Publifarum n° 35 - Écritures mélomanes

À l’écoute de la musique : Danièle Sallenave et Pascal Quignard

Bruno Thibault



Abstract

Francese  | Inglese 

Les Portes de Gubbio (1980) et Villa Amalia (2006) sont deux romans qui mettent en scène la phénoménologie de l’écoute musicale, une expérience auditive à la fois régressive et extatique. Ces deux romans contiennent chacun un petit essai sur la nature de la jouissance musicale et sur le corps résonateur. Dans un premier temps, nous contrasterons les deux phénoménologies de l’écoute musicale chez Sallenave et chez Quignard. Dans un second temps,  à partir des analyses de Claude Lévi-Strauss, Guy Rosolato, Marie-Louise Mallet et Jean-Luc Nancy, nous interrogerons les émotions particulières provoquées par la musique et la pulsion d’écriture que celles-ci suscitent. En conclusion, nous examinerons l’articulation entre mélomanie et mélophobie dans Performances de ténèbres (2017), un essai de Pascal Quignard.


Danièle Sallenave et Pascal Quignard ont écrit tous deux à propos de l’expérience physiologique et psychologique provoquée par l’écoute de la musique. Danièle Sallenave détaille la phénoménologie de l’écoute musicale dans son roman Les Portes de Gubbio. Chez Quignard, cette phénoménologie de l’écoute musicale est développée à travers de nombreux romans, récits et essais. Nous discuterons dans les pages suivantes deux de ces textes, Villa Amalia et Performances de ténèbres, qui prolongent et précisent certaines des observations de Danièle Sallenave. Nous verrons dans un premier temps que Les Portes de Gubbio et Villa Amalia présentent l’écoute musicale sous un double aspect régressif et extatique. Nous verrons ensuite que Performances de ténèbres relate une expérimentation remarquable concernant la nature même de la jouissance musicale

Les Portes de Gubbio, publié par Danièle Sallenave en 1980, a obtenu le prix Renaudot la même année et fait connaître son auteur au grand public. L’action des Portes de Gubbio se déroule non en Italie, comme son titre pourrait le laisser penser, mais en Allemagne de l’Est, à la veille du printemps de Prague, dans un climat lourd d’oppression et de censure politique. Le personnage principal, S., dont le nom demeure inconnu, est un compositeur de musique à qui le gouvernement commande d’écrire des hymnes patriotiques, inspirés du folklore national. « Qu’est-ce qu’on vous demande? De petits arrangements sur des thèmes gais, faciles, comme on en chantait autrefois » (PG: 84). Mais S. se récuse. À travers son journal intime, nous voyons se préciser au fil du roman les motifs de son refus et sa conception personnelle de la musique.1 Les Portes de Gubbio contient par conséquent un essai sur l’essence de la musique. Cependant cet essai n’apparaît pas comme une dissertation surajoutée à l’intrigue; au contraire, il se développe au gré des difficultés rencontrées par le protagoniste. Que dit cet essai intégré?

Pour S., la musique est la preuve de l’existence de l’âme « mais cette âme est matérielle, accrochée à nos fibres, cousue à notre être par le fin réseau tendu des nerfs » (PG: 155). Pour bien comprendre cette formule, il faut se souvenir, à la suite de Claude Lévi-Strauss, que l’auditeur est affecté par la musique au niveau du corps lui-même, par vibration: non seulement par le canal des oreilles mais aussi par le biais de la peau et des organes internes.2 De plus, la musique inscrit ainsi sa durée non seulement dans le temps psychologique de l’auditeur mais aussi dans son temps physiologique. La musique exerce en effet son pouvoir sur le rythme cardiaque, sur le rythme respiratoire et sur le rythme périodique des ondes cérébrales. C’est pourquoi Kaerner affirme: « Notre corps est un instrument creux et résonnant... La musique agit sur nous dans la région du diaphragme, elle accélère ou ralentit la respiration et les battements du coeur. N’est-ce pas dans cette région que les Grecs plaçaient l’âme, ces grands musiciens? » (PG: 155-56). Enfin Claude Lévi-Strauss insiste sur l’idée que la musique est « une machine à supprimer le temps » (M: 24). La musique transforme, par sa structure formelle, le temps diachronique et irréversible en une « totalité synchronique et close sur elle-même » (M: 24).3 Le morceau musical possède ainsi le pouvoir de suspendre ou d’immobiliser le temps qui passe, ce qui n’est pas sans créer un sentiment ou une émotion particulière. « En écoutant la musique et pendant que nous l’écoutons, nous accédons à une sorte d’immortalité » (M: 24), fait observer Claude Lévi-Strauss. On retrouve ces mêmes idées dans Les Portes de Gubbio où Sallenave souligne que dans les plus hauts moments de l’écoute musicale, l’auditeur peut faire l’expérience « d’une plage de temps pur » (PG: 60).4 

Quelle est la nature exacte de cette émotion indicible, de cette extase que la musique produit en nous? À un premier niveau Les Portes de Gubbio suggère que l’expérience musicale met en jeu plusieurs temps distincts: le temps viscéral du corps, le temps existentiel de la conscience, le temps ‘éternel’ de l’âme qui correspond à la fusion des deux précédents. La musique est « le cri du corps soulevé par l’âme et provisoirement arraché par elle à la mort » (PG: 72). Mais à un second niveau Les Portes de Gubbio établit une distinction importante entre composition musicale et écoute musicale. S. observe qu’il n’obtient jamais de la composition musicale ce que l’écoute musicale lui donne fréquemment, à savoir le sentiment d’une durée soustraite à l’approbation et à la haine, au désir et au regret, bref « la fin de l’existence séparée » (PG: 60). Lorsqu’il compose de la musique, S. construit une oeuvre dont les figures éclatantes se forment pour d’autres, non pour lui. La musique est pour celui qui la crée « une algèbre » (PG: 60) et non une émotion. En revanche lorsqu’S. écoute de la musique, il ressent les passages de l’attente, du regret, de la souffrance, de la paix et de la joie. D’autre part il observe que la musique n’apaise que des souffrances imaginaires et non des souffrances réelles, vécues. « La musique ne peut soulager que la douleur qu’elle-même a fait fictivement naître » (PG: 72). Sallenave précise que la musique coule « impitoyablement » (PG: 49) et que c’est bien de « cette impassibilité que nous avons besoin, non sa pitié, afin que nos angoisses, nos terreurs, nos remords, nous deviennent à nous-mêmes indifférents » (PG: 49).

Les Portes de Gubbio établit par conséquent une distinction très nette entre la musique comme expression (la composition) et la musique comme impression (l’écoute). L’impression musicale correspond à la réaction spontanée de l’auditeur: à l’ensemble d’émotions et surtout de sensations que la musique vient déclencher en lui. Mais l’expression musicale est d’une autre nature. Il s’agit d’un effort concerté de l’intelligence et du savoir-faire pour produire un certain effet sur l’auditeur. D’une part, Sallenave note que cet effet n’est pas défini de but en blanc: il se transforme sans cesse au cours du processus créateur. Le compositeur voit son projet se préciser, se développer et se modifier à mesure qu’il progresse. D’autre part Sallenave souligne que pour devenir communicable, la douleur privée du compositeur doit se transformer en une douleur plus générale, plus abstraite. Quelle est cette douleur? « Celle qu’éprouve l’âme à devoir quitter le corps, celle qu’éprouve le corps à devoir être disjoint d’elle. Car il n’y a pas une note, pas un mot, pas un trait de pinceau ou de plume qui ne soient donnés sous le regard de la mort » (PG: 72).

À un troisième niveau Les Portes de Gubbio affirme donc que la musique est l’expression d’une passion, au sens fort de ce terme. La musique fait entendre le déchirement du corps et de l’âme, lequel renvoie fantasmatiquement à l’instant du trépas. Mais en même temps la musique exprime le désir d’échapper pour toujours à ce déchirement. La musique témoigne qu’il existe en l’homme « quelque chose qui refuse de mourir et qui donc ne meurt pas » (PG: 76). Pour S., cette passion s’exprime en particulier dans les grands quatuors métaphysiques d’un Beethoven où les gémissements ineffables des cordes font entendre le tourment de l’âme cherchant à fuir la matière, mais aussi, dans un même mouvement paradocal, « sa demande pressante d’union » (PG: 77). Cependant Sallenave est bien consciente des différents écueils qui menacent cette définition passionnelle de la musique. D’une part il y a l’écueil de la sentimentalité. La musique exprime-t-elle toujours la révolte sublime de l’homme contre la mort et les limites de la condition humaine? Il y a aussi en l’homme « un sombre penchant à la défaite, un sourd désir d’être vaincu, et une innommable satisfaction à l’être » (PG: 72). D’autre part Sallenave n’ignore pas qu’il existe une autre conception de la musique: une musique dont l’expression est libre, enjouée, sans tourment et, apparemment, sans but. Cette conception apollinienne de la musique – une musique attentive aux seules règles qu’elle s’est données – est celle d’un Stravinski par exemple.5 Quoi qu’il en soit, Sallenave est bien consciente des lourdes connotations qui s’attachent à des mots comme corps, âme, matière, union, passion. C’est pourquoi son personnage déclare: 

Qu’on ne me cherche pas querelle sur ces mots. Dans la musique je sens un duel et il faut bien que j’en nomme les combattants. Je dis corps pour ce qui est matériel et résiste, mais aussi pour ce qui est chaud, vivant, rouge, coloré, mortel. Et je dis âme pour ce qui anime, et monte, et tire. Et ne meurt pas. Mais ce sont des images sans doute... Je sais seulement qu’il y a dans certaines musiques l’affrontement de deux natures, unies et dédoublées, et que cet affrontement est sans pitié (PG: 74). 

Ces précautions oratoires montrent le malaise qu’éprouve la romancière lorsqu’elle tente de cerner les sensations ou les sentiments que produit l’écoute musicale. En effet, la musique parle d’un lieu où les concepts traditionnels “d’âme” et de “corps” n’ont plus cours. À quoi correspond cet « affrontement de deux natures unies et dédoublées » (PG: 74)? En suivant les réflexions de Guy Rosolato,6 il semble que la puissance envoûtante de la musique repose pour une bonne part sur une expérience fondamentale, celle du corps viscéral. Lorsque l’on dit que la musique exprime l’existence d’un monde ineffable, on veut parler en fait du monde pré-natal et pré-verbal. La musique renvoie au corps infantil, embryonnaire, pulsionnel et rythmique, qui ignore le langage mais qui vibre à la voix acousmatique maternelle. La voix de la mère et les rythmes de son grand corps ne forment-ils pas le fondement de toute musique? Ne constituent-ils pas le modèle primitif de toute harmonie? Il faudrait donc substituer à la musique comme passion une autre conception de la musique: la musique comme pulsion. Cette substitution permet de mieux comprendre la nature de l’émotion musicale décrite dans Les Portes de Gubbio, notamment lorsque le narrateur affirme que la musique exprime « le sens tragique de l’incarnation » (PG: 78). 

La musique donne accès non à l’au-delà, mais à l’auparavant. La musique donne accès non à vie supérieure mais à une vie antérieure. À une vie hors du temps parce qu’elle précède le temps de l’existence ordinaire. Faisant écho aux thèses d’Igor Stravinski, Guy Rosolato distingue ainsi deux versants dans le plaisir musical. D’une part le « versant nostalgique » (44) qui est aspiration à l’origine, régression vers l’état d’osmose avec la mère, espace nourricier proche de la chôra kristévienne.7 Le narrateur des Portes de Gubbio se situe la plupart du temps dans cet espace. Ici la composition musicale ressemble à un geste magique, à un renversement fantasmatique du temps par-delà la naissance: c’est un regressus ad uterum. À ce versant nostalgique de la musique, Guy Rosolato oppose le « versant jubilatoire » (44) qui est joie de l’arrachement et du dépassement, naissance qui marque l’affranchissement de cet espace régressif. Le compositeur des Portes de Gubbio connaît aussi ce versant jubilatoire et dionysiaque de la musique. Il y fait allusion lorsqu’il définit l’oeuvre musicale authentique comme « la volonté d’émerger, quoi qu’on vaille, non de se fondre » (PG: 118), comme l’expression même de l’individuation.

Publié en 2006, le roman Villa Amalia de Pascal Quignard prolonge ce questionnement de l’émotion musicale. L’un des fils conducteurs de Villa Amalia est que la musique correspond à un fantasme de réunion avec l’Autre fondamental, la Mère, c’est-à-dire un retour ou une régression fusionnelle et pulsionnelle au corps maternel, avant l’émergence même de la parole.8 Cette convocation spectrale de la Mère dans/par la musique – à la fois comme caverne sonore ou matrice bruissante mais aussi comme voix perdue et entêtante --, apparaît nettement dans les nombreux passages où la compositrice, Ann Hidden, se retire dans l’île d’Ischia en Italie pour y composer une oeuvre nouvelle. La villa Amalia est un lieu clos, à l’écart et à l’abri, une sorte de cocon ou de chambre d’échos qui lui permet de mieux se concentrer sur l’air qui la hante. Loin du tumulte social, Ann Hidden cherche à capter le chant primitif de la Chôra.9 Le roman souligne en effet à plusieurs reprises que la musique échappe à la communication verbale, sociale, conceptuelle. La musique est impulsive, pulsionnelle, proche du cri inarticulé de la naissance : cri de la peur, cri de la faim, cri du besoin, appel au corps maternel.10 C’est pourquoi Ann Hidden décide de se murer dans le silence pour se tourner vers ce cri, cet appel, ce fredon pré-linguistique qui l’habite. Plongée dans le silence, sensible au seul murmure de la mer toute proche, Ann Hidden repasse sans cesse à l'intérieur d'elle-même le morceau qu'elle compose et qui l’obsède. Il en va évidemment de même pour l'écrivain tout entier absorbé par le 'chant' de la langue maternelle.

L’écriture musicale de l’héroïne, comme l’écriture quignardienne elle-même, tient en deux mots: fragmentation et condensation. En un sens, on peut dire qu’Ann Hidden ne compose pas : elle décompose. D’une façon obsessionnelle et maniaque, la musicienne fragmente, efface, supprime, réduit. Elle semble rechercher une épure radicale, un art minimaliste qui serait l’expression absolue du dénuement. Ce délestage de l’œuvre musicale exprime une espèce de deuil ou d’abandon douloureux qui confine parfois au masochisme. Ce qui fait le propre des compositions d’Ann Hidden—et l’écrivain ne cesse d’y insister—, ce sont les attaques incessantes. Ces attaques compulsives imposent immédiatement un ton et un tempo particulier, un rythme irrégulier et agité qui, venu du corps, brise les liaisons et libère l’improvisation. Dans Zétès,11 Pascal Quignard explique que l’attaque musicale ou littéraire (‘l’attacca’) est pour l’auteur une profération impulsive proche du cri, renvoyant à l’origine de la langue. C’est « une résonance sauvage, animale, antécédante (...) s’adressant au perdu » (Z: 168), un appel « en amont de ce qui sémantise » (Z: 169). Quignard note ici qu’à la naissance, l’expulsion du souffle entonne dans le corps une espèce de chant premier, inharmonique et minimal. Les explosions sonores, asémantiques, qui déterminent l’ouverture sonore des pièces musicales d’Ann Hidden miment donc « l’ouverture sonore du cri de la naissance déclenchant la pulmonation » (Z: 173). Elles sont très étroitement liées à l’arrivée du souffle, à l’inspiration au sens littéral de ce terme, à « la promesse qui ouvre la poitrine » (Z: 168). Mais il y a aussi quelque chose « d’égorgé » (Z: 181), de douloureux et comme à vif dans ces attaques. Leur impétuosité rythmique renvoie à un état de très loin antérieur au langage et donc à la constitution du sujet. Elles évoquent les voix impérieuses, irrésistibles, impétueuses, toujours « séparées, décorporantes, découpées » (Z: 173), qui menacent l’équilibre et l’unité du sujet, à la façon des Sirènes ou des Ménades de l’Antiquité.12

La composition musicale prend souvent dans Villa Amalia l’aspect d’une ascèse. Mais elle prend aussi l’aspect d’une transe. Lorsqu’Ann Hidden compose, « il n’y avait pas de fin—mais un brusque silence qui semblait impréparé et surgir au pire moment, au moment le plus douloureux, au moment où l’on attendait le plus la suite » (V: 267). L’interruption, qui achève l’œuvre musicale sans la clore ni la conclure, récuse tout fantasme de totalité, d’apaisement, de complétude. En revanche, l’irruption de l’interruption dans l’œuvre signale une certaine jouissance, une béance ou une vacance, où le sujet semble s’absenter et s’échapper hors de lui-même. Il ne s’agit pas ici d’un geste de rupture moderniste, exprimant le départ dans le neuf et l’inouï. Il s’agit plutôt d’un retour à l’immémorial, à ce qui précède la constitution du moi et de la mémoire, l’arrachement de la naissance. Attaques, éclats, échos, éclairs, écarts, les compositions d’Ann sont explosives : elles font résonner l’expulsion et l’irruption d’un corps dans la lumière mais aussi « le grand bang où le Temps antérieur à l’Être s’affaisse » (Z: 212).

Cette expérience et cette émotion particulières, cette béance et cette jouissance sont également présentes dans Performances de ténèbres (2017). Les analyses de Pascal Quignard dans cet essai prolongent d’ailleurs, à vingt ans d’intervalle, certaines des réflexions de La Haine de la musique (1996), notamment sur le chant chamanique.13 Dans Performances de ténèbres, Quignard recherche un mode d’expérimentation musicale qui puisse mettre en relief la scène absente, manquante, de la Chôra. Il définit ainsi son entreprise: 

Chanter : associer des cris d’émotions. Ces cris sont des affects qui ne connaissent pas de symbolisation linguistique. À cette condition (qu’ils ne symbolisent pas) ce sont alors de merveilleuses expressions encore à l’état traumatique. Ils performent (PT: 178).

L’enjeu de la performance de ténèbres est donc le suivant: échapper dans un spectacle à la « modalité symbolique, dialogique, linguistique, qui fait le propre de Sapiens » (PT: 131) pour faire entendre « une autre modalité au monde plus ancienne, certainement plus animale » (PT: 131). Il s’agit de combiner sur scène « l’image, la musique, le pathique (Maldiney), le mystique (Wittgenstein) » (PT: 131). Quignard souligne ici l’importance de l’improvisation, non-écrite et non-réitérable. La performance ne relève ni du champ de l’écrit ni du domaine du récit : « Rien de verbal ne vient enjoindre » (PT: 131). Seul, un étrange contre-chant fait entendre « la langue resonorisée au contact de son afflux sinon de sa source, de sa liberté sinon de sa naissance, de l’impulsion retrouvée de sa poussée » (PT: 180). Il est clair que la performance quignardienne traduit l’abandon de toute posture de maîtrise. Quignard vise à faire sentir le sentiment de détresse de la séparation, le deuil du giron maternel. Il veut faire entendre l’étrange liturgie « d’enfants orphelins de la mère originaire » (PT: 167). En même temps, la performance touche à la sphère du sacré, précisément pare qu’elle échappe au langage et au monde que le langage structure. D’où cette sorte de « révélation intérieure » (PT: 37) que doit produire la performance, « presque une conversion » (PT: 37). 

Dans Performances de ténèbres, Quignard dresse une liste de sept performances publiques qu’il a conçues et auxquelles il a participé de 2015 à 2017.14 Notons ici que Benjamin Dupré avait réalisé pour le Festival d’Avignon, dès 2014, un spectacle intitulé Il se trouve que les oreilles n'ont pas de paupières. Ce spectacle avait été élaboré à partir de certains passages de La Haine de la musique. La même année le compositeur Daniel d'Adamo avait créé un monodrame à partir du même texte. Cette composition pour ensemble électronique avait été mise en scène par Christian Gangneron et interprétée par le comédien Lionel Monier au Festival Musical de Strasbourg en octobre 2014. Nul doute que ces deux spectacles ont incité Pascal Quignard à monter ses propres performances, notamment La Rive dans le noir, créée avec Marie Vialle et Tristan Plot au festival d’Avignon en juillet 2016, et aussitôt suivie d’une tournée à travers la France (Paris, Toulon, Tours, Aix-en-Provence, Bordeaux, Chateauroux, Le Havre, Tarbes et Caen). La Rive dans le noir  place sur scène l’auteur et l’actrice dans un dispositif proche de celui du nô japonais où le moine (le chaman) entre en contact avec un esprit, un spectre ou un fantôme.15 L’actrice et l’auteur ne jouent pas de rôles sur scène; ils ne produisent pas de dialogue à proprement parler.16 Ce sont simplement des « actuants » (PT: 167) qui figurent le travail de la transe, qui font « venir les morts, les masques, les oiseaux » (PT: 167). L’actrice et l’auteur sont en effet entourés sur scène de rapaces vivants et d’images projetées sur grand écran, notamment celle du corbeau de la grotte de Lascaux et celle du grand duc de la grotte de Chauvet.17

« Fantasmes, fresques, scènes sans cesse à la fois surgissantes et inachevables, voilà ces éclats de l’émotion qui me hantent et me guident » (PT: 161), souligne Quignard. La performance offre ici et là quelques ébauches de contes, quelques bribes de phrases débitées d’une voix de somnambule. On entend aussi quelques notes jouées par l’écrivain au piano, tirées des Ombres errantes de François Couperin ou des Chants d’oiseaux d’Olivier Messiaen. Comme le note Annick Jauer, cette cérémonie nocturne est « une confrontation avec le royaume des morts, mais avec des moyens très simples ».18 La mise au noir de la scène convoque à la fois l’idée de la nuit des morts, celle de la nuit utérine et celle de la nuit stellaire.

L'Oreille qui tombe, deuxième effondrement est une performance et une installation réalisée en 2016, fruit de la collaboration entre l’écrivain et la plasticienne Frédérique Nalbandian,19 en partenariat avec le CIRM, Centre National de Création Musicale. La première représentation a eu lieu à La-Valette du Var en 2016. Cette installation sonore met en relief le ruissellement de l’eau qui évoque l’écoulement du temps, en le combinant avec des mélodies schubertiennes déconstruites, des morceaux tirés des Chants d’oiseaux d’Olivier Messiaen, des notes brèves jouées au piano, des bribes de parole dites ou chantées. « Il s’agissait d’atteindre à une résonance différente de la forme à partir de l’utilisation du sonore et du processus évolutif, dans un temps et un espace donnés, pour faire apparaître une présence autre, palpable, faisant trace pour le visiteur », explique Nalbabian.20 Une oreille géante, sculptée en savon de Marseille, est posée à même le sol : une allusion évidente à l’écoute intra-utérine et à la voix acousmatique de la Mère.

Comme à son habitude dans les divers volumes du Dernier Royaume, Quignard ratisse large dans Performances de ténèbres : il évoque dans ces pages le dialogue socratique et les méditations de la mystique chrétienne; la tragédie grecque, le théâtre médiéval nô et la danse moderne du buto; les maximes de La Rochefoucauld et les aphorismes de Nietzsche; le théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud ou de Jerzy Grotowski -- sans parler de divers ouvrages de psychanalyse et d’anthropologie. L’écrivain avance l’idée que la performance de ténèbres est une « nouvelle forme littéraire » (PT: 33), mais non verbale car la symbolique mise en jeu y a peu de choses en commun avec celle des livres. Il s’agit tout simplement d’immerger le spectateur dans le noir et donc dans la peur : de produire « un désabritement du corps dans le sans secours de la nuit originaire » (PT: 36). Pour renforcer l’idée de la disparition du langage, Quignard multiplie éclats de voix, cris et chuchotements, appels et gémissements, en-deça ou au-delà de tout dialogue théâtral. « Ce sont des sons, des cris, des rythmes, des ‘phrases de sons’ plutôt que des ‘airs’, des émotions plutôt que des significations » (PT: 209). Cette « musique mutique »,21 dont le registre s’étend du murmure au mugissement, vise à montrer qu’il  y a quelque chose de sombre en nous qui ne nous est pas propre, quelque chose qui précède et dépasse l’acquisition du langage et du concept, 

quelque chose qui touche autre chose que soi au fond de soi, quelque chose d’opaque qui gémit avant que l’on acquière la langue et qui ne s’éteint pas après qu’on l’a acquise, qui continue de pousser un minuscule cri déchirant, qui chante cinq ou six notes formant une arabesque naine qui s’éteint brusquement dans la nuit (PT: 240). 

Le but avoué de la performance est de réactiver le point phobique où se rompt le langage. Le chant chamanique réactive sur scène le « cri natal qui perce dans l’air atmosphérique » (PT: 92), marquant ainsi « l’acte de naissance de la psychè » (PT: 92).

Notons ici que les performances de ténèbres de Quignard font écho aux réflexions de Jean-Luc Nancy et de Marie-Louise Mallet22 sur l’écoute musicale et qu’elles permettent de répondre, pour une part, aux questions posées par la phénoménologie de l’écoute musicale. Que se passe-t-il exactement dans cette expérience auditive? Pour Jean-Luc Nancy, le lieu sonore n’est pas un lieu où le sujet viendrait écouter ou se faire entendre mais, plus profondément, le lieu même où le sujet advient. L’émotion provoquée par la musique est donc liée selon Nancy, pour une part, à cette expérience fondamentale : la fissure du moi en un « soi » qui remonte à « l’antémusical » (À l’écoute, p. 28). Jean-Luc Nancy rejette « la sublimité ineffable toujours trop vite attribuée au musical pour y faire entendre un sens absolu » (À l’écoute, p. 51). En revanche il souligne que l’écoute musicale s’ouvre au corps viscéral et résonateur, à la mise en jeu du plus ancien que ‘moi’ et à la perception du son avant le règne du sens et du langage. L’écoute est mieux disposée à l’affect qu’au concept : en fait, on peut même dire qu’elle résiste au concept car elle se situe en amont de la signification, comme « sens à l’état naissant » (À l’écoute, p. 52). Deux remarques ici. 

Première remarque: pour Jean-Luc Nancy, la musique affecte le corps tout entier comme « caisse ou tube de résonance » (À l’écoute, p. 59). Or on sait que le tambour et la flûte sont les deux instruments chamaniques traditionnels. Ces instruments renvoient tous deux au corps humain, à la fois comme caisse de résonance et comme tuyau vibratoire. Quelque chose de similaire est recherché par Pascal Quignard dans le traitement particulier du piano au cours des performances sur scène: un traitement à la fois percussif et vibratoire, refusant le liant, l’harmonie et la mélodie, et insistant au contraire sur la résonance comme dans certaines oeuvres d’Olivier Messiaen.

Seconde remarque: les fragments de textes proférés sur scène au cours des performances présentent une diction particulière. Cette diction correspond à sa propre écoute, à son écho. En effet Quignard fait entendre l’écho intérieur du texte au cours de sa rédaction, ce processus où le texte se cherche, hésite, fait retour et « s’ouvre à son propre sens comme à la pluralité de ses possibles » (À l’écoute, p. 68). Ainsi la diction ne met pas vraiment l’accent sur l’expressivité ni sur la musicalité du texte mais sur sa résonance. La diction quignardienne fait entendre l’inscription hésitante, haletante, de l’écriture qui se cherche entre son et sens, qui « en s’écoutant se trouve et en se trouvant s’écarte encore de soi pour résonner plus loin » (À l’écoute, p. 68). En désassemblant l’expression et la diction, en faisant retentir fredons et fragments verbaux, Quignard renvoie à certaines recherches contemporaines sur la ‘chôra vocale’ chez Georges Aperghis ou encore Pascal Dusapin. 

Quignard s’efforce de nous remettre ‘à l’écoute’, c’est-à-dire de nous plonger dans l’expérience matricielle de la résonance. Ce qui se manifeste sur scène, ce n’est donc pas un moi psychologique mais simplement un corps comme résonance et comme rythme, « le rythme non seulement comme scansion (mise en forme du continu) mais aussi comme pulsion (relance de la poursuite) » (À l’écoute, p. 75) pour reprendre la distinction de Jean-Luc Nancy. Ce rythme est une véritable « mise en branle », ou une transe, « par quoi un sujet arrive – et s’absente à soi-même, à son propre avènement » (À l’écoute p. 81).

Les performances de ténèbres de Pascal Quignard mettent en scène l’écoute intérieure comme écoute antérieure. Elles permettent aussi d’entrevoir le lien dialectique entre mélomanie et mélophobie. Dans son essai intitulé La Musique en respect, Marie-Louise Mallet a fait observer que la musique est pour la pensée « un ‘objet’ insaisissable, ‘rebelle’ à ses catégories et à ses procédures discursives » (p. 48). La musique constitue le plus souvent, pour le philosophe, une menace, tout comme le sont l’affect et l’amour. Marie-Louise Mallet souligne d’autre part qu’il existe un lien très fort qui unit la pensée théorique et systématique avec la pulsion scopique: 

Regarder c’est choisir son point de vue, c’est s’attarder auprès de la chose regardée, l’observer sous toutes ses faces, la fixer, la maintenir présente sous les yeux, y revenir après s’en être détourné. Regarder c’est garder et garder encore, maintenir sous sa garde. Certes, la chose ne se donne pas d’emblée, dans sa totalité, au regard, et celui-ci n’en saisit que des ‘aspects’ partiels, mais il peut indéfiniment en faire le tour. Il y a une affinité entre le concept qui prend, capture, emporte et tient l’objet, et le regard (...) (p. 49).

En revanche l’événement sonore passe sans s’arrêter, sans s’attarder. On ne peut le saisir qu’un instant, au passage, au moment même de sa manifestation. 

Écouter c’est être ‘touché’ sans jamais pouvoir toucher ce qui nous touche, sans pouvoir le saisir, le retenir. Écouter c’est ne pas pouvoir garder, et en faire l’épreuve. C’est entendre s’éloigner, se perdre comme un écho fugace, ce que l’on écoute. Écouter c’est ne pas pouvoir maintenir, maintenir présent. C’est ne pas pouvoir retenir. C’est ne pas pouvoir revenir. (...) Il s’agit là d’un deuil ‘originaire’ (...) On ne peut écouter [la musique] sans faire l’épreuve de la perte et de l’impossible réappropriation (p. 49-50).

Cette thématique du deuil originaire et du Jadis est très prégnante dans les ouvrages de Pascal Quignard, au moins depuis Tous les matins du monde (1991). Pour cet écrivain, la musique est bel et bien la ‘nuit’ de la pensée, l’affect obscur qui prévaut depuis toujours sur la clarté du concept. Sensible à la voix acousmatique perdue de la Mère, Quignard suggère qu’il faudrait penser et écrire comme on écoute un morceau de musique, dans la hantise de cette voix perdue et du sens absent. Comme le souligne Marie-Louise Mallet : « (...) Plus primitive, plus archaïque encore que la musique, plus nocturne encore il y a l’écoute. C’est dans ce fond nocturne que s’élabore la musique. (...) Peut-être faudrait-il (...) dire seulement qu’il n’y a pas d’écoute musicale qui ne soit désarmée » (p. 25-26).


Bibliographie

ANNICK J., « La ‘performance de ténèbres’ selon Pascal Quignard. Notes de lecture » (ottobre 2019), disponible en ligne : https://www.fabula.org/colloques/document6397.php, consulté le 22/05/2021.
CLOTTES, J. et LEWIS-WILLAMS, D., Les Chamanes de la préhistoire: transe et magie dans les grottes ornées, Paris, Seuil, 1996.
FOURCAUT, L., « Zétès : l’écriture, de la langue au chant de la voix perdue », Littératures 69, 2013, pp. 27-38.
KRISTEVA, J., La Révolution du langage poétique, Paris, Seuil, 1985.
KUNDERA, M., Les Testaments trahis, Paris, Gallimard, 1993.
LEVI-STRAUSS, C., Mythologiques, Paris, Plon, 1964.
MALLET, M-L., La Musique en respect, Paris, Éditions Galilée, 2002.
NANCY, J-L., À l’écoute, Paris, Éditions Galilée, 2002.
PAUTROT, J-L., La Musique oubliée, Genève, Droz, 1994.
--. Pascal Quignard ou le fonds du monde, Amsterdam/New York, Rodopi, 2007.
QUIGNARD, P., La Haine de la musique, Paris, Calmann-Lévy, 1996.
--. Performances de ténèbres, Paris, Galilée, 2017. 
--. Villa Amalia, Paris, Gallimard, 2006.
--. Zétès, Paris, Gallimard, 2010.
ROSOLATO, G., La Relation d’inconnu, Paris, Gallimard, 1978.
SALLENAVE, D., Les Portes de Gubbio, Paris, Hachette, 1980.
STRAVINSKY, I., Poétique musicale, Paris, Plon, 1952.
THIBAULT, B., Danièle Sallenave et le don des morts, Amsterdam, Rodopi, 2004.
--. « ‘Un chant qui errait sans fin’: Pascal Quignard et l’écriture de la béance dans Villa Amalia », L’Esprit créateur, vol. 52-1, 2012, pp. 59-69.


Note

↑ 1 Pour une discussion détaillée des Portes de Gubbio, voir Bruno Thibault, Danièle Sallenave et le don des morts, Amsterdam, Rodopi, 2004, p. 52-68.

↑ 2 Sur ce point, voir les analyses de Claude Lévi-Strauss dans l’introduction de l’essai Le Cru et le cuit (1964), repris dans Mythologiques (Paris, Plon, 1964, tome I).

↑ 3 Sur ce point, je renvoie aux analyses bien connues du Jean-Paul Sartre dans La Nausée à propos de l’air de jazz. Pour une discussion détaillée de ce thème, je renvoie à l’essai de Jean-Louis Pautrot, La Musique oubliée, Genève, Droz, 1994.

↑ 4 D’une façon similaire Milan Kundera souligne dans Les Testaments trahis (1993) que l’extase musicale ne projette pas l’auditeur hors du moment présent mais qu’en réalité elle est « identification absolue à l’instant présent, oubli total du passé et de l’avenir » (106). C’est pourquoi il est possible de comparer ce présent absolu à l’éternité qui, elle aussi, est négation du temps.

↑ 5 Dans les conférences qu’il a données à l’université de Harvard en 1939, Igor Stravinski définit l’émotion musicale en ces termes : « Chacun sait que le temps s’écoule de façon variable (...) selon les événements qui viennent affecter sa conscience. L’attente, l’ennui, l’angoisse, le plaisir et la douleur apparaissent ainsi comme des catégories différentes (...) qui commandent chacune un tempo particulier. Ces variations du temps psychologique ne sont perceptibles que par rapport à la sensation primaire, consciente ou non, du temps ontologique... (Il existe donc) deux espèces de musique. L’une évolue parallèlement au processus du temps ontologique, l’épouse et le pénètre, faisant naître dans l’esprit de l’auditeur un sentiment d’euphorie... L’autre devance ou contrarie ce processus. Elle n’adhère pas à l’instant sonore (...) et s’établit dans l’instable... Toute musique où domine la volonté d’expression appartient à ce second type » (Poétique musicale, Paris, Plon, 1952, p. 39-40).

↑ 6 La Relation d’inconnu, Paris, Gallimard, 1978.

↑ 7 Pour Julia Kristeva le nourrisson transpose dans ses premières manifestations vocales quelque chose de sa relation pulsionnelle au corps maternel. Voir les analyses sur le « géno-texte » dans La Révolution du langage poétique (Paris: Seuil, 1985), p. 83-84.

↑ 8 Pour une discussion détaillée des divers thèmes de Villa Amalia, je renvoie à mon article, « ‘Un chant qui errait sans fin’ : Pascal Quignard et l’écriture de la béance dans Villa Amalia », L’Esprit créateur, vol. 52, no 1 (printemps 2012), p. 59-69.

↑ 9 Selon la psychanalyse, la voix maternelle, avant même la phonation, est l'objet d'un investissement particulier et elle présente le premier modèle de l’enchantement musical.

↑ 10 Sur ce point, je renvoie à la synthèse de Jean-Louis Pautrot dans Pascal Quignard ou le fonds du monde (New York: Rodopi, 2007), 81-100.

↑ 11 Pascal Quignard, Zétès, Paris, Gallimard, 2010.

↑ 12 Pour plus de détails sur ce point, voir Laurent Fourcaut, « Zétès : l’écriture, de la langue au chant de la voix perdue », Littératures 69 (2013), p. 27-38.

↑ 13 Les réflexions de l’auteur sur le chant chamanique se trouvent dans deux chapitres particuliers de La Haine de la musique: « Il se trouve que les oreilles n’ont pas de paupières » (pp. 105-137) et « Le chant des Sirènes » (pp. 163-182).

↑ 14 Voir notamment les pages 39-40. « Ce fut ainsi que chaque année, à l’automne, je tentais d’improviser des spectacles de nô, de buto, de kqwengae coréens, de musiques minimales, dans les nuits les plus opaques possibles » (144). On peut voir certaines de ces performances sur le site pascal-quignard.fr [archive].

↑ 15 Quignard écrit : « une aura lumineuse venant du lointain » (PT: 209). Il fait observer: « Dans le chamanisme – qui se tient très loin en amont de tous ces jeux, de toutes ces séances, de toutes ces liturgies --, là encore ce sont au minimum deux personnages qui se font face et deux fonctions qui se répartissent: la transe silencieuse qui danse et qui aboutit au voyage au pays des rêves et des dieux d’où un chant, un carmen, un charme sera ramené, face à l’assistant appelé le ‘linguiste’ qui reste sur terre, qui assure le retour de l’âme de la chamane partie dans l’autre monde, qui enfin transforme en récit de langue les images de rêve qu’elle y a vues (PT: 218). On sait que Pascal Quignard a traduit en 1969 l’Alexandra de Lycophron où l’on retrouve ce dispositif centré autour de la figure chamanique de Cassandre.

↑ 16 Quignard souligne que l’actrice Marie Vialle était totalement en accord avec lui: « Le chant, le récit, très peu de dialogue (ou alors au style indirect). En tout cas: pas de dialogue en direct, au présent. Pas de conflit re-présenté (...). Aucune psychologie » (PT:160).

↑ 17 Concernant l’influence probable du chamanisme sur l’art pariétal, voir Jean Clottes et David Lewis-Willams, Les Chamanes de la préhistoire: transe et magie dans les grottes ornées, Paris, Seuil, 1996.

↑ 18 Sur ce point, on  peut consulter en ligne l’article très détaillé d’Annick Jauer, « La Performance de ténèbres selon Pascal Quignard. Notes de lecture »: https://www.fabula.org/colloques/document6397.php

↑ 19 « Cette collaboration est née de ma rencontre avec Pascal Quignard au Centre International Culturel de Cerisy l’été 2014 lors des colloques consacrés à son œuvre et de notre échange sur mon travail », explique Frédérique Nalbandian. « Notre attirance, sensibilité respective pour la musique de Franz Schubert et un ensemble de  préoccupations communes - l’origine, l’oreille, le fond, la mémoire, le fragment, les traces, le silence, la perte, le langage, l’entendement, la musique - ont mis jour à la réalisation d’une œuvre plastique sonore et évolutive accompagnée d’un ensemble de performances ». La description et une vidéo de cette installation/performance sont disponibles en ligne : https://www.cirm-manca.org/actualite-fiche.php?ac=1012&PHPSESSID=7ac359849beaee91b26cb57141a6b980/

↑ 20 Ibid.

↑ 21 Ce terme de “musique mutique” est emprunté à l’essai de Jean-Luc Nancy, À l’écoute, Paris, Éditions Galilée, 2002, p. 47-49.

↑ 22 Marie-Louise Mallet, La Musique en respect, Paris, Éditions Galilée, 2002.


 

Dipartimento di Lingue e Culture Moderne - Università di Genova
Open Access Journal - ISSN électronique 1824-7482