Publifarum n° 36 - Nouvelles formes de l'écriture scientifique

Introduction

Elisa Bricco, Anna Giaufret, Nancy Murzilli, Micaela Rossi, Stefano Vicari



Devant le constat que l’évolution des approches disciplinaires (sciences participatives, recherche-création, recherche « affectée », etc.) et des supports de diffusion de la recherche (blogs de recherche, vidéos, conférences-performances, etc.) transforment aujourd’hui les manières d’écrire la recherche, ce numéro de la revue Publifarum s’interroge sur les nouvelles formes de l’écriture scientifique. Afin de développer la réflexion critique sur l’écriture telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui dans les sciences humaines et sociales aussi bien que dans les sciences dites «dures», les articles contenus dans ce numéro rendent compte de quelques parcours de recherche et de réflexions sur de la recherche et sur ses enjeux. 

Les chercheurs qui se sont prêtés à cet exercice réflexif  sur leurs propres pratiques d’écriture ou celles qui sont en train de transformer le travail de recherche dans leur domaine, nous exposent dans ce numéro leurs approches et leurs convictions et parfois leurs questionnements. Il en est résulté une riche palette de propositions provenant de spécialistes de diverses disciplines - linguistique, littérature, histoire, recherche-création -, qui ont emprunté de nouveaux sentiers, s’exposant ainsi à la critique, parfois très dure, des pairs. En répondant librement aux questions que nous leurs avions posées, iels ont courageusement mis à nuleurs convictions. 

Nos suggestions, qui ont été prises comme points de départ pour la réflexion, étaient axées sur les points suivants : 

●    Écriture scientifique et supports (les blogs de recherche notamment).

●    Écriture scientifique et corpus/sujets : comment doit/peut-on travailler sur/avec des sujets « sensibles » ? 

●    Quelle posture les chercheurs et les chercheuses  doivent-iels adopter dans la construction de ces objets de recherche ? Peut-on identifier des pratiques vertueuses ?

●    Quels sont les nouveaux “observables” et comment les traiter ?

●    Le chercheur/la chercheuse peut-il/elle être engagé.e  ?

●    Comment inclure dans les résultats de la recherche les contributions « citoyennes » à ces recherches ?

●    Quel est l’impact de la recherche-création sur les nouvelles formes d’écriture scientifiques ?

●    Quels effets sont produits par les évaluations d’un texte avant sa publication ?

Il ressort des textes qui composent ce numéro quel'un des principaux enjeux de l'écriture scientifique [ou de l'écriture de la recherche] réside dans la tension entre un renouvellement des formes et des dispositifs d'écriture qui accompagnent de nouvelles pratiques de recherche et les modes d'évaluation académiques qui reposent sur la reconnaissance de formes d'écriture considérées comme fondées en objectivité. Tous les articles de ce numéro abordent cette problématique et exposent leur manière de l’affronter avec honnêteté intellectuelle. En confrontant parfois l’éditeur universitaire à la nécessité de “remettre en cause le circuit éditorial existant” (De Blic) afin d’accueillir les nouvelles pratiques de la recherche au fur et à mesure qu’elles apparaissent. Parfois par l’ouverture vers des formes inédites et hybrides de l'enquête scientifique, comme celle de la recherche-création (Houdart-Merot). Tantôt par l’intégration de nouvelles formes de la communication digitale dans la visée d’atteindre de nouveaux publics (Goux-Véron, Caffarena). Les chercheurs doivent assumer leurs choix et affronter des risques, qui comportent parfois la mise en cause des discours étudiés en affirmant un “engagement éthique” (Koren), ou la relation difficile avec les pairs auxquels sont confiées les relectures en double aveugle (Bramati). 

Il est assez frappant de remarquer la convergence des propos présentés vers des thématiques communes : avant tout l’omniprésence de la narration et de la fiction considérés comme des outils utilisables dans la diffusion des résultats de la recherche, notamment dans le champ de l’histoire, dans celui de  la recherche-création et de la critique littéraire. On constate que le recours à la narration, à la fiction, à des formes d'écriture situées, acquiert une place toujours plus grande dans la transmission de la connaissance académique, pour des raisons qui relèvent non seulement d'une volonté de rendre la recherche accessible à un plus large public, mais aussi parce que la valeur heuristique de ces pratiques d'écriture trouve de plus en plus de reconnaissance parmi les chercheurs. Remarquons aussi qu’on assiste au mouvement inverse, lorsque les écrivain.e.s se prêtent à un travail de recherche-création en contextualisant dans des récits ou des fictions certains résultats de la recherche scientifique, pour les questionner en les détournant ou en leur offrant un nouveau cadre de compréhension (Vincent).

L’autre grande convergence thématique que les articles partagent concerne l’emprise des moyens de communication digitaux et des réseaux sociaux dans et pour la recherche. Les chercheuses et les chercheurs les utilisent de plus en plus pour divulguer leurs résultats. Les questions qu’il se posent et surtout qu’on leur pose ont affaire à la “légitimation de la parole scientifique” (Goux, Véron): est-ce que comme le disait McLuhan “the medium is the message”1  ou, comme le suggèrent les ces chercheurs, devons-nous faire un pas supplémentaire et considérer qu’aujourd’hui la diffusion de la recherche doit toucher toutes les sphères de la communication sociale ?

Enfin, un autre problème majeur dont il est question  ici est celui de la légitimité et de la reconnaissance de l’autorité de l’écriture technique. Ce sujet comprend aussi les problématiques liées à la révision des textes et des textes traduits. Est-il admissible que les éditeurs censurent des traductions et surtout qu’ils ne reconnaissent pas l'autorité d’un traducteur ? (Bramati) Par ailleurs, les auteurs ne devraient-ils pas être considérés comme responsables de leurs objets de recherche et de leurs démarches d'enquête (Koren), puisque , dans toutes les situations où une chercheuse et un chercheur prennent la parole et exposent leurs convictions et leurs résultats, iels s’affirment en tant que spécialistes et  prennent le risque d’assumer pleinement leurs propos ?

Ce numéro se veut une première tentative d’exploration réflexive des formes d’écriture d’une recherche en acte. La variété des questions soulevées par les contributions qui vont suivre démontre que le renouvellement de ces formes d’écriture d’écriture est le symptôme d’un mouvement de fond de la recherche scientifique vers une reconception de ses méthodes et de son approche du terrain plus pragmatique, subjectivisée, ouverte et partageable. 

Nous remercions Pasiphae Leclère qui nous a mis à disposition l'image d'ouverture des storyboard de son projet de recherche-création "360°" qu'elle a réalisée en 2021 dans le cadre du Master ARTEC Université Paris Lumières.


 


Note

↑ 1 Marshall McLuhan, Understanding Media: The Extensions of Man, New York, Mentor, 1964.


 

Dipartimento di Lingue e Culture Moderne - Università di Genova
Open Access Journal - ISSN électronique 1824-7482