La révolte est dans le texte, Tel Quel
Abstract
Francese | IngleseLe roman de Julia Kristeva, Les Samouraïs (1990) représente le milieu des intellectuels structuralistes depuis la moitié des années 60 jusqu’à la fin des années 80, à travers l’analyse de leurs projets par rapport à l’expérience de Mai 68. Les samouraïs de Kristeva proposent une révolte toute particulière qui se produit non pas dans les usines, ni dans la rue, mais dans le domaine du langage. Par quels moyens et avec quels arguments se met en place cette démarche ? Entre distance et adhérence, recul et contiguïté, nous souhaitons interroger ces points de contact qui font des « années Tel Quel » un continuum cohérent avec les « années 68 ».
Lorsqu’est publié en 1960 à Paris, aux éditions du Seuil, le premier numéro de la revue Tel Quel, le texte placé en exergue, qui éclaire le choix du titre, emprunté à Nietzsche, est le suivant : « Je veux le monde et le veux TEL QUEL, et le veux encore […] » (SOLLERS, 1960 :3). Son auteur considère alors que le monde n’est « ni signifiant ni absurde. Il est, tout simplement » (ROBBE-GRILLET, 1961 : 18).
À l’heure de la commémoration des événements de Mai 68, de ses pratiques et de ses lieux, de son engagement et de ses fortes idéologies s’emparant du réel pour rêver d’un changement, pourquoi évoquer le slogan contestant le message de la contestation ?
Parce que le nom de la revue, et du groupe qui l’a créée, ne traduit pas le maintien du statu quo mais au contraire s’y oppose, à travers une provocation. Et alors que ces mots semblent déclarer un renoncement à toute forme de contestation, ils souhaitent en réalité, au moyen de cette « naïveté armée » (SOLLERS, 1960 : 4) que nous allons tenter d’éclairer, réfuter la définition de littérature engagée, dont le monopole est détenu par Jean-Paul Sartre1, et affirmer en même temps une forme de révolte sans idéologies. Cette opération mobilise la référence au poète et au romancier des objets, Francis Ponge et Alain Robbe-Grillet, les maîtres d’une critique qui se veut radicale de la littérature « engagée », suspecte de n'avoir pas renouvelé les concepts qui étaient opératoires au temps du naturalisme et du surréalisme, et considérée comme une investigation superficielle de l'inconscient à l'œuvre dans la production textuelle.
Incohérent et provocateur, instable et contesté, Tel Quel demeure ce mouvement que les études critiques reconnaissent comme la dernière avant-garde française. À ses membres sont associées la définition de l’écriture textuelle et la formulation de la mort de l’auteur à travers l’appareil critique du freudo-marxisme qui participe à ancrer cette spéculation philosophique dans l’air du temps. S’il est évident que la recherche théorique, celle que Jean Burgos accuse de « letterrorisme », pratiquée par un personnage aussi controversé que Philippe Sollers, contribue à maintenir son groupe à l’écart des trajectoires des protagonistes de la révolution de Mai 68, et de leurs grands domaines de lutte, il est aussi indéniable que Tel Quel partage avec son temps un même cadre de références. C’est pourquoi, alors que nous célébrons le cinquantenaire des « années 68 »2, nous proposons de relire l’expérience des « années Tel Quel »3.
Cette expérience, qui s’inscrit dans le contexte auquel elle appartient tout en s’en détachant, se donne notamment à lire dans le témoignage de l’une de ses protagonistes qui, dans les années 80, a rendu hommage à ses compagnons4. Ce sont des intellectuels, des samouraïs d’après Julia Kristeva, ayant mis en branle une révolte toute particulière qui s’est produite non pas dans les usines, ni dans la rue, mais dans le domaine du langage. Ils se sont attachés au texte en tant que forme représentative de l’individualité occidentale et l’ont considéré comme le lieu de toute aliénation sur lequel agir au nom d’une révolution culturelle. Cette pratique étant une « pensée à l’œuvre, n’étant pas individuelle mais collective ; le processus d’écriture étant celui non pas d’une fixation […] mais d’une transformation [,] il est inévitable que se produisent en surface des effets de signification politique précis » (SOLLERS, « Écriture et révolution », 1968 : 80).
Par quels moyens et avec quels arguments cette autre révolte se met en place ? Entre distance et adhérence, recul et contiguïté, nous souhaitons interroger ces points de contact qui font des « années Tel Quel » un continuum cohérent avec les « années 68 ».
Comme les membres de la classe guerrière qui ont dirigé le Japon féodal qui, d’après Mitsuo Kure, constituaient une élite formée de jeunes cavaliers archers issus de milieux aisés, excellant dans l’art de la guerre et formées à la calligraphie et à la poésie (KURE, 2014 : 7), les héros de Kristeva sont des personnages mythologiques, à la fois des nomades, des saltimbanques, des soldats mercenaires, les gardes non pas d’un palais impérial mais d’un savoir qui se veut sans hiérarchies. Les Samouraïs sont désormais de jeunes intellectuels faisant l’expérience d’une aventure qui se déroule en France. Ils connaissent une fièvre de la pensée et des corps qui les accompagne à travers la pratique d’une libération. Ils croisent le chemin de la revue et du groupe Tel Quel qui, à partir de 1960, se définit comme mouvement d’avant-garde, à travers une double pratique de destruction du passé et de construction d’un projet qui se proclame révolutionnaire.
Au-delà du jeu d’alliances et de ruptures entre ses membres et des appartenances politiques, la démarche du groupe consiste à s’ouvrir à des collaborations externes suivant l’idée que l’expérience littéraire appartient à un réseau de savoirs, mieux, à un « laboratoire de lecture et d’interprétation » (KRISTEVA, 2000 : 27). En même temps que l’on refuse l’opposition sartrienne entre le poétique et le politique, sont donc ébranlées les limites traditionnelles entre les différentes catégories des sciences humaines, au moyen des thèses de Jacques Lacan et Michel Foucault.
Dans Les Samouraïs, Mai 68 devient une aventure extraordinaire et son aura révolutionnaire accompagne la démarche littéraire du groupe : « […] Une énergie inconnue nous habite, qui nous fait agir […]. Dès lors, ceux qui agissent doivent s’engager à fond dans cette voie, ne pas calculer au profit de leur vie, mais la dépenser jusqu’à la mort » (KRISTEVA, 1990 : 60).
L’art de la guerre serait-il propre aux membres de ce mouvement novateur aussi bien qu’aux guerriers légendaires ? En effet, si l’on est fidèle à la définition militaire d’avant-garde, Tel Quel a voulu représenter, dans le domaine des idées, la partie chargée en avant d’une génération en révolte, de formuler son cadre théorique. Le groupe défend « cette Utopie […] de l’écrit comme art de la guerre » (KRISTEVA, 1990 : 63) qui est une libération du langage et de l’inconscient des idéologies dominantes.
Les Samouraïs est le premier roman de Kristeva, connue surtout pour ses essais dans les domaines de la linguistique et de la psychanalyse : il paraît en 1990, à l’heure des premiers bilans de l’expérience Tel Quel5, et propose une représentation du milieu des intellectuels structuralistes depuis la moitié des années 60 et jusqu’à la fin des années 80, à travers l’analyse de leurs projets et de leurs démarches par rapport à l’expérience de Mai 68.
Dans Les Samouraïs l’auteur, qui est la protagoniste du roman, « ferme les yeux et imagine l’histoire d’Olga, d’Hervé, de Martin, de Marie-Paule, de Carole et de quelques autres que vous connaissez ou que vous auriez pu connaitre. Une histoire à laquelle je suis mêlée – mais de loin, de très loin. » (KRISTEVA, 1990 : 11). Kristeva retrace son parcours individuel à l’intérieur d’une pratique collective, se souvient de ses rêves et romance ses souvenirs à partir d’une distance qui est réelle car elle se réfère au temps qui sépare le récit de l’histoire, mais qui est aussi feinte car elle caractérise le niveau d’implication de l’auteur, alors, par rapport au contexte de l’époque. De plus, cette distance est fonctionnelle car elle répond aux besoins d’une démarche poétique et politique qui rejoint la formule de la « naïveté armée ».
Le récit est mené alternativement par deux narrateurs : Julia Kristeva est la psychanalyste Joëlle Cabarus. Sa voix se donne à lire en italique, en entrecoupant les cinq chapitres dont le roman se compose, à la première personne du présent de l’indicatif, un présent à chaque fois daté, comme dans les pages d’un journal intime, en suivant une progression chronologique. Dans l’introduction, rédigée le 24 juin 1989, juste avant la parution du roman, elle s’adresse aux lecteurs « pressés de gagner et de mourir, […] [qui] s’oublient en se parlant comme sans se parler, […] sans plaisir » (KRISTEVA, 1990 : 9). En interpellant ces femmes et ces hommes qui ont perdu la capacité d’« être seuls ensemble » (KRISTEVA, 1990 : 10), l’auteur fait le constat d’un malaise et se laisse ainsi glisser vers une recherche dans la mémoire de cette époque « des rêves [et] des désirs » car « si nous ne fermions pas les yeux, nous ne verrions que du vide, du noir, du blanc et des formes cassées » (KRISTEVA 1990 : 10).
Le temps de l’écriture romanesque, qui est aussi celui de l’activité la plus fertile dans le domaine de la psychanalyse de notre auteur6, est un temps accablant : à mi-chemin entre la conscience de la fin de l’Histoire – condition postmoderne, dans la prémonition de Jean-François Lyotard, et clé épistémologique de notre présent, dans l’analyse de François Hartog – se produit au premier abord une véritable mystification de l’expérience de ces années qui deviennent extraordinaire dans le témoignage de l’autre narrateur, sur lequel se focalise le récit.
Il s’agit d’une étudiante, Olga Moreno, dont l’histoire est tracée à la troisième personne, au passé, temps verbal du récit par excellence, et à l’imparfait, le temps de la description. Les nombreuses données autobiographiques se lisent à l’intérieur d’un jeu de références et de pseudonymes. On sait qu’en 1965 l’auteur arrive à Paris, de sa Bulgarie natale, avec une bourse d’études à l’École des Hautes Études où, sous la direction de Lucien Goldmann, elle travaille sur la genèse du roman : « […] pas la peine de perdre ton temps à la Sorbonne, c'est ringard, archi-ringard, tu connais le mot ? Moi je vais à l’École d'études supérieures, chez Armand Brehal, le prof le plus chic qui soit, un artiste, tu vois, un musicien du concept. L’autre jour il a fait parler Hervé Sinteuil sur Mallarmé, tu connais pas ? Sublime » (KRISTEVA 1990 : 18).
Dans la trame événementielle du roman, à l’intérieur de cette séquence d’images emblématiques qui rappellent de façon dissimulée, voire cryptée, les acteurs, les lieux et les ouvrages d’une constellation intellectuelle reconstituée, s’inscrit une réflexion, notamment sur le rapport entre les militants et le rôle des intellectuels.
À ce propos, Jean-François Hamel remarque que la conférence sur Mallarmé que Sollers donne au séminaire de Barthes en novembre 1965 inaugure une démarche critique qui allie la littérature, la théorie et la politique, en plaçant le poète au sein d’un ensemble de références philosophiques à côté de Marx, Kierkegaard, Nietzsche et Freud7.
Armand Bréhal (Roland Barthes8), Hervé Sinteuil, pseudonyme d’Hervé de Montlaur, (Philippe Sollers, pseudonyme de Philippe Joyaux), et Fabien Edelman (Lucien Goldman) sont évoqués dès les premières pages qui tracent le tableau d’un milieu emporté par les événements.
Olga, qui « […]doi[t] rentrer un jour là-bas et [qui est] quand même marxiste […] » (KRISTEVA 1990 :19), est rapidement introduite au cœur de l’intelligentsia parisienne par Ivan (Tzvetan Todorov). Elle représente le lien avec la tradition du formalisme russe et va devenir, malgré elle, et aux dépens de son regard suspicieux sur les régimes communistes de l’Europe de l’Est, le « fruit parfait du système français projeté dans l’avenir » (KRISTEVA, 1983 : 40).
Le roman suit la vie d’Olga et de ses proches : « Ces gens dont elle venait de faire la connaissance débordaient d’un enthousiasme austère mais incroyablement intense. La passion qu’ils mettaient à étudier, à discuter, à creuser les mots et les textes, à confronter des avis subtilement divergents et profondément complices, faisait d’eux une espèce surprenante (KRISTEVA 1990 : 29)9.
Le groupe se compose au fur et à mesure que se dévoilent les personnages, réels ou fictionnels, pour témoigner des différentes vocations de cette génération qui se laisse saisir par le mouvement de Mai 68 : un mouvement « dissolvant, décapant, lucide » qui se dresse contre « l’enflure subjective ou rhétorique que nos parents avaient opposée à la souffrance dévastatrice des guerres, ou avec laquelle ils avaient bâti leur martyre » (KRISTEVA, 1983 : 40).
La publication des Samouraïs est précédée d’un article, « Mémoires », paru dans le n° 1 de la revue L’Infini en 1983, c’est-à-dire au lendemain de la publication du dernier numéro de Tel Quel. Kristeva y évoque son époque dans les termes d’un « changement » par rapport à ce « paysage désolant et vide, un véritable champ de ruines » (RISSET, 1982 : 3)10.
À ses débuts – alors que la rédaction est constituée de Jean-René Huguenin et Jean-Edern Hallier, avec Philippe Sollers (encore Philippe Joyaux), Jean Pierre Faye et Denis Roche tout juste arrivés de la revue Écrire de Jean Cayrol –, Tel Quel a besoin de se faire une place, entre Les Temps modernes et La Nouvelle Revue française. Deux années seront nécessaires pour que la revue forme un nouveau comité : Sollers expulse René Huguenin, qui soutient un « nouveau romantisme », et est rejoint par Jean Thibaudeau et Jean Ricardou (qui viennent des Éditions de Minuit), Marcelin Pleynet, puis, à partir de 1965, Kristeva. En 1963, une collection est lancée ; en 1968 le Groupe d'études théoriques est constitué. Tel Quel est désormais un groupe et ses conférences marquent l’essor d’un discours au sein duquel, « le ‘théoricisme terroriste’ […] trouve son expression la plus abrupte » (FOREST, 1995 : 340).
Le Seuil a mis à la disposition de ses membres un petit bureau au 27, Rue Jacob d’où une fenêtre va bientôt s’ouvrir sur les grands changements culturels, sociaux et politiques de l’actualité : « […] ce petit territoire situé entre l’École d’études supérieures, l’institut d’analyse culturelle et Saint-Germain, où trônait Maintenant, [est] un port cosmopolite […] un espace clandestin aménagé par ses nouveaux amis comme un défi à toutes les normes possibles » (KRISTEVA, 1990 : 30).
Notre roman représente Mai 68 comme une mouvance culturelle qui se met en place dans le climat fécond d’un binôme paradoxal : entre les archaïsmes d’une société issue de la Seconde Guerre mondiale et de la Résistance et l’élan progressiste des intellectuels.
[…] le génie des institutions françaises a su aménager, à côté des bastilles bureaucratiques ou bureaucratisées, des soupapes de sécurité ou d’insécurité : l’École des Hautes Études faisait contrepoids à la Sorbonne, Tel Quel se développant malgré la NRF ou les Temps modernes.(KRISTEVA, 1983 : 42)
Aussi, Mai 68 se déploie dans ces pages comme la référence à une révolution des mœurs. Un avant-goût du féminisme qui se constituera bientôt comme mouvement social, une grande vague dénonçant l’ordre établi et le patriarcat, prônant l’utopie et la libération sexuelle. C’est la rencontre entre Olga et Hervé : « […] avec lui c’est l’indépendance. […] ça me fait travailler, pleurer, prendre des initiatives, qu’Hervé soutient […]. C’est un féministe, tu sais, au fond. En tout cas les conséquences de son comportement sont féministes, même si ses intentions ne le sont pas » (KRISTEVA, 1990 : 42).
Une révolution plus ample touche à l’ensemble des relations familiales, en faisant du refus du père et des institutions le fondement d’une renaissance. Olga intègre le groupe Maintenant (Tel Quel), écrit sur la revue publiée aux éditions de l’Autre (Le Seuil), devient la femme d’Hervé : un homme sobre et sensuel, issu d’une famille bourgeoise, transgressif, dans les choses et à l’écart de celles-ci en même temps, un amant fuyant, qui, comme le Jean Santeuil de Proust, est épris de littérature et de poésie, évolue dans le Paris mondain de son époque, se révolte contre le matérialisme et les valeurs familiales : « [i]l disait peu, écrivait parfois, des télégrammes laconiques, aucune graisse, seuls les mots essentiels qui avaient résisté à ses coups de balai contre les métaphores et la psychologie » (KRISTEVA, 1990 : 164). Olga partage avec Hervé la mondanité parisienne et le charme contradictoire de la province : le couple est en visite chez les parents d’Hervé, à Bordeaux et sur une île de l’Atlantique (l’île de Ré), au cœur des normes du conformisme d’une grande famille de la bourgeoisie indolente, inconsciente de ce nouveau monde qui se met en place.
Mai 68 est aussi une secousse économique qui, au moment de l’irruption de l’ère du capital sous les yeux de la société de masse, déclenche son refus. Alors qu'à Paris « [i]ls contestent. Ils trouvent que c'est ‘impossible’ » (KRISTEVA, 1990 : 20), Olga, son appareil photo à la main, découvre la ville où défilent des « paquets cadeaux […] bas de gamme ou haut de gamme » : « [c]adeaux pour qui ? Justement, pour personne. On a oublié de les distribuer. Personne n’en veut et ils ne veulent de personne. Ils se montrent parce qu’ils existent. Un point c’est tout. » (KRISTEVA, 1990 : 28). La société de consommation enfante des rejetons dont elle ne sait que faire. C’est le constat de Edelman, derrière lequel nous reconnaissons facilement les thèses marxistes que Lucien Goldman élabore pour établir une analogie entre les structures et l'évolution de l'économie libérale capitaliste et le roman : « [l]e nouveau roman n’est qu’une vision tragique gouvernée par la marchandise qui a pris la place de Dieu. Histoires de choses. Dieu est plus que caché, il s’est résorbé dans la société de consommation et de là il nous regarde, et la vie n’est plus qu’un spectacle de marchandises sous le regard de la marchandise divinisée » (KRISTEVA, 1990 : 229).
Ce roman est un hommage à une époque dont les images et les paroles gardent pour notre présent la grandeur d’un dernier conte mythologique qui suscite la nostalgie de quelque chose qui est perdu ou que nous n’avons pas connu : la lutte contre tout autoritarisme ; le combat pour les droits ; la critique du capitalisme avec ses sanctuaires, l’usine et l’université, et avec ses domaines d’action, le travail et la consommation ; le vertige enivrant, et menaçant, du progrès et l’analyse de la modernité; la découverte de la politique comme domaine du partage et de la relation, comme fin de la solitude aussi ; le bonheur de l’appartenance à une communauté qui s’ouvre au monde dans un nouvel affect politique qui est l’internationalisme; les derniers élans d’une narration qui tient ensemble les genres, les classes et les peuples au-delà de, ou plutôt à travers, leurs différences.
Les Samouraïs est l’ouvrage le plus romanesque de Kristeva, et le moins critique, c’est aussi le roman le moins étudié et le plus autobiographique. L’auteur semble se livrer sans conditions à la mystification d’une époque révolue, néanmoins un dispositif critique se révèle en abyme venant interrompre cette adhérence à l’histoire : le principe de l’intertextualité, que Kristeva théorise à partir du concept bakhtinien de dialogisme, se réfère à la notion d’interférence et envisage le texte comme un perpétuel devenir11. Le texte apparaît comme « un système de connexions multiples qu’on pourrait décrire comme une structure de réseaux paragrammatiques » (KRISTEVA, 1969 : 123), il déstructure la focale, multiplie les références, active une surconscience qui fait de la « naïveté armée » la condition même d’une forme de liberté à l’intérieur du savoir et de l’Histoire.
Les Samouraïs propose une réflexion qui invite son lecteur à repenser Mai 68 au prisme de son héritage, en commençant par le situer dans le flux de l’Histoire : est-ce un début, un aboutissement, ou plutôt un seuil ? On pourra ranger Mai 68, comme certains historiens des mouvements sociaux l’ont fait, à l’origine des luttes pour les droits des travailleurs sans-papiers de 98, puis des manifestations de Nuit debout en 2016 ; on dira que l’ensemble de ses formules est le présage d’un passage du moderne au postmoderne ; mais encore on tentera d’aligner son aventure au sein d’une chronologie : 1789, 1848, 1871, 1917, Mai 68 faisant ainsi état d’un aboutissement.
Kristeva préfère situer la révolte de ses samouraïs dans une trame toute particulière de l’Histoire, qui refuse la logique d’un ordre séquentiel : les révoltés de Mai 68 de Kristeva appartiennent au réseau de ces « destructeurs de code » qui produisent une révolution au-delà des idéologies. La formule, que Sollers explique dans « L’écriture et l’expérience des limites », est de Ponge : ces destructeurs de code partagent une « problématique commune », ils témoignent d’une « expérience irréductible », ils forment une « communauté [qui] est en fait l’histoire de la censure dont ces textes ont fait l’objet de la part d’une […] série d’idéologies profondément solidaires » (SOLLERS, 1968 : 6). Les « destructeurs de code » sont donc les textes, mais aussi les personnes et les événements, dans une logique du tout texte, marquant une « coupure épistémologique » (KRISTEVA, 1968 : 84). L’expression de Gaston Bachelard, que Kristeva s’approprie, suggère une opération fondamentale dans la démarche telquellienne qui coalise la lutte politique et une nouvelle forme d’engagement littéraire où s’impose le texte, comme trace d’un décloisonnement hors des frontières idéologiques. Ceci consiste à mettre en place une théorie de l’écriture textuelle au moyen du renversement de l’ordre idéologique dans toutes les « pratiques signifiantes » afin de libérer le signe, avec son corps et ses pulsions refoulés, de ses structures signifiantes :« Par rapport à la ‘littérature’, ce que nous proposons veut être aussi subversif que la critique faite par Marx de l’économie classique » (SOLLERS, « Écriture et révolution », 1968 : 70). Il en est ainsi dans Les Samouraïs, où la « parole est liée à un plaisir essentiel », à la « saveur des mots » (KRISTEVA, 1990 : 35), « à la musique des lettres » (KRISTEVA, 1990 : 38).
Au nom du freudo-marxisme, il s’agit de remplacer le sujet par les structures linguistiques, mentales et sociales à l’intérieur desquelles l’individu a une fonction12. Sollers l’explique ainsi : « La coupure décisive – celle qui agit rétroactivement et dans le futur – est ici Lautréamont/Mallarmé, corollaire de celle Marx/Freud » (SOLLERS, « Écriture et révolution », 1968 : 73).
Ce détour par la théorie nous permet de déceler, dans Les Samouraïs, un premier fil rouge qui traverse le temps et laisse apparaître Mai 68 comme le prolongement d’une révolte libertine qui a eu lieu dans la révolution française mais aussi à côté de celle-ci. Joëlle Cabarus s’interroge : « […] et si la Révolution de 1789 s’était achevée seulement hier, en cette fin de Mai 68 ? » (KRISTEVA, 1990 : 182).
Entre une manifestation, une assemblée et la rédaction d’un tract, notre personnage passe ses journées enfermée dans les salles sombres de la Bibliothèque nationale, pour se renseigner à propos d’un personnage qu’elle va décider de considérer comme son ancêtre : « les gens sérieux se scandalisent aujourd’hui des ‘excès à l’Odéon’. S’ils savaient ! À Bordeaux, en 1793… » (KRISTEVA, 1990 : 177). Par une attirance du signe, Joëlle Cabarus devient Teresa Cabarrus, l’une des protagonistes de la vie mondaine française à la fin du XVIIIᵉ siècle. Cette aristocrate d’origine espagnole adhère aux idéaux des Lumières. Par le biais de l’art et par la force de l’érotisme elle est l’égérie de la révolution : étrangère, elle arrive à Paris. Elle tient salon dans le Marais durant la Révolution. Elle applaudit à la prise de la Bastille, puis condamnée à mort durant la Terreur, elle s’enfuit à Bordeaux où elle séduit le commissaire de la Convention. Elle se fait libérer et protège les plus démunis. Joëlle, comme Teresa, représente un nouveau type de femme libre et tisse une relation insaisissable avec la grande Histoire. Car Kristeva, comme Joëlle, envisage une révolution de la forme et non pas des contenus qui se met en place au sein du système de production des signes.
À ce propos, un deuxième sillage surgit de notre roman, traversant l’espace géographique d’un monde qui s’ouvre désormais à la conscience collective : la Chine est le cœur de la révolution culturelle pour la génération de Mai 68, mais pour les samouraïs elle est surtout l’univers d’un autre langage. Par rapport à ce qu’il symbolise pour la gauche radicale, le maoïsme est plutôt ici une pratique de « dérèglement de tous les sens », l’occasion d’un « déracinement total » (KRISTEVA, 1990, 196) qui n’a rien de l’austérité du dogmatisme militant. Tel Quel ne s’adresse pas aux prolétaires mais aux intellectuels et aux étudiants ; ne met pas la littérature au service du peuple mais continue de pratiquer l’illisibilité, à partir non pas de l’usine mais du boulevard Saint-Germain. La Chine ne représente pas les contenus de la révolution maoïste, mais le prétexte formel d’un geste scandaleux et impénétrable, comme cette écriture dont Olga s’applique à étudier les signes, au-delà de leur sens.
Ce pays suggère un vent de révolution qui, en réalité, souffle sur d’autres trames, alimenté par cette distance feinte et fonctionnelle mentionnée à plusieurs reprises : c’est une révolte à côté de la rue, dans le texte, que Tel Quel interprète dans un jeu de références voué à la distinction d’une communauté fermée mais c’est aussi, et surtout, une démarche tournée vers cet esprit de l’époque se manifestant dans l’échange ludique et joyeux de la parole libérée, des affiches, des slogans et de toute cette variété de messages politiques et poétiques dont l’espace public se laisse inonder. Une éthique de la révolution se met en place dans l’écriture : « celle qui désobéit » (KRISTEVA, 1990 : 62) et qui se déploie comme un « art de la guerre contre le discours du pouvoir » (KRISTEVA, 1990 : 63).
Un lien étroit entre le roman et les essais critiques se révèle alors au lecteur avisé. Dans Les Samouraïs résonne Théorie d'ensemble, un recueil d'articles des penseurs structuralistes, dirigé par Philippe Sollers et paru en 1968, où la nouvelle critique littéraire que le groupe Tel Quel formule à cette époque, à travers les théories de la mort de l’auteur et de l’écriture textuelle, est présentée : « l’essentiel de ce livre porte sur un rêve : unifier la réflexion sur le langage et déclencher à partir de là une subversion généralisée » (SOLLERS, « Préface », 1968 : 7). Une révolution du langage y est annoncée dans les termes de la révolution du prolétariat à travers la libération du texte de son aliénation :
[…] en mettant l’accent sur le texte, sur ses déterminations historiques et son mode de production ; en dénonçant systématiquement la valorisation métaphysique des concepts “d’œuvre” et “d’auteur” ; en mettant en cause l’expressivité subjective ou soi-disant objective, nous avons touché les centres nerveux de l’inconscient social dans lequel nous vivons et, en somme, la distribution de la propriété symbolique. (SOLLERS, « Écriture et révolution », 1968 : 70)
La contestation du pouvoir et de l’autorité du sujet de l’Histoire, qui accompagne la critique du patriarcat et des dictatures, se traduit, dans le domaine des lettres, par la mise en question du contrôle autoritaire de l’auteur avec sa biographie et son œuvre, tant au nom de l'intertextualité que de l'activité collective, théorique et pratique. La critique va donc s’attaquer à la personne avec son unité psychologique et son statut s’identifiant à la bourgeoisie afin de remplacer la triade œuvre-auteur-critique par une nouvelle définition propre non pas à la littérature mais à la littérarité : texte-scripteur-lecteur. Le texte se fait par lui-même ; il surgit de l’écrivance, qui est à la fois une lecture et une réécriture ; l’intertextualité s’oppose à la critique des sources ; le réseau remplace la notion de linéarité. La matérialité du signe anticipe l’idéologie du sens. Désormais, la révolution, qui pour Tel Quel a un caractère non définitif, se réalise à travers l’écriture, celle capable de « porter le coup de grâce, non pas une fois pour toutes mais constamment […] » (KRISTEVA, 1990 : 62).
D’autres échos sont provoqués par les pages du roman car, s’agissant d’intertextualité, Kristeva joue avec les analogies qui lui permettent de situer Les Samouraïs dans son propre réseau de l’Histoire. Ici Jean Paul Sartre s’appelle Dubreuil, presque comme le Dubreuilh des Mandarins, qui est le philosophe de l’existentialisme aux côtés de sa femme Anne, Simone de Beauvoir. Peut-on donc lire Les Samouraïs comme une réécriture du roman qui a remporté le prix Goncourt en 1954 ? Même dispositif formel du roman à clé, même regard sur les amours et la vie politique, mais ces fonctionnaires des anciens empires de Chine appartenant à la classe des lettrés, sont devenus des guerriers voués à la mort par le sabre ou par la plume.
On lira plutôt cette allusion dans le sens d’une radicalisation de l’avant-texte qui se développe au moyen de ces secrètes correspondances, au sens mallarméen, comme le rappel d’un hypotexte dans le jeu de l’intertextualité : « Tout le mystère est là : établir des identités secrètes par un deux à deux qui ronge et use les objets, au nom d’une centrale pureté » (KRISTEVA, 1968 : 84).
Nous savons qu’en 1964, Sartre et Beauvoir d’un côté et Faye et Ricardou, deux partisans de la revue Tel Quel, de l’autre, s’opposent autour de la question « Que peut la littérature ? ». Ce débat qui sera publié en 1965, porte sur le rôle de la littérature : à cet effort que l’existentialisme a prôné de réunir la praxis et l’éthique, la littérature et l’action politique, à la question du sujet et de la subjectivité que les intellectuels ont voulu rapprocher du marxisme dans les années 50, s’oppose la pensée structuraliste de Lévi-Strauss, Barthes, Althusser et Foucault au moyen du déterminisme des structures sociales de Marx et de celles de l’inconscient de Freud.
En même temps qu’elle inscrit le roman dans un plus large domaine de références littéraires et historiques, l’intertextualité permet aussi de mettre en place une perspective critique. Tel Quel va connaître Mai 68 et va s’interroger dès ses premiers signaux sur le sens profond de ce « changement » dont le goût de révolution n’a pas fini de nous interpeller : c’est un « événement exceptionnel » (KRISTEVA, 1990 : 23), une succession vertigineuse de moments collectifs, dont les samouraïs connaissent la passion mais aussi les questionnements, la méfiance et le doute.
Arnaud pense que les manifestations sont quelque chose de « plutôt sympathique […] mais tellement infantile ! » (KRISTEVA, 1990 : 174). Alors que nous baignons dans cette « ivresse des révoltés qui veulent tout », Joëlle se « demande comment ces rebelles vont se réveiller lorsqu’ils s’apercevront qu’ils désirent aussi le pouvoir » (KRISTEVA, 1990 : 176) ; pour Olga « tout allait trop vite, et cette entente d’esprits en fuite avait quelque chose de factice. […] La corde tendue de l’intelligence au-dessus d’un abîme de malaise, de confusion. De solitude. Elle la palpait, elle la sentait palpiter en deçà et au-delà de la beauté parfaite des puzzles multicolores, des textes relus, défaits, pensés » (KRISTEVA, 1990 : 30-31).
L’aura mythologique qui entoure la représentation de Mai 68 se brise sous les coups d’une double désillusion : celle qui appartient au personnage féminin qui a vécu les années 68 « mais de loin, de très loin » ; celle prémonitoire de l’écrivain qui dans les années 80 fait le constat de la fin d’une époque.
Comment interpréter ce roman où la trajectoire individuelle s’impose ? Il est évident qu’au lieu de disparaître, le je triomphe dans l’ostentation d’un parcours autobiographique, il se double pour représenter celle qui fait l’expérience des événements et celle qui réfléchit sur ces mêmes événements, il arrive même à se démultiplier dans un certain nombre de références intertextuelles. Néanmoins, le caractère autoréférentiel de ce roman ne correspond pas à la célébration d’un jeu de société, mais il représente plutôt la défense et l’illustration d’une démarche politique et poétique que l’on reconnaît par le renvoi aux textes théoriques, il célèbre l’enthousiasme de l’action des années Tel Quel en même temps qu’il en souligne les limites en évoquant le travail d’un tribunal intime de la conscience jugeant ses actes.
La voix de Joëlle Cabarus revient dans chacun des chapitres du roman pour marquer une distance par rapport au récit d’Olga, et pour donner la parole, par-dessus l’action fébrile de la lutte, aux consciences :
L’effet des révolutions sur le divan des psychanalystes ? d’abord un reflux : les allongés se lèvent, vont aux manifs et aux A.G., ne viennent plus à leurs séances. On peut imaginer que la police, les barricades, les grèves éventuelles – entraves objectives à la circulation – motivent les absences. Bagatelle ! la révolution est une grève du ‘for intérieur’ que remplacent la parole en commun, le psychodrame, le passage à l’acte, ou carrément l’amour. Cependant, après quelques jours d’absentéisme, Franck et d’autres militants actifs sont réapparus repuiser des ressources pour cette imagination dont on revendique l’accession au pouvoir. Je suis bien entendu allée avec Romain et les internes du service me mêler au cortège. J’ai crié ‘À bas l’état policier’ en riant mais pas seulement, en observant tout en étant dedans aussi. (KRISTEVA, 1990 : 174)
Joëlle psychanalyse les révolutionnaires de Mai 68. Elle constate que ses « patients […] ne rêvent plus, ils agissent en discutant sur les barricades, dans les usines, les ‘groupes d’analyse’, les ‘lieux de parole’ » (KRISTEVA, 1990 : 180).
On suit le roman dans son ordre chronologique : Olga est en voyage à Pékin, elle assiste, ce 1er mai 1974, aux défilés « trop apprêtés, trop colorés » mais elle participe tout de même « à l’espoir, même faux, des gens », « car la joie (peu importe si elle est artificielle) est devenue quelque chose de « si rare » (KRISTEVA, 1990 : 267). Ce voyage en Chine avec une délégation de Tel Quel va représenter pour l’auteur : « un adieu à la politique » (KRISTEVA, 1983 : 53)13.
Les années passent et Joëlle qui, comme Kristeva, donne des cours à New York, apprend la mort de Lauzun. C’est la disparition de Lacan, en 1981, qui amène notre personnage à faire le constat de la fin de la génération de ses maîtres (Barthes décède en 1980, Benveniste en 1976, Goldmann en 1970) : « ces gens qui nous ont fait réfléchir depuis vingt ans », cette génération qui était parvenue « à s’emparer […] des mouvements de la rue, pour […] nous faire croire qu’ils avaient atteint l’instant où l’on a tout compris » (KRISTEVA, 1990 : 382-383).
L’heure est au désenchantement qui détend le rythme du dernier chapitre et réunit en une seule voix les parcours parallèles mais en miroir des deux personnages féminins : « chaque instant s’évanouit […] à une vitesse telle que rien ne semble avoir eu lieu ». Nous sommes en 1989, Joëlle, qui est désormais Olga, est devenue mère et fait le constat d’une époque révolue : « de plus en plus souvent la vie se met à ressembler à la télévision : il n’y a plus d’événements, excepté les découvertes scientifiques et les accidents ». Au Jardin du Luxembourg, où elle se promène, « Sinteuil et son fils miment une scène d’arts martiaux. Les étincelles de ce printemps bleu donnent aux samouraïs improvisés un air de carnaval… » (KRISTEVA, 1990 : 457).
Normalisés, par le détournement ludique d’une scène de la vie quotidienne, les samouraïs sont désormais un père et un fils sur lesquels se pose le regard d’une mère qui garde la mémoire de sa révolte et qui annonce surtout qu’il est temps de se poser des questions.
Aujourd’hui, alors que nous sommes tout texte, est-ce pour nous rappeler que nos vies s’écoulent silencieusement dans la politique ?
Dans la mémoire de Mai 68 que l’histoire nous a livrée, au-delà des récits valorisants ou dévalorisants, voici apparaître la possibilité qu’on ait réagi par l’« exaltation » à la « conscience somnambulique d’un naufrage » car « seule la mort nous pousse à agir » (KRISTEVA, 1990 : 60).
Au moyen d’une naïveté armée qui lui a permis de se situer à la fois dedans et à côté des événements, notre avant-garde littéraire a vécu le début, et en même temps la fin, (c’est la définition même de l’avant-garde comme action qui aboutit à son autodestruction) de ce mouvement de pensées qui, par un « fétichisme du texte » (RISSET, 1970), a libéré l’auteur de son autorité et a joui de cette liberté avant de livrer son corps à l’autorité des marchés financiers et des réseaux technologiques, sans nom, sans corps, sans auteur et sans idéologies14.
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Note
↑ 1 Le projet d’une littérature engagée, ayant une fonction sociale et idéologique, est exposé dans l’œuvre du philosophe de l’existentialisme déjà en 1947 avec Qu’est-ce que la littérature ? Sa signature en 1960 du Manifeste des 121, titré « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie » (publié le 6 septembre 1960 dans le magazine Vérité-Liberté), marque une nouvelle avancée de la présence des intellectuels dans le domaine politique. Tel Quel ne manifeste alors aucune prise de position politique et la seule référence, exclusivement littéraire, à la guerre d’Algérie est le « Requiem » que Philippe Sollers adresse à son ami Pierre de Provenchères, mort au front.
↑ 2 Nous adoptons cette formule car nous adhérons à la proposition d’inscrire l’événement dans une période de plus longue durée comprise entre 1962 et 1981 comme notamment dans le volume publié à l’occasion du quarantième anniversaire de Mai 68 : P. ARTIERES, M. ZANCARINI-FOURNEL (éds.), 68, une histoire collective 1962-1981, Paris, La Découverte, 2008.
↑ 3 Le groupe Tel Quel naît en 1963 comme mouvement d’avant-garde autour de la revue homonyme qui paraît tous les trois mois aux éditions du Seuil de 1960 à 1983. En 1963, Sollers crée et dirige la collection « Tel Quel ».
↑ 4 Il ne s’agit pas du seul tableau narratif de la trajectoire du groupe des penseurs structuralistes durant et à partir de mai 1968. Cf. notamment deux romans, J. THIBAUDEAU, Mes années Tel Quel (1994) ; C. CLEMENT, La Putain du diable (1996).
↑ 5 Durant cette période, de nombreux travaux ont paru témoignant d’un intérêt pour le groupe Tel Quel : P. FOREST, P. FFRENCH (éds.), De Tel Quel à L’Infini, L’avant-garde et après ? (1995) ; V. KAUFMANN, Poétique des groupes littéraires (1997) ; P. FOREST, Histoire de Tel Quel (1995) ; E. SANGUINETI, J. BURGOS, Per una critica dell’avanguardia poetica in Italia e in Francia (1995); P. COMBES, La littérature et le Mouvement de Mai 68 (1984), N. KAUPPI, Tel Quel: La constitution sociale d'une avant-garde (1990) ; J. RISSET, Tel Quel vent’anni dopo (1980) ; J. RISSET (éd.), Tel Quel (1982).
↑ 6 Cf. J. KRISTEVA, Soleil noir. Dépression et mélancolie (1987) ; Id., Etrangers à nous-mêmes (1988) ; Id., Les nouvelles maladies de l’âme (1993).
↑ 7 Le texte de la conférence paraît dans Tel Quel en 1966 sous le titre « Littérature et totalité » avant d’être reprise dans Logiques en 1968 et dans L’Ecriture et l’expérience des limites en 1971. Cf. J.-F. HAMEL, Camarade Mallarmé. Une politique de la lecture (2014).
↑ 8 Au début des années 60, Roland Barthes est déjà considéré comme le principal interprète de la sémiologie. Il publie « Drame, poème, roman » sur le roman Drame de Sollers ; il est avec Sollers lors de la « querelle de la nouvelle critique », en 1965 contre Raymond Picard ; dans la collection « Tel Quel » sont publiés nombre de ses essais critiques ; Tel Quel lui consacre le n. 47 de la revue sur le mouvement de juin 71.
↑ 9 À cette communauté appartiennent Benserade (Émile Benveniste), Strich-Meyer (Lévi-Strauss), Lauzun (Lacan), Saïda (Jacques Derrida), Decèze (Gilles Deleuze), Scherner (Michel Foucault), Dubreuil (Jean-Paul Sartre), Brunet (Marcelin Pleynet), Pange (Francis Ponge), Hermine (Jacqueline Risset), Brichot (Georges Bataille), Bernadette et les militantes féministes qui sont Antoinette Fouque, le Mouvement de libération des femmes qu’elle a cofondé, la pratique de la Psychanalyse et politique qu’elle a mise en place, les éditions Des Femmes qu’elle a créées.
↑ 10 Traduction de l’auteur de cet article. En italien dans le texte de J. Risset : « un paesaggio desolatamente vuoto, un vero campo di rovine ».
↑ 11 La notion d’intertextualité apparaît officiellement dans le lexique critique de l’avant-garde dans deux essais de Kristeva, Théorie d’ensemble (1968) et Σημειωτική, Recherches pour une sémanalyse (1969). Elle représente un trait caractérisant tout ouvrage qui dérive d’une mémoire qui n’est pas individuelle mais collective. Le texte devient ainsi le lieu d’un échange constant entre différents éléments qui ne sont pas toujours identifiables, des formules anonymes, des citations inconscientes ou automatiques.
↑ 12 En 1968, paraît l’article de Roland Barthes « La mort de l’auteur » qui sera publié dans Le Bruissement de la langue (1984). Quelques mois plus tard Michel Foucault présente une communication à la Société française de Philosophie « Qu’est-ce qu’un auteur ?» que l’on trouve dans Dits et écrits (1994).
↑ 13 Après un premier ralliement au PCF, à partir de 1966, une rupture se produit, sous l’impulsion de Mai 68 et avec le « Mouvement de juin 71 ». En réaction à la censure du PCF du volume de M. A. Macciocchi, De la Chine (1971), Tel Quel condamne le PCF, et à partir de 1970, mais déjà à partir de la moitié des années 60, le groupe s’ouvre au maoïsme qui « apparaît comme le seul moyen d’espérer encore ébranler un système dont la solidité, après le choc de 68 semble plus grande que jamais » (FOREST, 1995 : 411).
↑ 14 Les thèses de B. Kouchner dénonçant le nombrilisme du mouvement, ou de G. Lipovetsky dans L’Ère du vide, ou encore d’A. Renaut et L. Ferry dans La Pensée 68, ont contribué à faire de Mai 68 un mouvement précurseur de l’individualisme libéral.