Enfants de migrants, acteurs incertains de nouvelles scénographies pédagogiques
Table
Scénographies de l’apprentissage
De la langue d’origine au français
Abstract
Francese | IngleseL'article examine les difficultés de l'apprentissage du français langue seconde pour les enfants de migrants en France. La notion de scénographies de l’apprentissage est abordée en reposant sur des observations de terrains divers à travers le monde. L’appropriation de l’espace de la classe à la française par les élèves intégrant une UPE2A (Unités pédagogiques pour élèves allophones nouvellement arrivés) est ensuite discutée. l’établissement d’enseignement d’accueil, dans son organisation même, sa logique de mise en œuvre des apprentissages, peut constituer une des sources d’embarras peu considérées. Enfin, l'article souligne le rôle de l'environnement social, de la mobilité des enseignants et du traitement différencié des apprentissages dans la réussite des élèves migrants.
Introduction
Les élèves que nous conviendrons d’appeler ici « enfants de migrants », même si l’expression n’est plus aujourd’hui officiellement en usage1, tels qu’ils sont présents dans le système éducatif français, sont regroupés en un public à part dont la relation incertaine au français (élèves allophones nouvellement arrivés) ne constitue pas la seule caractéristique. En effet d’autres publics d’élèves allophones trouvent leur place dans différentes catégories d’établissement, sans pour autant prendre place dans la catégorie « enfants de migrants ». Pensons ainsi aux établissements relevant de l’Agence des établissements français à l’étranger (543 établissements pour 375 000 élèves), ceux de la Mission laïque française (108 établissements pour un peu plus de 61 000 élèves) ou encore en France ce que l’on appelle, de façon très globale, les lycées internationaux. On ajoutera, dans différents pays d’Europe, des organisations d’enseignement bilingue dans lesquelles certaines disciplines peuvent être enseignées en français (Écoles européennes par exemple). Comment catégoriser alors le public qui nous intéresse ici autrement que par la seule référence à la maîtrise du français ?
Le concept de migration doit en effet intervenir ici pour définir des publics de personnes nées à l’étranger, de nationalité étrangère, et installées en France pour des durées plus ou moins longues. Il conviendrait bien évidemment d’opérer encore des distinctions entre le migrant économique et le réfugié : personnes en déplacement dont l’installation en France constitue un point d’aboutissement ou une simple étape dans un parcours plus vaste ; statut juridique souvent précaire, installation parfois de fortune dans des banlieues souvent défavorisées ; au total, et le plus souvent, une précarité qui retentit sur différents aspects de la vie et notamment sur les apprentissages.
Mais si l’on a suffisamment insisté sur les particularités des trajectoires de vie et de scolarisation des élèves, sur la précarité de statut des familles2, sur la difficulté éprouvée par ces publics à accéder à la maîtrise du français, on s’est en revanche peu intéressé à ce qui dans l’école française, dans son organisation même, sa logique de mise en œuvre des apprentissages, peut constituer une autre source de difficulté.
Scénographies de l’apprentissage
Le terme de scénographie, nous le savons, est emprunté au vocabulaire de la mise en scène théâtrale, un art de la scène qui définit tout à la fois un espace, dans sa structuration propre, avec des éléments matériels présents sur la scène, et un positionnement des différents acteurs, tout ceci aux fins d’engager les personnes présentes dans un jeu dont la finalité sera d’organiser des activités d’apprentissage.
La salle de classe
Nous distinguerons ici la salle de classe dans son aspect proprement matériel3, qui ne nous intéressera guère, de la salle de classe comme espace symbolique de l’apprentissage. Tout se joue en effet dans cet espace, lieu de condensation des savoirs, dans une économie temporelle particulière. On peut en effet apprendre à compter, dans un système donné (décimal dans la plus grande partie des cas), selon des logiques et des écritures opératoires particulières par le simple fait d’être au contact des adultes. Mais l’apprentissage sera long, entaché de nombreux tâtonnements, comportant peut-être de nombreuses erreurs fossilisées, alors que la classe permet de condenser l’apprentissage par une sélection appropriée des items organisateurs de la compétence, et selon une focalisation particulière qui permettra d’éliminer, au moins en théorie, tous les éléments parasites, et autres distracteurs.
Cette organisation spatiale va permettre à l’enseignant de déployer un jeu particulier d’échanges avec son public d’élèves ; en sachant cependant que plusieurs dispositifs peuvent être à l’œuvre : un espace organisé en lignes et en colonnes, le plus classique, qui focalise l’attention des élèves vers l’avant de la classe (tableau, estrade, chaire du maître quand il y en a une) ; un espace en îlots, qui permet aux élèves de se retrouver en groupes plus restreints autour d’activités distinctes les unes des autres ; un espace organisé en demi-cercle, qui focalise l’attention sur le maître dispensateur de savoirs. Mais on considèrera que dans nombre de pays du Sud, la charge des effectifs est telle que les élèves, installés sur des tables-bancs, ne disposent que d’une marge restreinte en matière de positionnement dans l’espace de la classe.
Deux scénographies pédagogiques
Il y a toujours quelque risque à vouloir rassembler dans un schéma comparatif des modes d’organisation qui, dans la réalité des univers scolaires, sont plus différenciés qu’il n’y paraît ; en même temps cette comparaison, sommaire nous en sommes bien conscient, mais pas autant qu’il n’y paraît, permet d’expliquer le désarroi dans lequel peuvent se trouver un certain nombre d’élèves issus de la migration quand ils prennent place dans une autre organisation de l’espace de la classe. Le positionnement de chacun implique en effet, non seulement une autre relation au maître ou à la maîtresse, mais une autre façon de se penser comme acteur d’un savoir en devenir :
École d’origine | École française |
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Tableau 1: Comparaison de l’école d’origine et l’école française
Comparons à titre d’exemple deux démarches de traitement de la compétence d’écriture :
Si l’on se reporte aux recommandations concernant le cycle 3 de l’école française, on découvre les principes suivants :
PLUSIEURS PRINCIPES GUIDENT L’ENSEIGNEMENT DE L’ÉCRITURE AU CYCLE 3 :
Le fait que les élèves ne maîtrisent pas parfaitement les usages de la langue écrite ne doit pas empêcher l’exercice quotidien de l’écriture, la mise en place d’une habitude qui doit être à la fois rassurante et formatrice ; • la fréquence des situations d’écriture conduit à des échanges réguliers entre les élèves sur les productions qui sont partagées et discutées ; • l’apprentissage de l’écriture privilégie l’expérimentation des formes, des genres et des fonctions de la communication écrite : l’étude approfondie de quelques formes très structurées est exceptionnelle ; • la confrontation entre les écrits de la classe, entre les productions d’élèves et les textes d’auteurs permet peu à peu à chaque élève de prendre du recul par rapport à ses propres textes, c’est-à-dire d’endosser la responsabilité de ses écrits et d’en mesurer les effets ; • enfin, la fréquence des écrits suppose un rapport particulier à la correction, qu’il s’agisse des attentes exigibles ou des interventions didactiques pour les rapprocher de la norme en particulier orthographique4.
On peut donc comparer une approche au pas à pas, soucieuse d’accompagner les élèves dans l’organisation du récit et d’éviter le plus possible le risque d’erreur, et une approche fondée sur le tâtonnement, l’expérimentation, dans un parcours qui fait de la récriture un principe d’avancée dans son texte. Passer dans ces conditions d’une démarche soigneusement accompagnée (celle du Sénégal) à une démarche d’engagement et de prise de risque peut dans un grand nombre de cas déstabiliser certains élèves.
De la langue d’origine au français
Tout élève qui s’inscrit dans un parcours de migration, et qui doit être scolarisé dans ce que l’on appelle en France actuellement une UPE2A5, doit non seulement prendre place dans un autre univers d’apprentissage, mais le faire dans l’usage d’une nouvelle langue, vecteur langagier souvent fort éloigné de sa langue d’origine. Les langues en question sont celles de cultures et de civilisations dont les relations avec l’Europe sont distinctes de ce qu’il est d’usage de nommer les grandes langues centrales présentes dans les apprentissages européens (anglais, espagnol, allemand, français, russe, italien…), y compris les langues MODIME (les langues les moins diffusées et les moins enseignées) présentes dans l’univers européen (par exemple le slovène, le polonais, le hongrois, le turc, etc.) ; langues présentes au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie (au sens très large du terme), en Amérique latine (langues amérindiennes par exemple), en Océanie, c’est-à-dire des langues qui n’ont jamais été enseignées dans les systèmes éducatifs européens et pour lesquelles la plupart des professeurs de français ne disposent pas, sauf rares exceptions, de références précises. Nombre d’entre elles d’ailleurs sont enseignées dans des établissements spécialisés tels l’INALCO en France (anciennement École des Langues orientales)6. La possibilité d’établir dans ces conditions des comparaisons pertinentes entre ces langues et le français se révèle d’autant plus difficile qu’elles ne s’inscrivent nullement dans ce qu’il est d’usage d’appeler une famille de langue dont le français ferait partie (langues romanes).
L’importance de l’écart ne peut dans ces conditions qu’être source de difficultés supplémentaires. Il s’impose alors au professeur de prendre conscience des propriétés singulières du français, dans une approche contrastive fondée sur « le principe didactique de la compétence initiale »7. Nous ne rentrerons pas ici dans le détail de ce que peut être cette didactique et renvoyons à l’ouvrage cité en note, et ce rappel indispensable :
Pour acquérir la grammaire du français, l’apprenant allophone va nécessairement prendre appui sur la (ou les) grammaire(s) qu’il a précédemment intériorisée(s). Il est donc important pour l’enseignant de pouvoir identifier les L1 des apprenants et de disposer de certaines informations sur les grammaires qui les sous-tendent.
Ce parcours, relativement complexe, permet cependant de réduire l’écart entre la compétence initiale et la compétence attendue et de permettre à l’apprenant de prendre pied dans cette langue nouvelle qu’est pour lui le français.
Le français, une langue singulière
Dans une perspective complémentaire, il appartiendra au professeur de français de prendre conscience des propriétés relatives du français, de façon à ne pas les considérer comme allant de soi pour les publics d’élèves allophones. Nous ne développerons pas dans le détail cette autre dimension de l’apprentissage8, mais en signalerons les points que l’on peut considérer comme critiques vis-à-vis d’élèves venant d’autres langues :
- une langue à syntaxe positionnelle ;
- un système de déterminants particulièrement développé;
- une morphologie redondante : tous les éléments d’un groupe nominal par exemple doivent signaler les accords en genre et en nombre, ainsi que le lien au verbe ;
- un système verbal caractérisé par une morphologie flexionnelle particulièrement développée et différenciée ;
- un dispositif des temps verbaux qui s’organise autour des marques d’époque et non d’aspect ;
- des pronoms personnels qui se différencient selon la fonction, le genre et la personne ;
- un système prépositionnel particulièrement riche (environ 180 formes disponibles).
Apprendre le français selon une logique particulière
Un premier constat s’impose, les enfants de migrants disposent d’un temps d’apprentissage insuffisant par rapport aux exigences du système scolaire français.
Les auteurs du rapport de recherche EVASCOL citent à ce propos les travaux de Cummins :
En ce qui concerne l’anglais L2, Cummins (1979) avait distingué deux types de compétences langagières : les Basic interpersonal communicative skills (BICS), des compétences communicatives basiques mobilisées lors des conversations ordinaires, et les Cognitive academic language proficiency (CALP), compétences cognitives académiques correspondant à l’usage de la “langue de scolarisation”. D’après ses recherches, un enfant arrivant dans un pays d’accueil peut, en deux ou trois ans en moyenne, acquérir des compétences communicatives (BICS) sur des sujets usuels avec des pairs, tandis qu’il faudrait en moyenne cinq à sept ans pour acquérir les CALP.
Ces résultats rejoignent ceux de Collier et Thomas qui, aux Etats-Unis, ont mené des analyses sur les progressions scolaires et linguistiques des allophones de 1985 à 2001. Pour être aussi performant dans toutes les disciplines qu’un élève natif, il faudrait compter une durée de 4 à 7 ans. (souligné par les auteurs)
Les textes officiels du MEN ne définissent ainsi jamais la ressource horaire dont peuvent bénéficier ces publics. Mais les interventions ponctuelles proposées ne correspondent nullement aux ressources nécessaires pour l’acquisition des CALP.
Une approche composite du français
De fait les EANA sont confrontés à deux types d’apprentissage du français : d’une part un apprentissage de type FLE/2, à répartir dans un cadre horaire restreint quand les élèves sont présents dans les unités spécialisées (UPE2A), d’autre part un apprentissage du français de type français langue maternelle/de scolarisation dont nous pouvons ici mettre en liste les caractéristiques principales :
- Apprendre à lire pour écrire, à lire pour parler (et nous préciserons ici « parler comme un livre »).
- Apprentissage du français standard.
- Maîtrise du discours dans sa variété élaborée (sphère cultivée), écrit et oral, mais un oral dans sa dimension formelle.
- Une langue qui sert à « parler de quelque chose», plus qu’à « parler à quelqu’un ».
- Importance prise par la fonction de transmission / représentation (des savoirs) plus que la fonction de de communication.
- Une « parole sans voix »9, en ce sens que le discours du savoir, tel qu’il résulte des propos du maître, de celui des manuels, des consignes de travail ne peut être assigné à une personne particulière, car il résulte de l’ensemble des locuteurs qui construisent les savoirs.
- Une langue à distance des usages sociaux ordinaires.
- Importance prise par une approche réflexive, métalinguistique, métatextuelle.
- Une pédagogie de l’imprégnation par une mise en contact répétée avec de nombreux modèles écrits, les règles d’élaboration d’un discours conforme aux normes de maîtrise du savoir scolaire n’étant jamais pleinement explicitées.
Pour résumer, il s’agit, en ce qui concerne l’apprentissage du français langue maternelle/langue de scolarisation, d’une pédagogie à faible niveau d’intensité qui n’est efficace qu’auprès d’un public déjà en mesure de passer des usages spontanés du français, acquis dans un cadre social donné, à des usages normés conformes aux attentes de l’école.
L’enfant de migrant est ainsi confronté à deux démarches d’apprentissage : en FL2, un apprentissage guidé en classe, à partir d’une sélection de formes de la langue considérées comme prioritaires dans les usages ; on s’efforce ainsi dans un temps restreint de condenser l’expérience langagière d’un apprenant allophone ; en français langue maternelle, il s’agit d’un apprentissage spontané dans l’environnement social et familial proche, dans la diversité des usages et des formes d’exposition à la langue, sur lequel l’école va s’appuyer pour faire accéder les élèves à la maîtrise progressive de la variété élaborée du français. Deux formes d’exposition qu’une approche de type FL2, à la différence d’une approche de type FLE, devrait permettre de rapprocher.
Et sans vouloir aller trop loin dans cet examen d’une hétérogénéité structurelle des apprentissages, rappelons encore que le discours du maître/de la maîtresse ne peut à lui seul servir de modèle d’appui pour l’apprentissage des élèves. Le maître/la maîtresse intervient en effet :
- comme transmetteur d’un savoir. Il/elle aide les élèves à avancer dans la construction de leurs savoirs, dans l’établissement de synthèse ;
- comme organisateur des apprentissages;
- comme régulateur de la vie de la classe10.
- Enfin, en termes d’objectifs des apprentissages pour le FL2, nous retiendrons les points suivants :
- une exigence générale d’intelligibilité, être capable de comprendre les autres et de se faire comprendre des autres ;
- acquérir progressivement le sens de l’exactitude dans la restitution des éléments de savoir et de la précision dans l’énoncé de leurs propriétés ;
- la flexibilité discursive comme capacité à adapter son discours selon les interlocuteurs et l’objet de l’échange ;
- de façon plus générale un élargissement progressif des répertoires de communication.
Complexité des objectifs, ambitions de la visée, telles sont les principales caractéristiques d’un apprentissage du FL2, et tout ceci sur la base de ressources horaires limitées.
Les référents culturels de la réussite
La question de la prise de parole en classe constitue certainement un des marqueurs spécifiques de la difficulté des élèves migrants à entrer dans le jeu des échanges élèves-maître. On peut en effet invoquer une insuffisante maîtrise dans les usages scolaires du français et interpréter ce mutisme relatif comme étant l’expression d’une insuffisante maîtrise du français. Mais on doit s’interroger sur ce jeu d’échanges verbaux qui prévaut dans d’autres systèmes éducatifs. On peut tout aussi bien favoriser l’écoute de la parole du maître comme attitude valorisée, sachant bien évidemment que prendre la parole sous le regard des autres constitue aussi une prise de risque que certains élèves ne veulent pas tenter11.
Et l’on devrait ajouter la place occupée par l’écrit dans la diversité de ses usages et des valeurs qui y sont attachées.
Un contexte particulier d’apprentissage
Enfin, l’entrée dans l’école, à quelque niveau que ce soit, va confronter l’enfant de migrant à une organisation globale des apprentissages qui dans de nombreux cas ne correspond pas toujours, loin s’en faut, à celle qui prévalait dans son pays.
Un programme organisé en disciplines
Le système éducatif français peut se caractériser par une forte dissociation des apprentissages en ce qu’il est convenu d’appeler ordinairement les « disciplines », voire les « matières »12. Nous nous en tiendrons ici à un simple constat, à partir des données présentes dans Eduscol :
- Cycle 2 (CP, CE1, CE2) : 9 disciplines/matières
- Cycle 3 (CM1, CM2, 6e) : 10 disciplines
- Cycle 4 (5e, 4e, 3e) : 13 disciplines
À l’école élémentaire, la polyvalence de principe du maître, fait que ces différents savoirs sont abordés dans une connaissance partagée, mais qui vont en spécialisant à un degré de plus en plus élevé, de façon que passant au collège les élèves puissent recevoir un enseignement dispensé par un professeur spécialisé fondant son enseignement sur un programme propre. Nous ne développerons pas la réflexion plus avant sur ce mode d’organisation des apprentissages, dont les qualités (densité et cohérence des savoirs) et les défauts (cloisonnement excessif)13, demandent aux élèves issus d’autres systèmes des efforts d’adaptation et de mise en continuité particulièrement importants.
Tensions chronométriques et avancées dans les apprentissages
Les programmes sont complexes et denses, nous l’avons dit ; il suffit à cet effet de consulter dans Eduscol les attendus de fin d’année, pour mesurer l’importance de l’effort demandé aux élèves : https://eduscol.education.fr/137/reperes-annuels-de-progression-et-attendus-de-fin-d-annee-du-cp-la-3e.
Cet effort se traduit par une tension chronométrique telle que l’avancée dans le parcours des programmes demande une rapidité dans l’effort d’assimilation que beaucoup d’élèves ne peuvent mettre en œuvre. On sait en même temps que la pratique du redoublement a fortement diminué de façon à se traduire par une plus grande fluidité dans le parcours des élèves. Mais cette évolution, à contenus de programmes inchangés, a profité plutôt aux enfants issus de milieux sociaux favorisés. On connaît par exemple l’usage fréquent de l’expression « à l’heure » pour situer un élève dans son avancée dans le parcours d’apprentissage.
Pour conclure
Nous n’avons pas voulu présenter ici un tableau exhaustif des difficultés que peuvent rencontrer les enfants de migrants, selon leur culture d’origine, le poids des héritages familiaux ou les conditions matérielles de vie, pour tout ce qui prend place dans ce que l’on appelle aujourd’hui une trajectoire de vie. Nous nous sommes plutôt intéressé, en neutralisant ces différents facteurs, à ce qui dans l’espace d’apprentissage de ces élèves peut être source de difficultés dans la scénographie française des apprentissages. Autrement dit, il s’agit de tenter de ne pas se tromper de cible quand on veut rendre à cet enseignement toute l’efficacité qui doit être la sienne. La prise en compte du parcours d’origine des élèves est bien évidemment essentielle, mais à supposer que ces problématiques soient partiellement ou entièrement maîtrisées, subsiste la question des scénographies pédagogiques jusqu’à présent assez peu prises en considération.
Bibliographie
ALTET M., 1994, « Comment interagissent enseignants et élèves en classe ? », Revue française de pédagogie, n° 107, pp. 123-139.
CHERVEL A., 1988, « L’Histoire des disciplines scolaires. Réflexions sur un domaine de recherche », Histoire de l’Éducation, 38, pp. 59-119.
COLLINOT A., MAZIÈRE F., 1987, L’Exercice de la parole. Fragments d’une rhétorique jésuite, Paris, Éditions des Cendres.
FAUPIN E., 2015, Prendre la parole en classe, une gageure pour les élèves allophones arrivants : le cas des cours de français, mathématiques et histoire-géographie. Thèse de linguistique. Université Sophia Antipolis : https://theses.hal.science/tel-01170512
EVASCOL (ARMAGNAGUE M., COSSEE C., MENDONÇA DIAS C., RIGONI I., TERSIGNI S.), 2018, Rapport de recherches EVASCOL : Étude sur la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (EFIV), Défenseur des droits & INSHEA : https://www.infomie.net/IMG/pdf/synth-evascol-num-10.12.18.pdf
INED, 2016, Trajectoires et origines. Enquête sur la diversité des populations en France, Paris, INED Éditions.
LEVET D., SOARE E., ZRIBI-HERTZ A., 2022, Français et langues du monde : comparaisons et apprentissage, Paris, Hachette, Collection F.
VIGNER G., 2017, Systématisation et maîtrise de la langue. L’exercice en classe de FLE, Paris, Hachette, Collection F.
Note
↑ 1 Officiellement, au moins dans le cadre du ministère français de l’Éducation nationale, il est question d’EANA, c’est-à-dire d’Élèves allophones nouvellement arrivé.
↑ 2 Voir INED (Institut national d’études démographiques) 2016.
↑ 3 Salle de plan essentiellement rectangulaire, ou carré parfois, dont les formes, dans le monde occidental, se sont stabilisées dans le courant du XIXe siècle ; à distinguer des écoles coraniques dans lesquelles l’espace est autrement organisé ou des écoles de pagodes présentes au Cambodge dans les années 30. Mais on peut considérer que dans la plupart des pays dans le monde, cet espace s’est largement répandu, selon des dimensions variables, en fonction du nombre d’élèves ainsi rassemblés. Une classe comportant 50, 80 ou 100 élèves sera à chaque fois d’une taille différente.
↑ 4 EDUSCOL, https://eduscol.education.fr/document/16402/download
↑ 5 Unité pédagogique pour élève allophone arrivant, dénomination destinée à éviter le terme de classe qui faisait parfois courir le risque d’enfermer les élèves nouvellement arrivés dans une structure non ouverte sur l’ensemble de l’école ou du collège dans lequel ils étaient inscrits.
↑ 6 INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales).
↑ 7 Voir LEVET, SOARE & ZRIBI-HERTZ 2022. S’agissant des langues spécifiquement africaines, on pourra s’intéresser aux bi-grammaires du programme ELAN qui organisent une comparaison entre français et wolof, français et lingala, etc. http://www.elan-afrique.org
↑ 8 Voir notre ouvrage VIGNER 2017.
↑ 9 Expression que nous empruntons à COLLINOT, MAZIERE 1987.
↑ 10 Voir ALTET 1994.
↑ 11 Dans sa thèse (2015), Elisabeth Faupin montre, en étudiant 9 séances de classe dans diverses disciplines (français, histoire-géographie, mathématiques), que seulement 3% environ des interventions des élèves concernent des élèves allophones alors qu’ils représentent 11% des effectifs des classes considérées.
↑ 12 André Chervel, en 1988, posait déjà la question de la répartition des contenus de l’enseignement, question que nous n’aborderons pas ici.
↑ 13 L’institution scolaire française, consciente des limites du système, dans une vision qui se voudrait plus interdisciplinaire, propose ce que l’on appelle des parcours, des éducations à différents thèmes tels que par exemple les médias, l’environnement, etc.