Publifarum n° 35 - Écritures mélomanes

Leçons d’écoute : Quignard, Simeone

Sophie Guermès



Au tournant des XXe et XXIe siècles, deux écrivains français se sont particulièrement attachés à traduire en mots les émotions que suscitaient en eux sons et rythmes. L’aîné, Pascal Quignard, né en 1948, est issu d’une famille de musiciens, et sa propre pratique musicale a fortement influencé son œuvre littéraire ; le cadet, Bernard Simeone, né en 1957 et mort prématurément en 2001, fut poète, et le plus grand traducteur d’italien de sa génération. La confrontation de Vie secrète de Quignard (1998) et du récit de Simeone Cavatine (20001) amène à s’interroger sur le creusement de la sensation au moment de l’écoute musicale, sur les modalités de transposition de celle-ci, sur la profondeur de la dimension ouverte par l’attention auditive. À une époque de plus en plus dominée par la vitesse et par des technologies qui favorisent la distraction, la discontinuité, ces expériences fondées sur la concentration, la vigilance, la réflexion semblent anachroniques ; elles vont en tout cas à contre-courant ; de même, à l’époque du triomphe du visuel dans ce qu’il a de plus superficiel, ou impudique (émotions montrées en gros plan), ces analyses ou transpositions d’émotions musicales conduisent à une méditation, une ascèse, une intériorité proches de la contemplation et d’une forme de spiritualité agnostique. Par-delà les différences génériques et stylistiques (Vie secrète témoigne de l’omnigénéricité vers laquelle Pascal Quignard a peu à peu tendu), Quignard et Simeone transcrivent les liens qui unissent la musique au silence, ainsi qu’à la douleur. Leurs récits ont en commun une quadruple réflexion sur la musique, l’amour, le temps et la perte. Dans les deux cas, on peut les lire comme les tombeaux d’une femme aimée, musicienne, morte sans que leur amant ait pu les revoir et leur reparler. Elles n’ont de prénom ni l’une ni l’autre – à peine la pianiste de Vie secrète a-t-elle un surnom, Némie. La claveciniste de Cavatine, reste anonyme. L’une est liée à un village de Normandie, l’autre à Turin. On pourrait ainsi reprendre à l’égard des deux narrateurs ce que Georges Poulet remarquait à propos de la Recherche proustienne, à savoir qu’il y a « recherche non seulement du temps, mais de l’espace perdus. » (POULET 1982 : 19).

Deux musiciennes

Némie est une femme autoritaire, « irascible, terriblement sèche » (QUIGNARD, 1999 : 25), qui subjugue, au sens fort du terme, le jeune violoniste ; la claveciniste italienne est entière, fantasque et fragile. Rêvant d’absolu, elle tombe dans les « paradis artificiels ». C’est la restitution de quelques paroles, du son (Némie2) et du ton (souvient impérieux, pour la claveciniste) de leur voix qui les rend présentes ; et elles ne sont physiquement décrites que devant leur instrument. L’attention est portée sur leur corps, mais leur attitude n’est pas séductrice. Rien n’indique que Némie, femme mûre au moment où le narrateur de Vie secrète la rencontre, ait été belle. La façon dont elle est évoquée, appelant la comparaison avec les canards, est même peu flatteuse : elle a de « petits yeux noirs implacables » et ne soigne pas son apparence (QUIGNARD, 1999 : 29 ET 25) ; pourtant, elle fascine le jeune homme – et l’on sait l’importance qu’attache Quignard à ce verbe : 

Au piano elle se tenait très cambrée et en même temps lançait tout le haut de son corps en avant, les bras ouverts, à la façon un peu cocasse dont les canards atterrissent ou se posent sur les rivières. Ses poignets étaient plus ronds qu’il n’est nécessaire, les doigts à l’aplomb sur les touches, comme un demi-cercle dont l’emprise  paraissait aussi totale qu’immobile. Le buste pivotait à peine. La concentration était d’un seul tenant, l’effort semblait nul, le toucher incomparablement détaché, varié, violent, sec, bondissant, frêle, sans qu’on pût le remarquer sur son corps ou qu’on pût le prévoir sur son front ou sur ses paupières. La première chose qui me fascina, c’est qu’elle tenait ses pieds comme un organiste, comme j’avais appris à le faire dans mon enfance, prêts à danser, sur le bout de la semelle, quoiqu’elle n’utilisât presque jamais les pédales.  (QUIGNARD, 1999 : 35) 

Quant à la claveciniste turinoise, elle est jeune, mais « ni plus ni moins belle que d’autres » ; elle n’en a pas moins « aimanté » pour le narrateur « toutes les questions ». Le récit restitue sa présence en mouvement, sa fantaisie et son mystère, l’exubérance de son jeu : 

[...] invention. C’était un autre parmi les mots qu’elle aimait, en tous domaines. Elle utilisait souvent ces trois syllabes qu’elle répétait quand elle s’asseyait au piano, devant la partition d’une des œuvres de Bach portant ce titre. Sur le tabouret, droite, les bras faussement relâchés, devenue l’élève d’un maître absent, elle exposait le thème à la dominante, le réexposait, individualisait les voix aussi clairement que le permettait l’unique clavier du piano, chantonnait par-dessus, se trompait à dessein, faisait pivoter le siège et me regardait, puis reprenait la phrase qui peu à peu se régénérait, se brouillait, perdait de sa polyphonie pour devenir plus uniforme, entêtante, et débouchait invariablement, au fil de son obsession, sur le rondeau des Barricades mystérieuses obstinément débité, chacune de ses notes piquée pour mieux imiter le clavecin mais peu à peu fondue dans une grande nappe, d’ombre ou de mélancolie, mystère du refrain sous le mystère d’un titre. J’entendais ces souches sonores se transformer les unes dans les autres, se mêler, réapparaître, plonger à nouveau dans une vibration sans contours, et si j’établissais un rapport entre ses doigts et ce que je percevais, s’il me semblait entendre plusieurs voix se confondre puis se dissocier, c’est parce que des mots s’étaient interposés entre elle et moi, entre les images, les sons et mon attente : les mots que je me répétais pour ne pas perdre pied, les titres des œuvres, Inventions et Barricades. Sans eux, correspondance, équivalence, passerelle, aurais-je entendu dans les notes de Couperin se substituant à celles de Bach une leçon pour la comprendre elle ? (SIMEONE, 2000 : 42).

Comprendre : le verbe se trouve aussi, à propos de Némie, dans Vie secrète : « Maintenant je la comprends enfin. Je comprends Némie Satler. » (QUIGNARD, 1999 : 56).

L’écoute musicale

Pour analyser le phénomène de l’écoute, je prendrai comme arrière-plan – plutôt que comme point d’appui – théorique deux extraits de l’étude de Günther Stern, « Contribution à une phénoménologie de l’écoute ». Voici le premier : 

On « écoute ». Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que, de l’infinité des phénomènes audibles, on en extrait un et on l’isole de telle sorte que, désormais (c’est-à-dire pendant l’écoute), tout le reste étant mis de côté, il est la seule et unique chose qui existe. Ce mode attentionnel de l’écoute, évidemment distinct du simple fait neutre d’entendre, doit être soutenu pendant toute la durée du morceau et rien de ce dernier ne doit échapper à celui qui écoute. (STERN, 2007 : 37). 

C’est ce qui se produit dans Cavatine3. Il s’agit d’un récit à la première personne. Un critique musical écoute les enregistrements qu’il reçoit dans un garage aménagé en bureau, chambre d’écoute aux murs insonorisés par du liège (la référence à Proust est présente). Le retrait et la solitude sont indispensables à l’attention profonde que requiert l’écoute. Il décide d’entendre en une nuit l’intégrale des quatuors à corde de Beethoven. La narration s’étend donc sur neuf heures environ. Mais cette unité de temps, qui s’ajoute à celle de lieu, s’ouvre sur une remontée temporelle, et un retour, par le biais de la mémoire, dans la ville où il a vécu vingt ans auparavant. Au terme du récit, l’article que le critique se proposait d’écrire n’est plus mentionné ; il a laissé place au livre, issu de la voix intérieure du narrateur. 

Pascal Quignard parle toujours de la musique en général, même s’il cite souvent les noms de musiciens – généralement des musiciens français de l’âge baroque, Sainte-Colombe, Marin Marais, Couperin. Il ne va ni en deçà, ni au delà (il n’évoque Rameau que tardivement, au principe de Dernier royaume4), et ne sort pas de l’hexagone (même lorsqu’il évoque brièvement la naissance de l’opéra, dans La Haine de la musique, il ne cite pas le nom de Monteverdi ; il ne parle jamais de Haendel ou de Vivaldi). Bernard Simeone, lui, fonde son écoute dans Cavatine sur des partitions bien précises, les derniers quatuors de Beethoven, mais aussi la pièce pour clavecin de Couperin intitulée Les Barricades mystérieuses, dont le souvenir est obsédant ; la dernière sonate pour piano de Schubert ; la sonate de Beethoven intitulée La Tempête…).

Le silence

La musique sourd du silence et en conserve mémoire. Le narrateur de Cavatine se souvient d’un concert donné à Sienne par Sviatoslav Richter où celui-ci joua notamment la sonate de Beethoven dite « La Tempête ». L’attitude du pianiste, tout en retrait, en effacement, fait d’autant mieux ressortir et ressentir ce qui sous-tend les notes, l’invisible de la partition. Paradoxalement, la musique, quand elle est servie par un interprète exceptionnel, permet de faire entendre aussi ce qui n’a pas de son : 

Les minutes de l’opus 31 numéro 2, ainsi interprété, laissaient entrevoir un continent dans toute son épaisseur et toute son extension. Leur début n’était pas une rupture d’avec le silence, il conservait en lui ce qui avait précédé les notes initiales, comme le conservaient aussi les phrases impératives et sonnantes qui émergeaient du prélude et structuraient le mouvement par leurs brusques pauses, leur suspens ayant valeur de questions. Vitesse trouée d’arrêts du premier mouvement, retard de la ligne mélodique dans l’adagio, tournoiement du rondo final : c’était toujours la même cohérence organique entre le flux sonore et sa matrice intangible. (SIMEONE, 2000 : 60)

Le silence est pour les deux écrivains un nécessaire préalable à l’écoute musicale. Dans La Haine de la musique, Quignard s’étonne qu’on mette parfois des bandes sonores dans les églises, ce qui lui semble détourner du recueillement et de la prière (QUIGNARD, 1996 : 275). Dans Tous les matins du monde, il imagine Marin Marais se rendant le soir à la porte de Jean de Sainte-Colombe : il « écoutait, l’oreille collée à la paroi de planches, le silence. » (QUIGNARD, 1991 : 96). Dans Vie secrète, le mutisme est la condition imposée par les règles sociales des retrouvailles de Némie, mariée, et de son jeune amant ; mais il permet un approfondissement d’autrui que la parole n’autorise pas et qui relève du sacré : 

Nous inventâmes par hasard une paroi de silence. […]
Le silence permet d’écouter et ne pas occuper l’espace qu’il laisse nu dans l’âme de l’autre.
Seul le silence permet de contempler l’autre.
En se taisant ni l’un ni l’autre ne se retranchent derrière sa pensée ni ne posent le pied sur le continent de l’autre patrie. Dans le silence, devenant un étranger devant un étranger, ils deviennent intimes. Cet état est celui de l’étrangeté intime. Dans la vraie étreinte on découvre que le corps parle une langue étrangère extraordinairement mutique. En parlant on ne la comprend pas. Mais si on l’écoute, on apprend l’autre. 
Elle n’avait pas le droit de crier ; je n’avais pas le droit de répondre ; toutes lèvres étaient mordues ; une sorte de cadenas nous enchaîna alors jusqu’à l’âme ; tout refluait en nous […] ; le silence devint une main qui entrait en contact avec quelque chose qui était bien en deçà de ce que dissimulaient ou révélaient les mots et leurs pudeurs, et leurs précisions scissipares dans l’âme, et les évaluations sociales qu’ils transportaient ; on toucha l’inconnu derrière la nudité. C’est cette expérience, qu’il m’est si difficile d’exprimer, qui me pousse à écrire ces pages. J’eus l’impression d’une piété […]. (QUIGNARD, 1999 : 86-87)5.

Dans Cavatine, c’est par la méditation sur la surdité de Beethoven que le narrateur approche le silence : 

Quatuor n° 1 de l’opus 18, en fa majeur. Je sélectionne la seconde plage, afin d’entendre aussitôt ce que les interprètes ont pu faire d’un mouvement dont j’ai en tête chacune des mesures. Il me faut la violence intériorisée de l’adagio pour renouer avec le garage après deux semaines d’absence et habiter à nouveau la coque bétonnée qui concentre sur moi tous les sons. […] son oreille était intacte quand il composa ces phrases qui s’interrompent ou se perdent, questions véhémentes, trouées d’un silence massif. S’y pressent le mutisme que le monde sera bientôt pour lui. À moins qu’elles ne soient un hommage aux abîmes cachés de leur dédicataire, ce prince à demi paralysé depuis l’enfance, pour qui Haydn composa aussi des quatuors. Neuf croches par mesure, une batterie funèbre dès le début du mouvement, la scène du tombeau de Roméo et Juliette, a-t-il avoué, puis la déploration qui fait franchir à la musique une étape avant de retomber dans ses voiles. Une irruption d’archets sur un continent vierge, une effraction. Qu’a-t-il en tête lorsqu’au cœur du quatuor et de ce qu’il représente, modèle, épure, il introduit l’orage ? Pas l’orage des grondements, roulements, échos dans la plaine, mais celui qui laisse la muraille béante, ouverte sur un chaos que le bruit le plus atroce ne peut évoquer, encore moins rendre aimable, ou simplement audible. Lui – le nom de ses ancêtres signifie « jardin de betteraves » et parmi eux se trouve Ludwig l’ancien qu’il vénère – c’est par là qu’il entrera vraiment sur la scène du monde, par ces quatuors de l’opus dix-huitième où la bienséance n’a plus cours. C’est par là que de son nom il va signer la foudre. (SIMEONE, 2000 : 23-24)6.

Mais à l’horizon de la réflexion sur le mutisme du monde pour le compositeur devenu sourd,  il y a une autre forme de silence qui, contrairement à celui des amants de Vie secrète, n’a pas été un partage mais une mortifère absence de réponse. 

Pour Pascal Quignard aussi, toutefois, la recherche d’un silence profond peut être un signe annonciateur de mort. C’est ainsi que, passant du général au particulier, il illustre ses réflexions par les propos prémonitoires de Clara Haskill après son dernier concert : 

La proie que poursuivent les interprètes, c’est le silence de leur public. Les interprètes cherchent l’intensité de ce silence. Ils cherchent à plonger ceux qui leur portent toute leur attention dans un état extrême d’audition vide, préalable au se faire entendre.


Trouer le fond sonore préalable pour faire place à l’enfer du silence spécifique, du silence humain.
C’est le mot de Clara Haskil après qu’elle eut interprété la sonate en mi mineur de Mozart au théâtre des Champs-Élysées. Elle confia à Gérard Bauer : 
« Je n’ai jamais rencontré un tel silence. Je ne sais pas si je le retrouverai jamais. »
Six jours plus tard, Clara Haskil tomba la tête la première dans l’escalier, en gare de Midi, à Bruxelles, la rampe échappant à ses doigts. (QUIGNARD, 1996 : 294).

L’obscurité

Le silence, prélude et condition d’une écoute profonde, s’accompagne d’obscurité, dans Cavatine. Le narrateur s’enferme dans l’espace sombre et réduit d’un garage. Le cadre est sans beauté, mais c’était déjà dans un lieu dévalué, un supermarché, que le narrateur, plus de vingt ans auparavant, avait eu la révélation de « la musique enfin musique » (SIMEONE, 2000 : 13), découvrant un enregistrement d’une musique sublime, la dernière sonate pour piano de Schubert, au milieu des odeurs de nourriture et des annonces publicitaires. Il rappelle aussi que Beethoven a vécu dans des taudis. Tout au long du récit est réaffirmée la volonté de ne pas s’enfermer dans un monde idéal : tous les aspects du réel coexistent dans Cavatine.

Le récit contient de nombreuses pages analysant l’écoute, et décrivant des extraits de partitions pour en étudier les répercussions émotionnelles et physiologiques. Il faut souligner le paradoxe des descriptions de pages musicales, qui équivalent à ce qu’est l’ekphrasis pour les arts plastiques, alors même que, Pascal Quignard l’a maintes fois rappelé, la musique ne se voit pas. De fait, le narrateur de Cavatine souligne au début du livre les difficultés à la dire : 

Des mots me seraient nécessaires, par eux je tenterais de prolonger ce que j’avais entrevu, autorisé peut-être à m’y glisser de nouveau. Je pouvais transformer en métier ces mots que la musique ignorait mais qui tenteraient de la dire, tâche absurde et aussi, pour qui j’étais alors, exigeante et sincère. Mots tendus vers ce qu’ils ne pourraient être, en éternels auditeurs, en éternels lecteurs, humiliés mais vivants. (SIMEONE, 2000 : 14)

Le premier lieu, le garage, s’appréhende  par l’oreille. Paradoxalement, ce récit sur la musique s’ouvre sur l’évocation de bruits sans harmonie : grincements de la porte, crissement de la scie et des outils des voisins sur l’établi, et vrombissement des motos, au loin : bruits proches ou lointains (les plus lointains adoucis par le mur anti-bruit du périphérique), devenus familiers, et dont certains (le grincement de la porte) contiennent une sourde menace, celle d’un possible effondrement. Ce grincement réel a aussi une dimension symbolique : pour franchir la porte, il faut passer par la dissonance et le risque du danger, avant d’accéder à l’espace musical. Le récit rappellera plusieurs fois les failles dans l’harmonie qui s’inscrivent au sein des partitions elles-mêmes, ou encore au cœur de Turin, et de l’histoire d’amour vécue là-bas avec une claveciniste – histoire qui s’est mal terminée. 

Le garage est censé être le lieu d’énonciation, comme l’indiquent les nombreuses mentions du présent à valeur quasi performative, ou du futur proche, avec le rappel insistant, quasi litanique, du moment nocturne : « Je les écouterai en une nuit, cette nuit » ; « Je sélectionne la seconde plage » ; « cette nuit » ; « Dehors la nuit est tiède. » ; « Cette nuit, dans le garage, le mouvement lent, la cavatine […], semble écrit par l’espace lui-même qui s’incurve. » ; « Cette nuit, je n’écouterai ni le quinzième ni le seizième quatuor. » (SIMEONE, 2000 : 17, 23, 64, 83, 99, 123). Mais dans ce lieu clos, derrière d’autres clôtures (le casque, l’intégrale des quatuors) s’ouvre, par le biais de la mémoire, un véritable arrière-pays : de la France, le narrateur passe en Italie ; immobile dans son garage de la banlieue parisienne, il revit le rêve de devenir Turin. On assiste à une véritable dilatation de l’espace, celui-ci s’élargissant en espace mental. 

Le narrateur semble donc répondre à l’une des questions posées par Günther Stern : 

comment le monde existe-t-il pour l’écoute ? Encore une fois, ce n’est pas comme s’il s’agissait d’étudier – comme on le fait, par exemple, avec le monde des aveugles – le monde de ceux qui seulement entendent. Car la véritable écoute est celle d’une conscience qui possède aussi l’autre monde, c’est l’écoute d’une conscience qui, cela va de soi, est soumise à l’ensemble des possibilités acoustiques et musicales de la vie personnelle, l’attention étant l’une de ces possibilités. (STERN, 2007 : 37) 

Le rêve de devenir Turin est à mettre en relation avec celui de devenir musique, qui l’habitait au sortir de l’adolescence, jusqu’à la névrose : « J’ai cru devenir fou de ne pas être la musique » (SIMEONE, 2000 : 22). Ainsi, la musique se révèle être le centre de gravité, non seulement du récit, mais de la vie du narrateur. Rien ne se conçoit en dehors d’elle. Aussi peut-il reconnaître : « la musique est l’essentiel de ma vie » (SIMEONE, 2000 : 11). Il cherche « à débusquer en chaque interprétation ce que la musique a de nu. » (SIMEONE, 2000 : 14). En dépit des difficultés, reconnues d’emblée, à parler de la musique, le narrateur tentera d’en cerner le mystère, soit en l’évoquant de façon générale, comme dans la première page, soit, plus souvent, en analysant des morceaux spécifiques, ceux qu’il écoute, ou qu’il a écoutés (la pièce pour clavecin de Couperin intitulée Les Barricades mystérieuses, que jouait souvent la femme aimée ; la dernière sonate pour piano de Schubert ; la sonate de Beethoven intitulée La Tempête…). Il n’oublie pas que la musique vient du silence et en conserve la trace : cette remarque vaut aussi pour l’écriture en général, et l’écriture de ce récit en particulier, qui, sur fond d’accompagnement musical, est un acheminement vers l’aveu d’une « faute » jusqu’alors tue. 

Le creux

Parmi le déploiement des thèmes qui structurent le récit, celui du creux, disséminé de façon à la fois régulière et discrète, rappelle le choix du titre et le justifie : une cavatine est une aria brève qui prend son point de départ dans le récitatif d’un opéra. Le mot vient du verbe latin « cavare », qui signifie « creuser ». En effet, la cavatine semble « creusée » dans le récitatif de l’opéra. Le terme peut aussi désigner un équivalent non lyrique, simplement instrumental, comme par exemple la cavatine du 13e quatuor de Beethoven, à laquelle est consacrée le très bref chapitre 35 : 

Cette nuit, dans le garage, le mouvement lent, la cavatine, cavare, creuser, où certains ne voient que musique assourdie, presque sans grâce, semble écrit par l’espace lui-même qui s’incurve. […] Là je voudrais être, demeurer. Pas innocent, pas irréel, pas la proie d’une illusion : juste, au juste niveau. Quand la densité n’a pas besoin de preuve. (SIMEONE, 2000 : 99). 

Le sens de cette descente en profondeur est pluriel : « creusement de la mémoire », comme le signale le texte de quatrième de couverture ; creusement de l’écoute, et de la sensation ; creusement de l’énigme, d’une question qui reste sans réponse ; mais aussi, métaphoriquement, creusement d’une sépulture, d’un tombeau, sous forme de récit, pour la femme aimée, et définitivement perdue. À l’instar du Beethoven des derniers quatuors, le narrateur écrit « pour le rien de la réponse, parce qu’une irréductible tension l’y poussait. » (SIMEONE, 2000 : 20). Sur le plan temporel, le narrateur voudrait faire disparaître les vides qui séparent le présent du passé. C’est pour tenter de les combler qu’il entreprend son récit : « […] je me le suis sans cesse répété, répété ce que la musique, même la plus mélodieuse, apprend, qu’il n’y a pas de continuité dans le parcours, que des tranchées profondes s’ouvrent entre les époques » (SIMEONE, 2000 : 24). 

            Ce motif récurrent du creux, on le retrouve partout. Le narrateur l’évoque lorsqu’il se prépare à l’écoute : peut-être faut-il, pour être à la fois attentif et disponible, « juste s’incurver » (SIMEONE, 2000 : 18). Les mouvements musicaux lents appellent une image analogue : « Le sol qui se dérobait dans le creusement des adagios était ma terre véritable, temps délivré du temps, de l’obsession d’être vécu sous forme de temps, et, pour cela, devenu temps vrai. » (SIMEONE, 2000 : 21)7. Ce qui vaut pour l’auditeur était déjà vrai pour le compositeur, Beethoven : « Il disait que dans les quatuors, au fur et à mesure que le compositeur perdait l’ouïe, les sons se rapprochaient, dans leur étrangeté, de la nature qu’il ne pouvait plus entendre, comme si son oreille s’était creusée, à l’écoute de l’écoute. » (SIMEONE, 2000 : 30). C’est d’ailleurs le sens d’une citation de Beethoven lui-même tirant leçon de sa surdité : « Je ne peux donc chercher un point d’appui qu’au plus profond de mon être. » (SIMEONE, 2000 : 81). De fait, le narrateur est particulièrement sensible aux moments qui, dans les quatuors, disent cette profondeur insondable : il évoque la « vitesse trouée d’arrêts du premier mouvement […] » (SIMEONE, 2000 : 60) ; et « ces phrases qui s’interrompent ou se perdent, questions véhémentes, trouées d’un silence massif » ; ces « abîmes cachés » ; cette « muraille béante, ouverte sur un chaos que le bruit le plus atroce ne peut évoquer » (SIMEONE, 2000 : 23). Tout cela renvoie, directement, à la rupture abrupte avec la femme aimée, à son corps finalement creusé de force, à sa bouche à jamais fermée sur un silence lui aussi insondable. 

La fugue

L’autre motif structurant est celui de la fugue, dans les deux acceptions du terme, sens littéral et sens musical. Il s’oppose au précédent tout en le complétant, introduisant dans le récit une dialectique de la surface et de la profondeur, de l’horizontal et du vertical. Qu’elle soit fuite dans l’espace ou forme musicale, la fugue est toujours, dans Cavatine, liée au vertige, et ce, dès le début du récit. Le narrateur évoque d’emblée la « fugue incommensurable » qui clôt le treizième quatuor, et auquel Beethoven a été contraint de substituer une page plus abordable, pour les auditeurs de son temps, constituant « un massif moins escarpé que l’effrayante fugue et ses rampes d’accords bruts. » (SIMEONE, 2000 : 17).

De même qu’il doit admettre la non-résolution des dissonances, il doit aussi concevoir que la musique existe en dehors de lui, même si la localiser demeure un mystère, ce qui l’amène à imaginer, non plus seulement la femme qu’il aimait, et qu’il surnommait « Fughetta », marchant avec lui dans les rues de Turin, mais la même, séparée de lui, seule dans la ville. Ainsi, ce vers quoi la musique, écoutée depuis le dernier retour de Turin, le guide, c’est vers la confrontation avec l’inconnu – donc, il s’agit aussi d’une préparation à la mort (Bernard Simeone était très malade, et se savait probablement condamné, au moment où il a écrit ce livre) : « Le départ, toujours brutal, nous l’appelons inhumain, il ne l’est pas. Simplement il est. Inhumain, il ne l’est que pour nous. » (SIMEONE, 2000 : 44). Si la musique n’affronte pas la mort (SIMEONE, 2000 : 63), elle peut rendre possible l’affrontement des êtres avec cet inconnu ; elle établit ainsi un passage. Le retour de Turin aura permis au narrateur de soutenir le réel. La musique donne encore parfois l’illusion d’une résolution ; l’expérience vécue du narrateur le mène au-delà de cette résolution illusoire : « Au début du troisième quatuor Razoumovski, dans l’introduction lente, indistincte, le concert des instruments surgit du marasme comme son issue la plus probable. C’est le contraire de la vie, où la crise est crise et ne promet rien, où les vrais tunnels sont d’un noir absolu. » (SIMEONE, 2000 : 57). On comprend alors pourquoi Bernard Simeone a écrit un « récit », et non pas un « roman » : le genre romanesque suppose un début et une fin, donc impose un sens, une relative résolution des conflits qui contredirait ici l’expérience vécue. Dans le récit, à mi-chemin entre poème et prose, une voix se fait entendre, celle d’un narrateur au mieux soucieux d’y voir, au terme du parcours, un peu plus clair, mais sachant qu’aucune réponse n’est possible. On comprend aussi pourquoi, de toutes les formes musicales, seule la fugue, infiniment ouverte, correspond à la structure de son expérience, celle-ci étant à jamais marquée par l’amour porté à une femme insaisissable : « Je n’entre en résonance désormais qu’avec la fugue du finale […]. Je ne peux qu’épouser la fugue où se fondent toutes celles qu’elle aimait. Je ne peux qu’accepter de tout perdre, et son image même, d’abord son image, pour ne pas lui être infidèle. » (SIMEONE, 2000 : 57). Libre, la musique guide aussi vers l’acceptation de la liberté de l’autre, le respect de l’altérité, la dissipation du rêve de fusion, de possession égoïste. Le narrateur peut alors imaginer celle qu’il aimait « vivante et autre que moi, autre comme un jour d’il y a vingt ans je n’ai pas su l’admettre. » (SIMEONE, 2000 : p. 84). La musique l’a définitivement désencombré. 

La musique et le temps

La musique échappe au temps humain ; elle crée un autre temps, comme l’écriture. Et, ainsi, elle échappe également au néant. Elle ne peut incarner une « figure parfaite du deuil » (SIMEONE, 2000 : 64), car elle ne renvoie, en dernière analyse, qu’à elle-même, comme la poésie selon Baudelaire ; mais son secours, et le salut qu’elle apporte, est ailleurs : rien, ni la mort de l’aimée, ni celle de Beethoven, ni la perspective de celle du narrateur, « ne pourra faire que l’évidence du quatuor n’ait pas été, que forme et construction ne l’aient emporté sur le rien dans ces notes. » (SIMEONE, 2000 : 64). 

Pour autant, la musique ne protège pas le narrateur, ne lui confère plus l’illusion d’une « vérité imprenable ». C’est le retour sur les lieux de la vie passée, et la confrontation avec un réel perçu comme un non-sens (la déchéance puis la mort de la musicienne aimée) qui lui fait prendre mesure la vraie mesure du temps, et change, par conséquent, son rapport à la musique : « Aujourd’hui où je la sais morte, où je suis revenu de Turin, la musique ne peut être simplement elle-même. » (SIMEONE, 2000 : 56). C’est pourquoi, à certains moments, le récit glisse sans aucune transition du souvenir à l’écoute présente. En effet les transitions, dictées par l’extérieur, constructions d’appui toujours un peu factices, sont devenues inutiles, tant l’osmose est profonde entre ce qu’il a vécu et le mouvement qu’il écoute. On ne sait plus si c’est la musique qui amène tel souvenir, ou si c’est le souvenir qui dicte une interprétation de la musique : 

Combien de secondes, prétend-on savoir désormais, sont nécessaires à deux corps pour se désirer dès leur première rencontre, pour comprendre qu’ils feront ensemble quelques tours ? Et combien de temps pour extraire de ce hasard une raison plausible, un sentiment ? Le second mouvement du septième quatuor est la cruauté même. Le hasard y dépasse tout mérite et tout calcul. (SIMEONE, 2000 : 39). 

Ces remarques valent aussi, notamment, pour l’ensemble du chapitre 27, constitué d’un unique paragraphe où s’entrelacent des notations sur la violence du onzième quatuor, le souvenir du passage récent près des arcades de Comacchio, et, une fois encore, celui de la femme aimée, au moment de l’irréparable. La musique, et elle seule, parvient donc à faire « lever la pâte du temps » (SIMEONE, 2000 : 51), et c’est pourquoi elle seule peut accompagner le narrateur dans le labyrinthe de la mémoire, liant, unifiant des moments qu’il croyait perdus dans l’espace infini du passé. Au début du chapitre 16, il s’interroge sur la meilleure traduction possible du titre d’une partition de Purcell : « Music for a while. Comment traduire ? Est-ce musique pour un temps, musique un instant, pour passer le temps, pour le tamiser, le faire trépasser ? » (SIMEONE, 2000 : 52). Si le recours au texte du poème mis en musique par Purcell apporte une réponse, c’est encore le récit lui-même, un peu plus tard, qui précise, de la façon la plus juste possible : la musique s’affirme comme « le plus vrai de tous les temps, un temps qu’on peut habiter » (SIMEONE, 2000 : 63), ce qui fait écho à l’expression « donner une forme au temps » suscitée par l’écoute de la dernière sonate de Schubert (SIMEONE, 2000 : 13). C’est encore la musique qui, même si elle n’est pas perçue comme un secours, une consolation, permet de faire advenir, au fil de l’écoute des quatuors, l’aveu de la « faute » (plusieurs fois suggérée, mais seulement décrite p. 88) dont le narrateur espérait un improbable pardon. 

Si le narrateur n’attend « rien de la musique », comme il l’affirme en citant ses propres paroles, à l’ouverture du livre, il est malgré tout en quête d’un absolu vers lequel seule la musique pourrait le guider. D’où l’exigence de trouver, au fil des divers enregistrements écoutés pour exercer son métier de critique, « une mesure, un accord où se concentrerait la musique, où elle acquerrait une densité » (SIMEONE, 2000 : 21). Comme « la vérité du chant et du rythme » n’est jamais donnée une fois pour toutes, que toujours elle se dérobe, la quête n’a pas de fin : « Je ressortais de l’écoute anéanti par une tension vaine, mais prêt à poursuivre, en quête d’une figure ou d’un chiffre qui m’exempterait du reste et ferait de la vie, en regard de ces moments extrêmes, une anecdote. » (SIMEONE, 2000 : 21) Le narrateur parle plus tard d’ « écoute nue », reprenant plusieurs fois cet adjectif pour traduire le dépouillement, l’ascèse, la pureté qu’il recherche8. Après avoir voulu devenir musique, après avoir métamorphosé en musique la femme aimée, il exprime la dernière station de sa quête : « Il faudrait être l’écoute nue. » (SIMEONE, 2000 : 66). Peut-être le « grand sourd », comme on surnommait Beethoven, l’a-t-il atteinte. 

Cette exigence9, il l’a partagée avec celle qu’il aimait, lui dans l’écoute, elle dans l’interprétation, mais sans communion possible, sauf à de très rares moments (où elle-même écoutait, avec lui, Richter à Sienne), d’où la rupture entre deux êtres qui visaient plus haut que la vie. Dans ce récit d’initiation et d’épreuves, seule la mort d’un des deux amants, consécutive à l’échec et à l’auto-destruction, ouvre la possibilité d’une concrétisation de l’absolu – dans une autre forme de distance et d’absence il est vrai, celles de l’écriture. Évoquant les moments d’écoute les plus denses, avant son retour à Turin, le narrateur écrit : « Le sol qui se dérobait dans le creusement des adagios était ma terre véritable, temps délivré du temps, de l’obsession d’être vécu sous forme de temps, et, pour cela, devenu temps vrai. » (SIMEONE, 2000 : 21). Les échos proustiens sont évidents ici, bien avant la mention du nom de Proust dans le récit. Or, ce sur quoi le récit débouche, c’est bien sur une ressaisie du temps dans l’art, et par conséquent une délivrance vis-à-vis du temps vécu, en même temps qu’une victoire sur lui. Cette remarque finale vaut tout autant pour Vie secrète. « Un beau texte », y lit-on, est « un Entendre pur » (QUIGNARD, 1999 : 58-59).

Bibliographie

Monographies

LÉPRONT C., Le Café Zimmermann, Éditions du Seuil, Paris, 2001.
QUIGNARD P., Tous les matins du monde, Gallimard, Paris, 1991.
–––La Haine de la musique, Calmann-Lévy, Paris, 1996.
–––Vie secrète [1998], Gallimard, Paris, coll. “Folio”, 1999.
SIMEONE B., Figures de silence, Jean Honoré, Lyon, 1983.
–––Éprouvante Claire, Verdier, Lagrasse, 1988. 
–––Acqua fondata, Verdier, Lagrasse, 1997.
–––Cavatine, Verdier, Lagrasse, 2000.
POULET G., L’Espace proustien [1963], Gallimard, Paris, 1982.
VELEZ A., Bernard Simeone, traducteur de Luzi, Caproni et Sereni en France, Herbita editrice, Palermo, 2011.

Direction d'ouvrages

GUERMÈS S. (dir.), Dossier Bernard Simeone, Europe, nos 938-939, pp. 265-290.

Articles

GUERMÈS S., « "Une vibration aux abords du rien" : la passion de Bernard Simeone », Francofonia, n° 55, autunno 2008, pp. 49-63.
STERN G., Zeitschrift für Musikwissenschaft, vol. 9, 1926-1927, pp. 610-619 ; traduction française par Laurent Perreau et Christer Leivo, Tumultes, 2007/1-2 (nos 28-29), p. 35-50.


Notes

↑ 1 Un an plus tard parut aussi Le Café Zimmermann de Catherine Lépront, aux Éditions du Seuil, roman trop peu connu, construit autour du concerto pour clavecin en ré mineur BWV 1052 de Jean-Sébastien Bach, et que j’ai brièvement présenté lors d’un séminaire en ligne de l’ARGEC le 11 janvier 2021.

↑ 2 « Sa voix était insidieuse et basse. Toujours douce, posée, placide, nullement séductrice, très articulée, sans grande inflexion, toujours très déterminée, toujours sensée, explicative, elle ouvrait simplement l’âme, argumentait ou plutôt entraînait en moi ses propres raisons, déposait ses indications, pénétrait en moi avec une évidence que j’étais incapable de contrecarrer. À cette voix, j’obéissais. Du moins j’y obéis dès que je l’entendis. Il est possible que la naissance de l’amour soit l’obéissance à une voix. À l’intonation d’une voix.La voix de Némie happait en ne cherchant pas à moduler et en rejetant toute rhétorique. […] J’attendais le retour de cette voix dès que j’avais levé l’archet, ou que je le laissais pendre au bout de mon bras, j’attendais ce qu’elle allait prescrire et qui illuminait la musique sans une seule fois prétendre lui assigner une signification. » (QUIGNARD, 1999 : 23-24).

↑ 3 Compte tenu de la masse de l’exégèse quignardienne, et du peu d’études qui existent sur l’œuvre simeonienne, c’est Cavatine que j’analyserai surtout. L’exégèse universitaire de l’œuvre de B. Simeone se compose du bref volume collectif Pour Bernard Simeone : au terme des mots, Lyon, ENS éditions, 2003, d’un bref dossier dans un numéro d’Europe, juin-juillet 2007 (p. 265-290, sous la dir. de Sophie Guermès, avec des textes de Philippe Jaccottet, Franco Buffoni, Valerio Magrelli, Jean-Baptiste Para, Antonino Velez ; d’un autre article de S. Guermès, « "Une vibration aux abords du rien" » : la passion de Bernard Simeone », Francofonia, n° 55, autunno 2008, pp. 49-63 ; et de l’essai d’Antonino Velez, Bernard Simeone, traducteur de Luzi, Caproni et Sereni en France, Herbita editrice, Palermo, 2011.

↑ 4 « C’est une Allemande de Rameau que j’ai follement aimé jouer pendant tous les mois de 1997 qui suivirent. » (Sur l’idée d’une communauté de solitaires, Paris, Arlea, 2015, p. 35).

↑ 5 Cf. ibid., p. 403. Et La Haine de la musique, pp. 138-139 : « Pourquoi l’ouïe est-elle la porte de ce qui n’est pas de ce monde ? Pourquoi l’univers acoustique a-t-il dès l’origine consisté dans l’accès privilégié à l’autre monde ? »

↑ 6 Cf. Bernard Simeone, Acqua fondata,  Lagrasse, Verdier, 1997, p. 130 (à propos de Giorgio Caproni, chapitre intitulé « Ligure de Rome ») : « Au téléphone, nous parlions de l’andantino grêle, trop nu même pour être un glas, de l’avant-dernière sonate de Schubert, et de la façon si peu terrestre dont Sviatoslav Richter, au début de la sonate suivante, expose le premier thème, sans rompre le silence : une infinité de cercles. C’était pour Giorgio un univers terminal, toutes les forces y tendaient à travers des clairières de mots, jusqu’aux équivalence inaccessibles. Comme je lui disais que Rubinstein souhaitait entendre à l’heure de sa mort, du même Schubert, l’adagio du quintette à deux violoncelles, conçu d’après lui pour faciliter aux humains le passage d’un monde dans un autre, il me répondit qu’il souhaitait entendre cette même musique, au moment de passer du monde dans le rien. »

↑ 7 Cf. ibid., p. 33 : « Aussi loin qu’elle aille dans l’abandon, aussi profond qu’elle se creuse, l’écoute est un acte, une décision. ».

↑ 8 Cf. la suite de poèmes « Silvacane », dans le recueil de Bernard Simeone Éprouvante Claire (Verdier, Lagrasse, 1988).

↑ 9 Cf. la belle expression : « quand l’absolu brûle au milieu des ruines » (SIMEONE, 2000 : 111).


 

Dipartimento di Lingue e Culture Moderne - Università di Genova
Open Access Journal - ISSN électronique 1824-7482