« Brèche dans l’écoute » : écrire « avec la musique » dans « La Troisième Main » de Michèle Finck
Table
1. « Noir avec torche de musique » (FINCK 2015 : 129) : les conditions d’écoute et d’écriture
2. Écrire avec la musique : un dispositif poétique original
Abstract
Francese | IngleseCet article examine un cas très spécifique d’écriture mélomane centré sur la traduction des émotions musicales : le recueil de poésie La Troisième Main de Michèle Finck (Arfuyen, 2015). Ce recueil est né d’une expérience d’écriture singulière : la poétesse, momentanément aveugle à la suite d’une opération des yeux connaît, dans le noir total, une plongée dans la musique et un approfondissement de l’écoute. L’œil refermé fait éclore et s’ouvrir, plus que jamais, l’oreille, qui accueille, qui souffre, qui jouit et qui, souvent, s’interroge par l’écriture. Le dispositif du recueil est original, inédit : chaque poème est accompagné du titre d’une œuvre musicale, du nom du compositeur et des interprètes, parfois également de la citation de paroles chantées, avec leur traduction. Chaque poème devient donc à la fois traduction d’une écoute et d’émotions vécues lors de l’écoute, et désir d’inclusion de l’œuvre musicale dans la poésie elle-même. Si l’expérience d’écriture de ce recueil est singulière, l’expérience de lecture l’est aussi car, grâce aux informations liminaires sur le titre de l’œuvre musicale donnant naissance au poème, elle fait appel à la mémoire musicale et émotionnelle du lecteur, voire convie à une écoute et une lecture simultanées, ou à la réécoute à travers le poème.
Tous les recueils poétiques de Michèle Finck témoignent d’un rapport vital à la musique. Dès son premier opus, L’Ouïe éblouie (FINCK 2007), nous découvrions des poèmes liés à des compositeurs ou à des interprètes – Beethoven, Schumann, Mendelssohn, Schubert, Vivaldi, Monteverdi, Mozart, Haendel, Claudio Arrau – et une connaissance intime de la musique, apprise depuis l’enfance. Dans Balbuciendo (FINCK 2012), nous rencontrions Debussy et Messiaen. Le recueil Connaissance par les larmes (FINCK 2017) déployait, dans une de ses sections, le thème des larmes à travers des œuvres musicales. Enfin, son dernier recueil, Sur un piano de paille (FINCK 2020), signalait dès son titre l’importance du piano dans la vie et l’œuvre de la poétesse. Mais c’est sans aucun doute dans La Troisième Main (FINCK 2015) que l’entreprise d’écriture « à et avec la musique » (FINCK 2015 : 129) est la plus centrale : elle est le projet du recueil tout entier.
Ce recueil, constitué d’une suite de cent poèmes nous conduisant de Bach à Berio en passant par une cinquantaine d’autres compositeurs de musique classique et contemporaine, et même par le jazz, est né d’une expérience d’écriture singulière : la poétesse, momentanément aveugle à la suite d’une opération des yeux connaît, dans le noir total, une plongée dans la musique et un approfondissement de l’écoute. L’œil refermé fait éclore et s’ouvrir, plus que jamais, l’oreille, qui accueille, qui souffre, qui jouit et qui, souvent, s’interroge par l’écriture. Le dispositif du recueil est original, inédit : chaque poème est accompagné du titre d’une œuvre musicale, du nom du compositeur et des interprètes, parfois également de la citation de paroles chantées, avec leur traduction. Chaque poème devient donc à la fois traduction d’une écoute et d’émotions vécues lors de l’écoute, et désir d’inclusion de l’œuvre musicale dans la poésie elle-même. Si l’expérience d’écriture de ce recueil est singulière, l’expérience de lecture l’est aussi : grâce aux informations liminaires sur le titre de l’œuvre musicale donnant naissance au poème, chaque texte fait appel à la mémoire musicale et émotionnelle du lecteur, voire convie à une écoute et une lecture simultanées, ou à la réécoute à travers le poème. Michèle Finck, par ces poèmes, répond à une double interrogation : comment écrire non pas sur la musique, mais avec elle ? Comment partager une écoute musicale par la poésie ? Ce désir de partage de l’écoute passe par un très grand travail sonore et rythmique du poème, pensé pour traduire l’émotion musicale, de même que par une très forte présence du corps comme l’entité mue par la musique, corps souffrant ou jouissant et s’unissant au son.
1. « Noir avec torche de musique » (FINCK 2015 : 129) : les conditions d’écoute et d’écriture
La poétesse ne fait pas mystère de l’expérience de cécité qui fut à l’origine de son écriture : une note finale et un poème liminaire intitulé « Cicatrisation » dévoilent l’opération des yeux nécessitant une convalescence entièrement plongée dans le noir qui, par l’effacement du sens de la vue, ouvre « une brèche dans l’écoute » (FINCK 2015 : 129), à une profondeur encore jamais vécue. La musique accompagne la poétesse durant toute sa convalescence, elle est « torche » dans le « noir », tandis que « le son est guérison » (FINCK 2015 : 9). Michèle Finck a longuement analysé la fonction sotériologique de la musique, notamment dans son ouvrage Épiphanies musicales en poésie moderne, de Rilke à Bonnefoy : le musicien panseur (2014), où la musique répare et rédime un rapport au monde ou à soi meurtri ou difficile. Mais ici cette fonction sotériologique prend en charge la matérialité du corps elle-même : la musique guérit à la fois l’âme et le corps blessé, opéré et n’opérant plus que par l’ouïe pour entrer en contact avec le monde. L’absence de lumière pour les yeux conduit la poétesse, lors de l’écoute d’œuvres musicales, à des « illuminations sonores » (FINCK 2015 : 9), par le transfert d’une donnée visuelle – la lumière – en une donnée auditive, ainsi que le faisait déjà le titre de son premier recueil L’Ouïe éblouie. Ces illuminations sonores sont intérieures – contrairement à la vue qui se projette et scrute, l’oreille reçoit, intériorise – et affectent le corps tout entier pour le guider comme une « torche de musique », dans une démarche à la fois heuristique et salvatrice.
La singularité de cette expérience d’écoute est si radicale qu’elle semble même apparenter l’écoute musicale à une forme de seconde naissance. C’est dans le poème consacré à la Troisième leçon de ténèbres de Couperin (FINCK 2015 : 23), à l’ouverture de la seconde partie du recueil, que se lit cette renaissance par le son. Le titre choisi par Couperin, avec l’adjectif « troisième », entre en résonance avec le titre choisi par Michèle Finck pour son recueil, tandis que la « leçon de ténèbres » ne peut que faire écho à la cécité momentanée de la poétesse. Le texte latin utilisé par Couperin est cité par Michèle Finck dans ce poème (« Attendite et videte ») : il signale que la vue est conditionnée par une attente, par une forme de patience – dans son sens étymologique de souffrance également. La privation de la vue place la poétesse dans une position de vulnérabilité nouvelle, dans une obscurité face à laquelle la musique joue un rôle protecteur : la « leçon » de ces ténèbres se révèle au dernier vers du poème, « L’obscur est nu dans les langes des sons ». Être aveugle revient à être comme un nouveau-né dans le monde, cherchant à tâtons, nu et désarmé, entouré seulement des langes protecteurs des sons, ici ceux de Couperin qui savent « enlumine[r] la douleur ». Le sème de la lumière, présent à nouveau dans le terme enluminer, vient dire à quel point, au cœur du noir et de la cécité, c’est la musique qui éclaire, et qui lange la douleur.
2. Écrire avec la musique : un dispositif poétique original
Du lange à la langue, il n’y a qu’un pas, et le fin travail sonore effectué par Michèle Finck dans ce recueil nous encourage à le franchir1. Car il s’agit bien, pour comprendre l’expérience d’écoute profonde à l’œuvre dans La Troisième Main, d’interroger le travail poétique qui l’accompagne. Si les sons musicaux sont « langes », ils sont aussi « langue », mis en poèmes, et c’est sans doute la langue des sons créée par Michèle Finck qui a pour vocation d’emmailloter l’obscur et de tracer une voie lumineuse. Elle le formule explicitement dans la note finale du recueil : « non pas poèmes sur la musique, mais poèmes à et avec la musique ; poésie et musique intensément mêlées » (FINCK 2015 : 129). On peut en effet penser que toute parole poétique écrite à partir de l’écoute d’une œuvre musicale est condamnée à parler de la musique, à écrire sur elle, la préposition sur pouvant renvoyer à une idée de recouvrement, dans laquelle les mots viendraient, malgré tous les efforts du poète, recouvrir la musique, empêchant de l’entendre. Michèle Finck se propose au contraire d’écrire à la musique – comme en une forme d’hommage – mais surtout avec elle. Il faut comprendre cette préposition avec dans de multiples sens : les conditions même d’écriture du recueil font que, durant un temps de repos et d’isolement, les poèmes peuvent être écrits – du moins en partie – simultanément à l’écoute des œuvres musicales qui leur donnent naissance. Ils sont partiellement écrits pendant l’écoute. Ils tentent en outre de se tenir au plus près de la musique grâce à un dispositif inédit et systématique dans tout le recueil : l’inclusion dans le poème du nom du compositeur, du titre de l’œuvre, du nom des interprètes, et même parfois du texte des parties chantées. Ainsi, par exemple, pour le poème consacré à Porpora :
Porpora : Germanico in Germania
Cecilia Bartoli. Il Giardino Armonico.
« Parto, ti lascio, o cara.
Non sarà tanto amara
La pena del morir. »
Sensualité de la douleur.
Qui se sépare et monte haut
Dans le pourpre et brûle.
Musique répare-t-elle ce qui sépare ?
Silence est-il l’ombre du secret ? (FINCK 2015 : 24)
Où commence, ici, le poème ? Non pas lorsque les paroles de la poétesse prennent le relais de la citation du texte musical, mais bien dès la mention du nom du compositeur. L’enchaînement des noms propres et du titre de l’œuvre, tout en paronomases et en jeux d’échos, fait entrer les créateurs de la musique dans le poème, dans son travail sonore. Mais se crée surtout un entremêlement du poème et de la musique en cela que les sonorités de ces noms propres et du titre résonnent jusque dans le texte chanté cité (de « Porpora » à « Parto, o cara », de « Germania » à « amara », avec inversion du son rma en mar), puis essaiment discrètement dans les mots choisis par Michèle Finck : le « monte haut » semble faire écho au « Armonico », tandis que le terme « pourpre » renvoie à « Porpora ». Par ce dispositif, un fil sonore est ainsi tissé entre compositeur, interprètes, texte chanté et texte poétique, qui se trouvent tous embrassés par le poème.
Le désir que le poème, par les moyens langagiers qui sont les siens, parvienne à inclure en son sein quelque chose de la musique, se révèle également par le passage, dans certains poèmes, des indications présentes sur les partitions : « Andantino », « Adagio » ou « Sehr rasch » à l’ouverture de poèmes consacrés à Schubert (FINCK 2015 : 25, 41, 58), « Perdendosi » à la toute fin du poème faisant écho à La Fille aux cheveux de lin de Debussy (FINCK 2015 : 49), « Vivace ma non troppo » pour le double concerto de Brahms ((FINCK 2015 : 62), parmi d’autres. Ces indications d’allures ou de dynamiques ont une double destination performative : elles valent, en tant qu’éléments de la partition, pour la musique et son interprète, mais en faisant leur entrée dans le poème, elles valent aussi comme des guides de lecture pour le poème lui-même. Le lecteur mélomane de La Troisième Main est invité à lire le poème selon la même allure, la même dynamique que celle de l’œuvre musicale qui a donné naissance au texte. Entremêler des éléments textuels performatifs appartenant au domaine de la musique – les mots sur la partition – au texte poétique est une manière, pour Michèle Finck, de faire coïncider rythme de lecture et rythme d’écoute, tout en faisant entrer dans le poème des termes spécifiquement musicaux, rares en poésie.
3. Traduire la musique ?
Si les poèmes de La Troisième Main sont pensés pour s’entrelacer à la musique, pour « intensément » se mêler à elle – pour que, dans l’espace du poème, puisse entrer quelque chose de la musique – Michèle Finck a recours, dans le dernier texte du recueil, à une métaphore parlante. Elle désire ainsi que ses « poèmes soient vitraux//Sonores » (FINCK 2015 : 127), laissant passer la lumière de la musique tout en la colorant par les mots. La métaphore du vitrail nous rappelle, dans le domaine de la traduction, celle de la translucidité, proposée par Walter Benjamin2. Dans La Tâche du traducteur ( Die Aufgabe des Übersetzers, 1917-1918), le penseur affirme en effet que la traduction doit être translucide (durchscheinend) (BERMAN, 2008 : 168) : si la traduction transforme l’original, elle ne doit pas le recouvrir : elle doit, à travers elle, laisser filtrer la lumière de l’original, le faire désirer. Si nous poursuivons l’exploration de cette analogie, l’écriture des poèmes de La Troisième main pourrait être pensée comme forme de traduction de la musique, dans laquelle la musique occuperait la place d’un texte original à la fois nécessairement perdu et présent dans la traduction. Tout comme dans un processus de traduction, dans lequel il ne s’agit pas de reproduire l’original, mais de le transmuer dans une autre langue, de le recréer, il ne s’agit pas de reproduire la musique – tâche impossible pour un texte –, mais bien de faire passer dans le poème l’illumination intérieure qu’elle crée. Le poème constitue alors un élan vers la musique qui lui a donné naissance, un désir de la musique : il s’écrit avec elle de la même manière qu’un rapport indissoluble est tissé entre l’original et sa traduction.
Ainsi, certains poèmes du recueil semblent se tenir au plus près des événements sonores de la musique, comme s’ils tentaient de traduire la musique en mots, et de faire sentir l’écoute de « l’original » à travers sa « traduction ». Ils sont fort nombreux dans le recueil, mais le poème consacré aux Trois strophes sur le nom de Sacher de Dutilleux en est un exemple emblématique :
Dutilleux : Trois strophes sur le nom de Sacher
Marc Coppey : violoncelle
Torsion sonore à tâtons. Cordes jouées à vide.
Âpre le violoncelle rougeoie à pic
Entre l’extrême grave de la douleur et le suraigu.
Soudain devient braise jusqu’aux interstices.
Silence. Coup de gomme dans la musique. Saignée. (FINCK 2015 : 64)
On voit que le poème utilise toutes les ressources possibles pour s’approcher concrètement de ce qui se joue dans la musique : éléments de description objective et technique, telle la mention des « cordes jouées à vide », celles du « grave », du « suraigu » ou du « silence » ; métaphores chargées de faire sentir au lecteur les tensions extrêmes du son (« torsion sonore à tâtons », « âpre », « rougeoie à pic », « braise », « coup de gomme », « saignée ») ; rupture du vers créant une suspension intense sur « à pic », qui permet de relire le « à vide » qui précède non plus comme une simple caractéristique de jeu sur les cordes, mais comme, déjà, l’image d’un son se tenant au bord d’un précipice, au bord du vide ; extrême brièveté de certaines « phrases », réduites souvent à un seul mot ; insistance subtile de la couleur rouge, celle du feu, du sang, de la violence, mais aussi celle du violoncelle, le visuel venant s’accorder avec le sonore.
Tout comme un traducteur propose au lecteur sa lecture de l’original, Michèle Finck propose donc à son lecteur son écoute d’œuvres musicales, à ceci près que La Troisième Main fonctionnerait un peu comme un ouvrage bilingue. En effet, l’inclusion dans le poème des noms du compositeur et des interprètes ainsi que du titre de l’œuvre écoutée font que le lecteur mélomane peut écouter – réellement ou intérieurement – l’œuvre en question en même temps qu’il lit, un peu comme le lecteur d’une traduction en bilingue peut lire simultanément l’original et sa traduction. La lecture du texte se fait ainsi avec la musique dans ce recueil, qui invite son lecteur à une forme d’écoute double.
4. Une expérience de lecture inédite : l’écoute double
La Troisième Main offre au lecteur mélomane une expérience de lecture inédite, dans laquelle son oreille se dédouble entre musique et texte. Le poème fait, dès la mention du titre de l’œuvre musicale qui lui a donné naissance, appel à la mémoire musicale du lecteur, le conviant inconsciemment à fouiller dans sa « musicothèque » intérieure pour entendre en lui, soudain, une mélodie, qui s’entremêle à la lecture du texte. Ce phénomène se vérifie d’autant plus lorsque, pour les œuvres vocales, une partie du texte chanté est cité dans le poème. Ainsi du poème consacré à La Flûte enchantée, qui cite le bien connu « Papapapapapapagena ! Papapapapapapageno ! » (FINCK 2015 : 75), ou encore de celui reprenant le texte ouvrant Marguerite au rouet de Schubert, « Meine Ruhe ist hin/Mein Herz ist schwer » (FINCK 2015 : 30) : ces mots ne sont évidemment pas, bien qu’ils soient des mots, du simple texte : par la mémoire musicale du lecteur, ils sont immédiatement de la musique, cela chante dans l’esprit du lecteur. Impossible, même, pour un lecteur mélomane – et dans le cas d’œuvres aussi connues –, de ne pas entendre la musique en même temps que le texte3. Cette écoute se met en branle dès l’identification de l’œuvre musicale par le lecteur, et se poursuit jusqu’au bout du poème, toujours bref – cinq vers, toujours, comme les cinq doigts de la main – brièveté peut-être pensée pour que le souvenir de l’œuvre musicale ne s’estompe pas au cours de la lecture, pour que la mélodie vague encore dans l’oreille du lecteur lorsqu’il arrive au dernier vers.
Michèle Finck parvient ainsi à nous faire écouter ses poèmes avec la musique, de même qu’elle les a écrits avec la musique. Nous expérimentons à la fois l’écoute de la musique telle qu’elle résonne en nous, et l’écoute de la musique telle qu’elle résonne en Michèle Finck, qui traduit son écoute en poème. S’y entremêlent en outre d’autres écoutes, qui font partie des références intimes de Michèle Finck et constituent sa manière propre d’écouter. Le poème consacré au lied À la musique de Schubert (FINCK 2015 : 32) dialogue intimement, par exemple, avec l’écoute d’Yves Bonnefoy, ami et figure paternelle pour Michèle Finck, qui a longuement analysé sa poésie. Ce poème de La Troisième Main qui nomme la « Voix de Kathleen Ferrier », semble faire écho au poème « À la voix de Kathleen Ferrier » (BONNEFOY 1982 [1958] : 159) qui figure dans le recueil Hier régnant désert de Bonnefoy. Les deux textes célèbrent la voix de l’interprète, sa « douceur » pour l’un, sa « bonté » pour l’autre, en s’interrogeant sur un au-delà de la musique, sur la voix de Kathleen Ferrier comme tension vers une forme de transcendance pourtant faite pure présence ici-bas par la musique. Ainsi, chez Michèle Finck, l’interrogation « Musique est-elle désir de Dieu ? » répond aux hypothèses d’Yves Bonnefoy : « Comme si au delà de toute forme pure/Tremblât un autre chant et le seul absolu », « Il semble que tu connaisses les deux rives », « Il semble que tu puises de l’éternel ». Il y a donc ici une triple écoute : notre écoute intérieure de Schubert mêlée à celle de Michèle Finck, elle-même mêlée à celle d’Yves Bonnefoy. Au delà, donc, de créer une expérience de lecture double avec la musique, il s’agit pour Michèle Finck de nous faire écouter son écoute de la musique dans toute sa richesse, écoute chargée de ses lectures personnelles et de ses émotions propres.
5. Le partage de l’écoute
La notion de partage est essentielle pour Michèle Finck : un de ses désirs majeurs dans l’écriture est que celle-ci soit partageable, que le poème soit partageable. Ce souci est encore renforcé dans La Troisième Main en cela que la poétesse tente de rendre, par un poème partageable, son écoute partageable, tâche difficile s’il en est. Peter Szendy a longuement analysé ce phénomène, qui veut que l’on désire de l’autre qu’il puisse écouter notre propre écoute d’une œuvre, qu’il écoute exactement ce que nous avons entendu, désir dont la réalisation semble impossible, tant chaque écoute est singulière. Le critique s’interroge : « Peut-on faire écouter une écoute ? » (SZENDY 2001 : 22). C’est pourtant bien à ce désir que répond cette poésie écrite avec la musique : elle désire le partage absolu d’une écoute, une communion totale avec l’autre à travers la transmission d’une manière singulière d’entendre une œuvre. C’est avec raison que Peter Szendy affirme que pour répondre à ce désir, il faudrait réécrire l’œuvre, ainsi que le fait l’arrangeur musical, figure qu’il rapproche ensuite de celle du traducteur. Nous voici donc revenus à cette figure de Michèle Finck en traductrice, non pas tant de la musique elle-même que de son écoute de la musique, à travers des poèmes vitraux laissant, par translucidité, désirer la musique qui leur a donné naissance, et transparaître les illuminations sonores ressenties par la poétesse.
Pour Michèle Finck, il semble que le désir de faire écouter son écoute passe par plusieurs vecteurs qui fonctionnent ensemble : un travail sur la transmission des émotions musicales ressenties, ainsi qu’un travail sur le son du texte. Il s’agit, dans La Troisième Main, d’aiguiser l’oreille du lecteur à l’écoute d’une écoute de la musique à travers l’écoute du texte lui-même, de l’amener à écouter de manière fine le travail sonore du texte, dont dépend, pour la poétesse, l’expression des émotions musicales. Traduire les émotions musicales, ce n’est pas seulement dire ce que la musique nous fait, c’est transmuer cette émotion dans les sonorités et les rythmes du poème. Les exemples abondent dans le recueil, et nous pourrions citer presque chaque poème, tant ce procédé d’incarner l’émotion musicale au sein de l’écoute même du poème est prégnant. Le bref poème consacré aux Sonates pour clavecin de Scarlatti parvient à nous faire relier, grâce au travail sonore, une émotion auditive à une vision, et enfin à la sensation du toucher léger des doigts sur le clavecin :
Scarlatti : Sonates.
Scott Ross : clavecin
Musique : pluie d’or
Sur la Danae
Du Titien. Trilles.
Triples croches claires.
Musique : art du toucher. (FINCK 2015 : 37)
C’est un véritable travail d’orfèvrerie sonore qu’opère ici la poétesse : les sons du poème se déploient à partir des sons contenus dans les noms du compositeur et de l’interprète ainsi que dans le terme « clavecin ». Le nom « Ross », par inversion sonore, conduit à l’ « or » tombant sur Danae, puis au ro du terme « croches » ; le « ar » au cœur du nom de Scarlatti paraît mener à l’ « art » du dernier vers, tandis que les « t » et les « k » de « Scarlatti », « Scott » et « clavecin » essaiment partout dans le poème. Ce travail sonore sert en réalité à nous faire parcourir avec Michèle Finck le chemin de son émotion musicale, qui s’incarne dans le son. La sonorité argentine du clavecin, ainsi que le toucher léger de Scott Ross se muent en pluie d’or, tandis que se forme en la poétesse le souvenir de la Danae du Titien. Comment faire écouter au lecteur la singularité d’une écoute qui grâce à une sonate de Scarlatti voir soudain apparaître une toile du maître de l’école vénitienne ? Michèle Finck choisit pour ce faire le travail sonore en prolongeant le nom de Scarlatti en celui du Titien par la suture de leur syllabe commune, ti, l’une à la fermeture et l’autre à l’ouverture de leurs noms, et en faisant se propager ce son (légèrement modifié), en le faisant rebondir comme les doigts sur le clavier dans les termes « Trilles » et « Triples », jusqu’à sa version épurée ne conservant que le « t » dans le dernier terme du poème, « toucher ». De même, les « k » présents sept fois dans le poème (« Scarlatti », « Scott », « clavecin », « Musique », « croches claires », « Musique ») semblent s’adoucir dans le « ch » final du « toucher ». Les consonnes liquides, quant à elles, relient le « clavecin » à la « pluie », et la pluie aux signes musicaux eux-mêmes, des « trilles » aux « triples croches claires ». Ainsi, l’écoute musicale qui conduit Michèle Finck à une émotion visuelle s’associant in fine à une sensation tactile alliant sautillements et légèreté se transmet au lecteur par le travail sonore du poème : l’émotion de l’écoute musicale se transmet par l’écoute du poème.
C’est même parfois une illumination métaphysique offerte par la musique qui se trouve traduite dans le poème par le travail sonore :
Britten : Les Illuminations.
Paul Sacher. Janine Micheau.
Voix soupèse le néant.
Avec dans la bouche le croc
De l’hameçon de Dieu. Musique cravache l’âme.
Assez entendu. L’os ose l’oméga. (FINCK 2015 : 121)
L’interrogation sur le sacré logeant à l’intérieur de la musique ne se résout pas ici sur le plan du sens, mais bien sur le plan du son. À la violence de cet « hameçon de Dieu » dans la bouche, à celle de ce cravachage de l’âme par le néant, répond un effet final de paronomase qui fait qu’il n’est pas besoin d’en entendre plus, « l’os ose l’oméga » comme si le corps rejoignait le sacré, en « osmose » avec lui. Le « m » qui manque à « os ose » pour former le terme osmose apparaît ensuite dans « oméga », pour signaler le déplacement du corps en Dieu, sa fusion avec lui, qui ne se situe plus au-delà, mais dans l’intériorité de la poétesse. Le lecteur ici parvient à écouter quelque chose de l’écoute de Michèle Finck, marquée d’abord par le manque de Dieu, par le néant qui fait souffrir l’âme, à travers le manque constitué par l’absence du m entre « os » et « ose » : le lecteur entend ce manque, tandis que l’arrivée du m dans le terme « oméga » vient réparer ce manque, suturer les termes distants. L’oreille du lecteur se déplace vers ce m, comme l’os du corps ose de déplacer vers l’oméga divin. La musique permet ici, malgré les souffrances et les doutes de l’âme, une illumination réconciliatrice, qui porte aussi bien sur l’être que sur les rapports entre la poésie et la musique, fondues l’une dans l’autre en cela que le poème tente, par le travail du son, de traduire une émotion musicale singulière, vécue, comme souvent dans La Troisième Main, dans le corps même de la poétesse.
6. Le corps écoute
L’expérience métaphysique et spirituelle que nous venons de lire dans le poème consacré aux Illuminations de Britten passe par le physique, par le corps : c’est l’ « os » qui « ose » se tendre vers l’oméga, et non pas l’esprit. Tout se passe comme si le travail sonore de La Troisième Main se faisait le témoin d’émotions musicales vécues avant tout physiquement, par un corps concret qui sent la musique, plutôt que par une intellectualisation de celle-ci. « Écouter par tous les pores de la peau » (FINCK 2015 : 109), enjoint la poétesse dans le poème consacré aux Vêpres de Rachmaninov. Les émotions musicales sont motion du corps, ressenties dans la chair, avant que d’acquérir les noms abstraits de sentiments divers. Une manière pour Michèle Finck de faire écouter son écoute est bien de solliciter, par la mise en jeu de son propre corps, le corps du lecteur lui-même : nous sommes invités tant à écouter le texte qu’à vivre physiquement ce que la musique fait à la poétesse ; c’est ainsi que nous nous tenons au plus près de son écoute.
Il y a dans tout le recueil une forme de corps à corps avec la musique, qui investit l’oreille, et au delà tout le corps féminin. Si la Sonate opus 111 de Beethoven convoque l’ « autre face de l’oreille » (FINCK 2015 : 39), c’est « l’ouïe » qui « soudain s’agenouille » (FINCK 2015 : 93) à l’écoute d’Eugène Onéguine. La musique convie donc l’écoute de la poétesse et ses instruments – oreille, ouïe – à un bouleversement concret qui passe pas un changement de position très physique : « autre face », ou « agenouillement » permettant de visualiser cette autre partie du corps que sont les genoux, ici recueillis tout autant que l’écoute. L’image de l’os, qui renvoie au plus profond du corps, à ce squelette qui nous tient debout et qui fait corps le plus longtemps après la disparition de la chair, est récurrente dans le recueil : le Requiem de Fauré offre une « délivrance de l’os » (FINCK 2015 : 18), tandis que la Messe en si de Bach fait que soudain « L’os est debout » (FINCK 2015 : 20). L’implication du corps est particulièrement sensible dans les poèmes consacrés à Billie Holiday, qui soulignent que l’âme est en réalité partie prenante du corps, et inversement, loin de tout dualisme. L’âme n’y est en jeu que par sa dimension physique :
Billie Holiday : Who Wants Love?
Yeux de l’âme saignent. Oreilles
De l’âme saignent. Voix arcboutée
Autour d’une fêlure ventrale. Ailes noiresDans les nuits blanches. Transe utérine.Body and soul. Perce-neige noire crie. (FINCK 2015 : 102)
Malgré la triple présence de l’idée d’âme – deux fois en français et une fois en anglais –, le texte est saturé par des émotions portées par le corps : parties du visage, sang, « voix arcboutée » comme s’il s’agissait de jambes, cri final. Mais c’est surtout la présence d’un corps féminin qui s’impose, à travers cette « fêlure ventrale » qui convoque l’image de la vulve ; à travers aussi la « transe utérine » qui est bien à la fois celle de l’interprète et celle de la poétesse à l’écoute de la chanson. Très souvent en effet il est impossible de distinguer le corps de l’interprète affecté par la musique du corps de la poétesse ; ainsi, à l’ouverture du poème suivant consacré à la déchirante chanson Strange Fruit de Billie Holiday, du vers « Voix noire serre le gosier » (FINCK 2015 : 103). Il y a ici deux gosiers qui se serrent à l’unisson, et font que le lecteur, de manière concrète, nette, sent également son gosier se serrer à la lecture de ce vers, tandis que le souvenir de la chanson résonne en lui. L’écoute très physique de Michèle Finck affecte notre propre corps, et nous conduit non seulement au plus près de son écoute, mais aussi au plus près du corps de l’interprète, voire du corps de la musique, qui apparaît fréquemment dans La Troisième Main.
Se joue en effet dans ce recueil une sorte de transfert physique – pour ne pas dire érotique – entre le corps et la musique : le corps qui ressent les émotions musicales devient corps de la musique. Ce n’est donc pas seulement la musique qui meut le corps, c’est aussi le corps qui affecte la musique, qui la dote de caractéristiques physiques. Un poème manifeste de manière nette le glissement qui s’opère entre le corps de la poétesse et celui des sons, devenus alors une entité féminine :
Gershwin : Rhapsody in blue.
Columbia Jazz Band.
Glissando à la clarinette : lente montée
Du désir le long de la colonne vertébraleJusqu’à la moelle du cri. Crue de rythmes.
Lignes félines du piano s’enroulent autour
Des corps. Le clitoris des sons sourit. (FINCK 2015 : 51)
On voit comment, dans un premier temps, le fameux glissando de clarinette qui ouvre l’œuvre joue sur le corps de la poétesse : il est montée de désir physique très précisément localisée. D’un mouvement ascendant le long de la colonne, le désir s’enfonce ensuite dans l’os jusqu’à la moelle, pour enfin s’extérioriser en cri, sans doute orgasmique. Cette expérience s’ouvre ensuite à « des corps », comme dans une forme d’extase collective, qui devient in fine celle des sons eux-mêmes. L’originalité de ce poème tient à ce que les sons, rarement personnifiés en poésie, se retrouvent ici dotés d’un clitoris, organe spécifiquement féminin, alors que le terme son est masculin en français. Il est sans doute possible de lire ici un double transfert, ou un double glissement. Tout d’abord celui, le plus évident, du corps féminin de la poétesse à un corps des sons, qui sourirait et jouirait de concert avec elle. Mais également celui, sonore, des termes « glissando » et « clarinette » au terme « clitoris ». Le « gli » du « glissando », au contact du « cl » de « clarinette », semble mener au « cli » de « clitoris », tandis que le son « ri » sature le poème : « clarinette », « cri », « rythmes », pour finalement revenir dans « clitoris » et clore le poème dans « sourit ». Ce travail sonore crée un effet de pure jubilation du corps féminin et de la musique devenue corps à travers le poème, dont les sonorités semblent à tout instant rire, et frémir de sensualité.
Si, dans ce poème, le phénomène de transfert du corps de la poétesse au corps de la musique grâce au travail sonore est très net, il est sensible à des degrés divers au fil du recueil, qui nous donne à lire un « corps musical » multiple. Ce sont tantôt les instruments eux-mêmes qui sont dotés de corps – le piano ayant, par exemple, un « cœur » (FINCK 2015 : 53) ou des « commissures » (FINCK 2015 : 43) –, tantôt la voix, déjà corporelle, qui redouble sa corporalité lorsque « la vulve de la voix/Jubile » (FINCK 2015 : 106), ou qu’elle est dite, dans un beau néologisme, « Untérinétoilée ». D’autres fois, les sons eux-mêmes acquièrent une corporalité concrète : se font des « Entailles/Dans la chair des graves » (FINCK 2015 : 46), le « Silence […] cligne de l’oreille » (FINCK 2015 : 48), les « sons » possèdent de la « moelle » (FINCK 2015 : 77), de la « chair » (FINCK 2015 : 104), des « nerfs », une « rétine » (FINCK 2015 : 114) ou des « sexes » (FINCK 2015 : 119), ils peuvent être « écartelés » (FINCK 2015 : 104) comme un corps mis à la torture, mais peuvent aussi porter des « plaies acoustiques » qui « cicatrisent » (FINCK 2015 : 123). Toutes ces caractéristiques physiques dessinent, dans chaque poème, un des traits changeants du « visage/De la musique » (FINCK 2015 : 97), qui se trace à partir des émotions musicales traversant le corps de la poétesse, et venant se transmettre au corps du lecteur. Le corps écoutant de Michèle Finck constitue donc une sorte de pont tendu entre la musique et nous à travers le poème, lieu d’une traduction à la fois sonore et physique des émotions musicales.
Expérience d’écriture et de lecture inédite, La Troisième Main mène le désir d’écrire avec la musique jusqu’au bout du corps et du travail sonore du poème. L’écoute, à tous les niveaux, en est la clé : écoute de la musique par la poétesse ; double écoute, pour le lecteur, du poème joyau d’orfèvrerie sonore et des souvenirs musicaux qu’il porte en lui ; partage physique, entre la poétesse et le lecteur, d’une écoute traduisant les émotions musicales. « Écouter n’est rien encore. Réécouter est tout » (FINCK 2015 : 127), nous murmure Michèle Finck dans le dernier poème du recueil intitulé « Lévitation », qui répond au poème d’ouverture « Cicatrisation », nous invitant ainsi, dans un effet de boucle, à reprendre encore la travail d’écoute – tant de la musique que des poèmes entremêlés à elle. Si nous suivons cette invitation et revenons au premier poème, nous redécouvrons, au dernier vers, que « les sons maintenant nous écoutent » (FINCK 2015 : 9), preuve, s’il en fallait encore, du rapport de réciprocité physique que Michèle Finck tisse avec la musique, rapport auquel La Troisième Main nous initie à travers le vitrail sonore des poèmes.
Bibliographie
Littérature primaire
BONNEFOY Y., Hier régnant désert, Poésie/Gallimard, Paris, 1982 [Mercure de France, 1958, revu 1978].
FINCK M., L’Ouïe éblouie, Voix d’encre, Paris, 2007 [Poèmes écrits entre 1983 et 2003].
––– Balbuciendo, Arfuyen, Paris-Orbey, 2012.
––– Connaissance par les larmes, Arfuyen, Paris-Orbey, 2017.
––– Sur un piano de paille, Arfuyen, Paris-Orbey, 2020.
––– La Troisième Main, Arfuyen, Paris-Orbey, 2015.
Littérature secondaire : ouvrages
BENJAMIN W., Die Aufgabe des Übersetzers, 1917-1918.
BERMAN A., L’âge de la traduction, Presses Universitaires de Vincennes, Saint-Denis, 2008.
FINCK M., Poésie moderne et musique, vorrei e non vorrei, Champion, Paris, 2004.
FINCK M., Épiphanies musicales en poésie moderne, de Rilke à Bonnefoy : le musicien panseur, Champion, Paris, 2014.
NÉE P. (dir), Revue Nu(e) N°69, « Michèle Finck », Poezibao (en ligne), 2019.
NOUDELMAN F., Penser avec les oreilles, Max Milo, Paris, 2019.
SZENDY P., Écoute. Une Histoire de nos oreilles, Les Éditions de Minuit, Paris, 2001.
Note
↑ 1 Peut-être même faut-il entendre dans ce terme de « langes » un écho avec le terme « l’ange ». Alors que les cierges sont éteints, les ténèbres feraient advenir une lumière mystique : celle de l’apparition d’un ange sonore, ou peut-être musicien.
↑ 2 Il faut d’ailleurs noter que Michèle Finck est elle-même traductrice et défend la conception d’une traduction qu’elle nomme « clairaudiente », à l’écoute du son du texte original. Voir notamment sa récente traduction d’un choix de poèmes de Trakl, qui définit cette notion de « clairaudience » dans une éclairante postface : Georg Trakl, Les Chants de l’enténébré, Poèmes choisis et traduits de l’allemand par Michèle Finck, Arfuyen, Paris-Orbey, 2021.
↑ 3 Sur la capacité d’un texte à nous faire entendre des sons dans notre tête lors de la lecture, on pourra se reporter à l’ouvrage de François Noudelman, Penser avec ses oreilles, 2019.