consacré à repérer leurs occurrences; à montrer leur articulation à la scène du texte et leur apport inestimable à la sensation qu'elle laisse. Puis, en dernière instance, à penser avec elles. En affectant le lecteur, en lui faisant ressentir la satisfaction troublée du Descartes de cette fable, les métaphores de la construction rendent possible qu'à la lecture du Discours l'on vive activement une expérience philosophique, c'est-à-dire qu'on se pose soi-même des questions.
4. Les métaphores de la construction au cœur de la scène de pensée du « Discours »
4.1 La démolition-reconstruction de la ville intérieure dans la première partie
Très tôt dans la première partie de la scène de pensée du Discours, alors qu'il est déçu de son éducation et de ses voyages, Descartes entre en lui: «je pris un jour résolution d’étudier en moi-même».33 Cette entrée en soi est verbalisée, mais aussi « jouée » dans la fable : l'homme s'enferme pendant des jours dans une toute petite chambre, en Allemagne, sans contact qui soit.34 En lui, Descartes trouve une ville intérieure faite de tout ce qu'il a reçu en lègue depuis qu'il est né. Cette ville, il la démolira et la rebâtira de ses propres mains. C'est dans son chantier de construction, avec ses outils, ses aspirations d'architecte et sa cabane de chantier qu'on apprendra à le connaître. Les métaphores de la démolition-reconstruction composent le monde dans lequel il se présente au lecteur et se fait apprécier. Elles font corps avec le personnage. Mieux que tout, elles nous disent ses motivations, ses goûts, ses problèmes, ses solutions, ainsi que sa satisfaction et sa fierté.
Les motivations qui le poussent à agir sont pressantes. Ce sont les fondations de sa ville intérieure qui ne tiennent pas:
[...] nous ne voyons point qu’on jette par terre toutes les maisons d’une ville, pour le seul dessein de les refaire d’autre façon, et d’en rendre les rues plus belles; mais on voit bien que plusieurs font abattre les leurs pour les rebâtir, et que même quelquefois ils y sont contraints, quand elles sont en danger de tomber d’elles-mêmes, et que les fondements n’en sont pas bien fermes.35
Les goûts qui guident son entreprise sont clairs. S'il démolit par nécessité, pour éviter des écroulements, la beauté des constructions à venir le fascine. Ce qu'il veut, c'est uniformiser sa ville, certes parce que la vérité qu'il cherche ne peut être qu'une, ne peut être qu'uniforme, mais aussi parce quel'uniformité lui paraît belle.
[...] souvent il n’y a pas tant de perfection dans les ouvrages composés de plusieurs pièces, et faits de la main de divers maîtres, qu’en ceux auxquels un seul a travaillé. Ainsi voit-on que les bâtiments qu’un seul architecte a entrepris et achevés ont coutume d’être plus beaux et mieux ordonnés que ceux que plusieurs ont tâché de raccommoder en faisant servir de vieilles murailles qui avaient été bâties à d’autres fins. [...] à voir comme [les édifices des villes raccommodées] sont arrangés, ici un grand, là un petit et comme ils rendent les rues courbées et inégales, on dirait que c’est plutôt la fortune que la volonté de quelques hommes usant de raison qui les a ainsi disposés.36
La ville intérieure de Descartes est bric-à-brac et rapiécée, construite par le cumul de ses appétits et précepteurs passés, trop multiples, trop contraires les uns aux autres. Ses connaissances sont comme ces édifices «ici un grand, là un petit».... Alors que Descartes aime la régularité, des lignes droites et égales, des édifices homogènes, dont il fait remonter la beauté à l'action d'un seul architecte. Il veut donner cette cohérence qui l'enchante à sa ville et, ne trouvant aucun prédécesseur à qui se fier, il entreprend de ne se fier qu'à lui.
Le problème principal de ce philosophe maître d'œuvre, qui sait pourquoi il rebâtit et comment il veut le faire, est de circonscrire convenablement son chantier. Et à ce sujet, point d'hésitation: le chantier qu'il met en branle en est un de maisons privées, voire celui de son humble demeure. Ce n'est d'aucune manière un chantier public. Car personne, qui n'y soit appelé par sa naissance ou sa fortune, ne démolit sans trop de risques les monuments de l'État et des institutions. «Ces grands corps sont trop malaisés à relever étant abattus, ou même à retenir étant ébranlés, et leurs chutes ne peuvent être que très rudes».37 Descartes ne touche pas à cette pierre-là. «Jamais mon dessein ne s’est étendu plus avant que de tâcher à réformer mes propres pensées, et de bâtir dans un fonds qui est tout à moi».38 En quelque sorte, l'homme démolit et reconstruit dans sa cour. Enfin, cette délimitation clairement établie, bien décidé à rebâtir sur un terrain qui lui appartienne, à lui et à lui seul, Descartes doit encore veiller à s'abriter quelque part durant les travaux.
[…] ce n’est pas assez, avant de commencer à rebâtir le logis où on demeure, que de l’abattre, et de faire provision de matériaux ou d’architectes, ou s’exercer soi-même à l’architecture, et outre cela d’en avoir soigneusement tracé le dessin, mais il faut aussi s’être pourvu de quelque autre ou on puisse être logé commodément pendant le temps qu’on y travaillera […].39
Il faut à Descartes un abri de rechange pendant que tout sera ébranlé; il lui faut des critères quelconques qui lui permettent de continuer à agir alors qu'il refait tous ses jugements. Pendant près d'une décennie, sa « morale par provision» sera sa cabane de chantier, le toit qui l'abrite pendant la démolition.
En démolissant et reconstruisant sa ville intérieure, bien protégé sous sa morale par provision, Descartes est heureux, satisfait et fier. À l'image du modèle que sont pour lui les stoïciens, il se sait n'avoir de pouvoir que sur ses propres pensées. En les reconstruisant, il peut s'estimer «plus riche, et plus puissant, et plus libre, et plus heureux qu’aucun des autres hommes qui, n’ayant point cette philosophie, tant favorisée de la nature et de la fortune qu’ils puissent être, ne disposent jamais ainsi de tout ce qu’ils veulent. »40 En mettant en chantier ses idées, seule chose qu'il puisse contrôler, le bonheur de Descartes ne tient qu'à ceci: Ne pas laisser derrière lui que de la poussière, ne pas démolir en vain, ne pas «douter que pour douter», mais élever quelque chose de beau, de grand, de solide. «Au contraire [des sceptiques], tout mon dessein ne tendait qu’à m’assurer et à rejeter la terre mouvante et le sable pour trouver le roc et l’argile.»41 Une pierre à la fois, il parvient à ses fins:
Comme en abattant un vieux logis on en réserve ordinairement les démolitions, pour servir à en bâtir un nouveau, ainsi, en détruisant toutes celles de mes opinions que je jugeais être mal fondées, je faisais diverses observations et acquérais plusieurs expériences qui m’ont servi depuis à en établir de plus certaines.42
Même les détritus et pans démolis lui servent à remettre sur pied chacune de ses opinions; même l'examen des connaissances inexactes lui apporte quelque chose, ne serait-ce que la certitude de leur fausseté. «J’avais éprouvé de si extrêmes contentements depuis que j’avais commencé à me servir de cette méthode que je ne croyais pas qu’on en pût recevoir de plus doux»; «découvrant tous les jours par son moyen quelques vérités qui me semblaient assez importantes, et communément ignorées des autres hommes, la satisfaction que j’en avais remplissait tellement mon esprit que tout le reste ne me touchait point.»43
4.2 La construction d'un monde imaginaire dans la deuxième partie
Dans la deuxième partie de la scène de pensée du Discours, Descartes vieillit et change de ton, mais il continue de construire, en quelque sorte, oserons-nous dire, par main interposée. Il laisse « ce monde-ci» aux doctes et à leurs querelles, puis en imagine un autre: «je me résolus de laisser tout ce monde ici à leurs disputes, et de parler seulement de ce qui arriverait dans un monde nouveau si Dieu créait maintenant quelque part dans les espaces imaginaires assez de matière pour le composer.»44 Cet autre monde, constitué étape par étape, Descartes le décrivait dans son grand traité, gardé inédit. Il décrivait sa lumière, son soleil, ses étoiles, ses planètes et sa terre; ses montagnes, ses mers, ses rivières, ses plantes et son feu; ses animaux et ses hommes. Cet autre monde, il était en tout point pareil au nôtre et pouvait ainsi servir de modèle, surtout pour mieux comprendre la mécanique des corps des hommes et la spécificité de leur âme et leur raison.45 Dieu crée la matière et les lois de la nature, de sorte qu’«encore qu’[il] aurait créé plusieurs mondes, il n’y en saurait avoir aucun où elles manquassent d’être observées.»46
En racontant cette construction ultime, ce monde imaginaire qu'il décrivait, cette composition du corps et de l'âme humaine qu'il perçait à jour et rendait évidente, Descartes, encore une fois, est heureux. Homme mature, il regarde en arrière et s'enorgueillit; il regarde en avant et se rassure.
[...] si j’ai ci-devant trouvé quelques vérités dans les sciences (et j’espère que les choses qui sont contenues en ce volume feront juger que j’en ai trouvé quelques-unes), je puis dire que ce ne sont que des suites et des dépendances de cinq ou six principales difficultés que j’ai surmontées, et que je compte pour autant de batailles ou j’ai eu j’heur de mon côté : même je ne craindrai pas de dire que je pense n’avoir plus besoin d’en gagner que deux ou trois autres semblables pour venir entièrement à bout de mes desseins; et que mon âge n’est point si avancé que, selon le cours ordinaire de la nature, je ne puisse encore avoir assez de loisir pour cet effet.47
Sous un premier regard, Descartes a tout pour lui. Il a réussi jusqu’ici ses chantiers et entrevoit, sûr de lui, de finir son œuvre. Dans « le fonds qui est tout à lui », il triomphe. Son malaise, si malaise il y a, ne serait, d'une part, qu'à l'égard du milieu des doctes où l'on ne cherche pas vraiment la vérité48 et, d'autre part, à l'égard de la censure, qu'il ne dénonce jamais ouvertement, qu'il laisse entre les mains d'autorités à qui «il défère»49, mais dont on sent le poids sur ses épaules. Or, à bien regarder la scène, à bien sentir les métaphores de la construction qui la traversent, les choses ne sont pas si simples. Le trouble le plus profond de Descartes ne vient pas tant de la mondanité des doctes qui ne construisent rien, ni des réprimandes qui s'abattent sur le reconstructeur – mondanité et réprimandes qu'il parvient tant bien que mal à contourner. Il vient de quelque chose à même la beauté et la grandeur des constructions dont il entrevoit la possibilité.
4.3 Descartes constructeur, satisfaction troublée et pensée
Pendant la plus grande partie de sa vie, la satisfaction personnelle que Descartes tire de son travail d'architecte lui suffit: « [...] je me suis satisfait touchant quelques difficultés qui appartiennent aux sciences spéculatives, ou bien j’ai tâché de régler mes mœurs par les raisons que [ma méthode] m’enseignait, [et] je n’ai point cru être obligé d’en rien écrire.»50 Pendant des années, il se contente sans mal dans sa cour. D'une part, parce qu'il n'a pas de «souveraineté» pour agir autrement.51 Mais d'autre part, parce qu'il n'aime pas écrire — parce qu'il n'aime pas se montrer: «Mon inclination [...] m'a toujours fait haïr le métier d'écrire des livres...»52 Avec cette inclination, ce penchant, ce goût personnel, l'on touche plus qu'avec la censure elle-même à son trouble, à ce qui ne le laissera jamais en paix. Car quelque chose – un inconfort, une inquiétude – le poussera à combattre son inclination.
Pourquoi Descartes se force-t-il, se combat, se surpasse? Pourquoi écrire et publier malgré son élan premier? Pourquoi se commettre s'il ne voudrait au fond rien d'autre qu'on le laisse tranquille, rien d'autre qu'«empêcher que son loisir ne lui fût ôté par l’importunité de personne»53? C'est que le personnage est pris à un certain moment du sentiment de devoir, de responsabilité. Son chemin croise, de face et inévitablement, celui du «bien général». Les notions de physique qu'il a découvertes, «je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, autant qu’il est en nous, le bien général de tous les hommes.»54 La métaphore de la construction dit son état, rend palpable son sentiment, l'articule avec le reste du texte: si en toute âme et conscience il ne se prétend pas réformateur et préfère jouir sans empêchement de son loisir qu'occuper les plus honorables emplois de la terre55, il lui devient impossible de passer sous silence tout cela qu'avec méthode l'on pourrait construire! Ce qui trouble Descartes, c’est la possibilité de constructions encore plus grandioses, l’image de la connaissance qui s’élève par blocs successifs et qu’on pourrait continuer à élever.
[...] ayant dessein d’employer toute ma vie à la recherche d’une science si nécessaire, et ayant rencontré un chemin qui me semble tel qu’on doit infailliblement la trouver en le suivant, si ce n’est qu’on en soit empêché, ou par la brièveté de la vie, ou par le défaut des expériences, je jugeais qu’il n’y avait point de meilleur remède contre ces deux empêchements que de communiquer fidèlement au public tout le peu que j’aurais trouvé, et de convier les bons esprits à tâcher de passer plus outre, en contribuant, chacun selon son inclination et son pouvoir, aux expériences qu’il faudrait faire, et communiquant aussi au public toutes les choses qu’ils apprendraient, afin que les derniers commençant où les précédents auraient achevé, et ainsi joignant les vies et les travaux de plusieurs, nous allassions tous ensemble beaucoup plus loin que chacun en particulier ne saurait faire.56
« [...] tous ensemble beaucoup plus loin que chacun en particulier ne sauraient faire»... Tous, ensemble, comme un seul et même architecte... dans la scène de pensée du Discours de la méthode, la distance qu’il reste à parcourir est avant tout verticale: L'édifice de la science pourrait être si grand! En son nom, dans sa visée, le philosophe ermite – sacrifiant ainsi son calme – se résigne à publier le Discours.
Le choix est un pari, et la scène le dit: les dangers de ces gratte-ciels dont la silhouette se laisse entrevoir à la fin, d’un genre tout autre que le chantier « personnel » et bien circonscrit du Descartes de la première partie, sont colossaux. Souvent, il vaut mieux prendre les routes qui depuis les villages anciens contournent les montagnes, que d'essayer de construire un tunnel coupant droit en plein milieu « grimpant au-dessus des rochers et descendant jusqu’aux bas des précipices »; les premières ont été adoucies et perfectionnées par l’usage et « leurs imperfections sont quasi toujours plus supportables que ne serait leur changement. »57 Descartes met en garde, tout au long du livre, et trop simple serait la lecture qui n'y entendrait que la voix d'un homme protégeant ses arrières des condamnations de l'Église et de l'État. N'y a-t-il pas sur cette scène, davantage, un grand constructeur déchiré entre l'élan du progrès par la raison, élan de mieux connaître tout «aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans» jusqu'à «nous rendre comme maître et possesseurs de la nature»58, et les risques, qu'il sent bien, de tout vouloir mettre à terre en prenant à la légère le poids de pierres lourdes et difficiles à relever? Mais quels risques? Manquer de réalisme et croire faussement tout dominer; s’écarter de la sagesse des stoïciens? Basculer dans des promesses que l'on ne pourra pas tenir; que Descartes, en même temps qu’il rêve d’une science encore jamais vue, sait grosses de déceptions amères?59 Se prendre pour Dieu en élevant toujours plus haut la tour de la science, et se brûler les ailes comme Icare?
La satisfaction troublée du Descartes constructeur pousse à s'interroger, à formuler un questionnement bien au-delà de savoir ce qui relève uniquement, ou pas, de la souveraineté de l’État et des institutions. Jusqu’où aller? Jusqu’où se croire – comme individu et comme collectivité pouvant agir ensemble? Comment conjuguer rêves de grandeur et prudence, alors que les possibilités sont tout aussi réjouissantes que non garanties dans leur destin? Le déchirement de Descartes ne s’explique pas dans la scène du texte, mais pousse à ce qu’on essaie de le comprendre. Il ne se résout pas, ne se dénoue pas – il reste, persiste, il dérange. Et c'est précisément là le critère qui permet de penser, auquel participent les métaphores de l’œuvre et le monde qu'elles composent. Elles y participent en stimulant chez le lecteur des sensations riches et complexes.
En somme, la scène de pensée du Discours de la méthode, avec les métaphores de construction qu'elle mobilise et requiert (pour attirer l’attention, capter le regard, présenter un personnage vivant, texturé, appliqué dans un monde), suscite une sensation de tension – tenace, fine. C’est elle (cette satisfaction troublée à la vue de tout ce qu’on pourrait construire, cette joie et cet entrain mêlés d’inquiétude qui marquent le ton de Descartes alors qu’il entame la fin de sa vie) qui porte à l'interrogation. Et c'est l'interrogation qui donne lieu au travail de la pensée; c’est elle qu’il faut garder à l’œil pour que la philosophie ne perde pas son contour alors qu’on la met en rapport avec la métaphore. Autrement dit, la fable, la scène, la métaphore en soi ne suffisent pas. Elles sont philosophiques si, et seulement si, des sensations qu’elles laissent en partage naît un élan interrogateur et une énergie de recherche.
«L'homme ne poserait pas de questions s'il n'avait pas l'espoir d'y répondre »,60 dit Ricœur, en reprenant Pierre Aubenque, dans son effort de spécification du discours philosophique. Nous dirons, pour finir, qu'il ne poserait pas de questions non plus s'il ne sentait rien, s'il restait indifférent. La scène de pensée du texte philosophique, à laquelle s'articulent les métaphores le plus importantes que le lecteur rencontre, est cela qui peut saisir, attraper, briser l'indifférence et faire réfléchir.
Bibliographie
R. DESCARTES, Discours de la méthode, Paris, Librairie générale française, édition de 1973, 228 p.
J. DERRIDA, « La mythologie blanche. La métaphore dans le texte philosophique », in Marges de la philosophie, Les Éditions de Minuit, Paris, 1972, 432 p.
S. MARGEL, «La métaphore. De la langue naturelle au discours philosophique», Rue Descartes, n. 52, février 2006, p. 16-26.
C. NORMAND, Métaphore et concept, Édition Complexe, Bruxelles, 1976, 164.
P. RICOEUR, La métaphore vive, Paris, Éditions du Seuil, 1975, 411 p.
B. SPINOZA, L'Éthique, Paris, Éditions Gallimard, édition de 1954, 398 p.
Note
↑ 1 R. DESCARTES, Discours de la méthode, Paris, Librairie générale française, édition de 1973, p. 94.
↑ 2 Ibid., p. 105-114.
↑ 3 S. MARGEL, «La métaphore. De la langue naturelle au discours philosophique», Rue Descartes, n. 52, février 2006, p. 16. P. RICOEUR, La métaphore vive, Paris, Éditions du Seuil, 1975, p. 221.
↑ 4 RICOEUR, Ibid., p. 302-304.
↑ 5 C. NORMAND, Métaphore et concept, Édition Complexe, Bruxelles, 1976, p. 9.
↑ 6 La perspective de la métaphore comme voie de représentation de l'inconnu au cours de la «découverte» fait écho à certaines formulations de Freud quant au rôle de la métaphore dans le processus de formation du discours théorique. « […] l'usage figuré est en définitive inséparable du travail d'élaboration de concepts nouveaux. […] “En psychologie nous ne pouvons décrire qu'à l'aide de comparaisons. Ce n'est pas spécial à la psychologie, il en est souvent ainsi ailleurs. Mais nous devons sans cesse changer de comparaison: aucune ne nous suffit longtemps.” (Ma vie et la psychanalyse, p.111) Ce qui peut se dire aussi: chaque métaphore, en son temps, fonctionne comme un concept, à sa place mais permettant aussi de le produire.» (Ibid., p. 46.)
↑ 7 La Mythologie Blanche telle que reprise par S. MARGEL, dans «La métaphore. De la langue naturelle au discours philosophique», Rue Descartes, n. 52, 2006, p. 20-22.
↑ 8 La perspective de la métaphore comme « origine » de la philosophie (dans la mesure où elle est à l’origine du langage) fait aussi écho à des considérations psychanalytiques. « La métaphore […] se révèle à l'évidence dans la pratique analytique comme un des moyens dont s'empare le désir dans son processus général de déplacement, de substitutions, de masquage. […] Le problème de la métaphore se trouve dès lors inscrit dans une question beaucoup plus générale qui est celle du fonctionnement des processus psychiques […]. Il ne s'agira plus, avec la métaphore, d'usure ou de détour défini par rapport à une origine ou à une nature mais de la loi du fonctionnement du langage en tant qu'y émerge toujours le désir. Plutôt qu'une apparition du sens, faut-il dire, sans doute, production du sens, comme le travail du rêve nous en donne l'exemple; ce qui ruine un des fondements de la métaphore classique: l'existence d'un sens déjà là [non métaphorique] qu'il ne s'agit que d'exprimer, directement ou par détour.» (NORMAND, Ibid., p. 44)
↑ 9 MARGEL, Ibid., p. 23.
↑ 10 RICOEUR, Ibid., p. 323-324.
↑ 11 C. NORMAND, Ibid., p. 11.
↑ 12 Ricœur commente alors en particulier la Métaphysique d'Aristote.
↑ 13 RICOEUR, Ibid., p. 334-335, p. 339-340, p. 343.
↑ 14 B. SPINOZA, L'Éthique, Paris, Éditions Gallimard, édition de 1954, p. 129 et p.137.
↑ 15 Il paraît suivi de trois traités (La Dioptrique, Les Météores et La Géométrie).
↑ 16 DESCARTES, Ibid., p. 94.
↑ 17 Ibid., p.99. Sa méthode tiendra en quatre préceptes: 1) considérer vrai seulement ce qui l'est «clairement» en évitant de se précipiter; 2) «diviser» ce qui pose problème en le plus de parties possible; 3) procéder par «ordre» en examinant les parties simples et ensuite les complexes; 4) conclure par des revues entières qui n'omettent rien (Ibid., p. 110-111).
↑ 18 Ibid., p.94.
↑ 19 Ibid., p. 100.
↑ 20 Ibid., p. 101.
↑ 21 Ibid., p. 123.
↑ 22 Ibid., p.128.
↑ 23 Ibid., p. 161.
↑ 24 Ibid., p. 140.
↑ 25 Ibid., p.170.
↑ 26 Ibid., p.181.
↑ 27 Ibid., p. 114.
↑ 28 Ibid., p.138.
↑ 29 Ibid., p.139.
↑ 30 Ibid., p.121.
↑ 31 Il ne va pas aux rencontres savantes parce qu'il n'a «rien à y gagner» et rien à y offrir : Il est lui-même le plus rigoureux et neutre évaluateur de son travail (Ibid., p. 171) et n'a rien de plus à dire que ce qu'il écrit dans le Discours (Ibid.,p. 174). Il ne travaille avec personne parce que les propositions de ceux qui disent vouloir l'aider «jamais ne réussissent» et que leurs demandes incessantes d'«explications», «compliments» et «entretiens inutiles» «ne lui sauraient coûter si peu de son temps qu’il n’y perdit.» (Ibid., p. 175) Pour tout échange, il demande à ses lecteurs de lui écrire via son éditeur, en promettant de répondre brièvement, si cela le mérite. (Ibid., p. 178-179)
↑ 32 Ibid., p.177.
↑ 33 Ibid., p.101.
↑ 34 Ibid., p.102.
↑ 35 Ibid., p.105.
↑ 36 Ibid., p.102-103.
↑ 37 Ibid., p.106.
↑ 38 Ibid., p.107.
↑ 39 Ibid., p.116.
↑ 40 Ibid., p.121.
↑ 41 Ibid., p.123.
↑ 42 Ibid., p.124.
↑ 43 Ibid., p.121.
↑ 44 Ibid., p.140.
↑ 45 Ibid., p. 157-160.
↑ 46 Ibid., p.141. Dieu ne construit pas, il crée. Toutefois, en termes esthétiques, la métaphore de la construction se poursuit dans la mesure où le texte de Descartes donne l'impression de voir comment Dieu fait, comment il s'y prend, comment il « construit » : Il crée la matière et les lois qui la régissent en brassant tout jusqu'à l’obtention d’un chaos inimaginable même pour le poète (Ibid., p.140); il crée ensuite le corps humain en n'y mettant au départ aucune âme, si ce n'est une sorte de feu similaire à celui qui «échauffe le foin lorsqu'on l'a enfermé avant qu'il fût sec.» (Ibid., p.144); puis il unit l'âme au corps, «mais il ne suffit pas qu’elle soit logée dans le corps humain ainsi qu’un pilote dans son navire […] il est besoin qu’elle soit jointe et unie plus étroitement avec lui pour avoir, autre [des mouvements], des sentiments et des appétits semblables aux nôtres, et ainsi composer un vrai homme.» (Ibid., p. 159) Dans la deuxième partie de la scène de pensée du Discours, Dieu crée comme l'on construit un monde en jeu de lego.
↑ 47 Ibid., p. 169-170.
↑ 48 Ibid., p. 171, p.174.
↑ 49 Ibid., p. 161.
↑ 50 Ibid., p.162.
↑ 51 « [...] il se pourrait trouver autant de réformateurs que de têtes s’il était permis à d’autres qu’à ceux que Dieu a établis pour souverains sur ses peuples, ou bien auxquels il a donné assez de grâce et de zèle pour être prophètes, d’entreprendre d’y rien changer; et bien que mes spéculations me plussent fort, j’ai cru que les autres en avaient aussi, qui leur plaisaient peut-être davantage. » (Idem)
↑ 52 Idem
↑ 53 Ibid., p.176.
↑ 54 Ibid., p.163.
↑ 55 Ibid., p.182.
↑ 56 Ibid., p.164-165.
↑ 57 Ibid., p.106.
↑ 58 Ibid., p.163.
↑ 59 «Au reste, je ne veux point parler ici en particulier des progrès que j’ai espérance de faire à l’avenir dans les sciences, ni m’engager envers le public d’aucune promesse que je ne sois pas assuré d’accomplir [...]» (Ibid., p. 181)
↑ 60 RICOEUR, Ibid., p. 335.