Christian Garcin (1959)
« J’ai le goût de l’image depuis longtemps. Je me suis souvent dit que j’aurais voulu être peintre, ou dessinateur » : Christian Garcin explique ainsi son attrait pour les images.1 C’est après des études en histoire de l’art qu’il a commencé à écrire et, dans son œuvre (cinquante-quatre titres publiés jusqu’à 2019), qui s’enrichit de nouveaux titres chaque année, l’importance de l’apport des arts visuels est remarquable. Christian Garcin publie des récits et nouvelles, des romans et poèmes, des carnets de voyage, des textes brefs, des essais : une œuvre vaste où la fiction, l’autofiction et l’autobiographie se côtoient naturellement.
L’art est présent dans ces textes en tant que sujet et qu'objet déclencheur de la recherche de l’écrivain. À partir des Vidas (Gallimard, 1993) apparaissent les portraits des artistes, Jan Van Eyck, Le Caravage, Donatello, aux côtés de ceux d’écrivains et de personnages célèbres de l’Histoire. En 1997, il publie L’Encre et la couleur (Gallimard, « L’un et l’autre ») entièrement consacré aux peintres italiens de la Renaissance, Masaccio, Pisanello et Piero della Francesca et aux peintres chinois (du VIIIᵉ au XIIIᵉ siècle), Ma Yuan, Wu Daozi, Shi Tao. Dans ces textes les récits des épisodes de la vie des artistes sont des prétextes pour questionner le sens de la création et l’élan vers l’inconnu qu’ils démontrent dans leurs œuvres.
L’attrait de Garcin pour le Quattrocento italien est tel qu’en 2004 paraît chez L'Escampette un essai sur la peinture de Piero della Francesca (Piero ou l'Équilibre). Dans ce texte il propose une lecture documentée et personnelle du rôle que joua le peintre dans son époque et de la valeur de ses travaux concernant le principe d’une correspondance entre l’équilibre pictural et l’équilibre du monde, qui sera définitivement ébranlé à la fin du siècle avec la découverte de l’Amérique. « Nul décalage entre l’homme et le réel » (p.33) : Piero est le peintre des perspectives idéales, des hommes et des femmes de son temps, représentés avec la légèreté et la netteté d’un trait qui les humanise sous nos yeux.
Un essai ultérieur sur la peinture est L'Autre Monde (Verdier, 2007), véritable iconotexte écrit à partir d'un tableau assez méconnu de Gustave Courbet, Cerf courant sous bois (1865), reproduit au début du livre. Composé de huit parties indépendantes, ce texte hybride propose des spéculations, des fictions et des souvenirs suscités par la vision du tableau (que l’écrivain n’a jamais vu qu’en reproduction). La course du cerf, saisie par le peintre comme dans un instantané photographique, en suspens sur le fond d’un sous-bois indistinct, laisse ouvert un espace où l’auteur peut donner libre cours à son imagination. Ce qui frappe Garcin est justement sa propre réaction devant l’image : un saisissement s’empare de lui qui l’attire inlassablement vers ce tableau. Cette sensation devient un prétexte pour donner cours à une profonde interrogation sur la capacité qu’ont les images de nous transporter dans des mondes nouveaux et inconnus, et de nous ouvrir des espaces de connaissance, un peu comme le font la littérature de Franz Kafka et de Rainer Maria Rilke et le cinéma de Andrej Arsen'evič Tarkovski.
Fig. 1 Gustave Courbet, Cerf courant sous bois (1865), tableau qui a servi d’inspiration à Christian Garcin pour son récit L'Autre monde.
Image, présente dans le site du Musée Courbet dans le Doubs.
Dans tous les ouvrages évoqués ici, Christian Garcin entrecroise les genres textuels, les mêle dans des ensembles suggestifs et nous convie sur les chemins de sa pensée éveillée par l’art. Et, même dans les textes qui ne s’affichent pas explicitement comme inspirés par l’art, il arrive que nous rencontrions l’évocation d’une sollicitation donnant lieu à une méditation sur la création et sur les pouvoirs de l’art comme réservoir d’images, permettant de voir ailleurs et de construire des histoires. Au début de son Carnet japonais (L’Escampette, 2010) par exemple, plutôt que de nous entretenir sur son voyage au Japon, il s’attarde sur le penchant, qu’il a depuis l’enfance, pour les histoires représentées dans les frises qu’il dessinait et qu’il appréciait aussi dans les bandes dessinées. Devenu adulte, cette passion a perduré et il s’en explique dans une réflexion qui illustre encore une fois les contours de sa relation avec l’art : « Ce principe de narration en mouvement, dans laquelle un même personnage parcourt l'espace du récit qui lui est alloué, se trouvant ainsi plusieurs fois représenté, est également celui que l'on retrouve dans les emakimono japonais et tous les rouleaux de la peinture extrême-orientale. » (p.12) L’art nous raconte des histoires et, encore mieux, nous ouvre des espaces pour en imaginer d’autres, pour tenter de trouver des fins et des débuts que l’écrivain tentera de découvrir par l’écriture et qu’il réussira parfois à évoquer.
Note
↑ 1 Christian Garcin, « Un état de porosité maximale. Entretien », La Femelle du requin, n° 41, hiver 2014, p.40.