Adrien Goetz (1966)
Quand on parle d’Adrien Goetz il est très difficile de séparer sa carrière d’historien de l’art de celles d’enseignant d’histoire de l’art à la Sorbonne et d’écrivain de romans imprégnés d'histoire de l’art. Sa vie est en effet indissociable de sa passion, nourrie aussi de sa curiosité et de ses vagabondages artistiques qui l’amènent à découvrir des expositions inattendues, des petits musées de province méconnus qu’il présente chaque semaine dans la chronique qu’il tient le lundi pour Le Figaro depuis 2008.
Fig. 1 Sassetta, Il beato Ranieri libera i poveri dalla prigione di Firenze, Polyptique de Borgo San Sepolcro (1437-44), image de la couverture d’Une petite légende dorée d'Adrien Goetz. Image présente dans le site Il Borgo, ovvero Sansepolcro.
Comme il l’explique dans sa réponse au questionnaire, pour Goetz « les frontières entre les arts n’ont jamais vraiment existé » (Voir ♣ Les relations entre art et littérature ). Il écrit des ouvrages qui ont pour toile de fond l’art et les musées.
Grand passionné de peinture du XIXᵉ siècle, notamment d’Ingres et de l’ingrisme, ses textes, conjuguant l’art et la fiction, ont toujours comme sujet une œuvre artistique : la tapisserie de Bayeux dans Intrigue à l'anglaise (Grasset, 2007) ; le Maître de l'Observance et l’école siennoise du XVᵉ siècle dans Une petite légende dorée (Le Passage, 2005)1 ; Claude Monet et son œuvre dans Intrigue à Giverny (Grasset, 2014) ; Ingres et le célèbre tableau homonyme dans La Dormeuse de Naples (Le Passage, 2004) ; le château de Versailles dans Intrigue à Versailles (Grasset, 2009) ; un mystérieux « tableau de Rembrandt que personne n'a jamais vu et qui dormirait quelque part sur une des îles de la lagune »2 dans Intrigue à Venise (Grasset, 2012).
Le mot « intrigue», qui revient fréquemment dans les titres de ses romans, nous révèle une autre grande passion de cet auteur : le polar, ou peut-être vaudrait-il mieux dire le «polart».3 En mélangeant culture, érudition, fiction et fantaisie, Adrien Goetz a créé un univers parallèle habité par son héroïne récurrente, Pénélope Breuil, jeune conservatrice du patrimoine, assistée par son fiancé, le journaliste Wandrille, prénom inspiré par l’abbaye homonyme citée dans une aventure d'Arsène Lupin, La Comtesse de Cagliostro. Le personnage créé par Maurice Leblanc semble avoir sur cet auteur une certaine influence : en effet c’est à lui, « héros des années 10, [...] Oui : des années 2010 ! »4 qu’en 2015 il consacre La nouvelle vie d'Arsène Lupin (Grasset).
En conjuguant alors amour pour l’art, passion pour l’écriture et se servant du moule de la detective story, Adrien Goetz, en Cicérone érudit, promène son lecteur « voyant » à l’intérieur de son univers fait de musées, d’expositions, mais surtout d’une passion artistique qui s’étend de l’antiquité à l’âge contemporain et qui lui permet de montrer et de faire jouir des images grâce aux mots. En écrivant des romans sur l’art Goetz parvient aussi à nous faire pénétrer dans les coulisses des « méthodes d’authentification des tableaux [ou dans] les secrets d’une exposition ». 5
Ce n’est donc pas un hasard si c’est à lui que Gallimard confie en 1994 l’édition du Chef-d’œuvre inconnu et autres nouvelles de Balzac. On pourrait se poser pour Goetz la même question que pour l’auteur de la Comédie humaine : « L’art le passionne. Pourquoi n’écrirait-il pas sur la peinture ? » se demande-t-il dans la Préface (p.8). Pour Balzac, comme pour Goetz « un tableau rec[èle] un roman » (p.21) et il peut être aussi « une description en puissance, le germe de tout un récit » (p.22). Comme Balzac, Goetz « sent » la peinture et par sa langue et sa fine plume il parvient à nous la montrer. Comme pour Le Chef-d’œuvre inconnu et les autres six nouvelles répertoriées dans le volume qu’il a édité, on peut dire de ses ouvrages qu’« un roman sur la peinture peut être aussi un conte fantastique » (p.32).
En « fictionnalis[ant] l’œuvre d’art pour féconder le récit»6 Goetz parvient à mettre en évidence la surprenante puissance évocatrice de l'art. Dans ses textes l’œil de l’historien de l’art, « l’œil balzacien, omniscient et omnipotent » de l’écrivain, voire l’œil de la webcam (Webcam, Le Passage, 2003), se confondent pour mélanger esthétique et aventures fictionnelles, en s’adressant à des lecteurs qui, avant toute chose, savent voir et apprécier les plaisirs et les enchantements de l’art.
Reste à parler d’un ouvrage qui noue un dialogue avec une autre forme artistique : il s’agit du Soliloque de l’empailleur (Gallimard, 2008). Ce texte est le résultat de la rencontre avec la photographe Karen Knorr à Paris dans le cabinet de la licorne du musée de la Chasse et de la Nature. « Ils ont parlé des clubs britanniques et des « connaisseurs », deux séries mythiques de la photographe. Elle lui a donné l'adresse d'un vieux taxidermiste un peu fou, puis elle est partie pour Londres. Le lendemain, dans la salle de la chasse à l'ours, il a commencé cette nouvelle en pensant à elle ».7 En fait, le livre a été composé pour servir de catalogue à une exposition de la photographe allemande : « 12 de ces photographies en couleur, imprimées sur deux pages, alternent régulièrement avec deux pages en regard de texte […] La fiction imaginée par Adrien Goetz est le soliloque d’un vieil empailleur qui fait visiter un château où « M. le comte » a réuni une collection d’animaux empaillés […] L’histoire est plaisante et parfaitement accordée aux photographies montrant des animaux naturalisés disposés par la photographe dans les salles du Musée de la chasse. Mais elle dénature les photographies qui, découvertes au fur et à mesure que l’on lit le texte, paraissent des photographies des mises en scène organisées par le fantaisiste « M. le comte » et non d’installations réalisées par Karen Knorr ».8 Ce qui démontre que « le contexte dans lequel apparaît une photographie influe sur son interprétation et que, quand ce contexte est un texte racontant une histoire, c’est en fonction de celui-ci que l’on voit et comprend l’image. Réciproquement, les images mises en relation avec un texte modifient son interprétation. […] Associer des photographies à un texte – ou l’inverse – c’est comme introduire dans une nature morte dessinée ou peinte des morceaux de papier mural : le résultat est une œuvre originale dont le sens n’est pas l’addition de ceux de ses parties constitutives, mais le produit de leur relation dialectique ».9
Note
↑ 1 Cf. Maxence Mosseron, « La peinture comme épiphanie : fictionnaliser l’œuvre d’art pour féconder le récit. Une petite légende dorée d’Adrien Goetz ou le roman d’apprentissage artistique », Revue critique de fixxion contemporaine, n° 8 (2014), « Fiction et savoirs de l’art » [en ligne] http://www.revue-critique-de-fixxion-francaise-contemporaine.org/rcffc/article/viewFile/fx08.07/838, p. 62-74. Consulté en septembre 2019.
↑ 2 Intrigue à Venise. Adrien Goetz, site de la maison d’édition Grasset. En ligne, URL: http://www.grasset.fr/intrigue-venise-9782246779711. Consulté en septembre 2019.
↑ 3 Thomas Mahler, « Le maître du "polart" », Le Point, 26 avril 2012. En ligne, URL: http://www.lepoint.fr/livres/le-maitre-du-polart-26-04-2012-1457375_37.php. Consulté en septembre 2019.
↑ 4 http://www.grasset.fr/la-nouvelle-vie-darsene-lupin-9782246855712. Consulté en septembre 2019.
↑ 5 Philippine Clogenson, « Adrien Goetz, l’art de divertir », Paris Match, 23 mai 2014. En ligne, URL: http://www.parismatch.com/Culture/Livres/Adrien-Goetz-l-art-de-divertir-565819. Consulté en septembre 2019.
↑ 6 Maxence Mosseron, « La peinture comme épiphanie : fictionnaliser l’œuvre d’art pour féconder le récit….», cit., Revue critique de fixxion française contemporaine, n°8, 2014. En ligne, URL: http://www.revue-critique-de-fixxion-francaise-contemporaine.org/rcffc/article/view/fx08.07. Consulté en septembre 2019.
↑ 7 http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Le-Promeneur/Le-Cabinet-des-lettres/Le-soliloque-de-l-empailleur. Consulté en septembre 2019.
↑ 8 Jean Arrouye, « Un Nouvel art de dire et de montrer », in Livres de mots et de photographies, Danièle Méaux dir., Caen, Minard, « Lire et voir », 2009, p.69.
↑ 9 Ibidem.