n° 29 - Pratiques artistiques intermédiales

Philippe Druillet interprète de « Salammbô » : bande dessinée, performance, jeu vidéo et peinture

Bruna DONATELLI



Abstract

Francese  | Inglese 

Maître novateur de la bande dessinée et artiste polyédrique à l’œil visionnaire, Druillet s’est mesuré pour la première fois avec le roman carthaginois de Flaubert, en réalisant - entre 1980 et 1986 - trois albums BD, réunis par la suite en un volume (« Salammbô. L’Intégrale»), où il a réussi à rendre l’atmosphère incandescente du roman et sa « lumière folle ». Il revient sur « Salammbô » et sur ses décors sept ans plus tard en produisant pour la Géode de Paris le spectacle multimédia « La Bataille de Salammbô », réalisé à partir des planches de la BD concernant la bataille de Macar, alternées avec des images de synthèse. Dix ans plus tard il se mesure de nouveau avec ce même roman, en utilisant un autre médium, le jeu vidéo culturel, « Salammbô. Les périls de Carthage » (2003), dont il partage la direction artistique avec d’autres artistes. Hanté encore par la beauté sauvage de Salammbô, par le secret qu’elle garde dans son regard impénétrable, il décide, en 2010, de la représenter en changeant encore une fois de médium, en se servant de la peinture qui, grâce à la hardiesse de son imagination, se transforme dans ses mains en quelque chose d’explosif. Comme l’indique significativement le titre, « Salammbô. Les Nus », il s’agit de quarante-quatre portraits de l’héroïne et de son corps nu où elle se révèle dans toute son ambivalence, très féminine et très amoureuse, mais touchant au divin, avec des traits insaisissables et mystérieux.

	 
  

À l’indifférence et à l’hostilité de la presse, qui attaque violemment Salammbô, le roman carthaginois de Flaubert,1 lors de sa parution, correspond un enthousiasme sans égal de la part du public, des artistes et d’un grand nombre d’écrivains, tous fascinés par la somptuosité des costumes, la spectacularité des décors et les puissantes qualités de peintre et de visionnaire du romancier « qui crée des réalités si vives avec ses rêves et qui nous y fait croire »2 (PALERMO DI STEFANO 1997 : 310). Séduits par l’atmosphère vertigineuse d’un « monde étrange, inconnu, surchauffé de soleil, bariolé de couleurs éclatantes […], où se mêlent, aux émanations des parfums, les vapeurs du sang » (GAUTIER 1862), ils comparent le roman, comme le souligne Jules Michelet, à « un aérolithe » (PALERMO DI STEFANO 1997 : 309), en mettant l’accent sur la « beauté sidérale » de l’héroïne qui, « de ses longues adorations à l’astre des nuits garde comme une sorte de reflet argenté et de pâleur lunaire » (GAUTIER 1862). C’est une création artistique, d’après les mots de Laure Le Poittevin, « d’une originalité saisissante, pétrie avec les rayons de la lune » (PALERMO DI STEFANO 1997 : 309).

Il était donc presque inévitable qu’un jour ou l’autre l’aventure sidérale, à laquelle font allusion à l’époque ces écrivains, se transformât en une aventure galactique et que quelque part un artiste, se faisant l’interprète des propositions de Flaubert, aurait « réinventé »3 sa propre Carthage, et placé le roman et son héroïne dans la mouvance de la science-fiction. Mais il faudra attendre les années 80 du XXe siècle pour que le projet soit conçu et réalisé4 et que l’artiste fasse preuve d’un talent extraordinaire et d’un œil visionnaire hors du commun. Cet artiste ne pouvait que répondre au nom de Philippe Druillet, maître novateur de la bande dessinée, qui s’est mesuré dans les domaines les plus différents de la création artistique, de la bande dessinée à la peinture, en passant par l’opéra rock, les fresques murales, le design, la décoration, les spectacles multimédia, les jeux vidéos, la sculpture etc.5 Sa renommée de bédéiste, qui lui a valu bien des prix et des reconnaissances officielles,6 sera associée à l’un de ses personnages les plus célèbres, Lone Sloane, le néo-terrien aux yeux rouges, qui apparaît pour la première fois dans son premier album, Le Mystère des abîmes (1966), et qui sera le héros récurrent de toutes ses bandes dessinées suivantes7 même du triptyque qui s’inspire du roman de Flaubert, en s’incarnant en Mâtho, le mercenaire amoureux de la princesse carthaginoise.

Du roman à la bande dessinée

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Ph. Druillet, Salammbô. L’Integrale, Glénat, 2010

La rencontre de Philippe Druillet avec Flaubert date de la fin des années 70. Après avoir achevé La Nuit (1976), il voulait chercher un sujet nouveau, « exceptionnel » (BACZYNSKI - DRUILLET 2011), pour de nouvelles bandes dessinées. Un de ses amis lui suggère Salammbô. Sa réaction à une première lecture, avouera-t-il par la suite, sera « molle » (DRUILLET 2010a) et il lui faudra un an pour se décider à s’y consacrer. À la fin, conquis et fasciné par la modernité du roman (voir DRUILLET - ALLIOT 2014 : 196), il commence à y entrer, de façon de plus en plus vertigineuse, en humant son atmosphère incandescente et sa « lumière folle » (LETURGIE - DRUILLET 1979 : 29). Il travaille à ce projet pendant plusieurs années, en réalisant entre 1980 et 1986 trois albums (Salammbô, Carthage et Mâtho),8 en résonance surprenante avec le texte flaubertien. En fait, grâce à sa maîtrise de bédéiste et à son talent d’artiste visionnaire, il réussit à restituer la « monstruosité » du récit flaubertien, son « souffle épique » (BACZYNSKI - DRUILLET 2011), en jouant heureusement entre rationalité opérante et sens mystique, science et magie.

Dans ce premier travail de transmédiation du roman carthaginois de Flaubert, Philippe Druillet opte, d’une part, pour une adhésion fonctionnelle, presque mimétique au texte littéraire afin de le rendre reconnaissable (du côté du textuel, les citations de passages entiers de l’œuvre, du côté de l’iconique, la démesure, l’accumulation des détails faisant écho à la description méticuleuse, gigantesque et féerique9 de plusieurs scènes du roman), et, d’autre part, il se laisse aller à une liberté interprétative absolue, concernant surtout le graphisme qui aboutit à un constant emploi de motifs géométriques ou géométrisants les plus variés, du plus petit au plus grand, en séquence ou s’emboîtant les uns dans les autres, avec le but de perturber la perception visuelle du lecteur.

Le dénouement de l’histoire suit pas à pas celle du roman en proposant, de temps à autre, de longues citations du texte, par exemple le célèbre incipit « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar » (FLAUBERT 2013 : 573, DRUILLET 2010a : 1710), ou le non moins fameux et énigmatique explicit « ainsi mourut la fille d’Hamilcar pour avoir touché au manteau de Tanit » (FLAUBERT 2013 : 836, DRUILLET 2010a : 128), pour n’en citer que deux parmi les plus connues. Les seules variations concernent l’introduction, qui explique la présence sur la terre de Lone Sloane, s’incarnant - comme on l’a déjà dit - en Mâtho, et la fin, qui lui permet de ne pas être anéanti et de remonter vers les étoiles d’où il est venu, aspiré par un faisceau lumineux d’un vaisseau spatial qui le régénère à bord.

Même au niveau textuel, où l’ancrage au contexte romanesque se manifeste de façon explicite, Druillet crée, comme le souligne Louis Pimenta Gonçalves, « une sorte de polyphonie où s’entrecroisent différentes instances du discours » (PIMENTA GONSALVEZ 2014). En ce qui concerne les récitatifs, il opte pour la troncation, la condensation ou la citation in extenso du texte originaire alors que la répartition spatiale est censée répondre à des exigences graphiques bien précises. Conçus comme des tableaux, ils sont placés aux marges latérales de la planche, ou bien dans l’en-tête ou en pied de page, sur fond coloré, encadrés par des motifs géométriques. Avec un graphisme différent (texte en noir sur fond blanc) sont bâtis les dialogues, qui ne sont pas tous insérés dans les phylactères. Un grand nombre d’entre eux se trouve à l’intérieur des récitatifs et, se conformant à la mise en page d’un texte narratif traditionnel, sont précédés du nom du personnage, suivi des deux points, ou bien d’un tiret suivi de l’ouverture des guillemets. Leur signature stylistique distinctive est auctoriale, de même celle des récitatifs (lieu de l’expression du narrateur). Souvent ils font l’écho aux tournures utilisées par Flaubert pour donner une voix appropriée à ses personnages (cadence biblique, gravité du discours, tonalité exclamative, suppliante ou impérative, etc.). Même les dialogues qui sont insérés dans les phylactères et qui ont la forme d’une page d’un livre en relief, adhèrent à ce schéma11 bien qu’ils utilisent parfois des locutions argotiques plaçant les personnages dans une réalité et un langage plus proche des lecteurs de BD : « Il va encore fricoter avec ses saloperies habituelles! » (DRUILLET 2010a : 9). Et quelques planches plus loin : « …si le reste est comme ça on va pas s’emmerder » (DRUILLET 2010a : 12), ou encore : « Tu nous tueras tous pour une pute? » (DRUILLET 2010a : 19), « De l’or au fond du bassin pour de sales petits crapauds, ah ah ah » (DRUILLET 2010a : 21), en basculant les personnages extraterrestres, Sloane/Mâtho surtout, d’une ère galactique à une époque ancienne et ancestrale, et vice-versa.

Cependant, le talent extraordinaire de Druillet se manifeste dans toute sa force novatrice et sa puissance créatrice surtout dans le rendu graphique (v. GROENSTEEN 2007 et 2009). Les cases sont presque pulvérisées, certaines planches ne présentent qu’une seule grande illustration qui occupe même la double page. Les dessins regorgent de détails. Les portraits des personnages, pour la plupart des extraterrestres difformes ou des robots, sont marqués par des éléments géométriques qui les rendent encore plus monstrueux et mystérieux (DRUILLET 2010a : 11, 39, 49, 55, 99). Les machines de siège, aussi archaïques et menaçantes que celles du roman, rendent visible la violence de leur force destructrice, ainsi que les éléphants qui se transforment en des engins au moment de leur explosion (DRUILLET 2010a : 98). À ces machines-monstres s’en ajoutent d’autres, qui ont les contours d’un rêve cauchemardesque (DRUILLET 2010a : 81, 84). Même les vaisseaux galactiques, qui transportent Lone Sloane et, avec lui, le lecteur, dans une aventure où le passé et le futur sont fusionnés, ont des formes bizarres. Le réel y éclate dans une sorte de fantastique grotesque et menaçant (DRUILLET 2010a : 6, 20, 43, 44). La plupart des décors, aux couleurs saturées, excessives et aux architectures gigantesques, sont souvent oniriques, hantées par des visions fabuleuses (DRUILLET 2010a : 23, 24, 26, 33, 35, 40, 45, 51, 60, 91, 116) ; d’autres, aux lignes et aux volumes plus rigoureux, sont plus abstraits, mais non pas pour cela moins perturbants, et créés selon des jeux optiques à la Max Escher12 (DRUILLET 2010a : 21, 52, 107).13

De ces décors, Druillet fait surgir une Salammbô à la fois sidérale et archaïque, dont il garde certains traits de ses origines. En effet, il la dessine tatouée, ayant un regard inhumain, des yeux fardés d’une couleur bleuâtre/indigo qui rappelle celle de sa peau (DRUILLET 2010a : 16),14 représentée par la suite, à la manière de Flaubert, royale comme une princesse et hiératique comme une déesse. Derrière elle, un décor tout aussi flamboyant que livide, à tel point qu’il semble avoir absorbé ses couleurs jusqu’à la brûler et la dévorer (DRUILLET 2010a : 28). Salammbô aussi, comme la plupart des personnages de ce triptyque, y compris Sloane/Mâtho, ne peut se soustraire à la force envahissante des délires géométrisants, tentaculaires et obsédants, qui la surplombent et finissent par l’engloutir et fusionner avec elle (DRUILLET 2010a : 34).15 Mais, puisque c’est une femme dotée d’une force de métamorphose exceptionnelle, elle réapparaît dans d’autres planches16 dessinée en guise d’une photographie découpée d’une page de photoroman, avec les traits d’une femme de nos jours, aux cheveux blonds, longs et lisses, plongée dans un décor qui, par contraste, est saturé de tonalités blêmes et métalliques (DRUILLET 2010a : 52, 53, 64, 65, 66).17 Ces multiples facettes de Salammbô, qui se succèdent tout au long de l’histoire, et surtout celles qui évoquent sa double nature sidérale/archaïque, serviront par la suite à l’artiste comme des études préparatoires pour une nouvelle et bouleversante mise en scène de la femme-déesse transposée en peinture (Salammbô. Les Nus), comme on le verra par la suite.

De la bande dessinée au spectacle multimédia

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Sept ans après la conclusion de la version BD de Salammbô, Philippe Druillet se remet à travailler, en 1993, sur ce même roman et sur ses décors en réalisant pour la Géode le spectacle multimédia La Bataille de Salammbô, démonté après sa projection. Il était à l’époque l’un des premiers artistes au monde (et le premier auteur de BD) à essayer de développer le support 3D. « J’ai découvert, affirme-t-il, la 3D, à la fin des années 70 dans la revue Science et Vie. […] Là, en 3D, un nouveau cinéma arrivait. […] La 3D préfigure d’autres délires sublimes » (LETURGIE - DRUILLET 1979 : 12).18 N’ayant pu assister au spectacle lors de sa projection et ne pouvant aujourd’hui accéder aux archives de l’artiste, je tâcherai ici de l’imaginer, en procédant, à la manière de Flaubert, par déduction,19 en me servant du petit nombre d’informations disponibles. Il s’agit d’une installation composée d’un nombre non précisé de diapos, tirées des planches de la BD et concernant la bataille de Macar, confiées à cinquante-trois projecteurs, qui s’alternent à des images de synthèse (elles aussi créées des planches du même épisode), auxquelles l’artiste ajoute des faisceaux laser avec l’intention de redoubler l’effet criard de ses délires géométriques. En contrepoint aux images, la musique est grave et obsédante, mais en même temps vibrante et chaleureuse. Le compositeur est Prokofiev, l’auteur de la bande sonore du film Aleksandr Nevskij de Sergej Ėjzenštejn (1938), qui retrace un événement-phare de l’histoire russe au XIIIe siècle : l’invasion du pays par les Chevaliers teutoniques et l’opposition héroïque du prince Alexandre Nevski, qui met fin à leur expansion.

Il n’est pas difficile d’imaginer quelles ont été les motivations qui ont poussé Druillet vers un tel choix : en premier lieu, l’action bâtie sur deux groupes opposés (les envahisseurs et les défenseurs) et le lieu où ils s’affrontent définitivement (la très connue Bataille sur la glace20), deuxièmement le modus operandi de Prokofiev qui décide de se faire l’interprète et non l’imitateur de l’esprit qui animait le peuple russe à se défendre de l’invasion orientale, et de le rendre compréhensible à ses contemporains. C’est le même objectif que se propose Druillet (et même Flaubert) : celui de représenter un événement de l’antiquité, non tel qu’il est, parce que l’esprit n’est plus le même, mais en le transposant dans un espace et un temps différents. Plus exactement, créer « un mirage », réaliser « son rêve d’antiquité », comme Flaubert l’affirmait fermement dans sa polémique épistolaire avec Sainte-Beuve (voir FLAUBERT 1991 : 275-285). Enfin, mais non moins importants, le style épique et la structure dynamique de la musique de Prokofiev sont modulés sur la tonalité de la dissonance : très rythmée et serrée apparaît la musique des Chevaliers teutoniques avec des timbres rauques et cuivrés ; ample et sonore la mélodie et la cantate des défenseurs russes, se succédant l’une après l’autre, ou se superposant l’une au-dessous de l’autre, dans un climat vibratile et criard à la fois.

Le jeu vidéo : Salammbô. Les périls de Carthage

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Couverture du jeu vidéo Salammbô. Les périls de Carthage Paris, Cryo Interactive, 2003

Dix ans plus tard, Philippe Druillet reviendra de nouveau sur Salammbô, en se lançant vers un autre médium : le jeu vidéo culturel.21 En 2003, il partage avec d’autres artistes22 la direction artistique de Salammbô. Les périls de Carthage (DRUILLET 2003), jeu d’aventure, qui se veut, pour ce qui concerne les dessins et les scénarios, comme une filiation des albums BD. Louis Pimenta Gonçalves l’a bien commenté en mettant en évidence les simplifications progressives de l’intrigue dans les différentes phases du processus de transmédiation, ainsi que le rôle des personnages changeant de statut selon le public auquel le médium s’adressait (voir PIMENTA GONSALVEZ 2014). Citons, à titre d’exemple, le personnage de Spendius, l’esclave des Carthaginois qui dans le roman est libéré lors du saccage par les mercenaires et qui accède ici au statut de héros protagoniste auquel le joueur devra s’identifier. Il est conçu, selon les codes de la ludiégèse, comme une « structure vide, apte à accueillir diverses fonctions » (PIMENTA GONSALVEZ 2014). Ainsi, de simple esclave, tel qu’il apparaît au début du jeu, il assume, au fur et à mesure que l’action progresse, plusieurs rôles : de messager à confident, de conseiller à guerrier, de chef de guerre à décrypteur d’énigmes. Par contre, les véritables protagonistes du roman (Salammbô et Mâtho), qui correspondent même à ceux de la BD, sont relégués au rang de personnages non joueurs, bien qu’ils orientent et conditionnent la diégèse.

La jouabilité de ce jeu a été commentée de différentes manières par les magazines spécialisés qui l’ont testée,23 mais tous, même ceux qui l’ont considérée décevante, conviennent sur la qualité, l’originalité des dessins (les armures futuristes de Spendius, Salammbô et Mâtho par exemple) et la suggestion des décors, de véritables tableaux (fixes), riches en couleurs, inondés de lumière et plongés dans une ambiance sonore rythmée par les notes de la Symphonie du nouveau monde de Dvořák, sorte d’hommage indirect à l’univers de la science-fiction qui, dans la diégèse du jeu, a disparu.24

Du jeu-vidéo à la peinture : « Les Nus »

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Ph. Druillet, Salammbô. Les Nus, Glénat, 2010

Cinq ans s’écoulent encore. Philippe Druillet est de nouveau hanté par le roman carthaginois de Flaubert et surtout par la beauté sauvage de Salammbô, par le secret qu’elle garde dans son regard impénétrable. Il décide de la représenter à nouveau en changeant de médium, en se servant de la peinture qui, grâce à la hardiesse de son imagination et à son talent visionnaire, se transforme dans ses mains en quelque chose d’explosif. Il se jette à corps perdu dans ce projet qui aboutira en 2010 à une imposante exposition parisienne de quarante-deux toiles acryliques sur support rigide25 où se combinent plusieurs techniques : acrylique, encre de chine, crayons couleurs, pastels. Ces mêmes pièces constitueront par la suite, avec quelques ajouts, l’un des deux volets d’un album, Salammbô. Les Nus (DRUILLET 2010b),26 alors que l’autre sera destiné à accueillir des citations en exergue du texte flaubertien, choisies par Druillet sans qu’elles aient nécessairement de corrélation directe avec ses planches.

Comme l’indique clairement le titre, il s’agit de Salammbô et de son corps et il est donc indéniable que, pour cette nouvelle approche au texte flaubertien, toute l’interprétation plastique de Druillet est axée sur son portrait et sur ses parties anatomiques, même si les décors ont une importance non secondaire. En effet, ils donnent aux images l’épaisseur d’un récit en représentant, d’une part, l’univers onirique de Salammbô, lorsqu’elle est représentée de profil, et d’autre part, celui qui l’entoure, lorsqu’elle est peinte de face (cf. DONATELLI 2016).

Comme il l’avait déjà proposé pour ses albums précédents, Druillet insiste ici encore sur les formes géométriques ou géométrisantes ; mais, cette fois-ci, elles sont réitérées pour chaque planche et entremêlées avec d’autres figures moins définies qui renvoient aux fractals (voir DRUILLET 2010c), des éléments indispensables d’un espace qu’il ne veut pas univoque, mais qui vise en revanche à faire coexister l’ordre et le désordre, le hasard et l’organisation et à rendre visible, pour reprendre une expression flaubertienne « l’harmonie des choses disparates » (FLAUBERT 1980 : 283). En fait, Druillet ne désire dévoiler aucun sémantisme de cet inquiétant univers graphique, mais veut montrer uniquement son mouvement, en gardant intact l’aura de mystère, de force et de violence qui y flotte, en laissant le spectateur dépaysé de son intérieur.

En ce qui concerne les portraits, la Salammbô que Philippe Druillet nous propose dans cet album est bouleversante comme elle ne l’avait jamais été auparavant. « J’ai passé deux ans et demi de ma vie – affirme-t-il dans un entretien avec Olivier Delcroix – entre les seins, les ventres, les cous, les visages et les profils de mes créatures. […] On est debout, on se bat. Toute la journée. Le temps se ralentit, c’est extraordinaire… » (DELCROIX – DRUILLET 2010). On en garde des traces tangibles là où le corps de Salammbô est déformé et fragmenté (DRUILLET 2010b : 527), comme si l’artiste voulait le plier à sa volonté et « circuler » lui-même, émule de Flaubert, « dans sa création ».28 C’est « une héroïne émancipée, aux chaînes brisées » (BACZYNSKI - DRUILLET 2011), qui se nourrit de toutes les Salammbô qui l’ont précédée, tout en exaspérant les traits de chacune d’elles. C’est un cri d’angoisse et de fierté ; son hardiesse touche à l’outrance.

Flaubert la concevait comme une sorte de sainte Thérèse, une maniaque possédée par une idée fixe. À l’inverse, dans les Nus, j’ai ajouté une liberté sensuelle ; quant à l’aspect guerrier il traduit l’absolu amoureux qu’elle incarne à mes yeux (BACZYNSKI - DRUILLET 2011).

Sa peau est de couleur bleue, qui évoque la peau basique de la science-fiction, mais aussi la peau féerique des reines et des déesses ; ses seins sont allongés en obus, ses yeux sont presque toujours rouges, son cou ressemble à un ascenseur spatial dans lequel elle est basculée (DRUILLET 2010b : 1, 21).29 Comme la Salammbô de la BD, elle garde toutefois les traces de son ancestralité, avec des marques corporelles tribales qui sont ici encore plus imposantes : l’allongement du crâne, les tatouages, l’usage d’ornements labiaux, les masques, la scarification, concentrée sur son visage et sur ses seins, qui font, avec la rondeur de ses formes, allusion aussi au symbolisme de la fertilité, central dans la vision du monde des civilisations de l’antiquité (voir SIMONIN - DRUILLET : 2010).30 Bien que toute la représentation soit focalisée sur Salammbô et son univers, Philippe Druillet ne renonce pas à la présence de Sloane-Mâtho, qui est moins un personnage à plein titre qu’un masque et une empreinte iconique (la bouche grande ouverte prête à engloutir sa proie) renvoyant aux désirs sexuels du mercenaire Mâtho, obsédé par l’idée de posséder la fille d’Hamilcar Barca. C’est une marque reconnaissable partout, jusqu’à la signature de toutes les pièces. Il n’y a pas une seule planche où l’icône de Sloane-Mâtho ne soit identifiable, qu’il s’agisse des ornements de Salammbô (de ses boucles à oreille qu’elle exhibe comme des trophées,31 de son collier, ou de sa coiffure polos), ou qu’elle soit cachée dans les décors, ou dessinée, comme un tatouage, sur les organes génitaux masculins, qui envahissent bien des tableaux [voir : http://bdzoom.com/6743/actualites/exposition-«-salammbo-les-nus-»-de-philippe-druillet].

Je conclus ce parcours par une dernière planche, celle qui clôt l’album (DRUILLET 2010b : 44 et http://www.actusf.com/forum/viewtopic.php?t=9705 dernière image). Fidèle à l’essence du texte flaubertien, le récit par images de cette série de Nus est même une histoire de suprématie. Dans cette dernière planche Druillet réécrit sur le plan iconique la scène finale du roman, qu’il cite en exergue, avec le texte en regard. Salammbô semble presque engloutie par la présence envahissante des organes génitaux de Sloane-Mâtho, qui servent de cadre à son portrait, et par celle de son masque renfermé dans un triangle, l’angle aigu tourné vers le bas, situé au milieu de sa tête, sa bouche grande ouverte, en guise de grimace, d’où l’on aperçoit un fragment d’univers noir et blanchâtre. La lutte et la guerre pour la suprématie, qui a caractérisé bien des planches de cette série, semblent soudainement s’arrêter. Quelque chose de nouveau est visible dans le visage de Salammbô qui semble ici s’adoucir. Elle montre une sérénité et une rondeur presque jamais vues jusqu’à ce moment-là. Au milieu de son visage, Druillet fait apparaître des zones de la couleur du sable, qui faisaient auparavant seulement partie des décors ou, mieux, de son univers onirique. De quelle naissance s’agit-il ? La scène est énigmatique (et Flaubert aurait aimé cette fin s’alliant à la sienne) et risquerait de rester indéchiffrable si Druillet n’en avait pas suggéré, lui-même, une lecture possible au cours d’un entretien télévisé avec Patrick Simonin :

Je vais faire un retour sur la femme de Salammbô, sur le personnage de Salammbô, mais cette fois-ci comme si j’avais imaginé dans ma tête qu’elle ne meurt pas, […] qu’elle devienne une femme belle, somptueuse avec l’obsession des temps anciens, les sculptures de la préhistoire, avec les seins, le ventre, le culte de la fertilité… (SIMONIN – DRUILLET : 2010).

Et pourtant, même sur le plan figuratif, reste intacte l’aura de mystère qui l’entoure, son rêve inaccessible, et la sphère du sacré qui la surplombe reste intouchable.

Bibliographie

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DELCROIX, O., – DRUILLET, PH., (entretien), « Philippe Druillet, le retour », Le Figaro Blog, 14 avril 2010, http://blog.lefigaro.fr/bd/2010/06/philippe-druillet-le-retour.html> (dernier accès : 31.05.2018).
DONATELLI, B., « La Salammbô de Philippe Druillet : entre beauté spatiale et beauté ancestrale », Les Lettres Modernes, « Série Flaubert » (Salammbô dans les arts éd. G. Séginger), n. 8, 2016, p. 123-133.
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DRUILLET, PH., Salammbô Les Nus. Textes de Gustave Flaubert, Issy-les-Moulineaux, Glénat, coll. « Drugstore », 2010(b).
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GROENSTEEN, TH., Bande dessinée et narration. Système de la bande dessinée, Paris, PUF, 2011.
HINDEMITH, G., « La matière féerique dans Salammbô », Flaubert. Revue critique et génétique, n. 11, 2014 https://journals.openedition.org/flaubert/22192014> (dernier accès 31.05.2018).
LÉTURGIE, J., – DRUILLET, PH., « Entretien avec Philippe Druillet », Cahiers de la bande dessinée (Schtroumph), a. XI, n. 42, 1979, p. 7-41 (Dossier Philippe Druillet).
PALERMO DI STEFANO, R.M., (éd), Lettres à Flaubert, Vol. I, Napoli, Edizioni Scientifiche Italiane, 1997.
PIMENTA GONSALVEZ, L., « Salammbô, les déambulations d’une œuvre entre littérature et jeu vidéo », in Mémoire du livre (Livre et jeu vidéo éds. Fanny Barnabé and Björn-Olav Dozo), Vol. 5, n. 2, 2014 (dernier accès 31.05.2018).
SIMONIN, P., – DRUILLET, PH., (entretien), « Je rêve avec les nus de Salammbô », TV5MONDE L'Invité, 19 juillet 2010, http://www.dailymotion.com/video/xhh9zm_philippe-druillet-je-reve-avec-les-nus-de-salammbo_news> (dernier accès 31.05.2018).

DONATELLI 1

Catalogue de l’exposition exposition des croquis de Druillet pour la réalisation des planches de la BD. Marie Barbier Éditions, 2017


Note

↑ 1 C’est son deuxième roman, publié en 1862, six après Madame Bovary.

↑ 2 Ce sont les mots enthousiastes qu’Eugène Fromentin adresse à Flaubert juste après avoir terminé la lecture du roman.

↑ 3 Malgré l’énorme effort de documentation historique dont atteste le dossier préparatoire de Salammbô, l’intention de Flaubert n’était pas d’atteindre l’exactitude archéologique, mais de faire « ressusciter Carthage » (Flaubert 1991 : 59), de la réinventer comme s’il s’agissait d’un « mirage » (FLAUBERT 1991 : 276).

↑ 4 C’est un moment crucial pour un changement d’orientation dans la production des bandes dessinées en symbiose avec la science-fiction.

↑ 5 Philippe Druillet fait ses premières expériences artistiques comme photographe. À dix-neuf ans, après la rencontre avec Jean Bouillet (1963), il s’essaye dans le domaine du décor, en réalisant pour lui les décors du court-métrage Dracula et en perfectionnant la technique du photogramme. En 1965 il découvre le dessin et collabore avec Midi-Minuit Fantastique et devient le correspondant français du magazine américain Famous Monsters of Filmland. Grâce à son style novateur et à ses choix graphiques audacieux, il entre en 1969 au journal Pilote. Avec la publication de Vuzz (1974) il inaugure la première bande dessinée sans texte et participe dans la même année à la création de la revue Métalhurlant et de la maison d’édition Les Humanoïdes Associés. En 1976 il publie l’album La Nuit, opéra rock post-atomique et œuvre pivot dans le domaine du Hard Rock. Le monde de l’opéra le sollicite encore : de 1978 à 1983 il travaille avec Rolf Liebermann et Humbert Camerlo à l’Opéra de Paris sur Wagner Space Opera. Après quatorze ans d’absence de la bande dessinée, il y revient avec Cahos (2000) et il travaille au deuxième volume de Delirius, en continuant le travail qu’il avait commencé en 1989 avec Jacques Lob (2012). En 2017 il revient sur le dessin en proposant une exposition/livre de ses croquis pour la réalisation des planches de la BD (Flaubert/Druillet : 2017). Parmi ces projets futurs il faut compter une œuvre monumentale : la relecture de L’Enfer de Dante.Voir http://www.lepoint.fr/pop-culture/bandes-dessinees/philippe-druillet-s-expose-dans-toute-sa-splendeur-20-09-2017-2158391_2922.php(dernier accès 31.05.2018).

↑ 6 Comme scénariste des bandes dessinées, il reçoit, entre autres, le Prix international Phénix, Paris (1972), l’International Yellow Kid, Lucca (1972), le National Cartoon Society, New York (1972), l’Aigle d’Or au Festival du livre à Nice (1983), le Prix Honoré Daumier, Paris (1983), le Grand Prix du Festival International de la BD d’Angoulême (1988), le Grand Prix National des Arts Graphiques (1996), le Grand Prix international Yellow Kid, Roma (1997), le Prix international de la ville de Genève (2000). En 1998 il est nommé Commandeur des Arts et Lettres.

↑ 7 Les 6 voyages de Lone Sloane (1972), Délirius (1973), Gail (1978).

↑ 8 Le premier, paru dans Métal Hurlant en 1980, les deux autres respectivement en 1982 et en 1986 chez Dargaud. Les trois albums ont été réunis par la suite dans un volume Salammbô. L’Intégrale, d’abord aux Éditions Dargaud (1989) puis chez Albin Michel (1998) et récemment chez Glénat (2010).

↑ 9 En ce qui concerne la dimension féerique du texte, voir l’intéressante étude de Gesine Hindemith, là où elle affirme que « la discontinuité des tableaux caractéristique de la féerie, la trame narrative très mince, la spectacularité visuelle et les effets spéciaux optiques, forment la matière esthétique et narrative de Salammbô » (HINDEMITH 2014).

↑ 10 Le numéro se réfère à celui de la planche et non pas à la page de l’album, qui n’est pas numéroté.

↑ 11 Voir par exemple la bulle où la voix plurielle du peuple (représentée par la voix d’un chœur) demande à Hamilcar le sacrifice de son fils : « Chœur : “Hamilcar, roi de la patrie ! Moloch exige le sacrifice de nos enfants ainsi que le tien, roi de la guerre ! Ton fils, donne-le nous” » (DRUILLET 2010a : 114), ou bien, deux planches après, là où Schahabarim invoque Moloch en lui rendant hommage : « Hommage à toi soleil ! Roi des deux zones, créateur qui s’engendre, père et mère, père et fils, dieu et déesse, déesse et dieu » (DRUILLET 2010a : 116).

↑ 12 C’est lui-même qui les définit ainsi, lors d’un entretien avec Olivier Delcroix (voir DELCROIX – DRUILLET 2010).

↑ 13 Bien des images de Salammbô. L’Intégrale sont visibles sur plusieurs sites internet. Voir entre autres, http://cafardsathome.canalblog.com/archives/2016/02/28/33440267.html>, (dernier accès : 31.05.2018).

↑ 14 Voir aussi : http://cafardsathome.canalblog.com/archives/2016/02/28/33440267.html> (dernier accès : 31.05.2018).

↑ 15 Voir aussi http://www.artnet.com/artists/philippe-druillet/salammb%C3%B4-JElP5XnZ6WYZeEwz3WUhNw2> (dernier accès : 31.05.2018).

↑ 16 Celle de la scène du serpent, par exemple, ou lorsque Mâtho veut lui offrir le zaïmph, ou encore au moment de l’étreinte amoureuse dans la tente de Mâtho.

↑ 17 Voir aussi http://www.canalbd.net/bande-a-part_catalogue_detail_Salammbo-Integrale-Salambo--9782226106407 (dernier accès: 31.05.2018).

↑ 18 Par la suite il réalisera de nombreux spectacles multimédia et performances, où le délire de son imagination saute aux yeux grâce à une concertation très réussie d’effets visuels, effets sonores et effets laser, Le Vaisseau fantastique par exemple, réalisé en 2000 aux Baux de Provence.

↑ 19 N’existant pas de véritable documentation sur la première guerre punique (les sources historiques qu’il a eues à sa disposition sont les allusions peu nombreuses qu’en font Polybe, Strabon et Diodore de Sicile), Flaubert la reconstruit par déduction en se servant des documents historiques bien plus copieux, de la deuxième guerre punique, liée au nom et à la bravoure d’Annibal, fils d’Hamilcar Barca.

↑ 20 Une scène qui renvoie au non moins célèbre épisode du roman, « Le Défilé de la hache » avec « un grand tapage de trompettes, de cymbales, de flûtes en os d’âne et des tympanons » (FLAUBERT 2013 : 614; DRUILLET 2010a : 71).

↑ 21 Il s’était déjà consacré au jeu vidéo avec Ring 1 (1999) et Ring 2 (2002) inspirés de la Tétralogie de Richard Wagner.

↑ 22 En collaboration avec Grégoire Valayer (chef de studio de la Cryo Interactive), Alexandre Litchencko et Mathieu Van Eec (Lead artists).

↑ 23 Certains l’ont considérée décevante (Gamekult) ; d’autres, par contre, ont loué la dimension narrative et herméneutique du jeu (jeuxvideo.com).

↑ 24 Pour les images et les décors : http://it-games.nexway.com/giochi/avventura/salammbo-664408.html (dernier accès : 31.05.2018).

↑ 25 À la galerie Pascal Gabert du 20 mai au 12 juin 2010.

↑ 26 Il existe de cet album même une édition numérotée et signée en 350 exemplaires, toujours publiée chez Glénat lors de l’exposition.

↑ 27 Les pages de cet album ne sont pas numérotées. Le numéro se réfère à la planche.

↑ 28 Ce sont notamment les mots de Flaubert : « C’est une délicieuse chose que d'écrire ! que de ne plus être soi, mais de circuler dans toute la création dont on parle » (FLAUBERT 1980 : 483).

↑ 29 Voir l’image en ligne http://www.actuabd.com/L-Opera-de-papier-de-Philippe>, https://www.amazon.co.uk/Salammb%C3%B4-nus-Philippe-Druillet/dp/2723478440> (dernier accès: 31.05.2018).

↑ 30 Voir aussi : https://www.actualitte.com/article/bd-manga-comics/salammbo-les-nus-exposition-de-40-toiles-de-druillet/18147 (dernier accès: 31.05.2018).

↑ 31 L’idée des boucles d’oreilles-portraits apparaissait déjà, bien qu’une fois seulement, dans l’album BD (DRUILLET 2010a : 110).

 

Dipartimento di Lingue e Culture Moderne - Università di Genova
Open Access Journal - ISSN 1824-7482