n° 30 - La littérature et les arts : paroles d’écrivain.e.s

Benoît Vincent (1976)

Elisa BRICCO


Originaire de la Drôme, Benoît Vincent est écrivain et botaniste. Sur son site personnel, où il rend compte de son activité d’écriture comme dans un carnet virtuel, il se présente ainsi :

Après avoir été (dans le désordre) ouvrier textile, veilleur de nuit, service volontaire européen à Spinaceto, peintre sur tôle, maçon en voirie et réseaux divers (vrd), surveillant de collège, professeur de français (vacataire), manœuvre agricole, animateur d’atelier d’écriture, vendeur en coopérative agricole, chômeur, éducateur à l’environnement, il est aujourd’hui naturaliste indépendant (flore/habitats et gastéropodes).
Il publie d’abord pour le numérique, notamment chez Publie.net, ou sur le site que vous tenez entre vos heu, allant jusqu’à imaginer un “hypertexte” conçu pour le net, GEnove. Son « premier » « roman » imprimé paraît au Nouvel Attila en 2015 : Farigoule Bastard.
Membre du Général Instin [...] il est également responsable avec Parham Shahrjerdi de la modeste revue en ligne Hors-Sol.1

Après avoir entamé un doctorat de recherche en littérature comparée (sur Maurice Blanchot), il suit des formations de naturaliste et pratique cette activité en même temps que celle d’écrivain.
Plusieurs textes et poèmes sont parus d’abord dans des revues, Voix d’encre, Po&sie, Hors sol. Ensuite il a publié chez Publie.net les récits Trame (2008), Pas rien (2011) et Local heros (2016) et Un de ces jours (2018). Farigoule bastard a été sélectionné pour le prix Wepler et a reçu le prix Jean Follain en 2016. En 2015 paraît aussi chez Le Nouvel Attila Climax, récit écrit avec six autres participants au collectif Général Instin. En 2017 paraît chez le même éditeur le volume GEnove. Une sorte de déclaration d'amour pour cette ville sous forme de conteneur à textes: poétiques, documentaires, littéraires, cartographiques, listes, recettes de cuisine, etc.

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Fig. 1 Béziers 2015 © Benoit Vincent

Comme l’explique dans ses réponses au questionnaire, Benoît Vincent est conscient que l’apport d’autres formes de création concourt à la constitution de l’imaginaire de l’écrivain et notamment à la composition de ses ouvrages. Ce sont surtout le cinéma et la musique qui ont nourri son imagination et son travail et il donne des exemples d’artistes assez divers tels que les Pink Floyd et le Kronos Quartet. La musique et le cinéma travaillent en creux son écriture parce que ce sont les formes artistiques les plus immédiatement proches de l’individu contemporain, celles qui sollicitent davantage nos cinq sens et qui parlent à notre inconscient.

Son ouvrage Local heros témoigne d’un intérêt différent pour la musique rock qui devient le sujet de l’œuvre. Dans ce récit le groupe anglais Dire Straits est passé au crible de la réflexion de l'auteur, amateur et pratiquant le rock avec sa guitare, qui médite sur la parabole existentielle de la band, sur les marques de son succès foudroyant et de sa déchéance tout aussi rapide. Le questionnement qui est au centre du récit concerne la différence entre l’immense potentiel créateur démontré par son musicien phare et chef incontesté, Mark Knopfler, et la réalité de l’existence éphémère du groupe. Une sorte de biographie littéraire des Dire Straits se tisse à partir des hypothèses du narrateur qui s’interroge et interroge ses proches afin d’éclaircir la nébuleuse qu’il voit envelopper la brève histoire du groupe rock. Dans un langage ironique et allusif, truffé de citations des chansons traduites en français et intégrées au texte, Benoît Vincent emmène son lecteur à l’intérieur d’une histoire peu connue et cherche à insinuer en lui des doutes sur sa véritable valeur musicale.

En 2018 paraît un nouveau récit écrit sur une autre band historique, Pink Floyd. Dans Un de ces jours — Pink Floyd, une fiction: on y retrouve les mêmes structures narratives et formelles que dans le volume précédent: «un récit de même construit comme une playlist faisant se succéder les pistes audio, et utilisant les titres et paroles des morceaux et chansons comme matériau de fiction»3. Pourtant, ici Vincent consacre son écriture à l'une des band qu'il aime davantage et sa perspective et différente par rapport à celle de l'ouvrage précédent : l'aspect autobiographique prime sur le narratif et on suit les étapes de la connaissance de la musique des Pink Floyd par quelqu'un qui les découvre très tard par rapport à la vie du groupe, mais qui en est néanmoins très influencé.

L’aspect expérimental que nous pouvons déceler dans l’écriture de Local heros, où la réflexion et la fiction s’interpénètrent, donnant lieu à un récit vif, rapide et plein d’humour, est sans doute redevable de l’expérience de co-création de l’immense chantier littéraire du Général Instin. Benoît Vincent a participé dès le début à ce projet multiforme et collectif, qui se concrétise dans une création artistique transdisciplinaire où les auteurs renoncent à leur nom pour incarner celui d’un fantôme, le Général Instin, avatar contemporain et protéiforme d’un personnage désormais oublié, qui par le jeu des imaginaires devient un « ancêtre universel, soldat spectre mais aussi concept fantôme et état d’esprit »2 . Il est indubitable que le fait de côtoyer et de collaborer avec toutes sortes d’artistes - plasticiens, auteurs de graffitis, chanteurs, musiciens, graphistes, écrivains, acteurs, photographes, vidéastes, danseurs - a enrichi l’expérience créatrice de Benoît Vincent. Ses contributions au projet Textopoly, immense plateforme d’écriture collaborative en ligne, et au volume Climax, récit de l’aventure d’un soldat romain qui quitte les siens pour participer à la construction du mur d’Hadrien, témoignent de sa versatilité et de son aisance avec les différents matériaux qui peuvent être utilisés pour construire un texte.

C’est un autre chantier que celui de GEnove consacré à la ville de Gênes, d’abord publié en ligne sur le site le site amboilati.org, puis paru en volume chez Le Nouvel Attila (2017), qui représente au plus haut degré sa capacité de manipuler de nombreux matériaux aux formes différentes pour établir des relations nouvelles et pour raconter le récit de sa découverte très personnelle de la ville. La présentation de ce chantier illustre le caractère intermédial du projet de création qui l’informe : « GE9, pour GEnove, pluriel de GEnova, Genoa, Gênes n'est pas un livre et ne peut en être un. C'est une table, une carte, un pavillon. C'est un texte, un tissu. Un assemblage, neuf trames et neuf chaînes. Un carrefour, neuf cardines, neuf decumani ». Textes et photographies, liens hypertextuels et renvois internes structurent ce volume interactif et démontrent les interconnexions entre les différents médiums qui participent à la composition du livre. La relation entre les arts ne pourrait pas mieux être représentée.


Note

↑ 1https://www.amboilati.org/

↑ 2 Cf. la description du projet sur le site remue.net: http://remue.net/spip.php?article2035. Consulté en septembre 2019.

↑ 3 Emmanuelle Caminade, «"Un de ces jours (Pink Floyd, une fiction)" de Benoît Vincent», 3.12.2018, En ligne, http://l-or-des-livres-blog-de-critique-litteraire.over-blog.com/2018/12/un-de-ces-jours-pink-floyd-une-fiction-de-benoit-vincent.html. Consulté en septembre 2019.

 

Dipartimento di Lingue e Culture Moderne - Università di Genova
Open Access Journal - ISSN 1824-7482