Métaphores chroniques. Pour une théorie de l’histoire des métaphores
Abstract
Francese | IngleseEn développant une approche historique de la métaphore, cette étude se propose de réconcilier théoriquement deux traditions linguistiques antagonistes, théorie cognitiviste d’un côté, théorie sémantique de l’autre. Il s’agit alors de rendre l’analyse des métaphores dites « usuelles » et celle des métaphores dites « littéraires » compatibles. La démarche est singulière puisque ce phénomène linguistique n’a presque jamais été interrogé sous l’angle de l’historien. Elle tire les conséquences du principe selon lequel une métaphore est un fait de langue autant qu’un fait historique et que par conséquent elle peut être « signée et datée ». Pour le besoin de la démonstration, grâce au moteur de recherche du Monde, l’article s’intéresse précisément aux métaphores de la presse (« rideau de fer », « rideau de bambou », « tigre de papier », etc.). Suivant l’hypothèse que la métaphore conceptuelle, porteuse d’une idée reçue, n’est qu’un matériau brut, à partir duquel s’invente une expression phrastique, l’étude rend compte du comportement historique des métaphores étudiées qui suit un double mouvement (de la création à l’évanescence et de la généralité conceptuelle à son actualisation en discours). Ce raisonnement s’ouvre sur plusieurs dichotomies significatives : les métaphores originelles (signées par l’auteur) s’opposent aux métaphores rapportées, les métaphores endogènes (issues de l’univers de références de l’auteur) aux métaphores exogènes. Concrètement, cette nouvelle conception de la métaphore résout des apories et ouvre de nouveaux horizons théoriques.
Serge Botet, clôt sa synthèse sur les théories modernes de la métaphore sur une problématique qui peut servir de point de départ à notre réflexion. Opposant position cognitiviste (Lakoff & Jonhson notamment) à la conception objectiviste, il écrit :
« Qu’entend-on par métaphore ? Est-ce la métaphore poétique ou est-ce la métaphore usuelle ? N’y a-t-il pas derrière toute conception de la métaphore le choix d’un objet ? Et derrière le choix d’un objet, n’y a-t-il pas une position philosophique ? »2
L’approche cognitiviste est très convaincante semble-t-il quand elle s’applique à des métaphores usuelles mais décevante dès qu’il s’agit de métaphores poétiques. Il développe cette idée ainsi :
« Les théories cognitivistes deviennent moins crédibles dès qu’elles tentent d’aborder la métaphore poétique. Bien sûr, on peut se demander si l’expérience (et la pensée qui en dérive) constituent véritablement les seules assises de la métaphore dans la théorie cognitiviste : « la vie est une journée » n’est peut-être pas (ou pas seulement) le substrat d’une expérience, mais également une étiquette générique accolée à un groupe de lexies répertoriées (« au soir de sa vie », le « démon de midi », etc.). L’expérience n’étant pas continue, comment se stabilise le sens et s’accumule-t-elle autrement ? Ne faut-il pas plutôt postuler une complémentarité entre l’expérience et le langage ? »3
Dans une autre synthèse sur les théories de la métaphore, le stylisticien Éric Bordas cherchera à expliquer l’existence de ces deux types de métaphore (usuelle et littéraire) en opposant deux grandes familles disciplinaires (linguistique VS littéraire) :
« Tant que l’on continuera à se crisper autour de catégorisations étroites, qui considèrent (côté linguistique) la métaphore comme un objet de langue, et non comme un sujet de discours, ou (côté littéraire) comme la projection, inévitablement extérieure à elle-même, d’une subjectivité psychologique forte, on aboutira à deux références bien distinctes, qui n’ont en commun que cette étroite combinaison de sèmes comme élément d’identification »4.
Il laisse ainsi entendre que si la métaphore est si difficile à cerner, si hétérogène, ce sont les querelles disciplinaires qui en sont la cause et que la réconciliation entre linguistique et critique littéraire notamment entrainerait une résolution du phénomène. Il est probable en effet que le problème soit compliqué par la diversité des approches et les querelles que cette diversité entraîne. Mais nous pensons que le multiperspectivisme est nécessaire à l’analyse du « continuum métaphorique » et qu’il gagnerait à s’enrichir encore d’un supplément théorique : une approche historique5. Par un travail de « reconstitution », comprenant une recherche de l’origine et du processus de création, nous espérons apporter une réponse à la solution de continuité, repérée par Serge Botet, entre métaphore usuelle et métaphore littéraire.
L’approche cognitiviste des « métaphores conceptuelles » telle qu’elle est développée par Lakoff et Johnson est principalement synchronique… Les « métaphores conceptuelles » se définissent par leur usage conventionnel au quotidien. Quoique gestalt expérientielle, un concept, sauf interprétation métaphorique, ne vit pas et ne meurt pas.Une métaphore conceptuelle telle que LE TEMPS, C’EST DE L’ARGENT semble être indifférente au temps et si son expression varie selon l’histoire et la culture, cela n’affecte pas l’idée atemporelle contenue dans la métaphore. Or il se trouve que le suivi des métaphores conceptuelles sur de vastes échelles de temps, se prête assez bien à l’analyse.Hormis la tradition analytique, illustrée par Paul Ricoeur qui définit la métaphore par sa « vivacité » (métaphore vive VS métaphore morte) et suggère une évolution dans le temps – quoique ce soit plus la poéticité que la vitalité dont il soit question – l’approche historique des métaphores a rarement été l’objet d’une théorie.Les approches de la métaphore sont nombreuses (philosophique, linguistique, stylistique, herméneutique, psychanalytique, psychologique, etc.) mais en effet rarement historiques. Quelques exceptions cependant inscrivent de manière décisive l’analyse de la métaphore dans le temps. Georges Poulet retrace l’histoire de la figure du cercle en occident (Les Métamorphoses du cercle [1961], Paris, Flammarion, 1971). Nanine Charbonnel fait de même avec les « grandes métaphores » de l’éducation, au nombre de treize selon elle (Les Aventures de la métaphore, Presse Universitaire de Strasbourg, 1991). Hans Blumenberg s’intéresse quant à lui à l’histoire des métaphores cosmologiques (Paradigmes pour une métaphorologie [1960], Vrin, 2006), à celle des métaphores de la lecture (La Lisibilité du Monde, Cerf, 2007), entre autres. Marc Fumaroli, à travers une série de catégories empiriques (corps, chasse, guerre, château, marine, etc.), tâche de rendre compte également de l’empreinte historique des métaphores dans la langue française (Le Livre des métaphores. Essai sur la mémoire de la langue française, Robert Laffont, 2012). Je pourrais ajouter à cette liste d’auteurs illustres mon propre travail (L’Imaginaire du jeu d’échecs dans la littérature, une poétique de l’ordre et du chaos. Histoire d’une métaphore de la cérébralité, Paris, L’Harmattan, 2007). Quoique plus modeste, il a le souci de traiter aussi la métaphore du jeu d’échecs sous un angle historique. Dans tous les cas, on suit une métaphore depuis sa création et on observe son évolution…Cependant ces auteurs ne revendiquent pas nécessairement une approche théorique de l’histoire des métaphores puisqu’ils combinent d’autres méthodes d’analyse (linguistique, philosophique et littéraire en l’occurrence) qui s’ouvrent sur d’autres aspects de la théorie.
Comme la souris de laboratoire ou l’Arabidopsis thaliana pour le biologiste, la langue de la presse peut être un bon modèle de laboratoire. Les métaphores y naissent et s’y reproduisent très vite. Au moyen d’un moteur de recherche, il est possible de suivre une métaphore, sur une échelle de temps assez courte, afin d’en dessiner l’histoire depuis sa création jusqu’à sa disparition ou sa fossilisation. Le quotidien le Monde se prête assez bien à ce protocole de recherche. Prenons le cas de quelques métaphores géopolitiquesfameuses.
Soit la métaphore du « rideau de fer ». On doit la première expression à Churchill lors de son discours à Fulton le 5 mars 1946 (« iron curtain » immédiatement traduit dans la presse française). On peut d’ors et déjà faire une traduction formelle de cette métaphore qui ne soit pas de nature grammaticale mais qui mette l’accent sur son ancrage historique (contexte référentiel) ainsi : (X est) Y (signature) : « 1° occurrence dans le Monde », lieu, titre, date de publication. Fréquence de la métaphore.
RIDEAU DE FER (W. Churchill) : « De Stettin, dans la Baltique, à Trieste, dans l'Adriatique, un rideau de fer est descendu à travers le continent », Le Monde, 7 mars 1947 (1° occurrence). 4844 articles du Monde (comprenant cette métaphore de 1944 à nos jours).
Il existe une « variante chinoise » de cette métaphore dont on peut faire aussi la transcription formelle.
RIDEAU DE BAMBOU (R. Guillain) : « Derrière le rideau de bambou les businessmen occidentaux », Le Monde, le 31 mai 1949 (1° occurrence). 136 articles du Monde(comprenant cette métaphore de 1944 à nos jours).
Nous restreignons volontairement notre corpus au Monde. Mais l’élargissement du corpus montrerait que la métaphore du rideau de fer est antérieure au discours de Churchill.Elle apparaît dès 1918 sous la plume de Vassili Rosanov dans L'Apocalypse de notre temps puis est associée à « l’emprise bolchévique » sur les pays de l’est dans Through Bolshevik Russia d’Ethel Snowden, essai publié en 1920. Quoiqu’il en soit, une métaphore peut donc être théoriquement signée et datée ! On peut donc affirmer, comme l’historien qui établit des faits, que telle expression métaphorique a été publiée à telle date. On peut aussi, comme lui, reconstruire des rapports entre des événements pour leur donner un sens. Concentrons-nous par exemple sur l’histoire de la métaphore du rideau de Bambou en tant que série d’énoncés factuels dont le sens reste à déterminer.
Cette métaphore associée à l’histoire de la guerre froide fait rapidement mais modestement florès puis tombe en désuétude. Sans disparaître totalement, elle reste d’emploi rare. La première occurrence dans le Monde date du 9 avril 1949 et provient d’un périodique britannique The New Statesman and Nation. Le Monde titre un article « Un rideau de bambou s'abat sur Pékin »6.La métaphore politique désigne pour la Chine populaire, ce que le « rideau de fer » désigne pour l’URSS, c’est-à-dire une fermeture, cette fois radicale sur le plan idéologique, violente sur le plan des droits de l’homme, inacceptable sur le plan de la liberté d’expression. Le « rideau de bambou » exprime tout simplement le passage à un régime totalitaire. En terme cognitiviste : la métaphore est une projection depuis le domaine source du concept de « rideau de bambou » dans le domaine cible sur le concept de « régime totalitaire chinois » (caractérisé par une absence de transparence diplomatique et de liberté d’expression). L’expression est donc le produit d’une surenchère métaphorique7. Quand Robert Guillain intronise l’expression dans la presse française, il fait référence explicitement au « rideau de fer » pour faciliter la compréhension du « bamboo curtain »8 par le lectorat français : « Que vaut enfin le pari de tous ceux qui estiment le « rideau de bambou » moins redoutable que le rideau de fer ? »9. S’il y a allusion, elle est explicite et immédiatement intelligible. L’hybridation métaphorique opère par simple substitution. bambou comportant en plus du sémantisme de fer, un sème asiatique. La métaphore serait alors une version atténuée de son homologue de fer, en référence à la souplesse du bambou. J’y vois de surcroît une connotation supplémentaire de mépris, dans le registre des idées reçues, pour désigner « l’hypocrisie asiatique », la rigueur et la fermeté étant dissimulées derrière une apparente souplesse. Il n’est pas étonnant que la diplomatie chinoise soit piquée au vif par l’emploi de cette métaphore. Reprenons dans le détail le fil de cette chronique :
RIDEAU DE BAMBOU (A.F.P.- Chou En-Lai) : Une dépêche de l’AFP rapporte les propos du premier ministre de la République Populaire de Chine Chou En-Lai (Zhōu Ēnlái周恩來) à la conférence de Bandoeng : « M. Chou En-Lai a enfin invité les délégués à venir eux-mêmes en Chine pour s'assurer de ses dispositions pacifiques. " Il n'y a pas de rideau de bambou", a-t-il conclu en déplorant qu'à l'étranger on essaie d'établir un écran de fumée entre la Chine et le reste du monde », Le Monde, 20 avril 1955, « Il n'y a pas de rideau de bambou déclare M. Chou En-Lai ».
RIDEAU DE BAMBOU (R. Guillain) : Robert Guillain écrit à propos de la fête de la révolution la veille du 1er octobre 1955 en réponse à la dénégation du premier ministre : « Une soirée dansante entre les Asiatiques et les invités à peau blanche des démocraties populaires. (…) Le rideau de fer danse avec le rideau de bambou. Mais quoi, le rideau de bambou n'existe pas, c'est Chou En-Lai lui-même qui l'a dit, à la tribune de Bandoeng. Et je l'entends encore lancer aux délégués afro-asiatiques ces mots mémorables : " À ceux qui en doutent, je dis : venez voir ! Vous êtes invités à visiter la Chine. " (…) Les délégations (…) partout choyées et fêtées. (…) repartent sans avoir vu la trace d'un " rideau de bambou "(…) Je veux bien reconnaître, si je dois parler le langage simplifié de la propagande, qu'il n'y a pas de " rideau de bambou ". N'ai-je pas, d'abord, obtenu mon visa pour Pékin ? (…) Et pourtant un " rideau " plus subtil n'a jamais cessé d'être tendu entre la Chine et moi, habilement, tenacement... Écoutez bien ceci. Il y a six cent millions de Chinois, mais en deux mois on ne m'a jamais laissé parler en tête à tête avec un seul d'entre eux », Le Monde, 18 janvier 1956, « II. - Quand Pékin reçoit l'Asie et le monde ».
La métaphore s’inscrit dans le cadre d’une co-énonciation différée par articles ou déclarations interposés. Elle subit une série de modalisations. D’abord niée franchement par Chou En-lai (Métaph. + neg), elle est ensuite réaffirmée par Robert Guillain en retournant la négation par antiphrase dans le but de restaurer la valeur de vérité de la métaphore. La polémique évidemment renforce la vitesse de propagation de la métaphore qui devient rapidement un cliché à partir duquel toutes les variantes littéraires et les combinaisons « tarte à la crème » sont permises :
RIDEAU DE BAMBOU (André Fontaine) : à propos d’une comparaison entre la vision de la Chine de Robert Guillain et celle de Claude Roy : « Certes, de la fantaisie et de la poésie, il en reste encore, et tous ceux qui, comme Claude Roy (5), autre voyageur d'outre-rideau de bambou, n'ont pas vu la Chine avant qu'elle soit devenue communiste sont tentés d'identifier la séduction du pays et la valeur du régime ». Le Monde, le 19 décembre 1956, « Six cents millions de Chinois ».
RIDEAU DE BAMBOU (Robert Escarpit) : à propos de la visite supposée du Général de Gaulle dans le nord du Vietnam : « Notre président ne passe pas pour un général chinois, et pourtant il s'offre à franchir le rideau de bambou qui sépare les deux Vietnams, et on le dit prêt à pratiquer une brèche dans la muraille de Chine ». Le Monde, le 6 janvier 1964 : « Le passe-muraille ».
RIDEAU DE BAMBOU (Anonyme) : Le Monde cite une brève du Sunday Times à propos de la diplomatie du Panda : « Tous les parcs zoologiques sont enchantés de recevoir ces bêtes peu connues, sympathiques et qui exercent une grande fascination sur le public, mais la traversée du rideau de bambou par les pandas, qui précisément s'en nourrissent, soulève une grave question, s'inquiète l'hebdomadaire britannique : "La population mondiale des pandas peut-elle assumer les frais de la diplomatie du panda ?" », Le Monde, 24 juin, 1974, « La Diplomatie du Panda ».
La métaphore du « rideau de bambou » est une expression historiquement circonscrite. Même s’il arrive que la presse fasse allusion encore au « rideau de bambou », c’est en référence rétrospective à cet épisode de tensions pendant la guerre froide avec la Chine, précisément parce que la métaphore est, non pas usée, mais datée ! La « diplomatie du panda » signe la fin de la métaphore associée à la guerre froide en Chine et l’assouplissement des relations diplomatiques de la Chine avec le reste du monde. Le « rideau de bambou » est l’objet de quelques variantes – « rideau de fumée idéologique » par exemple10. Il est combiné parfois à d’autres métaphores et en particulier à la métaphore de la « porte fermée » ou à une « porte étroite ».
RIDEAU DE BAMBOU (Anonyme) : à propos de l’autorisation accordée à des journalistes de se rendre en Chine : « Il y a une semaine enfin M. Dulles, cédant à une longue campagne où toute la presse américaine avait sévèrement dénoncé son attitude, autorisait vingt-quatre correspondants américains à se rendre en Chine. Ceux-ci se précipitent déjà à Hong-Kong, pour franchir le fameux "rideau de bambou", mais une dernière surprise les attend : Pékin, dans une réplique furieuse à M. Dulles, leur ferme la porte. La Chine ne laissera entrer les journalistes américains que si les États-Unis laissent entrer les journalistes communistes chinois », Le Monde, 30 août 1957, « Murailles de Chine ».
RIDEAU DE BAMBOU (André Holleaux, conseiller d’État) : à propos de la nécessité de reconnaître la Chine (et de se démarquer de la politique américaine en matière d’ouverture) : « Loin de rejeter les influences diverses, la Chine est prête à les accueillir et souhaite même ouvrir de nouvelles portes sur le monde extérieur. Notre intérêt n'est-il pas dans ce sens ? Est-ce à la France d'élever des rideaux de bambou ? », Le Monde, 26 décembre 1957, « L’Autruche et les fourmis ».
Ce florilège de métaphores historiquement marquées permet-il d’éclairer la discussion sur le rapport entre métaphore usuelle et création métaphorique ? On peut convenir que le phénomène de création métaphorique s’explique par des jeux de chevauchement. « Chevauchements métaphoriques » et « prolongement » (Lakoff et Johnson) ou bien encore « extensions » et « compositions » (Lakoff et Turner) viennent enrichir la métaphore conceptuelle du rideau de bambou et proposent des relations inédites susceptibles d’éclairer l’actualité. Le « rideau de bambou », projection géopolitique de la sémantique du « rideau de fer » sur la zone Asie-pacifique forme un réseau d’expressions d’une grande cohérence métaphorique. L’existence de domaines sources parallèles au « rideau de bambou » permet l’ouverture de nouvelles entrées communes qui enrichissent la compréhension du domaine cible : « murailles de Chine » suppose ainsi « porte ouverte » et « traversée » et met l’accent sur un problème de franchissement. Ainsi, Pierre Do-Dinh, dans sa chronique littéraire se demande « par quelle porte pénétrer dans le mystérieux univers chinois ? »11. De même, l’expression métaphorique « voyageur d'outre-rideau de bambou » (André Fontaine, Le Monde, le 19 décembre 1956) est le produit d’une combinatoire qui s’explique aisément par un processus de création diachronique (deux ans s’écoulent entre les deux occurrences) dont on peut reconstituer les étapes : 1° RÉGIME SOVIÉTIQUE DES PAYS DE L’EST est un RIDEAU DE FER autorise RÉGIME COMMUNISTE CHINOIS est un RIDEAU DE BAMBOU 2° le syntagme semi-figé « voyageur outre-Atlantique » est transposé à nouveau sur l’univers de référence Asie-pacifique. Le chevauchement constitue une nouvelle création conformément à la théorie cognitiviste. La métaphore conceptuelle est à la prose ce que la rime est au vers. C’est un moyen mnésique de représentation instantanée d’un phénomène complexe autant qu’un formidable vecteur de transmission. Mieux que tout argument, elle laissera une impression durable sur le lecteur. A l’inverse du lecteur d’un poème, celui qui lit la presse ne retiendra que l’idée contenue dans l’article et non son expression phrastique.
Cependant la dimension historique du processus collectif de création met l’accent sur le travail verbal de la métaphore. Avançons l’hypothèse suivante : si le concept est sans doute la partie de la métaphore qui est véhiculée et que l’expression phrastique n’est qu’un vecteur, en revanche la métaphore conceptuelle originelle n’est qu’un matériau brut à partir duquel s’invente une expression métaphorique. La métaphore conceptuelle a beau être un résidu expérientiel (gestalt), elle a toutes les chances d’être impropre a un certain niveau de généralité,les occurrences dans ce cas ont une fonction restrictive (métaphore + différentes modalisations : négation simple, ironie, modalité épistémique, etc.).Autrement dit, le journaliste utilise rarement la métaphore conceptuelle à l’état brut sans la retravailler en reformulant et en la modalisant, comme le sculpteur modèle la glaise, pour lui donner une forme convenable. La métaphore conceptuelle a beau prendre sa source dans une expérience générale et universelle, elle suppose que l’usager fasse un effort de confrontation avec sa propre expérience particulière, laquelle s’incarne dans une expression plus ou moins singulière. En somme, pour échapper au simplisme, il faut ajouter du flou, de l’approximation, si bien que l’intérêt du journaliste-écrivain pour s’éloigner d’un concept abstrait et simpliste, par tâtonnement, par touches successives, comme le peintre, s’approche d’une représentation plus juste des événements. La formule épistémologique par le paradoxe qu’elle contient est digne d’intérêt : « plus on ajoute du flou, plus on s’approche du vrai » – du vrai en tant que représentation objective des faits. Bref, une part du processus de création provient non pas de l’invention pure de la métaphore conceptuelle à un instant T mais de sa modalisation au long cours. L’approche historique met ainsi l’accent plutôt sur l’expression phrastique que sur le concept véhiculé. D’où l’impression de disjonction que soulignait Serge Botet. Selon lui, il est peu pertinent de chercher à expliquer des métaphores poétiques en passant par une théorie qui s’appuie sur un ancrage expérientiel. C’est expliquer du nouveau avec du connu – voire de l’archi-connu. Considérer les métaphores conceptuelles comme des concepts reçus qui servent de matériaux bruts en vue d’une formulation verbale individualisée, ne résout pas le mystère de la création métaphorique – ce serait expliquer une toile de Picasso par la nature des poils du pinceaux – mais cela permet de lever la solution de continuité entre métaphores d’usage et métaphores créatives.
Observons une autre série de métaphores pour vérifier cette hypothèse et voyons la création à l’œuvre.
TIGRE DE PAPIER zhǐ lǎohǔ (紙老虎) (Mao Tse Toung) : « Ils enseignent au peuple chinois que l'Amérique est un tigre de papier qui, s'il ose déclencher une guerre, souffrira une défaite pire que celle du Japon ou de Hitler »,Le Monde, 29 mars 1955. 366 articles du Monde (comprenant cette métaphore de 1944 à nos jours).
Selon les théories cognitivistes, dans le domaine source, le concept de « tigre de papier » qui désigne « une chose apparemment menaçante, mais en réalité inoffensive » est projeté sur le domaine cible « impérialisme ». Cette métaphore a été l’objet de plusieurs extensions dont en voici une :
TIGRE DE PAPIER AUX DENTS ATOMIQUES (Khrouchtchev) : « Si certains affirment que les impérialistes sont des " tigres en papier", ils ne devraient pas oublier que ces tigres ont des dents atomiques », Le Monde, 14 décembre 1962. 17 articles du Monde (comprenant cette métaphore de 1944 à nos jours).
Cette extension de la métaphore générale du « tigre de papier », illustration de la tension entre Pékin et Moscou, mérite une analyse de détails.
TIGRE DE PAPIER (André Fontaine) : à propos de Khrouchtchev qui répond à Mao qui lui reproche sa politique de cohabitation pacifique avec les Etats-Unis « M. Khrouchtchev a affirmé que son gouvernement avait sauvé la paix lors de la crise de Cuba tout en consolidant le régime de M. Castro. Aux dirigeants de Pékin qui se moquent du " tigre de papier ", il répond que ce tigre-là a quand même des dents atomiques ». Le Monde, le 14 décembre 1962, « Le conseil atlantique tire les leçons de la crise cubaine et de la condamnation du dogmatisme par M. Khrouchtchev ».
TIGRE DE PAPIER (Le Monde cite Le Quotidien du peuple) : « Les dents atomiques ne peuvent sauver l'impérialisme de son inévitable anéantissement écrit le Quotidien du peuple à Pékin « Naturellement, poursuit le Quotidien du peuple, la bombe atomique est une arme de destruction massive, mais le résultat d'une guerre dépend du peuple et non de l'emploi d'une ou deux armes nouvelles... Peu importent les " dents " que peut avoir l'impérialisme, que ce soient des fusils, des tanks, des fusées, des dents atomiques ou autres, l'impérialisme est pourri et décadent, et sa nature de " tigre en papier " ne peut changer. En fin de compte, ni les dents atomiques ni aucune autre dent ne peuvent sauver l'impérialisme de son inévitable anéantissement. Les dents atomiques de l'impérialisme et l'impérialisme lui-même seront finalement relégués par les peuples du monde au musée de l'histoire ». Le Monde, 1 janvier 1963, « Les dents atomiques ne peuvent sauver l'impérialisme de son inévitable anéantissement écrit le Quotidien du peuple à Pékin ».
Comme pour la métaphore du rideau de bambou, la métaphore du tigre de papier est retravaillée par prolongement (un syntagme prépositionnel en l’occurrence qui donne lieu à une série de reprises nominales). Ce travail s’intègre également dans un rapport de tension dialogique et polémique. La métaphore n’est pas niée mais redoublée d’une extension qui renverse l’interprétation de la métaphore générale. La métaphore générale (TIGRE DE PAPIER) survit cependant plus longtemps que son extension (TIGRE DE PAPIER AUX DENTS ATOMIQUES). Le degré de généralité de la métaphore est inversement proportionnel à son degré de créativité et ce degré de créativité est lié à la ponctualité historique de la métaphore. Une métaphore créative ne fleurit qu’une fois en quelque sorte, le temps de la publication. Dans la représentation vitaliste de la métaphore, on repère d’ordinaire un mouvement de fossilisation qui va du plus créatif ou moins créatif (métaphore vive → métaphore morte). On assiste ici, au contraire, à un mouvement de réactualisation momentanée (métaphore conceptuelle brute → expressions métaphoriques actualisées). La métaphore générale, matériau brut, est remodelée pour être conforme à une actualité. Ce qui tend à montrer que la métaphore générale sert en effet de matériau brut à partir duquel on construit des expressions métaphoriques plus ou moins inédites.
Métaphores originelles et métaphores rapportées
Il faut par ailleurs distinguer les métaphores signées et assumées par l’auteur, des métaphores signées mais rapportées. Je propose d’appeler simplement métaphores originelles les premières – celles qui ont des chances d’être originales et créatives – et métaphores rapportées les secondes – qui elles ne le peuvent pas. Cette distinction est essentielle dans la presse. La métaphore ne relève de l’information que lorsqu’il s’agit d’une métaphore rapportée. Les paroles d’un politicien, d’un partisan, d’un témoin, peuvent être rapportées même quand elles sont métaphoriques à titre de fait. Dans le cas contraire, elles relèvent du commentaire subjectif ! A titre d’exemple cet article du 25 août 1945 intitulé : « Le sort de S.M. Kang-Teh, ex-empereur du Mandchoukouo »
Il était le prisonnier des Japonais, une simple marionnette entre leurs mains, puppet government, comme disaient les Chinois, et avec eux les Anglo-Américains qui viennent de l'en arracher. Très doux, un tantinet enfant, il n'a jamais comploté ni pris part à aucune intrigue. Après avoir été trois fois empereur, Pou YI, redevenu un simple citoyen mi-mandchou et mi-chinois, ira sans doute grossir de son nom qui fut illustre la liste sans cesse grandissante des Rois en exil.
Effectivement, la prose factuelle, celle qui donne la valeur informative du journal, est en principe poétiquement très pauvre. Elle interdirait le recours à la métaphore si celle-ci ne comportait pas une part de sensationnel nécessaire malgré tout à la préservation de son lectorat. Dans le cas de la métaphore du rideau de bambou ou dans celle du tigre de papier, il s’agit de métaphores signées rapportées dont le degré de créativité est plus faible, puisque ce sont des métaphores qui ont amorcé leur processus de fossilisation dans la langue et qui passe par une étape de réduction du concept puis de familiarisation. Certaines rédactions ne permettent qu’aux « grandes plumes » d’avoir des « prétentions d’auteurs »,de se risquer à créer des métaphores nouvelles, signées et assumées : métaphores originelles. La signature est un geste linguistiquement fondamental. Dès l’instant où il y a signature, où un énonciateur singularise sa parole et l’assume – y compris juridiquement – il y a métaphore créative potentielle. Car l’acte de création métaphorique est un événement en soi. C’est-à-dire qu’il est repérable dans le temps, qu’il est pourvu de coordonnées temporelles. Or les métaphores rapportées ne sont pas des événements en soi. Une métaphore créative est un peu comme l’œuvre d’art définie par Walter Benjamin, plus on en parle et plus elle perd de son aura. L’acte de création est lié à cette unicité de l’événement. Par conséquent, il n’y a véritablement création métaphorique que dans le cas de métaphore originelle, tandis que les métaphores rapportées, elles, même lorsqu’elles sont signées, sont de seconde main. Les métaphores originelles ne sont pas des métaphores conceptuelles – matériau brut, indécis et commun – puisqu’elles sont des expressions phrastiques, singularisées, finies. Ainsi, cette conception permettrait-elle de lever la confusion entre métaphore d’usage (associée à la métaphore conceptuelle volatile) et métaphore d’invention (de forme ponctuelle).
Métaphores exogènes et métaphores endogènes
Le cas des métaphores rapportées se complique lorsque celles-ci non seulement sont rapportées mais, qui plus est, traduites d’une langue à l’autre et importées d’un univers référentiel à un autre. Je propose de distinguer les métaphores endogènes qui dépendent de l’univers de références culturelles de l’énonciateur, des métaphores exogènes qui proviennent d’un univers de références autre, étranger et qui sont à ce titre souvent traduites.
Exemplaires sont les métaphores codées à valeur fortement allusive propres à l’esthétique chinoise et renforcées par un certain usage de la langue de bois. On traduit communément métaphore par隱喻yǐn yù « métaphore »mais cette traduction ne serait pas satisfaisante12. D’après Chantal Chen-Andro, « rapport d’analogie à valeur allusive » serait plus exact. Elle en déduit que :
Les critiques chinois au début du XXeme siècle, semblent avoir moins prêté attention à la valeur d’abstraction du symbole, et dans la moindre mesure, à celle de la métaphore, qu’à leur valeur « allusive » (anshi), qu’aux catégories de l’implicite (hanxu) et du caché (yin) qu’ils semblaient véhiculer »13.
Ce sont des métaphores contraires aux principes de l’écriture journalistique : « clarté, concision, efficacité »… Le discours journalistique n’admet théoriquement pas les métaphores à valeur allusive sauf dans le cas de métaphores rapportées. Mais ces métaphores nécessitent une interprétation pour être comprises. Elles ne peuvent se passer d’une allégorèse, travail auquel se livre par exemple le journaliste Brice Pedroletti, correspondant à Pékin pour Le Monde :
« Xi Jinping a donné le coup d'envoi, lors d'un discours prononcé le 18 juin, de sa campagne destinée à éliminer chez les cadres "le formalisme, le bureaucratisme, l'hédonisme et l'extravagance". Il s'agit de "se regarder dans le miroir, ajuster ses vêtements, se laver le visage" et, le cas échéant, "prendre des médicaments". Autant de métaphores codées - se laver le visage évoque l'autocritique - qui rappellent les paroles de Mao : « Nous devons constamment balayer notre chambre, sinon la poussière s'y entassera ; nous devons nous laver régulièrement la figure, sinon elle sera toute souillée », déclarait le Grand Timonier en 1949. »14
Dans le cas de ces métaphores rapportées et traduites, ce n’est pas tellement la traduction qui pose problème que la valeur allusive laquelle nécessite une allégorèse dans les deux langues ! Ce serait un argument contre la thèse de Michel Le Guern – s’appuyant sur l’exemple aristotélicien « Achille est un lion »15 – selon laquelle la traductibilité de la métaphore est chose exceptionnelle. Dans le cas des formules d’invectives tels que le « tigre de papier aux dents atomiques », on assiste même à une sorte d’atelier d’écriture planétaire avec création métaphorique collective et internationale ! Il s’agit de métaphores de combat d’une agressivité démesurée dont la traductibilité est ici maximale. La métaphore, en comparaison d’un simple calembour, est peut-être un des tropes qui se traduit le mieux. On pourrait évoquer aussi le travail d’assimilation de la pensée métaphorique rapportée dans Tigre en papier, roman autobiographique qui rend compte de la réception en France de la « tisane chinoise »16 par les organisations maoïstes. Olivier Rolin, ancien membre dirigeant de l’organisation Gauche Prolétarienne, non sans ironie ni mélancolie, déconstruit la langue de bois de ce grand récit en marge du discours communiste, en instruisant la fille d’un de ses meilleurs amis disparu et en lui proposant une allégorèse de la langue employée par les jeunes fanatiques de sa génération, partis en guerre contre les « tigres de papier » impérialistes.
« Tu le voyais bien le bond… le grand bond en avant des données de l’expérience sautant dans la pensée, hop ! À pieds joints ! Kangourous ! Impayable ce Mao […]. On n’avait jamais vu personne trouver des vertus humoristiques à la prose du grand Timonier. Quelque fois le style, tout en restant prudhommesque, se teintait d’une nuance XVIIIe siècle due sans doute aux études classiques des traducteurs17 »
Oliver Rolin se livre à un véritable travail pédagogique en traduisant la « pensée en spires » d’une époque, en corrigeant les contresens et les erreurs d’interprétations, en livrant les clefs narratives du grand récit du communisme chinois dont la métaphore du « tigre en papier » est exemplaire. Mais quand il affirme rétrospectivement qu’« on était des tigres en papier nous aussi18 », ce n’est pas tant pour souligner les difficultés de traduction de l’expression que pour signaler l’extrême confusion qui régnait dans les esprits.
Ainsi, la métaphore codée des « deux jambes » de l’économie qui oblige le recours à un truchement pour identifier le domaine cible, à savoir l’agriculture et l’industrie et qui renvoie à une autre grande métaphore codée – elle-même allusive – celle du « grand bond en avant » (大躍進) qui a donné son nom à une période de l’histoire chinoise19. La métaphore du progrès, exprimée parfois sous une forme contractée et usée « grand bond », donne lieu à des reformulations ironiques : « le grand bond en arrière » par exemple.
GRAND BOND EN ARRIÈRE (Jean Knecht cite Stevenson porte-parole de Kennedy) : « Washington, 31 octobre. - Peu après le retour de M. Kennedy de son voyage dans l'Oklahoma, la Maison Blanche a publié le communiqué spécial qu'on lira d'autre part, exprimant la réaction officielle américaine après l'explosion de la superbombe soviétique. Quelques heures auparavant M. Stevenson, devant les Nations Unies, avait accusé l'Union soviétique d'avoir fait un " grand bond en arrière vers l'anarchie et le désastre ". Pour le président, l'expérience soviétique est un acte politique plutôt que militaire destiné à semer la terreur et la panique à travers le monde, car il ne modifie pas l'équilibre nucléaire de base ». Le Monde, 1 novembre 1961, « Washington – un grand bond en arrière ».
GRAND BOND EN ARRIÈRE (Camille Olsen) : A propos des pratiques ésotériques d’une secte Asa en Islande : « L'initiative de ce grand bond en arrière revient à un inspiré de quarante-huit ans, Sveinbjoern Beintensson, baptisé, élevé et confirmé dans une atmosphère luthérienne des plus orthodoxes, qui a trouvé à l'âge adulte son chemin de Damas à travers la lecture approfondie des saga », 1° occurrence, Le Monde, 6 juin 1973, « Islande : la renaissance du culte Asa ou le grand bond en arrière ».
Selon la terminologie que l’on propose, « le grand bond en avant » est d’abord une métaphore rapportée exogène. Elle provient d’un univers de référence autre, l’univers de la République Populaire de Chine en l’occurrence. Elle est la traduction du programme réformateur de Mao. Quand le porte-parole de Kennedy s’en empare, et par un jeu de substitution ironique, renverse l’interprétation de la métaphore du progrès et invente une nouvelle métaphore, il s’agit d’une métaphore rapportée endogène, cette fois. Quand, dix ans plus tard, la journaliste Camille Olsen écrit en son nom, et reprend la métaphore du « grand bond en arrière » pour désigner les pratiques sectaires en Islande, elle est originelle (quoique pas très originale) et endogène20.
Métaphores orientées et métaphores géopolitiques orientalistes.
Nous ne perdons pas de vue l’interprétation historique des métaphores car nous envisageons, en distinguant métaphore exogène et endogène, de tenir compte de la situation d’énonciation historique et géopolitique. La théorie de Lakoff et Johnson distinguait les métaphores orientées. Celles-ci se définissaient déjà selon une logique énonciative dont dépendait l’orientation des métaphores (déictique-représentant). Transposées dans un contexte géopolitique bi-polaire, ces métaphores orientées prennent une coloration étrange. Elles correspondent presque trait pour trait au travers du discours orientaliste tel que Edward Said a pu le définir : « L’orientalisme est en fin de compte une vision politique de la réalité, sa structure accentue la différence entre ce qui est familier (l’Europe, l’occident, « nous ») et ce qui est étranger (l’Orient, « eux »). »21 Les métaphores sont polarisées en fonction de leur culture d’emprunt, de sorte qu’on retrouve la « géographie imaginaire » de l’orientalisme qui établit une frontière entre un « eux » et un « nous ». Quand la métaphore se rapporte au « nous », qu’elle n’a pas été l’objet d’une traduction ni d’une transposition, on dira que la métaphore de l’autre est endogène. Quand la métaphore est le produit d’une traduction, qu’elle est « importée de l’étranger », qu’elle se rapporte à un « eux », on dira que la métaphore de l’autre est exogène. Ainsi les métaphores exogène et endogène se retrouvent, historiquement, au carrefour de ces deux théories : « métaphores orientées » et « orientalisme ». Voyons quelques exemples.
Fourmilière, essaim, nuage de sauterelles, vague ou torrent humain, Guillain a maintes fois qualifié métaphoriquement l’impression que lui faisait le contact avec la foule chinoise.22 Il n’est pas le seul23 mais pour la première fois en 1956, il combine le thème obsessionnel du « bleu de chauffe » avec celui de la fourmilière24, pour qualifier l’uniformisation des hommes et des esprits propre au système totalitaire dont il est le premier à s’effrayer.
Guillain écrit le 23 janvier 1956 « Ces Chinois-ci sont pris dans l'engrenage d'une transformation absolument nouvelle. Ils sont en mouvement dans une commune direction, et c'est absolument neuf. Ils sont groupés, amalgamés, broyés en une pâte unique, nouveauté sans précédent. Ils sont enrégimentés, gouvernés et surgouvernés; ils sont enfin dociles et soumis jusqu'à n'être plus qu'un troupeau, ou une fourmilière - toutes choses en vérité bouleversantes pour quiconque a connu l'individualisme presque anarchique des Chinois, au temps où Confucius résistait encore à Staline. Une fourmilière, des fourmis, voilà bien ce qu'ils sont devenus... Les fourmis bleues !... Voilà le mot qui dit le mieux l'incroyable avatar, voilà l'explication qui, nous allons le voir, va beaucoup plus loin qu'on ne pense25 ».
Comment interpréter la métaphore animalière ? Convoquant La Fontaine, Guillain se défend bien sûr dans son autobiographie d’avoir éprouvé un quelconque sentiment de condescendance xénophobe. Mais on ne peut que comprendre l’exaspération du lecteur contemporain devant l’ethnocentrisme systématique de Guillain qui se désespère de la disparition du « Chinois Intelligent » et qui fait craindre à ce même lecteur un retour au vieux mythe xénophobe du péril jaune.Etiemble, dans les colonnes du Monde, aura une réticence semblable à l’égard du titre de Pierrefitte « Quand la Chine s’éveillera… »26. Il s’agit là d’une métaphore endogène qui provient de l’univers de référence culturelle du journaliste et qui dépend d’un « nous orientaliste ». Ce type de métaphore qui caractérise une écriture journalistique particulière déclenchera une levée de boucliers légitime de la part des intellectuels français (Sartre, Beauvoir, Jean-Pierre Vernant, et cetera) contemporains. La fronde sera nationale et le journalisme moderne devra faire le deuil de ce style colonial qui se complaît dans une « désinvolture condescendante » (Said) et dans le relevé des détails folkloriques qui vont lui servir à élaborer des généralités racistes et conforter une vision politique du monde qui oppose le monde civilisé à celui des barbares. Cependant dans le cas de Guillain, la métaphore endogène est aussi originelle (et quelque peu originale) si bien que l’interprétation de ses textes ne manque pas d’ambivalence. Rétrospectivement, la clairvoyance de Guillain à l’égard de la métamorphose totalitaire de la société chinoise force l’admiration27. De ce point de vue, c’est lui qui a raison contre les intellectuels aveuglés par l’idéologie triomphante de l’époque et la métaphore a beau heurter notre sensibilité républicaine, universaliste, le mythe d’une Chine envahissante écrasante, conquérante et donc dangereuse triomphe dans l’imaginaire.28 La même ambivalence caractérisera les métaphores animalières dans les articles d’Albert Londres (Géraldine Muhlmann).
En somme, nous avons pris Serge Botet au mot et saisi la piste qu’il avait suggérée à la fin de son ouvrage en cherchant un enracinement socio-historique du système de la langue.
« Ne peut-on pas rendre à la [métaphore] une certaine profondeur historique et anthropologique dont elle a été privée. »29 « Même les adeptes d’une sémantique objectiviste admettent l’enracinement socio-historique de la langue, y compris du système de la langue »30
Résumons ce parcours en faveur d’une théorie de l’histoire des métaphores. Nous avons parié que cette approche historique faciliterait une interprétation de la rupture théorique entre métaphores d’usage et métaphores créatives dans l’approche cognitiviste. Il faut convenir tout de suite que nous n’avons pas expliqué le mystère de la création métaphorique. Il y a dans la vision un principe non mécanique absolument irréductible à toute formalisation. Il y a de même le même écart identique entre le peintre en bâtiment et l’artiste peintre qu’entre la métaphore d’usage et la métaphore d’invention. Il est peut-être vain de vouloir à tout prix trouver un lien. Cependant il nous a semblé qu’une approche historique pouvait éclairer ce problème théorique sous un jour nouveau.
Nous avons considéré d’abord qu’une métaphore pouvait être datée et signée et que ce simple fait pouvait entraîner un petit bouleversement dans la conception des métaphores ; notamment que la « métaphore conceptuelle » résistait au principe de signature et de datation et que par conséquent, il valait mieux la considérer comme un matériau brut, un concept concret et reçu à partir duquel se construit un énoncé métaphorique ; que cet énoncé métaphorique faisait événement ; que ce processus suivait un double mouvement, un mouvement de fossilisation, du plus créatif au moins créatif, conformément à la conception de Ricoeur et un mouvement d’actualisation, de la métaphore générale vers une expression originale, conformément à la conception cognitiviste, à la différence peut-être majeure, que notre point de vue historique favorise le primat de l’expression phrastique sur le concept volatile dans le processus créatif.Ainsi l’idée d’une temporalité durant laquelle un matériau brut conceptuel est reçu, travaillé puis signé, offre-t-elle l’avantage de rendre compatible la théorie de la « métaphore conceptuelle » avec les théories objectivistes en articulant clairement « métaphore usuelle » et « métaphore d’invention ». N’est-ce pas une position qui contribuerait à colmater la brèche théorique précédemment signalée ? A titre d’application, l’approche historique nous par ailleurs a amené à faire deux dichotomies. Il était pertinent de distinguer métaphores originelles et métaphores rapportées pour lever la confusion avec la métaphore conceptuelle, de distinguer métaphores endogènes et métaphores exogènes, pour préciser et nuancer le cadre d’application des métaphores rapportées.
Dès lors nous pouvons imaginer le scénario dystopique suivant : si la signature accroit la valeur (marchande) de la métaphore – la plume de Londres valait de l’or car l’angle sous lequel il traitait l’information était inédit31– ne pourrait-on imaginer que les métaphores soient copyrightées et qu’elles ressortissent du droit d’auteurs ? L’auteur d’une métaphore nouvelle déposerait par exemple sa métaphore comme on dépose un brevet et pourrait ainsi en réserver l’usage. Il toucherait alors des bénéfices chaque fois que la métaphore apparaitrait dans un discours publié et celle-ci passerait après cinquante ans dans le domaine public…Ce scénario quelque peu cauchemardesque est-il si improbable dans le cadre d’un droit à la propriété intellectuelle ? L’une des raisons pour lesquelles la métaphore copyrightée serait envisageable, c’est que la signature semble moins porter sur le concept que sur la matérialisation syntaxique associée à un contexte historique donné. La « métaphore conceptuelle », elle, resterait libre de droit. Le concept a beau porter parfois la signature d’un maître (Deleuze : Qu’est-ce que la philosophie ?) il reste volatile. Mais là est l’envers utopique de ce cauchemar juridique : on pourrait inscrire les « métaphores conceptuelles » à l’Unesco au titre de patrimoine mondial immatériel de l’humanité ! Non ?
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Note
↑ 1 G. DELEUZE, F. GUATTARI, Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Minuit, 1991, p. 13-4
↑ 2 S. BOTET, Petit traité de la métaphore, un panorama des théories sur la métaphore, Presse Universitaire de Strasbourg, 2008, 50
↑ 3 Ibid., p. 83 On lit aussi en amont : « Il semble que ce que Lakoff et Johnson appellent le « chevauchement métaphorique » puisse difficilement expliquer la métaphore poétique. On se demande comment opère la « composition » de Lakoff et Turner (le problème se pose d’ailleurs pour le « questionnement » proposé par les mêmes auteurs et par la mise en place des « métaphores nouvelles » chez Lakoff et Johnson). Comment dans un système qui enracine profondément la métaphore dans un terreau d’expérience et de vécu, la nouveauté absolue peut-elle surgir ? On a l’impression que les lois en vigueur se trouvent soudain invalidées par l’intervention providentielle d’un deus ex machina. » Ibid., p. 67
↑ 4 É. BORDAS, Les Chemins de la métaphore, Paris, P.U.F., 2003, p. 53.
↑ 5 Il ne s’agit pas de ce qu’Éric Bordas appelle « une historicité de la métaphore » qui correspond à une « histoire des théories de la métaphore. » Ibid, p. 35.
↑ 6 « Les communistes chinois sont très préoccupés de leur sécurité, ne permettant à personne de prendre des photographies, sauf aux gens munis d'un permis militaire. Nul n'a découvert comment on pouvait s'en procurer, à part les photographes officiels de l'armée communiste ». 1949 avril 9 Andrew Roth, dans The New Statesman and Nation « un rideau de bambou s'abat sur Pékin » : première occurrence de la métaphore du rideau de bambou.
↑ 7 David Ritchie qui consacre un chapitre de son essai sur les « metaphor in politics » a ce petit commentaire : « Winston Churchill coined the metaphor « iron curtain » for the « cold war » Soviet domination of Eastern Europe ; this was later modified and extended to Chinese domination of Asia as the « bamboo curtain. » David RITCHIE, Metaphor, « Metaphor in politics », « Others vehicles for political metaphors », Cambridge University Press, 2013, p.178
↑ 8 Priscilla ROBERTS, Behind the Bamboo Curtain: China, Vietnam, and the Cold War (Cold War International History Project), Stanford University Press, 2006
↑ 9 1949 mai 31 Robert Guillain « Derrière le rideau de bambou les businessmen occidentaux »
↑ 10 1966 mars 26 « Pour Borba la Chine déploie un rideau de fumée idéologique » : la métaphore du rideau de fumée désigne le dispositif pour masquer la volonté chinoise d'imposer sa politique dictatoriale.
↑ 11 Pierre Do-Dinh, « Un roman chinois : Si Yeou Ki ou le voyage en occident », Le Monde, 11 janvier 1958 c’est la deuxième fois que le Voyage en Occident est présenté dans le journal le monde. La comparaison est éloquente.
↑ 12 Dans son travail sur la « la critique chinoise moderne et la fonction métaphorisante », elle étudie l’usage de plusieurs termes associés à la métaphore « 隱yǐn « caché », 含蓄hán xù « implicite »,暗示àn shì, « valeur allusive »,隱喻yǐn yù « métaphore »,形象xíng xiàng « la pensée en image » sous l’impulsion de Mao Zedong, 意象yì xiàng « l’image » au sens large, 想象xiǎng xiàng « imagination, imaginaire »,比喻bǐ yù « la comparaison », 象征xiàng zhēng « symbole », Chantal CHEN-ANDRO, « La critique chinoise moderne et la fonction métaphorisante » Regards sur la métaphore entre Orient et Occident, ouvrage collectif sous la direction de Cecile Sakai et Daniel Struve, Arles, Picquier, 2008, p. 131.
↑ 13 Ibid. 146
↑ 14 2013 octobre 8 Brice PEDROLETTI En Chine, « rectification des cadres et retour à Mao »
↑ 15 M. LEGUERN, « Sur la métaphore comme déplacement » in D. JAMET, Métaphore et perception. Approche linguistiques, littéraires et philosophiques, Paris, L’Harmattan, 2008.
↑ 16 Olivier Rolin, Tigre en papier, Paris, Seuil, 2002, p. 164.
↑ 17 Ibid., p. 162. Autre exemple d’allégorèse : « Il fallait « disséquer les moineaux » selon une formule du grand Timonier – c’était une façon élégante dire enculer les mouches », Ibid., p. 17.
↑ 18 Ibid., p. 116.
↑ 19 Raymond SCHEIVEN écrit le 21 novembre 1963 « Bond en avant et marche arrière » : « La frénésie avec laquelle les Chinois " bondirent en avant " provoqua de tels désordres que dès 1959 il fallut déchanter. La Chine dut enterrer le principe communiste fondamental de la priorité de l'industrie lourde. En 1960 fut inaugurée la politique dite de la « marche sur deux jambes » qui proclamait l'égale priorité de l'acier et des céréales ».
↑ 20 En nuançant le préjugé culturaliste, cette nouvelle dichotomie pourrait contribuer aux travaux réunis dans Valérie ALEXANDRE JOURNEAU, Violaine ANGER, Florence LAUTEL-RIBSTEIN et Laurent MATTIUSSI (dir.), Métaphore et cultures - en mots et en images. Paris, L'Harmattan, 2012.
↑ 21 « Cette vision a, d’une certaine manière créé, puis servi les deux mondes ainsi imaginés : les Orientaux vivent dans leur monde, « nous » dans le nôtre ; cette vision et la réalité matérielle se soutiennent, se font fonctionner l’une l’autre. Une certaine liberté dans les rapports est toujours le privilège de l’occidental ; parce que sa culture est plus forte, il peut pénétrer le grand mystère asiatique (…) ». Edward W. Saïd, L’Orientalisme, Paris, Seuil, 1978, 2003, p. 59.
↑ 22 Guillain écrit le 24 avril 1954 en pleine guerre de Corée, à propos des assauts nocturnes que subissent les troupes américaines : « Comment éviter que cette nuit encore ne recommence à travers ce terrain tourmenté le bruit de pattes feutrées que fait dans les ténèbres cette armée de fourmis ? Car c'est cent fois que j'ai entendu depuis hier officiers et soldats répéter : " Nous combattons contre un nuage de sauterelles ou une fourmilière en marche. " », 1951 avril 24 « Nous combattons contre un nuage de sauterelles ». v. aussi pour la métaphore du « torrent humain » : 1951 avril 10 « Hong Kong tient bon ».
↑ 23 1947 mars 15 Pierre-Maurice DESSINGES « le jeu des chinois ». Métaphores du « jeu », « hordes chinoises » et « nuées de sauterelles ».
↑ 24 Ces deux thèmes non combinés « fourmilière », « bleu de chauffe » existaient déjà dans un article de Roger Bonneuil daté du 31 janvier 51 « La Chine en bleu de chauffe ».
↑ 25 1956 janvier 23 Robert GUILLAIN « VI.- Les Fourmis bleues »
↑ 26 « Malgré son titre, qui, plus encore que Napoléon, évoque le " péril jaune " selon Guillaume II, ou peut-être à cause de lui, le dernier livre d'Alain Peyrefitte m'offrit une surprise heureuse : après tant d'enfers ou de paradis chinois, quel réconfort de lire un ouvrage en ceci du moins conforme à la "pensée Mao Tsé-toung" qu'il se garde avec probité du manichéisme, de l'anathème, du zélotisme ». 1973 juillet 28 ETIEMBLE « Le livre d'Alain Peyrefitte sur la Chine - un bilan intelligent, alerte et objectif ».
↑ 27 « Le mouvement, que Robert Guillain a abondamment décrit dans ces colonnes, et dont certains traits évoquent avec précision les anticipations hallucinantes d’Orwell, se développe à un rythme accéléré» (1960 aout 18 André Fontaine II. - Où l'idéologie a bon dos)
↑ 28 1956 février 4 Pierre AUDIAT « La Fourmilière ». « Le tableau, splendide et terrifiant, que Robert Guillain a fait, dans ces colonnes, de la Chine nouvelle semble relever de ce que l'on nomme aujourd'hui la science-fiction. Réduit à l'état d'insecte géant, l'homme reviendrait-il à sa condition originelle ? Ce qui impressionne fortement notre confrère, c'est le bleu de travail revêtant six cents millions de Chinois. Un uniforme où se confondent sexes, grades, professions, transforme la Chine en une immense fourmilière bleue. (…) Les fourmilières bleues, blanches ou noires sont devenues pour nous inconcevables. L'uniforme, quel qu'il soit, a perdu son prestige. La liberté commence au vestiaire. Et, souvent, elle ne va guère plus loin. ». 1967 février 8 Jean CHESNEAUX. « Études et reportages sur le communisme chinois » : « Mais on manque encore d'une solide biographie française de Mao ; on ne peut se satisfaire de compilations commerciales comme ce Mao Tsé-toung, empereur des fourmis bleues, dont le titre a au moins le mérite d'indiquer clairement la tendance et le niveau ».
↑ 29 Serge BOTET, Petit traité de la métaphore, un panorama des théories sur la métaphore, Presse Universitaire de Strasbourg, 2008, p. 85.
↑ 30 ibid., p. 87.
↑ 31 Comme le rappelle Laurent Martin, dans son Histoire de la presse en France, c’est en 1914 qu’Albert Londres revient de Reims, la valise chargée d’une vision qui inaugure sur le champ sa carrière de grand reporter au Matin : « il compare la cathédrale en ruine à un « corps ouvert par le chirurgien » et, du jour au lendemain, devient célèbre ». Laurent MARTIN, La Presse en France au XXe siècle, Paris, Librairie Générale Française, 2005, p. 95-6.