Les métaphores conceptuelles dans la science médicale : outil cognitif et communicatif
Indice
1. La métaphore : de figure de style à mécanisme cognitif
2. La conceptualisation métaphorique dans le discours scientifique
Abstract
Francese | IngleseInscrit dans le cadre théorique de la Linguistique Cognitive, cet article vise à étudier la nature et la fonction des métaphores conceptuelles en tant qu’outil cognitif et communicatif dans le domaine scientifique, notamment dans les textes médicaux. Après un aperçu général de l’évolution de la métaphore au fil du temps, nous montrerons l’importance du raisonnement métaphorique dans le processus de lexicalisation et de formulation/compréhension des théories scientifiques. Ensuite, en adoptant l’approche conceptuelle de Lakoff et Johnson et leur typologie de métaphores, nous verrons, par des exemples tirés d’un corpus d’articles publiés dans trois revues médicales en ligne, quels sont les types de métaphores employées dans le langage médical et le rôle qu’elles jouent.
1. La métaphore : de figure de style à mécanisme cognitif
Depuis l’époque d’Aristote, la métaphore a suscité l’intérêt et la réflexion de chercheurs et de philosophes dans le monde occidental. Aristote reconnaissait déjà en elle un signe de “génie” aux potentialités créatives, conférant au langage un grand pouvoir expressif. La rhétorique classique s’est pourtant limitée à mettre l’accent sur sa valeur purement stylistique, une déviance par rapport à la norme, représentée par le sens propre que la métaphore double d’un sens figuré. Au début du XIXe siècle, Dumarsais, à l’instar d’Aristote, conçoit la métaphore comme un transfert de sens d’un mot à un autre en raison d’analogies, mais il ne la considère plus comme l’apanage des textes littéraires, c’est plutôt un mécanisme naturel par lequel l’homme nomme le monde environnant. En envisageant le caractère usuel du langage figuré, le philosophe et grammairien français semble anticiper la réflexion future sur la métaphore telle qu’elle sera développée plus tard.
Une étape importante dans l’analyse du processus métaphorique est marquée par Richards (1936), qui voit dans la métaphore un élément constitutif et omniprésent du langage. Il attribue aux deux éléments comparés respectivement le nom de « tenor » (souvent appelé « topic ») – ce à propos duquel on dit quelque chose – et « vehicle » – ce qui forme la base de la comparaison.
Se situant dans la lignée inaugurée par Richards, Black (1962) développe le modèle interactionnel qui ouvre la voie à l’approche cognitive de la métaphore ; celle-ci n’est plus perçue comme un phénomène exclusivement linguistique, mais elle touche aussi le plan de l’énonciation ou du contexte d’usage. La métaphore repose sur l’interaction de deux composantes : le « focus » ou foyer (le mot métaphorique) et le « frame » ou cadre (le cotexte non métaphorique).
Les travaux qui ont le plus contribué à une réhabilitation de la métaphore comme instrument de connaissance relié à l’expérience et non plus comme simple trope à vocation décorative ont été menés dans le cadre de la Linguistique et de la Sémantique Cognitive, postulant que le processus de métaphorisation est une stratégie universelle dans la cognition humaine ; la métaphore est finalement vue comme un phénomène à la fois linguistique et sémantico-cognitif. « L’essence d’une métaphore est qu’elle permet de comprendre quelque chose (et d’en faire l’expérience) en termes de quelque chose d’autre » (LAKOFF, JOHNSON 1980, tr. fr. 1985 : 15). C’est une projection interdomaniale, soit une correspondance ontologique (« mapping » ou carte conceptuelle) entre deux différents domaines conceptuels qui n’appartiennent pas à la même matrice. En bref, un domaine expérientiel généralement concret, le « domaine source », est projeté sur un autre domaine expérientiel abstrait, le « domaine cible », compris dans les termes du premier.
Cet aspect interactif a été mis ultérieurement en évidence par Turner et Fauconnier qui voient dans la métaphore le produit d’un plus général processus de la cognition humaine, appelé « mental blending » ou « intégration conceptuelle », par lequel l’homme crée des connexions entre différents domaines de la connaissance. Selon la théorie du « blending »1, l’interprète de la métaphore superpose la structure d’un domaine sur la structure d’un autre et produit, d’une façon inférentielle, un domaine conceptuel intégré, reprenant les caractéristiques saillantes et communes issues de la fusion des deux configurations cognitives existantes2. Cela dit, il faut souligner qu’entre les deux termes impliqués dans la relation métaphorique il n’y a pas seulement d’allotopie ou d’incompatibilité3, mais aussi un certain degré d’isotopie ou de compatibilité sémique, faute de quoi il n’y aurait que discordance ou incongruité (BOTET 2008 : 38).
À l’encontre du cognitivisme classique, Lakoff et Johnson insistent sur la relation dialectique entre la cognition humaine et les facteurs contextuels et environnementaux ; ils préconisent le paradigme du « réalisme expérientiel » qui souligne le rôle déterminant de l’expérience au sens large dans la logique catégorielle humaine. Selon le principe d’embodiment (« cognition incarnée »), l’esprit n’est plus vu comme une entité abstraite et désincarnée, mais il est inscrit dans le corps qui interagit avec l’environnement d’où proviennent les perceptions sensorielles.
Le signifié est donc enraciné dans la représentation mentale et perceptive du monde. Il s’ensuit que les correspondances métaphoriques, loin d’être le fruit de l’arbitraire, sont physiquement et culturellement motivées, car appuyées sur les expériences corporelles des sujets et sur les sédimentations culturelles de ces expériences.
2. La conceptualisation métaphorique dans le discours scientifique
Au nom du mythe de l’objectivisme exigeant clarté et univocité des termes, la métaphore a été pendant longtemps négligée, voire évitée dans les discours scientifiques, du fait de son sémantisme flou et parfois ambigu. On ne lui reconnaissait aucune dimension cognitive et heuristique, alors que, comme le rappelle Eco, « la buona metafora ha valore cognitivo, e lo ha per la sua capacità di riorganizzazione categoriale » (ECO 2005 : 28).
En fait, bien que jugées traditionnellement réfractaires à toute conceptualisation métaphorique, les langues spécialisées, y compris la langue de la médecine qui fera l’objet de notre étude, font souvent appel à la métaphore, son rôle « étant primordial lors des découvertes scientifiques qu’elle accompagne, en ce qu’elle permet tout d’abord d’appréhender une nouvelle perception de la réalité, mais également de la structurer » (JAMET 2008a : 41). « Non seulement la nouvelle perception permet l’émergence de métaphores, mais assez paradoxalement, ce sont ces mêmes métaphores qui donnent naissance – d’un point de vue cognitif – à cette nouvelle réalité » (ivi : 42). Le langage ne se limite donc pas à représenter, mais il donne forme à des concepts et à des significations ; le déplacement de sens d’un concept à l’autre réalisé par la métaphore contribue par là à éclaircir des référents complexes et parfois obscurs, en les rendant plus concrets et plus familiers.
Le raisonnement métaphorique et la modélisation analogique de la pensée – analogie entre ce que l’on cherche à connaître et à comprendre et ce que l’on connaît et comprend déjà – influencent le processus de lexicalisation et de formulation/compréhension des théories scientifiques, concourant au développement de nouvelles orientations (TEMMERMAN 2007 : 81). Il y a des contextes où la métaphore représente l’option linguistique la plus probable dans la communication, tel est le cas surtout des contextes de vulgarisation des sciences où l’on a recours aux expressionsmétaphoriques pour illustrer et divulguer des concepts difficiles d’accès à un public de néophytes, en exploitant le potentiel didactique du langage métaphorique.
De son côté, Oliveira (2005 : 2) parle de « métaphore terminologique »4 pour souligner le rôle que la métaphore est censée jouer dans l’activité scientifique, où elle s’avère « un instrument indispensable à la cognition et à la dénomination ».
Ainsi les métaphores revêtent-elles une double fonction, selon le type de discours, le contexte situationnel, les destinataires auxquels on s’adresse et les besoins terminologiques : créer une nouvelle élaboration de concepts ardus et en faciliter la compréhension ; autrement dit, elles permettent d’intégrer la nouveauté de l’invention dans un système de connaissances déjà acquises et de rendre les données nouvelles plus intelligibles afin de les transmettre à un vaste auditoire.
Tout en reconnaissant l’apport fondamental de la métaphore dans la conceptualisation et dénomination de la réalité, il faut pourtant garder à l’esprit qu’elle « n’est pas la réalité, mais seulement une vision de la réalité » (JAMET 2008b : 211), c’est un prisme au travers duquel on filtre le monde environnant. De par leur nature, les métaphores conceptuelles sont enracinées dans l’expérience des parlants, une expérience physique, affective et culturelle qui est incontestablement subjective, quoique plus ou moins largement partagée ; par conséquent, les métaphores utilisées pour définir la réalité n’incarnent pas de modèles universels, immuables.
L’approche expérientialiste prônée par Lakoff et Johnson s’éloigne des conceptions objectivistes invoquant une vérité absolue et inconditionnelle5. Chaque métaphore focalise seulement certaines propriétés ou certains traits saillants, en en masquant d’autres, considérés comme moins pertinents, non conformes à la perception d’une communauté de locuteurs et à l’environnement physique et socio-culturel avec lequel elle interagit : ce que Lakoff et Johnson (1980, tr. fr. 1985 : 20) qualifient respectivement de « mise en valeur » et de « masquage ». Kövecses (2002 : 79) parle à ce sujet de « metaphorical highlighting » et de « metaphorical hiding » : « Out of a large number of potential sources, we “choose” the ones that “make intuitive sense” – that is, the ones that emerge from human experience – either cognitive, physiological, cultural, biological, or whatever » (ivi : 76). Souvent, on ne projette dans le domaine cible qu’une partie de la structure du domaine source ; la complexité du fonctionnement du monde et de l’activité humaine ne peut donc pas être comprise par une seule métaphore, mais elle exige un réseau de métaphores différentes, aptes à en montrer les divers aspects par différentes perspectives.
Vu qu’il s’agit d’un angle d’approche partiel et partial, il faut échapper à toute distorsion ou interprétation trop rigide et simpliste des représentations métaphoriques, et ce, encore plus si l’on a affaire au domaine scientifique, où le savoir et les connaissances sont en constante évolution. Les modèles appliqués à la science, en l’occurrence la science médicale, ne sont pas définitifs, mais dynamiques, inscrits dans un contexte socio-culturel qui évolue ; les métaphores sont susceptibles de progressives réélaborations et renégociations allant de pair avec l’actualité des découvertes scientifiques.
3. Typologies de métaphores
Lorsque l’on aborde l’étude des métaphores, on fait généralement une distinction entre « métaphores mortes » (en premier lieu, les catachrèses) et « métaphores vives ».
Les catachrèses sont des métaphores obligées, qui servent à désigner une réalité pour laquelle il n’existe aucune autre dénomination ; le terme manquant est construit par le biais d’autres termes inscrits dans un réseau métaphorique (les bras d’un fauteuil, aux pieds d’une montagne). Désormais intégrées dans le lexique et dûment répertoriées par le dictionnaire pour combler un vide lexical, ces expressions ne sont même plus perçues comme telles. Il s’agit d’expressions idiosyncratiques, fixées par convention, dont l’emploi est marginal et non plus productif dans la langue et dans la culture ; c’est pourquoi on parle de « métaphores mortes ».
À l’opposé des « métaphores mortes », on trouve les « métaphores vives » (expression forgée par Paul Ricœur, 1975) ou « métaphores imaginatives et créatives », c’est-à-dire des créations ad hoc, qui rendent possible une nouvelle compréhension de l’expérience humaine, en donnant un nouveau sens à la réalité actuelle. Au fil du temps, les métaphores originales, créées pour dénommer une réalité inédite, s’attestent avec l’usage comme des métaphores « lexicalisées, conventionnelles », dans la mesure où elles sont employées couramment et qu’elles acquièrent un signifié stable dans le domaine de référence ; elles entrent de plein droit dans le lexique, au point de perdre leur motivation originelle, ce qui pourrait pousser à les cataloguer comme des métaphores mortes6.
En fait, contrairement aux catachrèses, qui restent des cas isolés, les expressions métaphoriques lexicalisées reflètent des concepts métaphoriques systématiques qui structurent non pensées et nos actions quotidiennes. Tout en étant conventionnelles, « elles sont vivantes dans le sens le plus fondamental du terme : ce sont des métaphores qui nous font vivre » (LAKOFF, JOHNSON 1980, tr. fr. 1985 : 64) en tant qu’éléments constitutifs de notre expérience et représentation du monde.
Assimilant la distinction entre métaphores vives et métaphores mortes, l’approche conceptuelle de Lakoff et Johnson, que nous adopterons ici, distingue trois types de métaphores7 correspondant à trois modalités de perception et d’appréhension de la réalité : 1) métaphores structurales ; 2) métaphores d’orientation ; 3) métaphores ontologiques.
1) Les métaphores structurales projettent la structure d’un concept connu, plus clair et défini, sur la structure d’un concept abstrait et complexe ; par exemple, la pathologie ou l’intervention médicale sont structurées en termes de “guerre”, impliquant des ennemis, une bataille à combattre, des victimes : Combat contre les allergies alimentaires, bombardement des cellules, agressivité de la maladie, victimes de la cancérose.
2) Les métaphores spatiales ou d’orientation reflètent l’orientation dans l’espace (haut-bas, dedans-dehors, devant-derrière, dessus-dessous,…), elles trouvent leur fondement physique et social dans des expériences sensorielles ; ainsi, le schéma Le plus est en haut, le moins est en bas, représenté par le trait [verticalité], est à la base de l’expression Formes métastatiques en rechute ; d’autres, comme Expansion des tiges mésangiales, épaississement des anses capillaires, évoquent la croissance dans l’espace et l’augmentation de volume.
3) Les métaphores ontologiques identifient et catégorisent un concept abstrait comme une entité discrète et quantifiable ; les événements et les états sont conceptualisés comme des objets ou des substances ; les idées comme de la nourriture, des produits, des organismes vivants. Très fréquents les cas d’anthropomorphisation où l’on attribue les qualités et les caractéristiques d’un être animé à des expériences et à des entités non animées : Cellules NK “Natural Killers” (tueuses naturelles), petite colonie de bactéries, croissance / mort des cellules cancéreuses, même lignée de cellules souches.
Comme on le verra dans la suite de notre travail, le fait d’appréhender des phénomènes aussi abstraits et complexes que ceux relevant de la médecine en termes concrets, souvent humains, a un pouvoir explicatif important, parce qu’il donne un sens cohérent à ces concepts et facilite, ainsi faisant, notre compréhension. Le choix de tel ou tel domaine source pour conceptualiser et structurer un domaine cible révèle quels aspects sont retenus comme les plus saillants et proéminents dans un phénomène donné et lesquels sont laissés de côté ou minimisés.
4. Les métaphores dans la langue de la médecine
Les réseaux métaphoriques dans lesquels puise le langage médical touchent en particulier les champs militaire, humain, technique, sans pour autant négliger d’autres domaines tels que le paysage, l’enquête de police, etc. On pourrait représenter par la structure en grappes (« clustering structure ») la conceptualisation du domaine cible (C) [médecine], codifié par divers domaines sources (S) :
L’intersection de ces domaines offre différentes perspectives du même concept – [guerre], [enquête], [êtres humains], [machine], [paysage],… – et produit dans notre esprit le modèle culturel de la [médecine], c’est-à-dire la configuration spécifique des domaines constitutifs d’un concept. Le nombre potentiel de domaines n’est jamais fermé et le modèle culturel peut être étendu ou modifié grâce à l’imagination, les êtres humains étant prédisposés à créer constamment de nouvelles métaphores (DANESI, 2001).
Nous allons voir maintenant de plus près, avec une série d’exemples8 à l’appui et suivant une démarche qualitative, quels sont les types de métaphores conceptuelles employées dans le langage médical et le rôle qu’elles jouent, notre objectif étant de montrer leur utilité en tant qu’instrument privilégié de compréhension et de communication dans le discours scientifique. Nous suivrons le modèle de Lakoff et Johnson pour l’identification des métaphores sur la base des correspondances entre différents domaines conceptuels, en nous inspirant en même temps d’autres travaux – notamment ceux de van Rijn-VanTongeren (1997), de Vandaele (2002a, 2002b, 2004) et de Richardt (2005) – inscrits dans la même lignée et abordant plus spécifiquement le domaine scientifique et médical9.
4.1 Les métaphores catachrétiques
Commençons par les métaphores catachrétiques, qui permettent d’exprimer et de décrire un concept, en suppléant à une lacune dénominative dans la terminologie scientifique.
Le termes catachrétiques créés par métaphorisation sont nombreux dans le vocabulaire médical et proviennent de champs très variés : architecture (paroi abdominale, vestibule de la bouche), musique (tibia, tympan, trompe d’Eustache), règne animal (hippocampe, cancer, polype), vêtements (tuniques du cœur), air (souffle au cœur ou souffle cardiaque, souffle vasculaire), etc.
Une métaphore catachrétique utilisée dans les descriptions anatomiques est la métaphore structurale, associée à une orientation spatiale, L’ANATOMIE EST UN PAYSAGE, puisant dans le lexique des fleuves, des plantes, des arbres, des routes.
- L’artère hépatique droite est par définition une artère qui naît de l’artère mésentérique supérieure. […] Elle est classiquement la première branche naissant du bord droit de l’artère ésentérique supérieure. Son trajet est habituellement rétro-portal. Elle ne doit pas être confondue avec une bifurcation précoce de l’artère hépatique, où la branche droite de l’artère hépatique naît du bord latéral du tronc cœliaque, avant la bifurcation en artères splénique, gastrique gauche et hépatique commune et a un trajet préportal. (JRDI, p. 31-32)
- L’artère hépatique gauche est une artère qui naît du bord gauche de l’AGG. Elle chemine dans le sillon d’Arantius avant de pénétrer dans le foie. (JRDI, p. 32)
- La vascularisation hépatique est alors assurée par les arcades duodénopancréatiques, issues de l’artère mésentérique supérieure, se dirigeant vers l’AGD (qui circule à contre-courant), puis l’AHP. (JRDI, p. 33)
- L’artèrethoracique interne […] prend son origine à la face inférieure de l’artère sous-clavière homolatérale, descend verticalement le long de la paroi thoracique antérieure pour donner des branches phréniques et intercostales. (JRDI, p. 36)
- Plusieurs études récentes ont montré que les altérations génomiques des cancers peuvent être caractérisées sur les cellules tumorales circulantes ou l’ADN libre circulant dans le sang des patients par des approches de NGS. (RFL, p. 55)
Un autre champ sémantique assez productif est celui du texte (texte, séquence, lecture), employé pour décrire les processus de l’ADN et du génome humain (même en présence de pathologies), selon la métaphore ontologique LE GÉNOME EST UN TEXTE.
- … Ptch1 réprime une voie oncogénique canonique impliquant l’activation de facteurs de transcription glioma-associated (Gli) via smoothened (Smo). (BC, 7, p. 1269)
- Les gènes codants pour les protéines ne constituent que 2 % environ du génome humain. […] dans le cadre de la génétique somatique, des protocoles de séquençage ciblés sont désormais élaborés avec pour objectif d’analyser pour chaque type de cancer un panel de gènes en un seul séquençage. (RFL, p. 54)
- La lecture d’une même base à partir de différents fragments correspond à la profondeur d’un séquençage. Si une expérience permet une profondeur de lecture de 30 ×, chaque base aura alors été séquencée en moyenne 30 fois. La couverture d’un séquençage correspond au pourcentage du génome (ou de la séquence ciblée) couverte par les fragments séquencés. (RFL, p. 56)
- ... vont s’établir les principaux fondements théoriques de la biologie moléculaire : description du modèle de structure de l’ADN en double hélice, compréhension des mécanismes de réplication de l’ADN et de sa transcription en ARN, décryptage du code génétique et l’établissement du dogme central ADN -> ARN -> protéine. (RFL, p. 62)
4.2 Les métaphores explicatives ou didactiques
Les métaphores ont souvent la fonction d’éclaircir certains concepts, de représenter les phénomènes et les résultats médicaux déjà connus, on parle alors de métaphores explicatives ou didactiques, dont le trait marquant est sans doute l’anthropomorphisation.
Les cellules et les processus physiologiques sont généralement catégorisés comme des agents, des êtres animés, doués de volonté et de comportement autonome, conformément à la métaphore ontologique LES CELLULES SONT DES ÊTRES HUMAINS : elles ont leur cycle vital, leur métabolisme, leurs habiletés, leurs fonctions, leurs rôles. En plus, comme tout être humain, elles vivent dans une société qui a ses règles, font partie de groupes organisés, interagissent avec leur environnement.
- Les RD [récepteurs à dépendance] peuvent être considérés comme une nouvelle famille de suppresseurs de tumeurs « conditionnels » … (BC, 7, p. 1267)
- La mort des cellules est également observée. (BC, 7, p. 1270)
- Après section ou écrasement, les axones constituant les nerfs périphériques ont la capacité de se régénérer, selon un lent processus. (JRDI, p. 20)
- L’artère thoracique interne peut également être recrutée par les carcinomes hépatocellulaires dans environ 2,3 % des cas. (JRDI, p. 36)
- La léiomyomatose péritonéale disséminée (LPD) […] est une affection rare, caractérisée par la prolifération bénigne de cellules musculaires lisses dans la cavité péritonéale. (JRDI, p. 104)
- Ainsi ont été mis en évidence : […] l’existence de plusieurs lignées distinctes de lymphocytes B, T et NK … (RFL, p. 62)
- Parmi les lymphomes T, les critères phénotypiques du lymphome T angio-immunoblastique sont précisés avec notamment la notion de cellule d’origine de profil lymphocytaire T « follicular helper » … (RFL, p. 64)
- Cette stratégie d’élimination sélective et première de la cellule HRS fait supposer qu’elle induit, par voie de conséquence, une régression de la population inflammatoire/cytokinique d’accompagnement … (RFL, p. 64)
L’étude des processus de croissance et de prolifération cellulaire est très importante dans les recherches sur le dépistage de nombreuses maladies : les cellules tumorales, par exemple, ne sont que des êtres humains qui ont une croissance et une reproduction anormale.
- Les cellules tumorales gagneraient ainsi en autonomie et pourraient proliférer et migrer dans n’importe quel tissu sans craindre la mort par limitation de ligand. (BC, 7, p. 1270)
- ‘In vivo’, ce composé administré par voie intrapéritonéale est capable d’inhiber la croissance de cellules cancéreuses humaines … (BC, 7, p. 1272)
- SD1-v2 induit une réduction de la croissance tumorale et de la dissémination métastasique ... (BC, 7, p. 1273)
- Au sein des mutations somatiques, on distingue les mutations « conductrices » (« driving mutations ») conférant aux cellules un potentiel de croissance et de survie, et les mutations « de passage » (« passenger mutations »). (RFL, p. 52)
L’inconvénient de ce type de représentation, qui met l’accent sur l’action de cellules individuelles et indépendantes, serait de sous-évaluer l’impact sur le développement de la maladie d’autres facteurs de risque tout aussi importants, à savoir les facteurs endogènes (internes au corps)10 et les facteurs exogènes ou environnementaux (extérieurs à l’organisme)11; en effet, le cancer, comme toute pathologie, est le résultat d’une interaction entre la génétique et l’environnement.
La science tire souvent ses images de représentations propres au domaine social et culturel. Emblématiques, à cet égard, les métaphores concernant les maladies ; enracinées dans le social, elles sont issues de l’interaction entre la culture, la politique et, en particulier, le domaine militaire : attaque du virus ; lutte contre le cancer ; envahissement ganglionnaire ou métastatique. Autant d’expressions métaphoriques très répandues, relevant de la métaphore structurale LA MÉDECINE, C’EST LA GUERRE, à laquelle correspond la sous-métaphore ontologique LA MALADIE EST UN ENNEMI, qui font écho aux modèles culturels dominants dans la société contemporaine. La maladie est identifiée avec un adversaire qui menace et attaque le corps humain, le système immunitaire et les soins médicaux sont l’armée appelée à réagir et à défendre l’organisme, afin de vaincre la bataille contre le mal.
- On obtenait avec ce traitement une médiane de survie globale de 18,4 mois pour les patients arrivant au bout de cette stratégie. (BC, 9, p. 1289)
- L’échographie de contraste avec microbulles de CO2 est récemment apparue comme une technique non invasive prometteuse mais la mesure sanglante reste la référence. (JRDI, p. 16)
- Les lésions nerveuses traumatiques englobent cependant un spectre bien plus important d’atteintes, allant de la simple compression au délabrement total avec perte de substance. (JRDI, p. 20)
- conflit disco-radiculaire anatomique concordant avec les symptômes cliniques. (JRDI, p. 68)
- Un stent auto-expansible […] a été déployé sur la lésion pour emprisonner le thrombus entre la paroi artérielle et le stent. (JRDI, p. 97)
- … l’implication dans la mort neuronale est démontrée au cours de la maladie de Huntington ainsi que dans d’autres atteintes dégénératives. (RFL, p. 27)
- L’atrophie était définie par une diminution et une perte des glandes normalement présentes au sein de la muqueuse (secondaire à des agressions répétées de la muqueuse gastrique). (RFL, p. 34)
Appliquée au domaine oncologique, la métaphore de la GUERRE, entrelacée avec celle des ÊTRES HUMAINS, donne origine aux sous-catégories suivantes qui structurent le concept de métastase : LE CANCER EST UN ENNEMI, LES CELLULES TUMORALES SONT DES ÊTRES HUMAINS QUI ENVAHISSENT ET COLONISENT, LES CELLULES TUMORALES SONT DES ENNEMIS. Les cellules cancérigènes se configurent comme des êtres humains agressifs et envahissants, poussés par de mauvaises intentions, des ennemis qui occupent les tissus adjacents, certaines cellules peuvent en effet migrer de leur lieu de production et former des métastases. Ces métaphores renvoient à l’idée de combat qu’il faut engager pour freiner la progression de l’oncogenèse ; l’image de la guerre, projetée sur l’approche médicale, s’étend également aux traitements thérapeutiques, où les agents pharmacologiques sont représentés comme des agents anti-invasion.
- Concernant les 6 armes principales contre le cancer, … (BC, 2, p. 1231)
- … coordonner les actions de lutte contre le cancer … (BC, 5, p. 1238)
- Le cancer s’étend dans l’humanité comme dans un être. (BC, 6, p. 1252)
- … adénocarcinomes agressifs avec invasion de la musculeuse et de la séreuse. (BC, 7, p. 1269)
- la réduction de l’expression de nétrine-1 […] ou l’inactivation fonctionnelle de la protéine […] conduisent à inhibition de la colonisation métastatique des poumons dans un modèle d’injection intraveineuse de cellules de cancer mammaire métastatique. (BC, 7, p. 1270-1271)
- [ces fibres] peuvent en effet migrer à la périphérie du poumon vers la plèvre et les ganglions médiastinaux, … (BC, 9, p. 1285)
- une adénomégalie négative en TEP était considérée […] comme envahie si elle diminuait en taille et devenait infracentimétrique au cours du traitement et non envahie si elle ne diminuait pas en taille alors que les autres ganglions régressaient. (JRDI, p. 61)
- … l’envahissement ganglionnaire et extraganglionnaire du lymphome, […] avec des scores de sensibilité de 90 et 87 % contre 85 et 78 % dans notre étude pour l’atteinte ganglionnaire et viscérale respectivement. (JRDI, p. 64)
- Cette classification a le grand intérêt de prédire l’évolution clinique distinguant des lymphomes de faible malignité, grande malignité ou malignité intermédiaire, notion utile pour les cliniciens. (RFL, p. 62)
Les métaphores de l’AGENTIVITÉ, employées pour synthétiser des théories, présentent souvent des constructions causatives, formulées de la façon suivante : PLUSIEURS ENTITÉS SONT DES AGENTS CAUSATIFS ; tel est le cas, par exemple, des agents cancérogènes (dits aussi promoteurs) qui causent ou favorisent l’apparition du cancer, ainsi que des agents physiques ou chimiques qui contrôlent la croissance cellulaire. De même, on a recours aux métaphores des « anti-agents » (agents pharmacologiques, antibiotiques, agents anti-infectieux), lorsqu’on parle des méthodes thérapeutiques : PLUSIEURS ENTITÉS SONT DES ANTI-AGENTS.
- Dans les cancers du poumon, de la tête et du cou, la méthylation du promoteur de DAPK est associée à l’agressivité de la tumeur, et à une faible survie des patients. (BC, 7, p. 1269-1270)
- … laissant à penser que certains patients pourraient bénéficier de telles approches, pour peu que les agents utilisés par voie systémique aient une meilleure tolérance. (BC, 9, p. 1291)
- L’antibiorésistance est devenue un problème mondial majeur de santé publique. (RFL, p. 16)
- … nécessité de bien utiliser les AB pour éviter le développement de résistances bactériennes et le risque de ne plus pouvoir traiter des situations graves, … (RFL, p. 16)
- … une surestimation des données d’émission en présence d’un agent de contraste iodé. (JRDI, p. 65)
Deux autres métaphores structurales sont utilisées pour la représentation conceptuelle de la carcinogenèse et de la métastase : LA CARCINOGENÈSE EST UN PROCESSUS MULTI-ÉTAPES, LA MÉTASTASE EST UN PROCESSUS MULTI-ÉTAPES, les étapes consistant en des altérations génétiques qui provoquent la transformation de cellules normales en cellules malignes. Le stade de cancérogenèse se déroule en deux étapes : l’initiation et la promotion (auxquelles s’ajoute parfois une troisième étape : la progression) ; ces deux phases sont obligatoirement successives et l’initiation précède toujours la promotion, sans quoi le processus cancéreux s’arrête. La cancérogenèse, à son tour, est suivie de la tumorogenèse, c’est-à-dire le développement du cancer qui entraîne des conséquences cliniques. La formulation théorique qui voit la propagation de la tumeur comme un processus ordonné, caractérisé par une série d’étapes séquentielles, déclenche l’idée d’une intervention thérapeutique graduelle visant à bloquer chaque phase, afin d’empêcher l’invasion des cellules cancéreuses et les éventuelles métastases.
- Dans le cancer de l’estomac, l’hyperméthylation de DCC est observée dans les tumeurs primaires, mais cette méthylation disparaît dans les stades avancés de la maladie. (BC, 7, p. 1267)
- Comme la perte de DCC est observée à des stades tardifs dans les tumeurs humaines, … (BC, 7, p. 1268)
- la perte de UNC5C conduit à l’apparition d’adénomes de haut grade et des adénocarcinomes, et donc favorise la progression tumorale. (BC, 7, p. 1268)
- Dans ce contexte, le blocage de la mort induite par la surexpression de nétrine-1 entraîne à la fois une initiation de la tumorigenèse et une progression tumorale. (BC, 7, p. 1270)
- En effet, si l’expression de la nétrine-1 n’est pas corrélée au stade de progression de la maladie dans les cancers du poumon non à petites cellules … (BC, 7, p. 1271)
- Dans le traitement des leucémies, il était admis qu’il fallait traiter avec une phase d’« induction » puis des « réinductions » et un traitement d’« entretien ». (BC, 12, p. 1321)
- Les métastases, tumeurs secondaires échappant au traitement principal, constituent aujourd’hui la principale menace pour les patients atteints de cancer … (RFL, p. 14)
Les recherches réalisées par Vandaele en biomédecine, en biologie cellulaire et moléculaire ont confirmé l’importance de la conceptualisation métaphorique dans la théorisation scientifique. La modélisation de la recherche médicale et des entités impliquées dans un processus pathologique peut aussi évoquer une enquête de police selon la métaphore structurale LA RECHERCHE BIOMÉDICALE EST UNE ENQUÊTE, supposant là aussi une personnification des agents pathogènes : la maladie est le crime, les bactéries et les virus sont les criminels, le patient est la victime, le médecin ou le chercheur est le détective qui cherche le coupable.
- Allongement du délai diagnostique en cas de découverte par dépistage individuel par rapport à la découverte fortuite. (BC, 9, p. 1246)
- Une analyse moléculaire systématique pour toute suspicion d’anomalie spécifique constitue l’un des points originaux du réseau … (BC, 8, p. 1276)
- La thoracoscopie reste la meilleure méthode pour l’obtention d’un diagnostic histologique certain devant une suspicion clinique ou radiologique. (BC, 9, p. 1286)
- Une complication potentielle de la chirurgie laparoscopique est la dissémination involontaire d’un carcinome insoupçonné. (JRDI, p. 107)
- Des altérations fonctionnelles des récepteurs du glutamate de type NMDA (N-méthyl-D-aspartate) ont été incriminées dans la genèse de cette affection … (RFL, p. 27)
- La mise en évidence […] de l’implication de la bactérie Helicobacter pylori dans la plupart des gastrites, sa responsabilité dans la survenue des ulcères et dans la pathogénie des lymphomes et adénocarcinomes de l’estomac … (RFL, p. 31)
Une autre métaphore qui incarne un type différent de représentation et qui revient surtout dans le domaine biologique, ainsi que dans les discours médicaux de vulgarisation, est la métaphore structurale de la MACHINE, déclinée par les sous-métaphores LES ÊTRES HUMAINS SONT DES SYSTÈMES DE COMMUNICATION, LE CORPS EST UN SYSTÈME D’INFORMATION, LE CERVEAU EST UN ORDINATEUR : sous l’influence des modernes technologies, le corps humain et les cellules sont assimilés à une machine, dotée de règles de fonctionnement, le cerveau à un ordinateur et les processus physiologiques/biologiques à des mécanismes techniques. Les cellules sont représentées comme des dispositifs émetteurs/récepteurs : chacune d’elles « perçoit, reçoit, traite et envoie » des signaux de la part et vers d’autres cellules de son environnement par le biais de récepteurs à sa surface, qui fixent le(s) message(s) ou ligand(s)12. Les théories qui utilisent davantage la métaphore de la machine concernent la régulation des gènes, les différentes phases de la prolifération cellulaire ou les éléments appartenant au système immunitaire.
- Ainsi, la production autocrine de ligand confère à ces cellules un avantage sélectif pour survivre en dehors du site de la tumeur primaire, en s’affranchissant du contrôle apoptotique exercé par les récepteurs … (BC, 7, p. 1271)
- Les protéines Wnt sont des facteurs protéiques se fixant sur des récepteurs membranaires spécifiques […], induisant une cascade de signalisations intracellulaires … (BC, 9, p. 1286)
- Le VEGF, outre son action angiogénique, peut activer une boucle autocrine spécifique des cellules de mésotheliome : il est sécrété par la cellule tumorale et peut activer un récepteur à la surface de cette même cellule pour activer sa propre croissance. (BC, 9, p. 1290)
- … la protéine mutée mHTT redirige, à la surface des neurones du striatum, un pool de précurseurs de récepteurs NMDA riches en sous-unités de type GluN3A. (RFL, p. 27)
- La protéine HTT peut se lier à de nombreuses protéines cellulaires, mais c’est l’interaction entre mHTT et un adaptateur cellulaire nommé PACSIN.1 qui est responsable de la dérégulation de l’expression et de la localisation des molécules GluN3A. (RFL, p. 27)
- Ces nanopores ont la capacité d’émettre un signal électrique spécifique lorsqu’ils se trouvent au contact de certaines molécules. (RFL, p. 54)
- Les différentes stratégies peuvent impliquer l’utilisation d’anticorps spécifiques de récepteurs, de petites molécules inhibitrices de voies de transduction de signal de voies oncogéniques données …(RFL, p. 64)
Cette conceptualisation, reposant sur un processus de réification, laisse filtrer un déterminisme biologique qui pourrait déboucher sur une mécanicisation des individus, conceptualisés comme des systèmes programmés ; le risque latent est de déshumaniser l’esprit humain, perçu comme un appareil que l’on peut réparer en cas de mal fonctionnement.
4.3 Les métaphores constitutives des théories médicales
À côté des métaphores catachrétiques et didactiques, que nous venons d’illustrer, on trouve dans les textes médicaux des métaphores qui concourent à la formulation et à la structuration des théories scientifiques. Certaines métaphores conceptuelles coïncident, en effet, avec les nouvelles théories médicales et définissent les thérapies qui s’y rattachent. Les métaphores sont évidemment inscrites dans la représentation mentale propre à une société à un moment donné, dans sa façon de décoder un phénomène sur la base de ses connaissances ; il s’ensuit que, dans la mesure où une thérapie ou une méthode deviennent obsolètes, il faut chercher des métaphores alternatives aptes à représenter la nouvelle pensée scientifique.
Un concept fondamental en médecine, relevant du domaine de la biologie cellulaire, est celui d’apoptose ou bien « mort cellulaire programmée », à savoir un mode de mort cellulaire qui a fait l’objet des investigations des chercheurs au cours des dernières décennies, surtout en vue des perspectives thérapeutiques dans la lutte contre le cancer. C’est l’une des voies possibles de mort cellulaire, de nature physiologique, génétiquement programmée, essentielle à la survie des organismes multicellulaires13. Les critères de définition de ce processus, identifié au cours des années 60, ont été décrits en 1972 par Kerr et ses collègues Wyllie et Currie, qui ont adopté pour la première fois le mot apoptose – du grec apo, « distant, éloigné », et ptosis, « chute » – pour désigner ce type de mort cellulaire silencieuse qui évoque la chute des feuilles des arbres en automne.
Le concept de « suicide cellulaire », envisageant des cellules qui décident volontairement de se tuer, est tout à fait cohérent avec la métaphore conceptuelle LES CELLULES SONT DES ÊTRES HUMAINS, mais il démonte en même temps des représentations préexistantes, selon lesquelles la vie était conceptualisée exclusivement en termes de développement permanent. Les découvertes récentes ont soulevé le problème de la signification de la mort en biologie : la mort apparaît comme « principe même du vivant, agent de renouvellement organique » ; en d’autres termes, une partie des cellules dans le corps humain doit mourir pour que tout le reste puisse survivre.
– Ces observations ont conduit à l’hypothèse que les RD pourraient être des suppresseurs de tumeurs. Les RD pourraient, en effet, limiter la progression tumorale en éliminant par apoptose des cellules surnuméraires se trouvant dans un environnement limité en ligand. De plus, une cellule ayant des propensions à métastaser dans un tissu où le ligand est absent, sera éliminée. […] Si ce nouveau mécanisme antitumoral a une signification biologique, des cellules tumorales capables de le contrer auront acquis un avantage sélectif. (BC, 7, p. 1262)
- … Ptch1, via son activité de RD, pourrait réduire la tumorigénicité des cellules via l’induction de leur mort […]. Cependant, à l’heure actuelle, il n’y a toujours pas d’évidence que Ptch1 fonctionne in vivo comme un suppresseur de tumeur via son activité pro-apoptotique. (BC, 7, p. 1269)
- La réexpression de la caspase dans les cellules de neuroblastome supprime leur potentiel métastatique. La perte d’expression de la caspase 8 rend les cellules réfractaires à la mort induite par les intégrines en absence de ligand. (BC, 7, p. 1270)
- ... la micro-injection à des lignées de cellules HRS de molécules inhibitrices telles que l’inhibiteur de kappa B […] provoque une apoptose massive des cellules tumorales. (RFL, p. 64)
Cette nouvelle vision bouleverse la représentation conventionnelle de la vie et permet une réinterprétation des causes de plusieurs maladies, ouvrant de nouvelles perspectives pour leur traitement. De nombreuses thérapies, notamment la chimiothérapie et la radiothérapie, exploitent les voies d’induction de la mort cellulaire pour éliminer les cellules cancéreuses ; on pourrait également chercher à déclencher, par le biais des médicaments, le suicide non pas des cellules tumorales, mais des cellules normales exploitées par les tumeurs (les cellules des vaisseaux sanguins qui nourrissent la tumeur)14.
Dans la sphère des métaphores constitutives des théories, on ne saurait ignorer le caractère profondément métaphorique du vocabulaire de l’immunologie, souvent définie comme « la science du soi et du non-soi » (The Science of « Self and Nonself »), ainsi qu’elle était décrite par les microbiologistes australiens Frank Macfarlane Burnet et Frank Fenner en 1949. La fonction immunitaire de l’organisme consiste en la distinction du « soi » immunologique (l’identité de l’organisme) et du « non-soi » (l’« autre », les micro-organismes qui lui sont étrangers) ; cette discrimination détermine la réponse immunitaire de l’organisme aboutissant au rejet et à la suppression des agents pathogènes qui affectent la santé du corps (« non-soi »), alors qu’aucune réponse immunitaire n’est déclenchée contre ses propres constituants (« soi »), sauf pour les maladies auto-immunes où l’antigène est un élément même de l’organisme que celui-ci ne reconnaît plus comme sien.
- Le développement récent des anticorps ciblant les « check-points » immunologiques […] rend cohérent leur utilisation dans le mésothéliome, en monothérapie ou en association avec la chimiothérapie de référence … (BC, 9, p. 1291)
- … l’immunité humorale, et donc la réponse anticorps médiée par les cellules B et les plasmocytes, pouvait également jouer un rôle dans la protection contre ce parasite. (RFL, p. 26)
- … en majorité les sujets atteints étaient traités par différents immunosuppresseurs. (RFL, p. 26)
- Cette virulence est en partie liée à la multiplication très rapide du virus, capable de prendre de vitesse toute réponse immunitaire. (RFL, p. 27)
- Avant la découverte de la bactérie Helicobacter pylori, l’étiologie des gastrites restait le plus souvent inconnue, en dehors de la gastrite auto-immune et de quelques rares causes infectieuses […] ou inflammatoires … (RFL, p. 31)
- Cette interaction antigène-anticorps induit l’activation de la cascade du complément par la voie classique et l’activation des cellules endothéliales … (RFL, p. 42)
À la lumière de ce qui précède, on comprend bien que la conceptualisation métaphorique est une option possible, voire nécessaire dans l’élaboration du savoir scientifique ; néanmoins, il faut se garder de toute « dérive métaphorique » et être disposé à remettre en question les modèles acquis au profit de nouvelles thèses et structures mentales. « Les métaphores nouvelles, tout comme les conventionnelles, ont parfois le pouvoir de définir la réalité » (LAKOFF, JOHNSON 1980, tr. fr. 1985 : 168), mais les inférences qui s’autorisent à partir de celles-ci ne sont vraies que par rapport à la réalité définie par la métaphore et à un système conceptuel dont la nature est intrinsèquement métaphorique.
5. Réflexions conclusives
L’analyse jusqu’ici proposée, qui ne se veut certainement pas exhaustive, a visé à démontrer, par quelques exemples concrets, l’importance des métaphores en tant que mécanisme cognitif essentiel, non seulement dans la vie quotidienne mais aussi dans les discours spécialisés, en l’occurrence médicaux.
La métaphore aide le spécialiste à mieux conceptualiser, à identifier et à caractériser un concept, en prenant appui sur les correspondances et les analogies avec un autre concept. En plus de la fonction cognitive, elle a également une fonction heuristique, dénominative et didactique : elle contribue à la formulation des théories scientifiques, grâce à l’élaboration de rapprochements et à la perception de rapports nouveaux, aboutissant à de nouvelles connexions ; elle permet de dénommer un concept ou une réalité, en donnant une forme linguistique à des schémas conceptuels abstraits (la nomination catachrétique représente parfois la seule ressource lexicale dans le domaine scientifique) ; le registre métaphorique permet de traduire des mécanismes ou des concepts complexes en termes plus imagés, qui trouvent leur fondement dans l’expérience des locuteurs (aspect iconique de la métaphore), afin de véhiculer le message et d’en faciliter la compréhension, surtout chez un public de non-spécialistes (OLIVEIRA 2009 : 191-192).
Les métaphores se configurent de la sorte comme un outil incontournable de catégorisation et de dénomination, ayant en même temps un impact émotif sur les récepteurs ; elles enrichissent la terminologie scientifique et contribuent à un nouvel éclairage des concepts, en adaptant le langage aux nouvelles connaissances. Cela est d’ailleurs confirmé par les exemples illustrés ci-dessus, où différents domaines sources (guerre, être humain, enquête, paysage, machine) ont été mobilisés pour représenter et structurer le domaine cible à l’étude, concourant à rendre le discours médical à la fois plus efficace et plus incisif.
La fonction des métaphores peut aussi évoluer au fil du temps. Les métaphores constitutives des théories, qui ont principalement une fonction heuristique, peuvent prendre une fonction didactique quand, suite aux progrès scientifiques, de nouvelles découvertes succèdent aux précédentes à partir des métaphores existantes. De même, les métaphores explicatives ou didactiques peuvent devenir une source précieuse pour la création de métaphores constitutives, parce qu’elles permettent de relier des expériences connues dans un certain domaine de la connaissance à des expériences nouvelles en cours d’investigation, qui pourront valider les hypothèses éveillées par la métaphore. Comme l’affirme Nakos (1994 : 280), qui a développé sa réflexion sur les termes imagés de la sémiologie médicale, « l’imagination, processus mental à la base de l’image, sert à faire progresser la connaissance et, partant, le progrès scientifique ».
En définitive, le processus de théorisation et de compréhension scientifique est un processus dynamique, la médecine progressant au fur et à mesure que la science et la technologie avancent ; au sein de ce processus, la métaphore s’avère un atout crucial aussi bien le plan conceptuel que linguistique, susceptible d’ouvrir de nouvelles perspectives dans l’élaboration et dans la structuration des connaissances.
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Note
↑ 1 Théorie présentée en 1993 par Mark Turner et Gilles Fauconnier, qui voient dans l’opération de « blending » ou « mental binding » un phénomène habituel et général de la pensée humaine, impliquant la combinaison d’éléments conceptuels repris de deux ou plusieurs sources. Voir entre autres : Turner et Fauconnier 2000 ;Turner 2007.
↑ 2 Rappelons également, à ce propos, le modèle de Talmy (2001) qui détecte deux types de représentations en œuvre lors d’une conceptualisation métaphorique : la représentation factive d’une notion (« factivity », ce que l’on perçoit et que l’on sait de la réalité) et sa représentation fictive (« fictivity », ce que l’on imagine). Une stratégie analogue est développée par Vandaele (Vandaele et Lubin 2005 ; Vandaele et Boudreau 2006 ; Vandaele, Boudreau, Lubin et Marshman 2006 ; Vandaele 2009) qui adopte le terme « indice de conceptualisation métaphorique » pour désigner toute unité lexicale évoquant simultanément différents cadres conceptuels et donc deux représentations opposées. Des perceptions apparemment incompatibles produisent un effet de « dissonance cognitive », c’est-à-dire une tension entre la réalisation habituelle et prototypique de certaines notions (factivité) et la réalisation contextuelle activée par la forme linguistique (fictivité) ; l’impression de dissonance cognitive, qui se résout en une intégration conceptuelle, laisse envisager la présence d’une projection métaphorique d’un cadre conceptuel source sur un cadre conceptuel cible.
↑ 3 Pour le concept de « métaphores conflictuelles » ou « incohérentes », voir Prandi 2002.
↑ 4 Dans son ouvrage consacré à l’étude des métaphores en science, notamment dans le domaine de la cardiologie, Oliveira (2009 : 108) précise ce concept : « lorsque la métaphore s’officialise en langue de spécialité, on commence à parler de métaphore terminologique qui devient un outil de manipulation et d’application dans un domaine scientifique donné », visant une précision terminologique et une transparence absolue.
↑ 5 « On ne doit pas en déduire qu’il n’existe pas de vérités, mais seulement que la vérité est relative à notre système conceptuel, qui est fondé sur (et constamment mis à l’épreuve par) nos expériences et nos interactions quotidiennes avec les autres membres de notre culture et avec nos environnements physique et culturel » (LAKOFF, JOHNSON 1980, tr. fr. 1985 : 204-205).
↑ 6 « […] l’innovation d’une signification émergente peut être tenue pour une création linguistique. Si elle est adoptée par une partie influente de la communauté linguistique, elle peut à son tour devenir une signification usuelle et s’ajouter à la polysémie des entités lexicales […]. Mais, à ce stade ultime, lorsque l’effet de sens que nous appelons métaphore a rejoint le changement de sens qui augmente la polysémie, la métaphore n’est déjà plus métaphore vive, mais métaphore morte. » (RICŒUR 1975 : 127).
↑ 7 Les métaphores conceptuelles de base sont des « gestalts » mentales qui trouvent leur « instantiation » dans plusieurs formes linguistiques, d’où la distinction terminologique faite par les linguistes cognitifs entre métaphore, soit l’activité cognitive proprement dite, l’opération de « mapping » entre deux domaines ou cadres conceptuels, et expression métaphorique, c’est-à-dire l’occurrence verbale, la réalisation linguistique de structures mentales sous-jacentes, elles-mêmes métaphoriques. En d’autres termes, chaque expression métaphorique est un « token », une manifestation concrète de son « type », la métaphore conceptuelle abstraite. Tout « type » peut être étendu, de façon à produire de nouveaux « tokens » (LAKOFF & JOHNSON 1999).
↑ 8 Notre corpus est constitué de quelque 82 articles publiés dans trois journaux médicaux en ligne : le Bulletin du Cancer (décembre 2013), le Journal de Radiologie Diagnostique et Interventionnelle (janvier 2014) et la Revue Francophone des Laboratoires (janvier 2014). Le Bulletin du Cancer (abrégé BC) est le journal de la Société Française du Cancer, l’une des meilleures publications scientifiques de langue française dans le domaine de la cancérologie. Le Journal de Radiologie Diagnostique et Interventionnelle (abrégé JRDI) est l’Organe officiel de la Société Française de Radiologie et du Collège des Enseignants en Radiologie de France ; ses articles couvrent tous les domaines de l’imagerie. La Revue Francophone des Laboratoires (abrégé RFL) fournit un accompagnement mensuel, fruit de la collaboration d’un comité rédactionnel composé de biologistes, sur l’actualité médico-biologique.
↑ 9 Ces dernières décennies, les études sur la métaphore dans le domaine médical ont connu un essor considérable ; les classifications sont nombreuses et diversifiées selon les approches et les critères adoptés. En plus des ouvrages déjà mentionnés, il nous semble opportun de rappeler l’article de Françoise Salager-Meyer (1990) qui, à partir d’un corpus de textes médicaux en anglais, en français et en espagnol, se propose d’identifier les modèles d’analogie sous-jacents aux métaphores médicales de ces trois langues, sans négliger les implications pédagogiques d’une telle étude. Par une analyse fonctionnelle, l’auteure classe les métaphores en deux catégories : morphologiques ou structurales, concernant la forme et la structure (réparties, à leur tour, en cinq sous-groupes sémantiques : architectural, géomorphique, phytomorphique, anatomique, zoomorphique), et physiologiques ou fonctionnelles, référées aux processus, fonctions et relations. Signalons, également, l’article de Divasson et León (2006) qui, reprenant l’étude de Salager-Meyer, envisage d’autres domaines qui vont s’ajouter à la taxinomie précédente (architectural, géomorphique et topographique, phytomorphique, anthropomorphique, zoomorphique, objets domestiques, nourriture et vêtements pour les trois langues, et encore métaphores littéraires, mythologiques et bibliques pour la prose anglaise).
↑ 10 Génomes, mutations, facteurs hormonaux et épigénétiques, agents infectieux.
↑ 11 Exposition à des substances cancérigènes (nicotine, amiante, alcool) ou à des radiations (rayons UV du soleil et rayonnements ionisants), action de micro-organismes (virus et bactéries), facteurs d’ordre psychologique (stress), pollution de l’environnement, régime alimentaire.
↑ 12 Voir : http://www.centreleonberard.fr/312-Recepteurs-a-dependance,-cancers-et-developpement.clb.aspx.
↑ 13 Les cellules peuvent mourir par deux processus distincts : la nécrose ou « mort cellulaire accidentelle », qui résulte d’un processus dégénératif d’origine chimique ou physique ; l’apoptose, qui est un processus actif à travers lequel des cellules déclenchent leur autodestruction en réponse à un signal émis dans le corps. Contrairement à la nécrose, l’apoptose ne provoque pas d’inflammation et constitue une composante normale du développement d’un organisme multicellulaire. En fait, de récentes études ont révélé l’existence d’une nécrose induite ou « mort cellulaire nécrotique » : il serait donc possible d’entraîner la nécrose et d’éliminer, ainsi faisant, des cellules tumorales in vivo ; d’où le concept de nécroptose, c’est-à-dire « une mort cellulaire programmée avec les caractéristiques morphologiques nécrotiques et l’intervention de constituants de la voie apoptotique des récepteurs de mort » (pour un approfondissement à cet égard, voir MAYOLA 2011 : 26 sqq.).
↑ 14 Voir, à ce sujet, le livre de Jean Claude Ameisen, La Sculpture du Vivant. Le suicide cellulaire ou la mort créatrice (1999), http://lasculptureduvivant.free.fr/index.html.