Le rôle de l’image matérielle dans l’actualisation du sens métaphorique des expressions idiomatiques
Indice
1. Omniprésence des images et des métaphores dans la communication humaine
2. Métaphore et images langagières des expressions idiomatiques
3. Critères de détermination d’une expression idiomatique métaphorique
4. La relation entre l’expression idiomatique imagée-iconographique et l’image matérielle
5. Fonctions de l’image matérielle dans l’évocation du sens métaphorique d’expressions idiomatiques
Abstract
Francese | IngleseA partir de publicités et d’illustrations d’articles de journaux, la contribution étudie la relation entre l’image matérielle et l’image linguistique véhiculée par les expressions idiomatiques constituant les slogans des annonces analysées. Partant du principe qu’une image linguistique n’est pas per se métaphorique, l’article examine – mettant en œuvre une approche pragma¬tique – dans quelle mesure l’image matérielle du support publicitaire contribue ou non à l’éta-blissement d’un lien métaphorique entre sens « concret » (le domaine source) et sens « abstrait » (le domaine cible) de l’image linguistique de l’expression idiomatique. Six cas de figures relatifs au rôle de l’image matérielle sont analysés quant à son incidence sur la possi-bilité d’interprétation métaphorique de l’image phraséologique : illustration ou renforcement, opacité, neutralisation, absence de lien, actualisation d’une expression imagée non représentée textuellement. L’analyse démontre en plus que le caractère métaphorique d’une image relève aussi bien d’éléments sémantiques que co- et contextuels.
1. Omniprésence des images et des métaphores dans la communication humaine
Lakoff et Johnson (1980 ; frç. 1985) stipulent que les métaphores sont omniprésentes et indispensables au sein de l’interaction symbolique humaine.1 Si cette thèse fait généralement l’unanimité, les approches analytiques de la métaphore n’empruntent pas toutes les mêmes voies (cf. infra, pt. 3). D’après Lakoff/Johnson, les métaphores conceptualisent, sous forme d’images, des phénomènes, des événements, des expériences de la vie humaine – à l’aide de lexèmes, p. ex. ‘l’amour’ à travers l’unité lexicale ‘voyage’ (LOVE IS A JOURNEY ; cf. infra), mais aussi en ayant recours aux expressions idiomatiques qui comprennent des images qui peuvent être interprétées soit de manière littérale soit de manière figurative (cf. STÖCKL 2004 : 304).
De ce fait, la popularité des EI imagées n’est guère surprenante dans le domaine de la publicité, qui a souvent recours de façon astucieuse à cette possibilité de double interprétation littérale-figurative (cf. Publicité 12). Elle ouvre en fait le champ à une interprétation multiple étant donné que les publicités papier sont le plus souvent dotées à la fois d’images linguistiques et matérielles pouvant faire l’objet de nombreux liens intertextuels, fait souligné à nouveau par Stöckl (2004) :
Les expressions phraséologiques3 jouent un rôle si important pour la publicité du fait qu’elles expriment de manière linguistique des images fortement enracinées dans le patrimoine langagier, des images qui peuvent être reprises et actualisées à travers des images matérielles. (id. : 340)4
La présente contribution étudiera la relation entre les images langagières des expressions idiomatiques, d’une part, et les images matérielles des publicités papier, de l’autre, tout en ayant conscience qu’une discussion du rôle spécifique de la relation texte-image au sein des publicités dépasserait le cadre de notre analyse.5
Afin de nous approcher de notre sujet d’étude, jetons un premier regard sur quelques expressions idiomatiques (= EI) :
(a) Tout ce qui brille n’est pas or. ; Il faut battre le fer tant qu’il est chaud. ; mettre la charrue avant les bœufs ; enfoncer une porte ouverte ; (b) tomber dans les pommes ; noyer le poisson ; passer l’arme à gauche ; (c) savoir où le bât blesse ; mettre au pilori ; la 5ème roue de la charrette.
Les expressions présentées, à valeur d’énoncé6 ou de partie d’énoncé, comprennent toutes une image exprimée de manière linguistique.7 Il convient toutefois de se poser deux questions pour savoir
- si le fait de leur non compositionnalité sémantique (cf. infra, pt. 2) implique par là-même une opacité éventuelle pour ce qui est de la possibilité de les interpréter par un utilisateur ignorant le sens phraséologique,
- si la présence d’une image entraîne automatiquement le caractère métaphorique de l’expression en question, i. e. d’une relation entre un domaine source « concret » et un domaine cible « abstrait » (cf. infra, pt. 3).
Les trois cas d’EI évoquées ci-devant démontrent en effet que seuls les phrasèmes sous (a) sont – même hors co(n)texte – a priori sémantiquement transparents. Ceux sous (b) ne le sont pas, sont donc véritablement opaques car l’image employée ne correspond à aucun modèle qui pourrait être motivé. Pour ce qui est des EI sous (c), leur sens peut être interprété à condition de connaître la signification de ‘bât’, de ‘pilori’ et de considérer qu’une ‘5ème roue’ est superflue au bon fonctionnement d’une charrette plutôt qu’utile en tant que roue de secours.
Avant de présenter une analyse détaillée de six types différents de relations entre l’image linguistique et l’image matérielle au point principal du présent texte (cf. 4), nous délimiterons les notions d’expression idiomatique et de métaphore au point 2, et exposerons au point 3 les critères pour la détermination d’une métaphore idiomatique. Nous terminerons notre discussion par une réflexion quant aux fonctions de l’image matérielle dans l’évocation du sens métaphorique des expressions idiomatiques (pt. 5).
2. Métaphore et images langagières des expressions idiomatiques
Suite à l’idée fondamentale de Lakoff/Johnson (1980) relative à la métaphore conceptuelle – « L'essence d'une métaphore est qu'elle permet de comprendre quelque chose (et d'en faire l'expérience) en termes de quelque chose d'autres. »(id. : 15) –, George Lakoff (1993) définit:
The metaphor involves understanding one domain of experience, love, in terms of a very different domain of experience, journeys. More technically, the metaphor can be understood as a mapping (in the mathematical sense) from a source domain (in this case, journeys) to a target domain (in this case, love). (id.: 5)
L’approche conceptuelle de Lakoff/Johnson détermine l’existence de métaphores en fonction de concepts (de la pensée), une sorte de « deep structure » qui peut revêtir en surface plusieurs formes langagières. Aussi le concept ARGUMENT IS WAR peut être exprimé au moyen de plusieurs expressions métaphoriques, p. ex. joute oratoire, passe d’armes, échauffourée, à fleuret moucheté, etc.8 Il doit cependant y avoir un lien entre le « source domain » et le « target domain », que nous traduirons par ‘domaine source’ (= DS) et ‘domaine cible’ (= DC) à travers des éléments sémantiques partagés, le tertium comparationis (= TC). Cette approche ne définit toutefois pas avec précision les critères suffisants pour délimiter une superposition entre DS et DC, mais seulement le repérage d’un très grand nombre de métaphores mono- ou polylexicales sans pour autant apporter la preuve empirique de l’existence d’un TC entre DS et DC.9
Contrairement à l’approche conceptuelle, l’approche linguistique à l’analyse de la métaphore de Sam Glucksberg (2001), part du principe que les métaphores jouissent d’une représentation langagière et notionnelle, nécessitant une manipulation pragmatique de significations linguistiques dans la réception (cf. STÖCKL 2004 : 202). Par conséquent, contrairement à l’approche conceptuelle cognitive, stipulant qu’un utilisateur actualise une métaphore en tant qu’unité de pensée, l’approche linguistique part du principe qu’un utilisateur doit harmoniser un minimum de traits sémantiques du vehicle (grosso modo le DS) et ceux du topic (~ le DC). C’est seulement lorsque vehicle properties et topic dimensions se superposent afin de créer un tertium comparationis (cf. Illustration 1), qu’il est possible de conclure à l’existence d’une métaphore d’après Glucksberg (2001).10
Burger (1989), dans son approche de classification des expressions phraséologiques, s’appuie sur l’approche conceptuelle de Lakoff/Johnson et définit l’expression phraséologique métaphorique de la manière suivante :
Un phrasème métaphorique représente un état de chose abstrait sous une forme qui peut être considéré comme concrète. (id. : 26)11
Cette définition de Burger implique que l’image constituant la base d’un phrasème métaphorique est potentiellement dotée de deux composants de signification : d’un côté, d’un sens littéral, de l’autre côté, d’un sens figuré ou abstrait, de telle façon qu’il peut être établi entre les deux une relation sémantique. Seule la présence d’une telle relation entre DS et DC, permet à une EI imagée de possèder, d’après Burger (1989), une base sémantique, telle la 5ème roue de la charrette ou se serrer la ceinture.
Il s’avère du reste nécessaire de différencier l’idiomaticité d’une EI de la possibilité de la motiver, c’est-à-dire de lui attribuer un sens. En effet, une EI intégrale (« Voll-Idiom »)12 marquée par une sémantique non compositionnelle peut bel et bien être motivée – ou plutôt motivable – à travers une image qui crée un lien entre un DS concret et un DC abstrait. Or plutôt que de conclure à l’existence d’une base sémantique à l’instar de Burger (1998), il semble préférable de considérer ces EI potentiellement transparentes comme motivées ou motivables par l’établissement de liens entre le sens littéral et le sens figuré actualisé dans une situation de communication.
Burger appelle les EI qui sont motivées ou motivables « bildlich », i. e. imagées-figuratives-métaphoriques, et les EI qui ne le sont pas « bildhaft », i. e. iconographiques-non-métaphoriques, comme dans le cas de tomber dans les pommes ou noyer le poisson.13 En effet, a priori aucune caractéristique sémantique ne semble partagée entre le sens littéral de tomber dans les pommes et s’évanouir, et entre noyer le poisson et « entretenir volontairement la confusion pour tromper ou lasser » (LAROUSSE EN LIGNE). Farø (2006) emploie le terme iconicité en présence d’un TC entre DS et DC de l’image d’une EI; d’iconographie lorsque l’image de l’EI ne possède aucun lien entre DS et DC. Farø (2006) introduit comme troisième catégorie l’iconisme désignant des instances où un utilisateur motive, à tort ou à raison, des images langagières par le biais d’explications intuitives personnelles. Fait également souligné par Dobrovol’skij (1997) qui indique que les locuteurs natifs ont une tendance à trouver des explications loin de toute réalité sémantique, des explications toutefois proches de la vérité en raison de la présence de facteurs co- et contextuels fournissant les indices adéquats.
Suite à la discussion de différentes conceptions de la métaphore en général et à l’expression idiomatique imagée en particulier, nous définissons l’expression idiomatique métaphorique (EIM) à travers les éléments suivants :
- elle est polylexicale, i. e. elle comprend au moins deux lexèmes, le plus souvent davantage ;
- elle comprend une image linguistique qui peut être interprétée comme dépeignant un état de choses concret, p. ex. montrer du doigt, se mettre le doigt dans l’œil, appellé domaine source (DS) ;
- cependant, dans une situation de communication où l’on rencontre l’EIM, elle peut représenter un état de choses abstrait, le domaine cible (DC) : montrer du doigt pouvant signifier stigmatiser ou se mettre le doigt dans l’œil, se tromper profondément ;
- une relation de sens entre DS et DC peut naître à condition que les deux partagent un minimum d’éléments sémantiques au sein d’un tertium comparationis ;
- sur la base de ce TC, une relation de sens doit pouvoir être établie par le sujet-interprétant entre l’état de chose concret (DS) et l’état de chose abstrait (DC) au sein d’une situation de communication, qui pour résultat l’attribution d’une signification contextuelle à l’image linguistique ; ainsi le TC n’est pas déterminé en fonction de critères sémantiques « absolus », hors de tout contexte, mais en fonction des capacités d’interprétation du destinataire d’une EI ce qui signifie qu’une EI ne peut dépasser le statut métaphore potentielle in situ (cf. SCHMALE 2014 sur la « mögliche Metapher »), c’est seulement hors contexte qu’une EI pourrait revêtir le statut de métaphore absolue ;
- si une telle relation de sens entre DS et DC de l’EI véhiculant une image linguistique ne peut être établie sur la base d’un TC sémantique, on a affaire à une EI imagée, non pas à une EI métaphorique, p. ex. dans le cas de tomber dans les pommes ou noyer le poisson ; ces expressions comportent bien une image sans que cette dernière soit en relation avec le sens phraséologique de l’expression, i. e. s’évanouir ou cacher le véritable problème ;
- toutefois, l’établissement d’une relation entre DS et DC ne doit en aucun cas être basé sur une interprétation idiosyncratique, mais être fondé sur un tertium comparationis interprété et interprétable par d’autres membres de la communauté langagière, bien que pas obligatoirement par tous, culture générale, connaissance du monde, savoir commun su sujet-interprétant jouant un rôle déterminant ;
- il existe un lien réciproque entre DS concret et DC abstrait ce qui signifie que l’image correspondant à un état de choses concret peut aider à interpréter le DC, mais la compréhension du DC abstrait pourrait aussi contribuer à la possibilité d’interpréter l’image « concrète » du DS;
- dans le cas des publicités papier, une image matérielle s’ajoute à l’image linguistique, complexifiant ainsi les relations entre DS et DC.
3. Critères de détermination d’une expression idiomatique métaphorique
En fonction des éléments de définition de la métaphore développés ci-devant, nous partirons d’une perspective pragmatique dans l’analyse des relations entre image linguistique et image matérielle dans les publicités afin de déterminer si une EI imagée est métaphorique ou non , c'est-à-dire si l’image linguistique représente un modèle « concret » ou non. Alors qu’une approche rigoureusement sémantique engendrerait probablement des résultats univoques quant au partage de traits sémantiques entre domaine source ou ‘vehicle properties’ et entre domaine cible ou ‘topic dimensions’, une telle procédure ne saurait déterminer si un membre de la communauté langagière conclurait également à un TC entre DS et DC et par conséquent à une relation métaphorique. Burger (2010) opte de ce fait pour une perspective pragmatique pour conclure à une EI métaphorique lorsqu’il existe – pour l’utilisateur – une relation entre DS et DC
qui appartient au système de la langue, relation qui est immédiatement évidente ou transparente pour l’utilisateur commun, des relations qui ne sont par conséquent pas dépendantes de facteurs situationnels ou contextuels. (id. : 69)14
Cette assertion de Burger implique qu’une relation métaphorique ne dépend pas de critères sémantiques objectifs, mais de l’appréciation de l’utilisateur « commun », d’un autre côté, elle doit être discernable indépendamment du contexte et de la situation de communication. Toutefois, si une approche pragmatique est a priori à saluer, la notion d’utilisateur commun n’est guère distinctive d’un point de vue linguistique, qui plus est, lorsqu’on souhaite étudier ce qui est véritablement considéré comme métaphorique par les utilisateurs, on ne peut en aucune manière faire abstraction de facteurs contextuels. La situation de communication avec tout ce qu’elle implique joue en effet un rôle primordial pour toute interprétation de production langagière voire d’actes communicatifs et la neutraliser réduirait à nouveau l’analyse au niveau sémantique, mais cette fois-ci à une sémantique « populaire » qui nécessiterait des enquêtes auprès de locuteurs natifs sur la base d’EI imagées isolées.15
Pour une analyse de publicités papier qui comprennent systématiquement des éléments linguistiques et imagés, avec de fortes connexions intertextuelles, il serait de toute manière illogique et impossible de se limiter à la seule image linguistique comprise dans le slogan publicitaire. N’oublions pas que le célèbre modèle AIDA16 mise sur l’effet intégral produit par un support publicitaire. Les analyses de l’incidence de l’image matérielle sur l’image linguistique qui vont suivre s’attacheront de ce fait à une prise en compte systématique du contexte des publicités étudiées – conformément à ce préconise Stöckl (2004) :
Il me semblerait judicieux de considérer parties langagières et parties imagées de textes en tant qu’éléments indissociables d’un message global. (id. : 250)17
Pour Stöckl, une telle démarche est indispensable pour la raison suivante :
Dans la compréhension d’images matérielles et phraséologiques combinées, les récepteurs traitent les deux modalités de manière analogue pour ce qui est de leur fonction, c'est-à-dire qu’elles peuvent servir à des opérations mentales similaires. Formulation langagière et forme imagée se fondent en effet sur des structures conceptuelles similaires qui constituent le point de départ pour les deux modalités. Je considère la relation entre image matérielle et linguistique comme ‘isomorphie fonctionnelle’ étant donné que qu’elles engendrent les – ou se servent des – mêmes structures conceptuelles (id. : 226)18
Tout en partant d’une approche linguistique de la métaphore à l’instar de Glucksberg (2001), et contrairement à l’approche conceptuelle de Lakoff/Johnson (1980), nous respecterons les deux principes suivants dans notre étude du rôle de l’image matérielle dans les publicités papier :
- l’existence d’un TC, i.e. de caractéristiques sémantiques partagées du DS (‘vehicle properties’) et du DC (‘topic dimensions’)19 ;
- la présence de facteurs co- et contextuels, notamment la nature de l’image matérielle pour ce qui est de la représentation du sens littéral de l’EI.
4. La relation entre l’expression idiomatique imagée-iconographique et l’image matérielle
Le corpus de publicités papier comprend des formes diverses de relations entre texte et image, fait souligné par Stöckl (2004) :
Plusieurs types de relations métaphoriques entre langue et image sont possibles. En règle générale, les images actualisent le sens littéral de la métaphore langagière, […]. Il n’est pas rare qu’il en résulte un rapport sémantique équivoque entre interprétation littérale et métaphorique car l’observateur hésite entre les deux. Et c’est justement ce fait que constitue l’attrait de ces relations texte-image. (id. : 260)20
Ce sont ces différentes formes de rapport entre image matérielle et image linguistique que l’on rencontre dans les publicités françaises21 qui seront analysées dans le présent article. Dans l’étude de ces rapports, l’accent sera mis sur le rôle de l’image matérielle dans l’établissement d’une relation métaphorique entre DS « concret » et DC « abstrait » de l’expression idiomatique servant de slogan publicitaire. Nous différencierons six formes élémentaires du rôle de l’image matérielle.
4.1. Illustration et/ou renforcement de l’image phraséologique à travers l’image matérielle
La fonction principale de l’image matérielle des publicités étudiées consiste en une illustration ou évocation globale ou partielle du sens littéral – fictif22 – de l’EI en question (cf. STÖCKL 2004). Le cas classique est celui où le sens littéral, « concret », de l’EI est représenté par l’image matérielle de manière intégrale ou partielle (cf. également BURGER 2008).
Les publicités suivantes comprennent en guise de slogan une EI dont l’image linguistique est métaphorique, il existe par conséquent une relation transparente entre DS et DC. Cela signifie que l’EI imagée est a priori interprétable par une personne qui connait le sens de toutes les unités lexicales de l’EI et qui est suffisamment familière du contexte social, culturel, historique, etc. de la langue en question. Ainsi le slogan L’Europe, c’est la porte à côté de la Publicité 2, comprenant l’EI la porte à côté, signifiant, d’après le Tlfi « tout près », est interprétable sans avoir recours à l’image matérielle du fait qu’un TC, ‘proximité’, existe entre DS « concret », ‘la porte à côté’, et DC « abstrait », ‘pas loin’ ou ‘facile à atteindre’ (grâce à la Sncf).23
Par conséquent, l’image matérielle, représentant trois portes avec les drapeaux de cinq pays européens et un voyageur qui s’apprêtant à passer par celle du milieu, ne fait qu’illustrer voire renforcer le sens littéral de l’EI imagée qui revêt un sens métaphorique sur la seule base des éléments textuels-scripturaux (cf. la Publicité 2a).
Même en dehors de tout contexte l’EI imagée finir entre les mains de qn pourrait revêtir un sens métaphorique étant donné que le TC ‘possession, contrôle’ existe entre le DS ‘finir/avoir entre les mains’ et le DC ‘obtenir la possession, le contrôle de qc’. L’image matérielle de la Publicité 3, sans oublier le slogan qui accueille l’EI, ne fait de ce fait que renforcer le sens littéral de l’EI. De surcroît, l’image matérielle représente la première partie du slogan, montrant trois pairs de mains tenant des épis de céréales, de la farine et une boule de mie de pain, illustrant ainsi le processus de fabrication artisanale du pain Banette. Toutefois, bien que l’image matérielle ne semble pas indispensable à l’interprétation métaphorique de l’EI, elle joue très certainement un rôle au sein du message publicitaire.
La publicité 4, que nous ne commentons pas, présente le même cas de figure : l’image matérielle illustre le sens littéral de l’EI, mais n’est pas indispensable à son interprétation métaphorique.
4.2. Interprétation de l’image phraséologique à l’aide de l’image matérielle
Outre les images matérielles qui illustrent ou renforcent le sens littéral d’une image phraséologique métaphorique (cf. 4.1), le corpus comprend des EI imagées qui ne sont pas à première vue métaphorique, en raison d’une absence de relation transparente entre DS et DC et par conséquent d’un TC. Dans ces cas, l’image matérielle pourrait apporter des éléments d’information qui seraient à même de créer un lien entre DS et DC, facilitant ainsi une interprétation métaphorique.
Aussi, l’EI garder le cap du slogan de la Publicité 5 ne revêt pas un caractère métaphorique en soi car il n’existe pas de TC apparent entre les vehicle properties de l’EI garder le cap et les topic dimensions du DC, ‘allez dans la bonne direction/ne pas dévier de la bonne direction’24, à moins de reconnaître l’image marine. L’image matérielle, cependant, le phare, et le slogan contenant le substantif équipage évoquent le monde marin. Le verbe s’orienter associé au substantif phare indiquent qu’on se dirige dans la bonne direction et, surtout, en évitant une route dangereuse. C’est de cette manière que l’EI devient motivable et acquiert un sens métaphorique dans le contexte de la publicité.
Une remarque au sujet des topic dimensions s’impose ici : en cas d’EI à valeur de syntagme, faut-il tenir compte de l’énoncé accueillant cette EI, donc du slogan intégral, pour les interpréter ? Ou, comme le stipule Burger, doit-on se passer de tout co- et contexte pour analyser l’EI seule ? Et qu’en est-il du contexte ? En faire abstraction signifierait par là-même de faire fi du célèbre axiome de Wittgenstein. Déterminer le caractère métaphorique d’une EI imagée en fonction de son seul statut lexicalisé ou lexicographié reviendrait à ignorer le processus de l’interaction verbale qui va bien au-delà de ce qu’un dictionnaire ou une collection de métaphores peuvent proposer. Aussi un interactant peut bel et bien établir tout à fait correctement un lien métaphorique entre un DS et un DC fondé sur une image – linguistique comme matérielle – sans pour autant connaître en amont le sens métaphorique répertorié par les lexicographes.
Dans la publicité 6, l’image matérielle, représentant les jambes d’une femme dont les genoux sont remplacés par des ressorts, et le slogan qui intègre l’EI, facilitent l’interprétation du sens phraséologique de l’EI donner du ressort. D’une part, du fait que la référence du lexème ressort est clarifié par l’image, d’autre part, parce que mettre des ressorts à la place des genoux signifie qu’on devient plus mobile, plus performant et ce grâce à Bio-Rhumal. A nouveau, le contexte de texte et image permet l’établissement d’une relation métaphorique entre DS et DC de l’EI donner du ressort, relation qui n’est pas apparente lorsqu’on essaie de comprendre cette EI de manière isolée ou même par le biais du slogan Donnez du ressort à vos articulations ! Tous les éléments de la publicité papier, aussi bien au niveau textuel qu‘iconographique, interviennent en effet dans l’interprétation du sens du message global de la publicité et de ses différents composants.25
4.3. Opacité de l’image phraséologique et de l’image matérielle
A côté des EI imagées métaphoriques et celles qui le deviennent grâce à l’image matérielle, on en trouve au sein du corpus des publicités où l’image linguistique en soi est opaque et où l’image matérielle n’illustre non plus le sens littéral de l’EI, étant par conséquent également opaque – à défaut de connaître le sens phraséologique de l’EI en question, connaissance qui permettrait d’établir « après coup » un lien entre DS et DC de l’image linguistique et/ou matérielle.26 Aucun TC n’existe par conséquent entre le DS et le DC des EI imagées des quatre publicités suivantes, ni au niveau langagier ni au niveau iconographique. Au fond, la compréhension de l’image matérielle présuppose de ce fait la connaissance du sens phraséologique de l’EI.
Ainsi l’image matérielle de la Publicité 1 (reprise de la section 1) illustre le sens littéral de l’EI faire qc du bout des doigts, en représentant une main et des symboles de différentes professions devant chaque doigt. Toutefois, pas plus que l’image linguistique en elle-même, l’image matérielle n’évoque le sens phraséologique ‘très facilement, sans difficulté’ ; un TC entre DS et DC et donc une relation métaphorique sont absents. De plus, dans le cadre d’une publicité pour un forfait de téléphonie portable, l’image matérielle pourrait même neutraliser le sens phraséologique en évoquant le fait qu’on utilise les doigts pour taper un numéro de correspondant.27 Même sans connaître le sens phraséologique évoqué, non métaphorique, le message global est qu’on peut gérer ses relations professionnelles grâce au forfait Pro d’Orange. Et même si ce n’est pas exprimé explicitement, la qualité du produit veut naturellement que l’on puisse le faire efficacement, peut-être même ‘très facilement, sans difficulté’ ? Or si ce message est véritablement véhiculé par cette publicité, ce n’est pas grâce au caractère métaphorique de l’image employée, mais au co- et contexte, textuel comme iconographique, de l’annonce dans son intégralité.
Un constat semblable s’impose pour la Publicité 7. Le sens littéral de l’EI la cerise sur le gâteau, du reste modifié au sein du slogan publicitaire, n’a a priori aucun lien entre son sens métaphorique et son sens phraséologique ‘le petit détail qui parachève, couronne une entreprise’ (LE NOUVEAU PETIT ROBERT 1993 : 373) car une cerise sur un gâteau est une chose tout à fait normal et il faut connaître le sens phraséologique de l’EI pour interpréter l’image en tant que fait extraordinaire. L’image matérielle, quant à elle, brouille les pistes d’une éventuelle interprétation métaphorique plutôt que de les éclaircir.28 Le but du publicitaire est de toute évidence d’amuser le lecteur et d’attirer par là-même son attention au produit, les yaourts Vrai vantés, sachant que seul le lecteur au courant de la forme lemmatisée de l’EI et surtout de son sens phraséologique pourra l’apprécier pleinement. L’observateur candide pourra au moins être intrigué, chercher à comprendre le sens (cf. AIDA) et apprendre qu’il y a des myrtilles au fond de ce pot de yaourt.
Un dernier exemple d’une image – linguistique et matérielle – opaque employée par une EI (Publicité 8). Il s’agit de la publicité sexiste pour la crème semi-épaisse Babette. L’état de chose concret passer à la casserole n’offre aucun indice pour une interprétation métaphorique du sens phraséologique de l’EI ‘subir l’acte sexuel’ en tant que commentaire machiste ou péjoratif.29 Faute de connaître ce sens phraséologique, l’image matérielle, représentant ne facilite en rien son interprétation. Même si Je la lie et Je la fouette, inscrits sur le tablier porté par une femme, pourrait être interprété en tant que pratiques sadomasochistes, rien ne dit que et parfois elle passe à la casserole serait assimilé à l’acte sexuel.30 Mais, pour le répéter, les publicitaires ne sont point des linguistes qui souhaitent évoquer des relations métaphoriques transparentes, leur principal souci est d’attirer l’attention de l’observateur et de vendre le produit par la suite. Etant donné qu’il s’agit de prime abord d’observatrices, le pari a probablement été perdu dans ce cas pour ce qui est de l’envie de ces dernières d’acheter le produit.
4.4. Neutralisation du sens phraséologique par l’image matérielle
Dans certains cas, le sens de l’image matérielle ne reste pas opaque comme dans les publicités 1, 7 et 8, mais il réduit la possibilité d’interprétation sémantique au seul sens littéral de l’EI hébergée par le slogan. Ainsi, le sens phraséologique ‘faire des aveux’ de l’EI passer à table du slogan Les restos passent à table d’un article de journal gratuit de Moselle (cf. Article de journal 1) n’est non seulement aucunement évoqué par la photo, et en outre neutralisé par une photo de clients d’un restaurant attablés sur une terrasse. La légende de la photo « Comment ça va ? Question banale et redoutable à la fois… Nous avons voulu établir l’état des lieux d’un certain nombre d’activités. Neuf cafetiers et restaurateurs de Moselle ont répondu à cette question, à d’autres aussi. Evolution, crise, solutions : les restaurateurs31 se mettent à table. » ne peuvent fournir des indices uniquement à ceux qui connaissent le sens ‘avoué’ de l’EI, le non initié conclura plutôt à un jeu de mots obscur, d’autant plus que l’usage inhabituelle de l’abréviation ‘resto’ prête à confusion.
Analysons comme deuxième occurrence la Publicité 9 allemande qui est particulièrement évocatrice de la de neutralisation du sens phraséologique d’une EI. En effet, montrer les dents (Zähne zeigen) est a priori l’exemple type d’une EI imagée métaphorique car le TC ‘agressivité’ partagé par DS ‘montrer les dents’ et le DC ‘prendre un air menaçant, être agressif, se défendre’ ne fait aucun doute. Cependant, le beau sourire de l’animatrice de télévision Arabella Kiesbauer, montrant ses belles dents grâce au produit dentaire CEREC, neutralise le sens phraséologique puisqu’elle ne fait signe d’aucune agressivité. Même en connaissant le sens métaphorique ‘avoir un comportement agressif’ la photo de l’animatrice célèbre n’incite en rien à l’actualiser – à moins qu’on connaisse l’attitude offensive, parfois agressive de l’animatrice dans ses ‘talk-shows’.32 Une nouvelle illustration flagrante de la nécessité d’analyser l’intégralité du co- et contexte de l’utilisation d’une EI qui n’est pas métaphorique en elle, mais qui peut le devenir à condition que certains facteurs co(n)textuels soient réunis.
4.5. Absence de rapport apparent entre l’image matérielle et sens littéral de l’expression idiomatique
Alors que dans les publicités analysées au point 4.4 précédent, au moins un élément du sens littéral de l’EI est encore repris picturalement, un tel rapport n’existe plus du tout dans les publicités présentées ci-après, c'est-à-dire qu’aucun lien apparent existe entre sens littéral de l’EI et image matérielle. Aussi, l’image, une maquette de la future forme de la Place Mazelle à Metz, ne représente d’aucune façon un tunnel (cf. Article de journal 2), et la Publicité 10 ne fait aucun état iconographiques de ‘piques’. C’est pour cette raison, bien que les deux EI le bout du tunnel et (s’)envoyer des piques soient a priori métaphoriques, qu’il existe tout au plus un lien indirect entre sens métaphorique et image matérielle des deux documents.
Il faut en effet savoir que les travaux de longue durée ont constitué une période difficile pour les messins pour pouvoir interpréter la Une de ce numéro du journal gratuit la Semaine33.
Il en va de même pour la Publicité 10 de la station Europe1. Si on ignore que cette émission vit de « l’envoi de piques »34 et que Michel Drucker a pour habitude d’envoyer des fleurs aux (tierces) personnes égratignées, la photo de l’animateur n’a aucun sens. A nouveau, ce ne sont que co- et contexte qui permettent, par le biais d’une interprétation intégrée de tous les éléments de l’article et de la publicité, d’attribuer un sens aux images matérielles employées.
4.6. Evocation d’une image phraséologique (non réalisée) par l’image matérielle
Occasionnellement, l’image de certaines publicités représente le sens littéral d’une EI imagée sans que la forme linguistique elle-même ne soit réalisée. L’image peut revêtir un caractère métaphorique, comme dans la Publicité 11, ou encore une nature iconographique non métaphorique, comme l’image de l’Article de journal 3.
L’image matérielle d’une ceinture serrant un radiateur, illustrant le slogan Comment réduire votre facture de chauffage ?, dans une publicité pour l’isolation Isover, évoque en effet immédiatement la métaphore ‘se limiter dans la consommation de qc. par nécessité et/ou pour faire des économies’, et ce sans même connaître l’EI correspondant. Il s’agit en effet de l’exemple type de la métaphore où les vehicle properties se superposent étroitement aux topic dimensions, le DS « concret » représente un DC « abstrait ».
Un tout autre cas de figure se présente dans l’Article de journal 3, tiré d’Ouest France, avant le débat Fillon-Copé du 26 octobre 2012. Alors que le dessin, présentant les antagonistes en position d’escrimeurs, semble tout à fait logique dans le cadre d’un « duel télévisé »35, il n’évoque a priori aucun « débat courtois » comme annoncé dans le titre de l’article, d’autant plus que l’arbitre repousse les bouchons qui protégeaient les pointes des épées dont les coups peuvent ainsi devenir mortels.36 L’idée d’un « débat courtois » ne vient par conséquent pas à l’esprit de jeunes étudiants que nous avons interrogés et qui ne connaissaient pas l’EI à fleuret moucheté et qui faisaient des interprétations tout autre de l’image matérielle.
Seulement quelques personnes plus âgées ont immédiatement reconnu l’EI mentionnée. Partant du principe conversationnel que ce ne sont pas les intentions du producteur d’un énoncé qui priment, pas plus que les analyses du sémanticien du reste, mais les interprétations du destinataire in situ, on ne peut guère conclure à l’évocation d’une métaphore à travers l’image matérielle de cet article, qui aurait comme TC ‘débat courtois’, et encore moins à l’évocation de l’EI à fleuret moucheté qui semble être de moins en moins connue.
Pour terminer, quelques remarques au sujet d'une publicité allemande (no. 12). Aucun étudiant, ni francophone ni germanophone, n’a pu expliquer la raison de la présence d’une poire et d’une pomme sur cette publicité du fournisseur d’électricité Preussen Elektra dont le but est de faire comprendre aux consommateurs que ses prestations sont plus avantageuses que celles de ses concurrents. Pour l’initié, pommes et poires font par conséquent référence à quelque chose qui n’est pas comparable, i. e. wie Äpfel und Birnen ou Äpfel mit Birnen vergleichen(comparer ce qui n’est pas comparable).37 De toute évidence, pour le non initié, le TC entre DS ‘Äpfel und Birnen’ et DS ‘totalement différent, non comparable’ n’est pas ‘différence’, mais plutôt ‘similitude’ en tant que fruits juteux, bons, dont la consommation est saine. La distinction de Lakoff/Johnson (1980) entre highlighted et hidden properties des métaphores conceptuelles n’apporte pas de solution étant donné que l’observateur n’interprète pas ce qui est « highlighted » pour le lexicologue.
5. Fonctions de l’image matérielle dans l’évocation du sens métaphorique d’expressions idiomatiques
Les analyses de diverses publicités et d’articles de journaux ont révélé cinq types de relation entre l’image phraséologique et l’image matérielle qui peuvent être décrites en tant que fonctions des documents iconographiques :
- Illustration. L’image matérielle illustre ou renforce le sens littéral de l’image phraséologique de la publicité (cf. publicités 2, 3 et 4) ; le sens métaphorique de l’EI est interprétable sur la base de la seule expression langagière. L’image matérielle est de ce fait redondante du point de vue de la proposition, mais en aucun cas dans une perspective publicitaire.
- Soutien à l‘interprétation. L’image matérielle soutient ou facilite l’interprétation d’une relation métaphorique entre DS et DC de l’EI, une relation qui n’est pas évidente sur la base de la seule expression phraséologique imagée (cf. publicités 5 et 6). D’un point de vue sémiotique l’image matérielle occupe de ce fait une fonction centrale au sein de la publicité afin de faciliter la compréhension de l’EI imagée et par là-même du slogan.
- Opacité. L’image phraséologique n’est pas métaphorique puisque la relation entre DS et DC reste opaque (cf. publicités 1, 7 et 8). Même si l’image matérielle représente certains aspects du sens littéral de l’EI, ces éléments ne sont pas de nature à évoquer le modèle concret (le DS), probablement parce que ce modèle n’est pas suffisamment concret pour pouvoir le présenter de manière picturale. L’observateur ne peut par conséquent attribuer une signification à l’image matérielle uniquement s’il connaît le sens phraséologique de l’EI.
- Neutralisation. Bien que DS et DC de l’image phraséologique possède a priori un TC, l’image matérielle est de telle nature qu’il limite quasiment les possibilités d’interprétation au seul sens littéral de l’EI (cf. publicités 9 et 10 ; article de journal 1). Le sens idiomatique-métaphorique est neutralisé. Il est évident que les publicitaires tablent sur la reconnaissance du sens phraséologique de l’EI, mais heureusement pour eux elle n’est pas indispensable pour attribuer un sens global au message publicitaire.
- Rapport inexistant. Il n’existe aucun rapport évident entre le sens littéral de l’EI imagée et de ce que représente l’image matérielle (cf. publicité 11 ; article de journal 2). Une interprétation de l’image matérielle tout comme du sens phraséologique ne sont possibles qu’à condition de connaître en amont le sens de l’EI imagée qui n’est par conséquent pas métaphorique, mais seulement „bildhaft“, i.e. iconographique.
- EI non réalisée. En l’absence de réalisation d’une EI l’image matérielle ne peut être comprise uniquement lorsque le sens du document iconographique peut être associé à un sens métaphorique abstrait (cf. publicité 12). Si ce n’est pas le cas (cf. publicité 13 ; article de journal 3), aucun sens ne peut être attribué aux images matérielles à moins que l’observateur connaisse en amont la signification de l’EI.
L’analyse des différents types de relation entre image phraséologique des EI et image matérielle les accompagnant au sein de publicités papier résulte en les constats suivants :
- Tout d’abord, toute EI imagée n’est pas automatiquement métaphorique, un lien entre DS et DC que le sémanticien ou le lexicographe peuvent établir n’est pas obligatoire pour l’observateur qui ne connaît pas d’avance le sens de l’EI.
- L’image matérielle en tant que partie du texte publicitaire, composé d’éléments scripturaux et iconographique peut illustrer ou renforcer le sens littéral d’une EI ou encore faciliter l’interprétation de la relation métaphorique entre DS « concret » et DC « abstrait ». L’image matérielle peut également neutraliser le sens phraséologique en actualisant exclusivement le sens compositionnel de l’EI en question. Toute relation transparente entre image phraséologique et matérielle peut même faire défaut.
Il s’ensuit que, contrairement à ce que Burger (2008) semble stipuler, qu’un sens métaphorique ne peut se développer ou être interprétable qu’au sein de contextes spécifiques, de contextes qui peuvent même neutraliser une relation métaphorique potentielle. Sans pouvoir analyser les spécificités du texte publicitaire dans une étude linguistique on peut tout de même constater que le souci du publicitaire n’est pas la présentation de métaphores « propres » (aux yeux du lexicologue), mais l’atteinte de son objectif promotionnel. Dans ce cadre, il lui importe avant tout d’attirer l’attention du chaland potentiel, même au prix de jeux de mots, des allusions, des liaisons sémantiques obscures.
Références
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Note
↑ 1 Un fait que Bühler évoque dès 1934 : « Lorsqu’on commence à s’intéresser de plus prêt au phénomène langagier qu’on a l’habitude de nommer métaphore, on a vite l’impression que le discours humain est composé de métaphores comme la forêt noire est composée d’arbres. »Trad. GS de : „Wer die sprachliche Erscheinung, die man Metapher zu nennen pflegt, einmal anfängt zu beachten, dem erscheint die menschliche Rede bald ebenso aufgebaut aus Metaphern wie der Schwarzwald aus Bäumen.“(id.: 342) Le Président de l’Association Michel Bréal de Landau, Heinz-Helmut Lüger, attire notre attention au fait que Bréal souligne bien avant, i. e. en 1897 : « S’il nous était possible de remonter plus haut dans le passé de l’humanité, nous trouverions sans doute, tout comme dans les langues que nous connaissons mieux, la métaphore partout présente. » (id. 19043: 134). Et Bréal va même plus loin : « Les langues indo-européennes sont condamnées au langage figuré. » (id.: 3)
↑ 2 Cf. section 4.3 pour une analyse détaillée.
↑ 3 Que Stöckl limite aux expressions idiomatiques, excluant par conséquent les collocations, lieux communs et formules de routine; notamment les dernières fréquentes dans la publicité.
↑ 4 Trad. GS de : « Phraseologische Ausdrücke spielen für die Werbung allgemein eine so große Rolle, weil sie hochgradig tradierte Bilder sprachlich verfügbar machen, die in den materiellen Bildern aufgegriffen und aktualisiert werden können. »(Stöckl 2004 : 340).
↑ 5 Pour cet aspect, voir Coquet (2012), Hols (2001) ou Janich (1999). Cf. Schmale (à par.) pour une analyse de publicités papier allemandes.
↑ 6 Seulement les deux premières EI, des proverbes, correspondent à ce critère. Toutes les autres EI doivent être complétées par un autre élément pour constituer un acte communicatif viable.
↑ 7 Ce qui ne signifie pas que toutes les expressions idiomatiques comprennent sans exception une image ; en font partie également les EI à composant archaïque ou celles comprenant une irrégularité syntaxique.
↑ 8 En allemand: sich ein Wortgefecht liefern, schwere Geschütze auffahren, mit jmdm. eine Fehde ausfechten; en anglais: war/battle of words, have a (blood) feud.
↑ 9 Cf. la „systematische Metaphernanalyse“ de Schmitt (2011) qui découvre un nombre étonnant de métaphores dans un texte.
↑ 10 En allemand, Weinrich utilise dès 1976 Bildspender(bereich) – Bildempfänger(bereich). Cf. également Steen (1999).
↑ 11 Trad. GS de : „Ein metaphorischer Phraseologismus stellt einen abstrakten Sachverhalt in einem konkret vorstellbaren Modell dar.“(Burger 1989: 26)
↑ 12 Qui est à différencier de l’EI partielle (« Teil-Idiom ») qui est composée au moins d’un constituant à signification « normal », comme p. ex. les comparaisons phraséologiques du type soûl comme un polonais, drunk as a lord, voll wie eine Haubitze.
↑ 13 Burger (2010) lui-même concède du reste que la distinction entre imagé-figuratif-métaphorique et imagé-non-métaphorique est souvent tout sauf évidente et introduit de ce fait le terme ‘bildstark’, comprenant une image forte, qui regroupe les deux premiers concepts.
↑ 14 Trad. GS de : „[…],die dem System der Sprache zuzusprechen sind, die von durchschnittlichen Sprechern jederzeit nachvollziehbar sind, die also nicht nur […] unter individuellen situativen oder kontextuellen Bedingungen eine Rolle spielen.“(id.: 69)
↑ 15 Mais comment obtenir des résultats significatifs face à des utilisateurs qui connaissent déjà le sens phraséologique de l’EU ? Ces derniers vont sans aucun doute trouver des liens sémantiques entre DS et DC « top down » alors que d’autres pourraient établir des connexions a priori logiques mais loin de la réalité sémantique.
↑ 16 A = attention ; I = interest ; D = desire ; A = action.
↑ 17 Trad. GS de : „Es erschiene mir sinnvoll[er], sprachliche u. bildliche Teile von Texten generell als untrennbare Bestandteile einer Gesamtbotschaft zu betrachten.“ (id.: 250)
↑ 18 Trad. libre GS de : „Im kommunikativen Verstehen kombinierter materieller und phraseologischer Bilder behandeln Rezipienten beide Bildmodalitäten funktionsanalog, d.h. sie können mit ihnen ähnliche mentale Operationen vornehmen. ‚Hinter‘ sprachlicher Formulierung und bildlicher Gestaltung liegen konzeptuelle Strukturen, die für beide gleiche kognitive Leistungen und Funktionen bereitstellen. Das dargestellte Verhältnis von materiellem und phraseologischem Bild will ich als ‚funktionale Isomorphie‘ bezeichnen. Beide Bildmodalitäten verhalten sich ‚funktionsisomorph‘ zueinander, weil sie die gleichen konzeptuellen Strukturen generieren bzw. nutzen.“(id. : 226)
↑ 19 Nous avons conscience que DS et DC sont des notions provenant de l’approche conceptuelle, alors que ‘vehicle properties’ et ‚topic dimensions‘ proviennent de l’approche linguistique de Glucksberg. Etant donné que nous revendiquons – et pratiquons – une analyse linguistique le « mélange » de deux terminologies ne semble pas préjudiciable.
↑ 20 Traduction libre GS.
↑ 21 Ce qui ne signifie pas que tous les cas de figure de relations texte-image seront nécessairement abordés; cf. p. ex. Burger (2008) qui traite d’autres formes.
↑ 22 Fait souligné à juste titre par Gréciano (1983). La signification dominante ou « normale » d’une EI est le sens phraséologique, non pas le sens littéral qui n’est actualisé qu‘exceptionnellement au sein de contextes spécifiques.
↑ 23 Un TC existerait-il pour l’EI isolée sans le cotexte de l’énoncé qui la véhicule ? la porte à côté, ne pourrait-il signifier ‘pas ici, ailleurs’ également ?
↑ 24 Notre propre définition.
↑ 25 Sachant que la compréhension exacte de chaque élément de construction n’est probablement pas indispensable dans la compréhension du sens d’un énoncé global en contexte.
↑ 26 Ce qui semble être précisément le problème pour déterminer ce qui est métaphorique ou non. Lorsqu’on connaît le sens « métaphorique » d’une EI on trouvera toujours des éléments sémantiques d’explication pour un lien entre DS et DC, des éléments qui ne sont toutefois pas à la disposition de l’utilisateur qui ne connaît pas le sens lexicographié en amont. Sans même parler des locuteurs natifs qui trouvent des explications (ou se sentent obligés de le faire) sans même être au courant du sens de la métaphore lexicalisée en question.
↑ 27 En écartant l’interprétation, peu probable dans ce contexte, qu’on fait quelque chose prudemment à l’instar de dire qc du bout des lèvres.
↑ 28 Décortiquer ici le jeu de mots plutôt obscur et les liens entre slogan langagier et image matérielle n’apporterait rien de plus à notre propos.
↑ 29 Les définitions de différents dictionnaires, stipulant qu’il s’agit d’un acte contraint ou même d’un viol, ne correspondent pas à l’usage courant qui n’implique pas nécessairement cet aspect.
↑ 30 Dans le cotexte du slogan, on serait plutôt tenté de penser à une autre pratique sadique.
↑ 31 Le substantif ‘resto’ du titre est-il une abréviation (inhabituelle) de ‘restaurateur’ ? Les 403000 réponses pour la recherche « resto définition » sous Google ne tiennent toutefois pas compte de cette option.
↑ 32 Qu’elle animait il y a quelques années.
↑ 33 No. 387 du 12 sept. 2012. – La légende fournit en effet des éléments pour une interprétation adéquate : « […], la place Mazelle retrouve du sens après quatre ans de travaux. Pour l’espace piétonnier, le chantier se termine en novembre. Les riverains oscillent encore entre craintes et espoirs… ».
↑ 34 D’après le Larousse en ligne: « Parole intentionnellement blessante ; allusion malveillante. » Il faudrait ajouter que, dans le contexte de ce type d’émission, les paroles ne sont pas sérieuses, de toute manière pas officiellement.
↑ 35 N’oublions pas le concept ARGUMENT IS WAR de Lakoff/Johnson.
↑ 36 Est-ce que l’image fait en outre référence à l’EI pousser le bouchon trop loin ?
↑ 37 Une recherche Internet produit: « comparer des choux et des carottes », une EI toutefois pas lemmatisée par Rey/Chantreau (1986).