♣ Les relations entre art et littérature
Indice
Deux grandes interrogations concernant les relations entre l'art et la littérature sont placées au début du questionnaire qui a été proposé aux contributeurs. Nous avons commencé avec une question très générale sur les rapports interartistiques pour continuer avec une autre, plus spécifique qui touche la sphère personnelle. Les participant.e.s ont tou.te.s répondu et elles/ils ont cherché à expliquer les enjeux qui sont à l'origine de leur relation avec les autres formes artistiques et les autres artistes.
D’un point de vue général, on constate qu’elles/ils partagent le même sentiment que les formes artistiques ont toujours plus ou moins été en contact et qu’il est naturel qu’un.e artiste s’intéresse à la création d’autrui et y puise des matériaux (Garat, Vincent). Elles/Ils sont conscients aussi qu'aujourd’hui les possibilités de connaissance et de diffusion de la culture se sont tellement élargies que les artistes en peuvent bien profiter (Josse, Wajsbrot). Néanmoins, la perception de la présence de frontières entre les arts diffère sensiblement entre la conviction qu'elles existent parce que les arts sont différents d'un point de vue technique et qu’il est naturel de parler de spécificités (Clerc, Raczymow) ou parce que le manque de courants artistiques forts impliquerait un repli sur soi des différents champs (Mréjen). Et l'idée qu'ils est désormais inutile de parler encore de frontières (Goetz), qu'il s'agit plutôt de notions disciplinaires et de constructions intellectuelles et que les arts ont toujours communiqué (Garat). En fait, on relève que la fréquentation des autres artistes est tellement naturelle que même si les frontières existent, cela n'empêche aucunement la communication (Caligaris, Garcin, Pireyre) et l’établissement de relations de travail inédites (Game).
L'apport des relations interartistiques est évident: les écrivain.e.s évoquent la richesse des contaminations que l'on peut établir (Amerio), la possibilité d'explorer les limites de la littérature engendrée par la friction avec les autres arts (Caligaris) et la (ré)invention qui devient un atout lorsqu'on dépasse la frontière (Game). La majorité des auteur.e.s admet que l’on assiste ces dernières années à une ouverture des potentialités de la création, à une circulation de plus en plus fréquente des créateur.e.s et des projets (Pireyre, Riboulet, Rosenthal). Cela leurs permet naturellement de puiser à d’autres formes d’art et de se laisser inspirer par d'autres techniques et d'autres pratiques, de déplacer ainsi les frontières entre les arts (Rosenthal) et de faire apparaître un troisième univers en tant que synthèse des deux qui entrent en contact (Frédérick).
D’un point de vue plus individuel, les auteur.e.s se prononcent sur les spécificités des collaborations qui peuvent être établies entre les artistes et les écrivain.e.s. Ces relations peuvent pousser à la création d’œuvres intermédiales inédites, ou imprimer un sceau indélébile sur les œuvres littéraires. Toutes les réponses contiennent des noms et des œuvres qui ont directement influencé la création des écrivains et démontrent l'énorme ouverture possible dans tous les sens chronologiques, artistiques et génériques. Comme le constate Pierre Senges, le développement contemporain des pratiques des lectures publiques, des performances, des créations diverses et multimédia poussent naturellement les écrivain.e.s à se confronter avec de nouveaux publics et à collaborer avec d’autres artistes. Toutes les formes d’art sont impliquées dans ces nouvelles pratiques de diffusion du texte à l’extérieur, vers des publics et dans des lieux divers. On relève aussi dans les réponses la mention de phénomènes et de pratiques interartistiques rendus possibles par la mise en place institutionnelle de résidences d’artistes, de projets fondés sur la collaboration créative entre différents univers artistiques (Pireyre, Rosenthal), comme par exemple le festival Concordan(s)e (cité par Riboulet) projets collectifs qui enrichissent le panorama culturel contemporain.
QUESTIONS
♣ On constate aujourd'hui que de nombreux artistes sont influencés par d'autres formes de créations artistiques. Pensez-vous que dans le monde de la création contemporaine les frontières entre les arts ont disparu ? Si tel est le cas, quelles en sont les causes à votre avis ?
♣♣ Avez-vous eu l'occasion de travailler avec d'autres artistes ou avez-vous été influencé par d'autres artistes ou d'autres formes artistiques contemporaines ou passées ?
REPONSES
Sandy Amerio
♣ Il est indéniable qu’une certaine porosité entre les arts est perceptible dans les formes que prennent les créations artistiques contemporaines. Pour autant je ne pense pas que les frontières entre les arts aient disparu ni même que cela soit souhaitable. Je parlerais davantage de contaminations dans lesquelles les traces des arts peuvent toujours se déceler. Nous sommes en présence d’agrégats. Ces formes sont à la fois soutenues et valorisées par l'école puis par les institutions culturelles ce qui constitue au moins une cause de leur expansion. Même si ces formes spécifiques peuvent permettre de dialectiser les complexités du monde contemporain, elles ne sont pas affranchies de facto d’un certain conformisme voire académisme. L’art contemporain — et l’idéologie qui lesous-tend — peut à bien des égards se montrer réactionnaire et bien-pensant quand bien même ses atours afficheraient une certaine modernité de forme.
♣♣J’ai eu l’occasion de collaborer avec l’écrivain Patrick Bouvet1 pour l’élaboration d’une performance intitulée Wandering Souls.2 Nous avons travaillé sur des préoccupations communes, à la fois politiques et cinéphiles, en utilisant des digressions poétiques rythmées par des intermèdes sonores et vidéographiques. Le résultat était un véritable "trip" qui allait de la fin de la Seconde Guerre mondiale à la guerre du Vietnam en passant par les films d'horreur des années 70 jusqu'au début du XXIᵉ siècle (11 septembre, Irak…). L’expérience a été très intéressante et a beaucoup apporté à nos textes notamment au niveau de leur scansion. Cela m’a ramenée à mes premières amours, à la poésie sonore notamment.
J’ai aussi collaboré avec le musicien et directeur du Groupe de Recherche et d’Improvisation Musicale Jean-Marc Montéra,3 ils ont mis en musique mes textes que je chantais sur scène. Cela m’a permis de travailler l’écriture de façon différente, d’être plus proche d’une forme poétique. De travailler avec des rimes. De tenter de trouver des formules simples et percutantes. Et j’ai vraiment adoré cette expérience.
Mais il me semble être assez peu influencée par d’autres artistes ou formes artistiques contemporaines. Depuis plusieurs années, mon inspiration vient davantage du cinéma grand public et des séries télévisées. Ces formes dialoguent avec ma réalité beaucoup plus que ne le fait l’art. En étant un peu provocatrice, je dirais que j’en apprends plus sur le monde qui m’entoure en regardant la série américaine Homeland4 qu’en allant voir une exposition d’art contemporain dans laquelle je regrette de plus en plus les effets faciles — ce que j’appelle les fausses bonnes idées qui sont en général des exacerbations esthétiques déceptives de phénomènes sociétaux. Mon mouvement est inverse. Je préfère le travelling circulaire au zoom. Je ne me concentre jamais sur les symptômes mais plutôt sur les liens, les soubassements qui ont fait que ce symptôme puisse émerger.
Cependant certains artistes m’intéressent et même me fascinent. Je citerais le regretté Mark Lombardi5 dont les dessins et les Narrative Structures sont pour moi une source d’émerveillement et de perpétuel questionnement. Quelque chose dans son travail résiste à l’analyse, transcende la réalité. C’est ce que je recherche dans une œuvre d’art et dans le parcours d’un artiste. Je partage avec Lombardi cette préoccupation de vouloir comprendre le monde. Cela a quelque chose d’obsessionnel : il s’agit d’une quête existentielle, en dehors de laquelle il n’existe aucun salut.
Nicole Caligaris
♣ Les frontières ? Est-ce qu’elles signifient la séparation des différents moyens d'expression ?
Le signe de leur disparition, ce serait une œuvre qu’on percevrait à la fois comme de la littérature et de la musique, de la littérature et de la peinture ou du cinéma ou de la sculpture, etc. Savons-nous lire à la façon d'une écoute musicale ? Voyons-nous la danse, dans un texte, l'écriture dans la danse ?
Quant à l'investissement de plusieurs moyens d'expression par un même artiste, je ne vois que les grands marionnettistes comme Tadeusz Kantor qui aient un tel talent.
♣♣ Je n'ai pas exactement travaillé « avec » mais presque tous mes livres ont été écrits à partir d'œuvres d'autres artistes, indispensable exploration de la limite de la littérature, constamment renouvelée : dessins et gravures de Denis Pouppeville6 (La Scie patriotique, Dans la nuit de samedi à dimanche), d'Albert Lemant7 (Okosténie), photogrammes de Philippe Bertin8 (Désir voilé/La Dernière Chambre), œuvres de Christian Boltanski, Sophie Calle, Anna et Bernhard Blume, Orlan,9 artistes qui se sont emparés de l'écriture (Barnum des ombres), Hubert Duprat (Le Jour est entré dans la nuit). Par un mécanisme que je ne cherche pas à expliquer, l'œuvre de l'autre est libératrice, elle soulage du pourquoi.
Fig. 1 Illustration de Denis Pouppevile in La Scie Patriotique, Le Nouvel Attila, p. 96. Image fournie par Benoît Virot.
♣♣ Pour ce qui concerne les influences, disons que je prends des leçons du free jazz, de John Coltrane, Albert Ayler, Pharoah Sanders, David S Ware, par exemplede la musique improvisée, par exemple de Derek Bailey, Evan Parker, Sophie Agnel, Daunik Lazro ; mais il est difficile de citer tel ou tel nom en particulier, chez eux ce sont l'improvisation, le risque et l'invention qui me donnent le cap. Parfois, je pense aux peintres, Klee, Kandinsky, Rothko, et à leurs écrits, pour le rappel des exigences, de la puissance des formes qu’on y repère, mais aussi d'Ensor, de Kubin, de Music. Le cinéma aussi est une source, par exemple les films Vanishing Point de Robert Sarafian (1971), Pusher de Nicholas Winding Refn (1996-2005), Turkish Delight de Paul Verhoeven (1973), trois magnifiques vanités, transposées dans le moyen cinématographique.
Je pratique la danse depuis trente ans, le Butô depuis une dizaine d'années, et cette recherche personnelle et corporelle est déterminante pour mon écriture.
Thomas Clerc
♣ On ne peut que se réjouir de ce qu’on appelait naguère l’interdisciplinarité. Elle est le régime normal désormais de la création contemporaine : les artistes par exemple se réfèrent beaucoup à la littérature, les écrivains à l’art contemporain ou au cinéma. Mais les domaines restent tout de même assez étanches, je le constate, entre les différents arts. En réalité, il faut distinguer entre les créateurs « contemporains » qui savent qu’il existe une nécessaire interpénétration entre les différents arts et ceux qui restent arc-boutés sur leur propre domaine. La pureté des frontières est généralement dommageable à la création contemporaine ; j’insisterai cependant sur l’idée que les frontières sont aussi temporelles : la lecture des œuvres du passé est essentielle. La médiocrité du cinéma français actuel, ainsi, est liée à l’inculture littéraire des cinéastes et à leur méconnaissance du cinéma ancien — comparée à la Nouvelle Vague, par exemple.
♣♣ Je travaille régulièrement avec des artistes. L’art contemporain m’influence beaucoup. Le cinéma (plutôt classique-moderne) également, le rock aussi.
Hélène Frédérick
♣♣ Mes tous premiers projets d’écriture ont été des travaux de collaboration. Cela s’est fait tout naturellement. Avant de songer à publier, je souhaitais que l’écriture soit très liée à l’oralité, qu’elle soit une façon de dialoguer avec d’autres arts et d’autres créateurs. L’écriture est née de cette stimulation, de cette possibilité d’échange. Que deux univers de création, mis en contact, permettent l’apparition d’un troisième univers, peut-être plus vaste, a toujours suscité ma fascination. Après avoir participé à une prestation de poésie, qui mêlait projections vidéo, improvisation musicale et textes, dans un centre d’art à Québec, spectacle d’une série intitulée Formes, j’ai reçu des propositions de collaboration de musiciens, d’un jeune cinéaste et d’un professeur de l’École de danse de Québec. Par exemple, le chorégraphe Nicolas Filion souhaitait étudier le rapport entre le texte, la parole et le corps, mon travail étant de son point de vue, par son approche d’une certaine sensualité ou du physique, lié à ses interrogations. Les danseurs ont ainsi travaillé à partir d’un matériau poétique et étudié de quelle façon les mots pouvaient faire naître des mouvements, des figures dansées. En retour, j’ai voulu utiliser leurs mouvements pour construire du texte. Avant d’envisager le roman, j’ai d’abord écrit quelques pièces radiophoniques. En y regardant de plus près, il s’agissait là encore d’aborder l’écriture par une forme d’oralité. Puis mon premier roman, La poupée de Kokoshka (2010), est allé puiser dans l’œuvre d’Oskar Kokoschka pour produire une écriture en prose poétique.
Jérôme Game
♣ La question n’est pour moi pas tant celle de la disparition des frontières que des relations qui peuvent se créer entre pratiques, pour relancer, préciser, outiller un chantier de création. Or pour qu’il y ait des relations de captation, d’usages ou de reformulation entre grammaires disciplinaires, il faut qu’il y ait des différences entre elles. C’est donc plutôt la question de l’hétérogénéité —des modalités, des outils— qui me paraît utile. Les frontières vues comme ça, comme signes ou lieux de différences, peuvent permettre des avancées sous forme de rapports inédits : ce qui est intéressant avec une frontière c’est de travailler à ce que la passer veut dire, à l’envie qu’on peut en avoir, et à ce que ça fait au passeur. Passer une frontière, pour moi, c’est (ré-)inventer là où on se trouve.
Fig. 2 Capture d’écran du vidéopoème « Ceci n’est pas une légende ipe pe ce » http://www.jeromegame.com/cecinestpas/ ©DVD de vidéopoèmes, Incidence, Marseille, 2007
C’est un peu paradoxal : on ne devient pas autre chose, on continue à faire ce qu’on faisait déjà mais autrement, par d’autres moyens, comme d’un autre angle. Le problème n’est donc pas tant les frontières en tant que telles, mais, plutôt qu’aux frontières, il se trouve parfois des douaniers plus ou moins désœuvrés qui n’ont pas grand-chose d’autre à faire que de vous demander vos papiers disciplinaires pour vous dire que ce ne sont pas les bons, ou au contraire, vous reprocher d’en avoir, selon l’idéologie du moment, le purisme ou la pan-disciplinarité.
Autrement dit, oui, la notion de discipline peut amener à édicter des définitions identitaires, restrictives, risquant de geler ou d’idéaliser un geste ou une pratique. Et pourtant, le travail de l’art requiert également une certaine consistance de ses cadres, imparfaite, poreuse, relative dans le temps et l’espace, mais réelle.
En elles-mêmes, les notions de passage (de frontières) et de frontières (à traverser) peuvent donc se révéler utiles car riches d’occasions concrètes d’invention sur des terrains en mouvement.
♣♣ Après mes premiers livres, j’ai d’abord eu l’occasion de travailler avec des artistes visuels (Naby Avcioglu et Valérie Kempeeners) pour des installations, des vidéopoèmes et des affiches. Plus récemment, j’ai également collaboré avec des artistes ayant en partage la scène : des musiciens (Olivier Lamarche, Jean-Michel Espitallier), des chorégraphes (David Wampach) et des metteurs en scène (Cyril Teste). Ces deux types de collaboration se sont développées lors de performances et sous forme d’œuvres hybrides (affiches, livres-CD, DVD, installations). Quant aux influences, elles sont nombreuses, de Jeff Walls ou Jia Zhang-Ke à Doug Aitken ou Hu Fang, pour ne citer que des œuvres très récentes.
Anne-Marie Garat
♣ Je ne vois pas que l’influence réciproque des formes d’expression artistiques soit un phénomène nouveau, qu’elle soit une découverte de l’art contemporain. De tout temps et en toute culture, les artistes ont migré d’un langage à l’autre, il se sont contaminé les uns les autres dans leur impureté féconde, les ont explorés sans frontières. Ce qui est déterminant, c’est l’outil, l’instrumentalité technique, artisanale et scientifique, dont dispose l’artiste, desquels il s’empare, qu’il subvertit et questionne selon les finalités critiques de sa création et qui, à leur tour, transforment la nature des œuvres, leur perception, leur réception. La séparation disciplinaire concerne l’historien et le pédagogue, c’est une construction intellectuelle qui a elle-même son histoire, mais l’artiste ne se laisse pas dicter ces limites, il les ignore ou s’en joue, au défi de la théorie, avec des moyens de fortune.
♣♣ Quant à travailler avec, ou être influencée par tel ou tel artiste, vivant ou mort, comment en serait-il autrement ? Écrire est-il possible sans fréquenter assidûment les créations du passé et du présent dans toute leur diversité ? Ce n’est même pas un choix, c’est un besoin impératif, une jouissance, une inquiétude permanentes, une condition absolue que ce dialogue secret, accidentel ou recherché, avec les œuvres et leurs auteurs. J’ai un rapport personnel avec certains artistes – plasticiens, photographes, écrivains évidemment – mais c’est davantage avec leur œuvre que j’ai à faire, avec ce qu’elles me donnent de nouvelles d’eux.
Christian Garcin
♣♣ Les seules expériences que j’ai de collaboration avec d’autres artistes sont des textes de catalogues d’exposition (des peintres ou dessinateurs Serge Plagnol, Philippe Favier, Gisèle Bonin ou Henry Le Chénier par exemple), qui sont soit des monographies, soit pour le cas de Gisèle Bonin une nouvelle à partir de laquelle l’artiste a réalisé quelques dessins. Tout récemment c’est l’inverse qui s’est produit : quelques artistes ont réalisé leurs œuvres à partir d’une de mes nouvelles, « Octave Auguste » (in Vidas, Gallimard, 1993), le tout formant un « livre d’artiste » publié aux éditions d’art A-Over (il s’agit de Jean-Gilles Badaire, Patricia Cartereau, Jacques Decaen, Laetitia Laguzet et Nicolas Pégon).
Je parle là d’artistes d’autres disciplines que la littérature, car pour le reste, il m’est arrivé à deux reprises au moins de collaborer avec d’autres écrivains sur un projet commun : avec Pierre Autin-Grenier pour un petit livre, sous-titré fantaisie, et intitulé Quand j’étais écrivain (Éditions Finitude, 2011). Avec Éric Faye j’ai publié un livre écrit à deux mains, dans lequel nous avons fondu nos voix en une seule, intitulé En descendant les fleuves - Carnets de l’Extrême-Orient russe (Éditions Stock, 2011). Un deuxième volume est en préparation, Du Tibet au Yunnan – Sur les traces d’Alexandra David-Neel. Une autre forme de collaboration a vu le jour à propos d’un livre de photos, Le Minimum visible (Éditions Le bec en l'air, 2011) : j’étais le photographe, et les textes sont de quatre écrivains (Stéphane Audeguy, Arno Bertina, Eric Faye, Gilles Ortlieb) et d’un photographe (Thierry Girard). Enfin un ensemble intitulé Mini-fictions, consistant en de courts textes illustrés de photos de Patrick Devresse, a été publié chaque semaine (59 sorties, du 9/4/2015 au 23/5/2016) sur le site «remue.net » et fera bientôt l’objet d’un livre aux éditions Le Bec en l’air.
Fig. 3 Photographie de la minifiction « Abysses », présente sur le site remue.net © Patrick Devresse
Je ne saurais dire s’il y a des formes artistiques qui m’influencent vraiment, mais il y en a qui m’intéressent particulièrement : ce sont celles liées à l’image, à savoir le dessin, la peinture, et la photographie. Enfant je dessinais beaucoup, et j’ai eu un appareil photos très jeune. Les (maigres) études d’histoire de l’art que j’ai effectuées m’ont considérablement ouvert l’œil et l’esprit, et je peux avancer que je n’aurais probablement jamais écrit si je n’avais pas fréquenté les musées, les œuvres et les historiens d’art. Je crois d’ailleurs que j’aurais aimé être peintre. Plus tard, la peinture chinoise m’a aussi beaucoup apporté ‒ comme pour la peinture occidentale, à la fois par l’approche sensible des œuvres, et par la lecture des traités théoriques. La perspective à l’œuvre dans les peintures chinoises classiques, par exemple, induit un déplacement du regard par rapport à nos habitudes occidentales, et tout déplacement, tout pas de côté, toute nouvelle perspective sont bons à prendre lorsqu’on se mêle de vouloir restituer, même minusculement, le monde. Et puis il y a le cinéma, bien entendu. Les films de Tarkovski, Cassavetes ou Bergman m’ont sans doute marqué davantage que bien des œuvres littéraires. Et depuis quelques années j’ai, comme beaucoup de monde, découvert certaines séries télévisées, dont la mécanique de la fiction m’est apparue, lorsque je les ai vues, extrêmement stimulante, ou dont le projet d’ensemble, quasi-littéraire dans son appréhension globale, me semblait enthousiasmant (les séries de David Simon The wire et Treme par exemple).
Max Genève
♣ Les frontières n'ont pas disparu, elles ont été déplacées pour ne pas dire brouillées, le concept même de frontière apparaît aujourd'hui plus problématique qu'opératoire, comme disait l'un de mes bons amis disparu en 2004 (Jacques Derrida). Cela dit, pour ne pas tout mélanger, rappelons que si la littérature est création, elle n'est pas une pratique artistique stricto sensu (ou alors, par métaphore).
♣♣ J'ai travaillé pour des peintres (en leur rédigeant des textes de présentation pour des expositions), mais je n’ai jamais vraiment collaboré avec eux. Le mode de relation est l'échange, le troc : une préface contre une toile. Ainsi à Strasbourg j'ai intitulé mon texte pour le peintre Maurice Jully « Contre une toile ».10 Chose amusante, le conservateur du Musée d'art moderne ayant lu ce texte a proposé d'acheter la toile en question, ce qui flattait le peintre et moi aussi, je lui ai ainsi proposé de partager les gains, mais il m'a offert une autre toile.
Adrien Goetz
♣ Je crois que les frontières entre les arts n’ont jamais vraiment existé. À l’époque romantique, qui me tient particulièrement à cœur, en France par exemple, les musiciens, les peintres, les sculpteurs, les poètes se rencontrent, se connaissent, œuvrent ensemble. Je pourrais citer bien d’autres époques dans l’histoire des arts. Si ce phénomène s’observe à nouveau aujourd’hui, cela n’a rien de surprenant. Mais je n’en suis pas si sûr : quels romanciers d’aujourd’hui écoutent véritablement de la musique contemporaine ? Ils le prétendent volontiers, mais le font-ils ? Quels sont les plasticiens qui s’intéressent aux romans qui paraissent ? Je me demande, quand je fais un rapide bilan de mon expérience et de ce que j’observe, si notre époque n’est pas, du point de vue de ce que les Romantiques nommaient « la correspondance des arts », une des pires ! En revanche, les lecteurs d’aujourd’hui ont vu beaucoup d’œuvres d’art, ils vivent dans un monde d’images, et cela m’intéresse.
Gaëlle Josse
♣ Difficile de répondre de façon générale ! Je constate simplement qu’il existe, assurément, et de plus en plus, une porosité des arts entre eux, concrétisée par des échanges, des croisements, des dialogues, par des réalisations, des installations entre plasticiens, vidéastes, photographes, musiciens.
La place des écrivains dans ces dispositifs me semble pourtant encore à part, peut-être parce que la place de l’écriture et de la lecture, de l’univers des mots reste à inventer dans ces démarches. Peut-être parce que l’univers du langage s’adresse à d’autres espaces de perception en chacun de nous, nous ne mobilisons pas les mêmes zones émotives, cérébrales avec la lecture ou l’écriture. Et la musique, par exemple, se donne dans un temps volatil, éphémère, immédiat, ce qui est le contraire de l’écriture.
En revanche, si on parle de l’influence intime, inconsciente, au secret de notre atelier intérieur, que peuvent avoir les diverses formes de création artistique sur l’écriture, les choses me paraissent plus évidentes. Quant aux causes, ou aux raisons de ces passerelles aujourd’hui multipliées, je me contenterai d’hypothèses : la curiosité tout d’abord pour d’autres univers, la facilité d’accès à la connaissance de ce qui se fait, par Internet notamment, une commune envie d’écrire le monde, de dire le monde de façon plurielle, qui fait du « passant » à la fois un lecteur, un auditeur, un spectateur, un contemplateur, parfois aussi un acteur.
♣♣ J’ai eu l’occasion de travailler à plusieurs reprises avec des musiciens, pour des lectures musicales autour de mes différents livres. Une alternance de passages lus et de morceaux de musique interprétés ou improvisés par un pianiste, un violoniste, un violoncelliste ou un claveciniste, en résonance, en dialogue égal avec le texte. Ce furent à chaque fois de très belles expériences, de belles rencontres artistiques et humaines, très bien reçues par le public. La juxtaposition d’un univers sonore, musical et de la parole m’a passionnée, il m’a semblé que la musique démultipliait le texte, élargissait sa capacité émotionnelle, dilatait tout ce qui est contenu dans les mots.
On est là dans un registre purement auditif, entre la musique des mots, leur force évocatrice, la voix, et la proposition musicale. Il n’y a plus le filtre de la lecture, ni celui du regard. On peut voyager là les yeux fermés et se laisser porter par l’histoire, la laisser entrer en nous et nous parler de façon intime, personnelle. C’est une autre approche d’un texte, que je trouve particulièrement riche, qui complète la rencontre intime, solitaire, silencieuse, indispensable avec un livre.
Valérie Mréjen
♣ Les frontières disparaissent-elles vraiment ? Je ne le crois pas. Mais il me semble que depuis des siècles les écrivains ou les philosophes ont écrit sur la peinture et que les arts ont toujours regardé les uns vers les autres.
Aujourd’hui, au contraire, les milieux se replient sur eux-mêmes puisqu’il n’y a plus de courants, comme il y en a eu notamment au début du 20e siècle.
♣♣ L’absence d’influences est-elle un idéal ? Aurait-on l’impression d’être plus fort, plus digne d’admiration ou d’intérêt, si l’on prétendait n’avoir été influencé par personne ? Ce serait ridicule et faux. Je note que cette question reste posée malgré tout, comme si elle n’allait pas de soi. Pourtant elle va de soi. En ce qui me concerne, la liste est longue…
J’ai collaboré avec beaucoup d’autres artistes. En ce moment je travaille avec un ami danseur, Yaïr Barelli.
Emmanuelle Pireyre
♣ Face à la forte spécialisation du savoir universitaire, les arts ont un rapport au monde certainement plus détendu ; les frontières entre formes, aussi bien qu'entre sujets de recherches, y sont plus malléables, tant l’exercice de la liberté, rigoureuse, approximative ou jubilatoire, est la condition première pour que l’œuvre existe.
Les métissages de formes artistiques ont toujours existé, et de façon peut-être plus prégnante à l’époque moderne, en tant qu’elle a recherché la subversion des formes. Ceci dit, dans les dernières années, la problématique est devenue différente dans la mesure où les discours artistiques sont mêlés de manière nouvelle aux formes sociales, à la prolifération de textes, d’images, de sons, d’objets. La littérature ne se réfère plus prioritairement au discours littéraire, aux formes littéraires pré-existantes pour les travailler, les transformer, y trouver du nouveau, comme c'était le cas à l’époque moderne ou même post-moderne, comme par exemple avec le nouveau roman qui travaille à entraver la forme romanesque. Le discours littéraire d'aujourd'hui est à appréhender comme une forme de discours s’ajoutant, s’opposant ou s’alliant à la profusion de langages dans la sphère sociale ou dans les média. Ceci pour dire qu'il en est de même avec la relation aux images, au son, à la musique : sur Internet le texte est mêlé à des images, des vidéos, du son, tout ceci codé de manière identique avec des 0 et des 1 ; de la même manière il devient naturel que dans l’écriture littéraire, le texte, qui plus est rédigé sur un ordinateur, ait tendance à se mêler à des images et du son. Ainsi, la transdisciplinarité ne découle pas vraiment d'un nouveau rapport entre les arts ; elle reflète aussi et surtout la nouvelle donne des rapports entre médiums au sein du monde social, dans nos usages quotidiens.
Fig. 4 Performance d’Emmanuelle Pireyre et Gilles Weinzaepflen, image fournie par Emmanuelle Pireyre.
♣♣ Je travaille volontiers et souvent avec d’autres artistes, en particulier avec le poète et musicien Gilles Weinzaepflen qui fluidifie mes lectures publiques d'interventions sonores, musicales ou chantées. Je vis par ailleurs avec l’artiste Olivier Bosson, et depuis vingt ans, nos conversations ont cherché à établir des parallèles de méthodes entre sa création d’images ou de films et ma création littéraire. Nous avons ainsi en quelque sorte fabriqué un espace commun, une « hutte de création » qui s'est établie dans le domaine de la performance scénique, performance conférence où le texte est truffé, pour les besoins de la démonstration aussi bien que pour le plaisir, de courts films, d’images, de sons et de chansons. Cette hutte est proche des huttes d’autre artistes comme les performeurs Benjamin Seror, Louise Maillet et Chloé Hervé, ou Éric Duyckaerts, l’auteur Jean-Charles Massera, les poètes Christophe Tarkos ou Charles Pennequin.
Henri Raczymow
♣ Au risque de vous décevoir, il ne me semble pas qu’aujourd’hui plus qu’hier les écrivains soient influencés par d’autres arts. Ils le sont probablement, mais l’ont toujours été. D’ailleurs la vie aussi les influence, autant que l’art ! Et le monde comme il va, et les nouvelles des actualités, et des paroles surprises dans l’autobus ou le métro ou dans un café ou en famille, ou bien encore une conversation dont on se souvient et qu’on eut jadis avec des camarades d’école ou en colonie de vacances. Ou une phrase lue dans un livre. Ou un amour qu’on a vécu. Ou un rêve qu’on vient de faire. Ou un souvenir qui nous revient. Bref, tout peut être une « épiphanie ». Le réel autant que l’art. Ce qui m’importe, c’est l’émotion. Elle peut surgir à tout moment, à tout propos : par l’art ou par la vie. Je ne fais pas de hiérarchie à cet égard. C’est le résultat qui compte : ce que tel détail provoque chez moi dans l’ordre de l’émotion. Qui est aussitôt traduite en mots, en phrases, et que je m’empresse de noter sur un morceau de papier.
Par ailleurs, le premier art qui « influence » l’écrivain, c’est me semble-t-il, la littérature. Cela paraît une évidence, un truisme, mais c’est quand même une vérité. Si j’ai voulu un jour devenir écrivain, c’est parce que d’abord j’ai admiré des écrivains. Par exemple, pour ce qui me concerne, Gide, Sartre, Rousseau, et plus tard Flaubert et Proust. Quand j’étais adolescent, je fréquentais les musées d’art moderne. J’adorais la peinture surréaliste. Aujourd’hui plus du tout. J’aimais et j’aime toujours la peinture impressionniste. J’adore et j’ai adoré certains films : par exemple Quand passent les cigognes,11 un film soviétique avec la belle Taniana Samoïlova dont j’ai toujours été amoureux, et dont je parle dans Reliques.12 Ou bien la « novella » de Maupassant « Une partie de campagne », magnifiquement adaptée à l’écran par Jean Renoir et son Déjeuner sur l’herbe (1959), avec la sublime Sylvia Bataille. Voilà ce que j’aime, voilà ce qui m’émeut. Mais vous dire l’impact précis, direct, que cela produit sur mon travail littéraire, j’avoue que cette alchimie m’échappe.
Mathieu Riboulet
♣ Je ne sais pas très bien si ces frontières se maintiennent ou disparaissent, je n’en ai pas une nette conscience car de mon point de vue elles sont absurdes et je n’y fais pas naturellement attention ; mais je suis obligé de constater, à l’occasion de rencontres avec des artistes venus d’autres disciplines, que la littérature est sans doute une des formes de création les plus ouvertes aux autres, avec la danse, en tout cas en France aujourd’hui, pour me limiter à ce que je connais (il est toujours délicat de faire des généralités). Évidemment ces frontières sont des projections, parfois des artistes eux-mêmes, et plus encore bien sûr de tout le milieu qui entoure la création, médias, intermédiaires divers… Les tenir pour quantité négligeable est donc un jeu d’enfant, le fruit d’une simple décision.
♣♣ J’ai eu l’occasion de travailler avec un chorégraphe (Sylvain Prunenec, dans le cadre du festival Concordan(s)e qui associe un chorégraphe et un écrivain pour produire une pièce d’une trentaine de minutes associant les deux artistes), une expérience très stimulante dans la mesure où elle permet de faire quelques pas sur le territoire créatif de l’autre, mystérieux et opaque par essence, dont toute approche ne peut qu’aider à éclairer la matière ; et de laisser l’autre faire quelques pas sur son propre territoire, ce qui inévitablement l’enrichit d’une autre perspective.
Pour le reste, et en lien avec ce que je viens d’écrire, je suis bien sûr influencé par d’autres formes artistiques, principalement le cinéma et la danse, la peinture aussi d’une certaine façon, le théâtre, la chanson… qui sont autant de nourritures qui aident à penser, à avancer.
Olivia Rosenthal
♣ Les frontières entre les arts n'ont pas disparu. On peut même dire que, de plus en plus, se met en place un art officiel dans lequel les catégories se figent (je pense en particulier au théâtre, au cinéma et à la littérature qui sont les domaines que je connais le mieux). Du coup, les artistes réagissent en inventant de nouvelles manières d'envisager les genres et en déplaçant les frontières entre les arts. Ils éprouvent la nécessité de lutter contre la fixation des genres et des formes et contre la constitution parfois mortifère de canons et de modèles incontournables.
♣♣ J'ai souvent travaillé avec d'autres artistes, que ce soit des chorégraphes, des cinéastes, des musiciens ou des metteurs en scène de théâtre. Je ne pense pas ces collaborations comme des influences mais plutôt comme des mises en jeu, des rencontres, des dialogues et des confrontations. Chaque artiste, dans la rencontre avec un autre artiste, doit pouvoir rester absolument lui-même, il n'abandonne rien de son univers : simplement par frottement avec l'univers de l'autre, il produit des événements qu'il n'aurait pas pu produire tout seul puisque ces événements sont justement le résultat de la confrontation, du jeu et de l'échange. C'est le sentiment que j'ai éprouvé en travaillant par exemple avec Eryck Abecassis (musicien), avec Chloé Moglia (trapéziste et spécialiste des disciplines aériennes), avec Carlotta Sagna (chorégraphe), avec Laurent Larivière (cinéaste) ou avec le collectif lldi Eldi (collectif qui met en scène et joue au théâtre).
Pierre Senges
♣ Les distinctions et les catégories sont toujours utiles, toujours négligeables, toujours flottantes, toujours effacées, redessinées ailleurs, toujours critiquables et respectables à la fois. Si on en croit Charles-Albert Cingria par exemple, un artiste désigné poète au XIIIᵉ siècle serait sans doute considéré comme un musicien aujourd’hui ; et la littérature a mis quelques années à se recueillir telle quelle dans des livres-codex, alors qu’elle se lisait en public et s’interprétait sur scène. La littérature tente probablement depuis quelques années un retour à l’oralité, pour le meilleur et pour le pire, pour de bonnes et de mauvaises raisons : après la lecture en public, la mise en scène, il y a eu la proposition théâtrale, assez peu regardante quant au répertoire et la forme (sa générosité est tout à son honneur) ; puis la performance dont le nom promet sans doute plus que ce que l’auteur ne peut toujours donner.
♣♣ Pour faire concurrence à cette littérature du moment, du spectacle, du public et de la parole livrée, l’auteur artiste peut choisir les arts plastiques au lieu des arts vivants, et proposer un livre objet. Des amitiés, des intérêts, des passions artistes, des désirs, peut-être aussi la volonté d’en finir avec la routine et avec le recommencement, le refus motivé ou non de faire allégeance à toute sorte d’académies du livre imprimé à l’ancienne : Carlo Emilio Gadda dirait qu’il existe toujours un tombereau de causes pour une seule conséquence.
Parmi les causes, il ne faut pas négliger, bien sûr, la ruse marchande, qui incitait déjà Bruegel de Velours à se spécialiser dans le bouquet de fleur – aussi, il faut se méfier, et éviter de laisser le livre objet et le texte performance devenir de simples ruses marchandes. Admettons aussi tout de même la simple disponibilité des objets, des supports, des outils et des réseaux de diffusion : elle va à la rencontre de la tout aussi simple curiosité artiste.
Jean-Philippe Toussaint
♣♣ J’ai réalisé un long métrage en 35 mm, Berlin 10 heures 46 (1994) en collaboration avec un cinéaste allemand, Tortsten Fischer http://www.jptoussaint.com/berlin-10-heures-46.html
J’ai réalisé un film expérimental, Faire l’amour, une lecture japonaise (2005), avec un cinéaste français, Pascal Auger :
http://www.jptoussaint.com/faire-l-amour-une-lecture-japonaise.html
J’ai réalisé un film de lectures de Camus et de mon livre Fuir, Hors du soleil, des baisers et des parfums sauvages (2007), en collaboration avec un plasticien français, Ange Leccia
http://www.jptoussaint.com/hors-du-soleil-des-baisers-et-des-parfums-sauvages.html
J’ai écrit des textes sur le travail de trois photographes japonais, Kai Fusayoshi, Naoko Tamura et Kishin Shinoyama.
http://www.schirmer-mosel.com/homed1/pdf/AB_Shinoyama_Nude.pdf
J’ai écrit un texte, L’instant unique, pour le catalogue de l’exposition de Ange Leccia au MAC/VAL (2013).
J’ai réalisé une collaboration avec Annette Messager pour un livre d’artiste publié par le MoMa (2013) :
https://www.moma.org/learn/resources/library/council/Messager
J’ai créé en 2016 un spectacle, M.M.M.M., qui mêle la littérature, le cinéma, la musique et le théâtre avec le Delano Orchestra :
http://www.jptoussaint.com/m-m-m-m.html
Benoît Vincent
♣ En tout premier lieu il faudrait s'entendre sur ce que l'on appelle art, et peut-être cette définition varierait-elle selon les questions de ce questionnaire.
Pour répondre à cette première question, je dirais que non, les frontières n'ont pas disparu : on ne peut évidemment pas faire la même chose avec le son, qu'avec l'image ou le mot. Qu'on mélange les “matières” ou “matériaux”, peut-être, mais l'illusion d'un art total, si elle est encore vivace, ne me semble pas s'ancrer réellement. L'opéra voulait cela, puis le cinéma : ils n'ont pas supprimé les autres arts qu'ils convoquaient. Aujourd'hui peut-être internet le permet-il ou permet-il en tant que support que les pratiques se mêlent. Mais il y a une singularité propre à chaque “art”, liée à son matériau favori.
Fig. 5 Boigneville 2016 © Benoît Vincent
Toute forme d'art vient nourrir toute forme d'art. Ce n'est jamais totalement un choix délibéré.
♣♣ J'ai travaillé avec Laurence Morizet, céramiste et dessinatrice, sur de petits volumes librement distribués sur le net.13 Il y a une tradition des livres associant texte et image, sans pour autant que ce soient des livres simplement illustrés. Je vais bientôt travailler avec Mathilde Papapietro, une plasticienne qui utilise essentiellement les formes végétales. Dans ces deux expériences, je constate que ce qui m’intéresse est l’organique des œuvres : c’est peut-être ce qui motive la recherche d’une écriture précisément tournée vers le sensible et la forme.
La musique, assurément, a influencé mes textes, même si peut-être cela ne se voit pas tant que ça. J’écoute beaucoup de musique en écrivant, et peut-être que je cherche, là aussi, à rejoindre un certain rythme. Pink Floyd, le free-jazz, Monk, Mingus, en tête, le post punk, la compilation Akron, No New York, Gang of Four, Devo, les Residents, mais aussi le Kronos Quartet notamment dans leur mélange des musiques antiques ou baroques et ultra-contemporaines... J’écris, sur mon site, de temps à autres, des “chroniques” de disques, de ceux qui m’accompagnent le plus volontiers, dans une espèce de transposition de l’imaginaire qu’ils évoquent dans l’écriture. Parmi ces disques, des hapax plutôt que des œuvres complètes (je n’aime trop les œuvres complètes) on retrouve pour l’instant (mais j’ai un programme très chargé !) David Bowie, Dr John, Prince, des choses très diverses (cf.
Cécile Wajsbrot
♣ Je ne crois pas que les frontières entre les arts aient disparu, je crois simplement que le champ, le domaine des possibles s’est élargi. Il est banal mais sans doute juste de dire qu’avec le développement de techniques nouvelles d’enregistrements de l’image et du son, l’accès à d’autres formes d’art s’est à la fois démocratisé et démultiplié.
♣♣ J’ai collaboré avec des peintres à ce qu’on appelle des livres d’artiste, notamment avec Anne-Marie Pécheur (Puzzle, Éditions Méridianes, 2009). J’ai également eu l’occasion d’écrire un livret d’opéra pour une pièce de Frédéric Pattar, Nachtkreis (Nachtkreis-Fragment, 2012). Et des textes pour la radio – car on peut la considérer comme un art, lorsqu’elle touche à la création. Les textes que j’écris pour la radio sont souvent comme une sorte de laboratoire, où j’essaie de nouvelles formes. Mais parler d’influences, non, au sens où il n’y a pas de changement, pas d’évolution durable qui ait été induite par tel ou tel travail ponctuel avec un artiste.
Note
↑ 1 Écrivain et artiste qui, après avoir créé des œuvres musicales avec des photographes et des designers, il se consacre à la création de textes qui se situent au carrefour entre la création littéraire et l’expérimentation musicale.
↑ 2 La performance a eu lieu au Cube. Centre de création numérique, le 27.10.2010. http://lecube.com/evenements/wandering-souls-de-sandy-amerio-et-patrick-bouvet, consulté en septembre 2019.
↑ 3 Guitariste d'avant-garde français, il est spécialiste de l'improvisation libre et de l'expérimentation sonore.
↑ 4 Série télévisuelle à succès crée aux États-Unis en 2011.
↑ 5 Artiste étasunien néo-conceptuel travaillant sur les réseaux des données pour créer des œuvres. Ses diagrammes linéaires à grande échelle tentaient de retracer les structures du pouvoir financier et politique, de la corruption et des affaires entre les capitalistes, les politiciens, les entreprises et le gouvernement.
↑ 6 Peintre, dessinateur et illustrateur.
↑ 7 Graveur français. Son site :http://albertlemant.com/albums-et-livres-en-gravure/, consulté en septembre 2019.
↑ 8 Lecteur public, photographe, plasticien.
↑ 9 Site:http://www.orlan.eu/, consulté en septembre 2019.
↑ 10 Il s’agit du texte d’introduction du catalogue de l’exposition de Maurice Jully, Strasbourg, Centre national des arts plastiques, 2005.
↑ 11 Réalisé en 1957 par Mikhaïl Kalatozov.
↑ 12 Gallimard, coll. « Haute Enfance », 2005.
↑ 13 Par exemple Rhizes, téléchargeable : http://hors-sol.net/revue/laurence-morizet-et-benoit-vincent-rhizes/, consulté en septembre 2019.