Publifarum n° 40 - Publifarum

Fonctions des néologismes formels en français dans le contexte multilingue et multiethnique du Burkina Faso

Célestin Zoumbara, Pierre Martin



Abstract

Francese  | Inglese 

En tant qu’unités linguistiques spécifiques, les néologismes formels remplissent une diversité de fonctions selon que l’on s’intéresse au français contemporain hexagonal ou à une variété de contact, où le français interagit localement avec une multiplicité de langues. Au Burkina Faso, par exemple, le français, ancienne langue officielle devenue langue de travail, cohabite avec près de soixante langues nationales ou ethniques, dont trois ont un statut véhiculaire (le jula, le moore et le fulfulde), de même qu’avec d’autres langues non africaines telles que l’anglais, l’allemand, l’espagnol, le chinois, etc. L’étude des néologismes doit alors prendre en compte le contexte social multilingue et multiethnique. La présente contribution suit une approche d’extraction automatique des néologismes, appelée Extranéo. Extranéo combine l’étiqueteur morphosyntaxique TreeTagger avec les lexiques DELA et Morphalou 1 pour identifier les néologismes candidats puis extrait les contextes d’apparition à l’aide de patrons morphosyntaxiques basés sur des marqueurs de glose. Appliquée à un corpus de 50 000 articles tirés des journaux en ligne lefaso.net, sidwaya.info et lobservateur.bf, parus entre 2011 et 2019, elle a permis d’extraire une liste de néologismes qui ont ensuite fait l’objet d’une analyse linguistique. Celle-ci s’est appuyée sur les outils de la lexicologie, de la morphologie et de la sociolinguistique. Les résultats de l’étude montrent que, en contexte burkinabè, les néologismes formels reflètent une centralité des langues nationales dans les échanges communicationnels, un contact linguistique et un enrichissement du lexique du français. L’étude permet d’enrichir la description des néologismes dans le contexte du français pratiqué au Burkina Faso.


Introduction

L’histoire de la langue française laisse voir qu’elle constitue aujourd’hui une donnée importante à prendre en compte dans la description du répertoire linguistique africain. Elle semble être un élément majeur de l’identité africaine au regard des arguments développés par les spécialistes en la matière. À l’argument sociolinguistique développé par DUMONT (1990) s’ajoute celui diachronique de SOME (2020) pour dire que le français est une langue africaine. Si tant est que les États d’Afrique francophone se sont approprié le français en tant qu’outil de communication, cette appropriation touche également certaines propriétés intrinsèques de la langue. En effet, le français, tel qu’il est pratiqué en Afrique, laisse voir des colorations lexicales et morphosyntaxiques caractéristiques de l’espace géographique africain. Différents travaux descriptifs de la pratique du français en Afrique montrent qu’il est caractérisé par des phénomènes linguistiques, communément appelés régionalismes, variantes topolectales, particularismes ou particularités lexicales, rassemblés par THIBAULT (2007) sous l’appellation diatopismes. Ainsi, le français parlé au Burkina Faso est marqué de diatopismes dont les néologismes formels, ou mots nouveaux, constituent une caractéristique majeure. Tout comme en français contemporain (SABLAYROLLES 2009), les catégories grammaticales auxquelles renvoient ces néologismes sont l’adjectif qualificatif (moronabal « relatif au mogho naaba », l’adverbe (wassa-wassa « rapidement »), le nom (aprioritisme « tendance à se baser sur des à priori ») et le verbe (facebooker « naviguer sur le réseau social Facebook »). Outre ces catégories, DAÏLA (2018) relève l’interjection comme étant caractéristique des néologismes dans le français pratiqué au Burkina. C’est le cas des interjections c’est chié ! et c’est déchiré ! traduisant « un sentiment de satisfaction morale ou de réjouissance ».

En s’appuyant sur le français pratiqué au Burkina, diverses études ont permis de montrer que ces néologismes formels sont identifiables dans différents domaines. Ils sont présents en littérature écrite (OUÉDRAOGO 2008 ; ZOUMBARA & TIENDRÉBÉOGO 2020), dans la presse écrite humoristique (KOAMA 2015) ou d’informations générales (RASCHI 2009), dans les affiches publicitaires (OUÉDRAOGO & DAÏLA 2018), etc. Ils obéissent à des procédés de création tels la dérivation (détresser « défaire les tresses ou les cheveux d’une personne »), la composition (dettes-semences « graines dues par les paysans en remboursement des semences qui leur ont été avancées par la coopérative »), la factorisation (discuputer « mener un échange aux allures d’une discussion et d’une dispute »), la mot-valisation (africanistan « situation sociopolitique africaine faisant penser à celle de l’Afghanistan »), l’emprunt (tianhoun « xylophone traditionnel bwaba), etc. et leur apparition est liée à des facteurs comme la dénomination de nouvelles réalités, l’évolution sociale, la pression du contexte syntaxique, etc. 

S’il est vrai que ces différentes études attestent de l’insertion effective de néologismes dans le français pratiqué au Burkina et présentent des facteurs essentiels de cette insertion, elles ne mettent pas l’accent sur leurs fonctions en discours. Ainsi, dans le contexte multilingue et multiethnique qui caractérise le Burkina, quelles peuvent être les fonctions des néologismes dans les écrits journalistiques ? C’est à cette question que répond la présente étude. Au-delà des fonctions caractéristiques des néologismes en français contemporain telles la captation ou l’accroche, les fonctions communicative, dénominative, évolutive et humoristique (CARTIER 2018, TARDY 1974, SABLAYROLLES 2007), l’étude propose des fonctions des néologismes dans un contexte sociolinguistique marqué par le multilinguisme. L’objectif de l’étude est donc de mettre en exergue les fonctions des néologismes formels dans le français pratiqué au Burkina à travers la presse écrite en ligne. Elle comporte trois principales articulations. La première présente le contexte sociolinguistique de l’étude. La deuxième concerne le corpus et la méthode utilisés dans l’étude. Enfin, la troisième articulation présente les résultats et la discussion.

1. Contexte sociolinguistique de l’étude

Cette section présente le répertoire linguistique burkinabè puis introduit les notions associées aux néologismes utilisées pour conduire cette étude.

1.1 Répertoire linguistique burkinabè

Le Burkina Faso, d’après SOMÉ (2003 : 78), est « une mosaïque linguistique ». Celle-ci est perceptible à travers la dénomination même du pays. En effet, le terme Burkina est issu de la langue nationale moore burkindlem et signifie intégrité. Le terme Faso, quant à lui, provient de la langue jula et signifie Terre des ancêtres ou Patrie. Le gentilé permettant de désigner les habitants du pays comporte le suffixe –bè provenant de la langue fulfulde et signifiant les habitants de. Ce faisant, parler de l’univers linguistique du Burkina revient à mettre en relief son caractère multilingue et, par conséquent, multiethnique. Les travaux de KEDREBÉOGO et al. (1988) montrent que le Burkina compte soixante-neuf langues nationales. Pour PRIGNITZ (1993), ce nombre renferme essentiellement les langues nationales ou langues africaines locales, les langues africaines non locales et les langues non africaines.

En ce qui concerne les langues nationales ou langues africaines locales, c’est-à-dire les langues burkinabè, elles se caractérisent aussi bien par leur répartition spatiale que par différents critères socio-démographiques. En effet, ces langues, d’après BARRETEAU (1998), se répartissent en différents groupes de langues, dont les langues gur (bwamu, gulmancema, moore, samo, etc.), les langues mandé (bissa, jula, san), la langue kru (seme), la langue dogon (dogon), la langue ouest-atlantique (fulfulde), les langues nilo-sahariennes (songay, zarma, kado) et les langues afro-asiatiques (tamajaq, hausa). La dynamique quotidienne de ces langues, selon MENAPLN (2022), permet de les classer, suivant les cas, en langues minoritaires, en langues dominantes et véhiculaires et en langues de grande communication ou de grande diffusion. Ainsi, les langues minoritaires renvoient aux langues parlées généralement sur un territoire géographique réduit se limitant à quelques villages. Quant aux langues dominantes et véhiculaires, elles sont parlées généralement dans les provinces (MENAPLN 2022). Enfin, les langues de grande diffusion concernent notamment le fulfulde, le moore et le jula. Elles sont parlées par environ 63% de la population et couvrent une grande partie du territoire national. D’après ANDRÉ (2007), ces langues ont été identifiées par l’État comme des langues véhiculaires dans le pays au regard de la grande diffusion qui les caractérise. C’est, du reste, ce que signifiait BARRETEAU (1998 : 6) en disant que parmi les cinquante-neuf langues que compte le pays, « on peut dégager trois langues principales (moore, jula et fulfulde) et une dizaine de langues d'importance moyenne, toutes les autres langues étant parlées par des minorités ». Cela explique la raison pour laquelle c’est dans ces langues que sont traduits en priorité les documents officiels pour les mettre à la disposition du grand nombre de non francophones. Quant aux autres langues nationales, elles ne sont généralement pas prises en compte dans les cérémonies nationales officielles eu égard à leur expansion géographique faible (BOUGMA 2012) .

Outre les langues ethniques, l’univers linguistique burkinabè est également caractérisé par des langues africaines non locales. Il s’agit de langues relevant d’autres groupes ethniques étrangers africains installés au Burkina. Il s’agit principalement, selon BOUGMA (2012), de l’arabe, de l’ashanti, du djerma, du haousa, du yorouba, du wolof, etc. La présence de ces langues au Burkina est liée notamment à la religion, aux échanges commerciaux, mais également aux phénomènes migratoires. 

Enfin, les langues non africaines identifiées dans le contexte linguistique burkinabè sont principalement le français, l’anglais, l’allemand, l’espagnol, le portugais et le chinois. L’usage de ces langues est surtout favorisé par l’enseignement et les relations diplomatiques avec d’autres États. En décembre 2023, un projet de révision de la constitution burkinabè a érigé toutes les langues burkinabè au rang de langues officielles et a consacré le français et l’anglais comme des langues de travail. Cette officialisation des langues burkinabè ouvre la voie à leur utilisation dans l’administration, dans l’enseignement, dans la presse, etc.

Le multilinguisme qui caractérise le Burkina, selon MENAPLN (2022), entraine une dynamique interne favorisant un plurilinguisme des locuteurs. C’est ainsi que certains Burkinabè se retrouvent à parler plusieurs langues. Cette réalité est principalement liée à l’influence exercée par des langues dites dominantes sur des langues dominées et les besoins de mobilité et d’échanges ; si bien que des usagers d’une langue minoritaire sont parfois amenés à apprendre la langue dominante du milieu. Cette pluriglossie favorise ainsi la cohabitation entre les langues pratiquées au Burkina et aboutit à la formation de néologismes dans les productions langagières.

1.2 Néologie et classification des néologismes

Le terme néologisme désigne une unité linguistique obtenue par néologie, terme formé à partir des éléments grecs neos « nouveau » et logos « discours ». La néologie est donc un processus de formation de mots nouveaux dans une langue donnée et le néologisme désigne le nouveau mot formé. D’après BOULANGER (1983), la néologie considère la forme et le sens du néologisme. Dans le premier cas, on parle de néologie formelle et dans le second cas, de néologie sémantique. Même si cette double catégorisation ressort dans bon nombre de travaux sur les néologismes, il sied de noter qu’il existe dans la littérature une multiplicité de typologies des néologismes comme le relève SABLAYROLLES (1997 : 15) :


Non seulement les typologies sont nombreuses et établissent des classes et sous-classes plus ou moins nombreuses [...], mais encore elles sont fondées sur des critères qui ne relèvent pas des mêmes domaines : ils peuvent être radicalement hétérogènes, ce qui interdit toute comparaison directe d’une typologie à l’autre.

Cette diversité de typologies n’est pas favorable à une bonne connaissance de la création néologique, car elle ne permet pas d’appréhender le type d’unité linguistique considérée par l’étude, tel que le relate SABLAYROLLES (2000 : 71-72) : 


Les différences sont si importantes, et les points de convergence parfois si minces qu’il est difficile de penser qu’il s’agit des mêmes unités linguistiques qui font l’objet des classements en question.

C’est cet état de fait qui a conduit à l’élaboration d’une typologie des typologies afin d’identifier des mécanismes de formation lexicale élémentaires du français (SABLAYROLLES 1997) à travers la mise au point de matrices lexicogéniques inspirées fortement des travaux de TOURNIER (1985 ; 1991) sur l’anglais. Dans cette étude, la classification des néologismes détectés est réalisée sur la base de la grille de SABLAYROLLES (2017) présentée dans le Tableau 1. Cette grille met en exergue deux types de matrices de création lexicale pour le français. Il s’agit de matrices qui sont internes à la langue, auxquelles s’oppose une matrice externe renvoyant à l’emprunt. 

Tableau 1 - Matrices lexicogéniques de SABLAYROLLES (2017)

1.3 Fonction des néologismes

En linguistique, la fonction d’une unité linguistique est liée à la conception systémique de la langue et se traduit par la notion de « valeur » (SAUSSURE 1995). Ainsi, la fonction traduit les relations que l’unité linguistique entretient avec les autres unités d’un énoncé utilisé dans une situation de communication donnée. Ces relations sont plus exactement un jeu d’opposition. C’est ce jeu d’opposition des unités linguistiques qui permet au système de fonctionner normalement tout en dotant chaque unité d’une valeur ou signification. Pour CALVET (1984), la définition saussurienne de la notion de valeur linguistique laisse voir des similitudes entre le système linguistique et l’économie. Cela fait dire à FERRUCCIO (1968 : 83) qu’une communauté linguistique est « une sorte d'immense marché, dans lequel les mots, les expressions et les messages circulent comme des marchandises ». Si chez SAUSSURE la valeur est le produit du rapport entre les signes, MAX (1954), lui, associe la notion de valeur à un couple : valeur d’usage et valeur d’échange. La valeur d’usage désigne l’utilité concrète d’une marchandise ; quant à la valeur d’échange, elle est une propriété de la marchandise qui permet de la confronter avec d'autres marchandises sur le marché en vue de l'échange. Transposée sur le champ linguistique, la valeur d’usage des mots désigne leur utilité pour les locuteurs. Quant à la valeur d’échange, elle se rapporte aux propriétés intrinsèques du mot qui lui permettent de répondre aux besoins communicationnels des locuteurs. La valeur d’usage peut donc être rattachée au signifié et la valeur d’échange, au signifiant. C’est pourquoi FERRUCCIO (1968 : 87) déduit que « sur le marché linguistique, tout mot, expression ou message se présente comme unité de valeur d'usage et de valeur d'échange ». Dans cette étude, pour appréhender les fonctions des néologismes, nous considérons cette dichotomie de la notion de valeur. Outre cela, l’étude s’appuie sur la sociolinguistique (LABOV 1976) en tant que discipline permettant d’expliquer et de décrire les variations dans l’usage de la langue. Dans le contexte pluriethnique du Burkina, la sociolinguistique nous permet de mettre en exergue les fonctions liées à l’usage des néologismes en établissant une corrélation entre la langue et le multilinguisme social. 

S’il est vrai que l’apparition des néologismes dans une langue répond à des facteurs d’émergence, cette apparition traduit également la satisfaction de besoins communicationnels spécifiques. Selon le besoin visé, le néologisme peut être doté d’une fonction spécifique. Cette fonction s’appréhende comme étant une mission assignée au néologisme dans l’optique de réussir un échange communicationnel ou la transmission d’une information (PAVEAU & SARFATI, 2010). Des travaux comme ceux de TARDY (1974), de SABLAYROLLES (2006 ; 2015) et de KOAMA (2015) permettent de relever diverses fonctions des néologismes en français contemporain. Ainsi, les néologismes peuvent viser à accrocher ou à capter le lecteur afin de l’amener à s’intéresser à un texte donné. La fonction du néologisme peut consister à donner une identité, à attester d’une évolution de la langue, à traduire de l’humour, à exprimer une identité, à marquer une influence, à jouer, à exprimer une satire ou encore à traduire un souci d’exactitude et de précision. Au-delà de ces fonctions caractéristiques des néologismes en français contemporain, les néologismes formés dans un contexte multilingue et multiethnique comme celui du Burkina véhiculent des fonctions spécifiques auxquelles s’intéresse la présenté étude.

2. Corpus et méthode

Cette section décrit la méthode Extranéo (ZOUMBARA et al., 2020) ainsi que le corpus utilisé dans la conduite de l’étude. 

2.1 La méthode Extranéo

Extranéo (Extraction automatique de néologismes) est une méthode conçue pour extraire automatiquement les néologismes dans un corpus électronique. Elle est basée sur une combinaison d’outils de traitement automatique des langues naturelles et de programmes informatiques en langage PERL (TANGUY & HATHOUT, 2007). D’une manière générale, le fonctionnement de cette méthode permet d’extraire les néologismes à partir de données textuelles caractéristiques du français pratiqué au Burkina. Conformément à la Figure 1, son architecture répond à quatre étapes essentielles dans le processus d’extraction des néologismes : l’étiquetage morphosyntaxique du corpus (étape 1), l’identification des néologismes candidats (étape 2), l’annotation manuelle (étape 3) et la mise en relief des contextes des néologismes validés (étape 4). À l’étape 1, nous utilisons l’étiqueteur morphosyntaxique TreeTagger (SCHMID 1995) pour attribuer une catégorie grammaticale à chaque token ou segment du corpus. À l’étape 2, les unités linguistiques, dont les catégories grammaticales sont caractéristiques des néologismes, à savoir les adjectifs qualificatifs, les adverbes, les noms communs et les verbes (SABLAYROLLES 2009), sont extraites du corpus étiqueté et recherchées dans les lexiques flexionnels Morphalou (ROMARY & al. 2004) et DELA (COURTOIS 1995) pour identifier les néologismes candidats. Morphalou a été développé au sein du laboratoire Analyse et traitement informatique de la langue française (ATILF). C’est un lexique de 524 725 formes fléchies du français, construit à partir de la nomenclature du Trésor de la Langue Française. Il répertorie essentiellement des formes monolexicales et la version implantée dans l’approche Extranéo est Morphalou 1. Quant au lexique DELA (Dictionnaire électronique du laboratoire d’automatique documentaire et linguistique), il comporte aussi bien des unités monolexicales que des unités polylexicales du français. La version implantée dans Extranéo est celle de 1990, qui comporte 792 260 formes lexicales. 

Ainsi, lorsqu’une unité lexicale est absente du lexique, il est considéré comme étant un néologismes candidat. Toutefois, tenant compte de la non complétude des lexiques, ces néologismes candidats sont validés par l’utilisateur à l’étape 3 en distinguant les « non néologismes » des « néologismes validés ». Des patrons de glose sont enfin projetés à l’étape 4 sur les données textuelles à l’aide du logiciel TXM (HEIDEN & al., 2010) pour mettre en relief les contextes ou l’environnement syntaxique des « néologismes validés ». Ces patrons sont conçus à partir des marqueurs de glose appelé, c’est-à-dire, dénommé, désignant, entendez par là, qualifié de, qui signifie, ou, signifiant sélectionnés sur la base des travaux de STEUCKARDT & NIKLAS-SALMINEN (2005). Ainsi, l’application du marqueur appelé, par exemple, tient compte du fait qu’il est généralement précédé d’un adverbe en –ment et qu’il peut s’accorder au féminin pluriel. Ce faisant, le patron conçu à partir de ce marqueur se présente ainsi : [frudpos="ADV" & word=".*ment"][word="appelé.*?"]. 

Dans la présente étude, la méthode Extranéo a été appliquée à un corpus électronique constitué d’articles journalistiques extraits de journaux burkinabè en ligne.

Figure 1 - Processus de fonctionnement d’Extranéo. Les ovales, les rectangles bleus et blancs représentent respectivement les traitements, les outils utilisés et les entrées/sorties.
Source : ZOUMBARA & al. (2020)

2.2 Le corpus

Le corpus a été téléchargé à l’aide de programmes informatiques sur les sites des journaux burkinabè en ligne L’Observateur Paalga (https://www.lobservateur.bf), Lefaso.net (https://www.lefaso.net) et Sidwaya (https://www.sidwaya.bf). Par exemple, les données textuelles extraites de Lefaso.net ont été récupérées automatiquement à travers l’utilisation d’un programme informatique Perl, conçu spécifiquement pour ce journal en ligne. L’extraction, qui a pris 37h 40mn, a permis de récupérer 47194 articles de Lefaso.net, soit les publications allant du n°40128 du 5 janvier 2011 au n°88672 du 26 mars 2019. En considérant donc la totalité des publications journalistiques des trois journaux constitutifs du corpus, l’étude a été réalisée sur plus de 50000 articles journalistiques publiés entre 2011 et 2019, correspondant à 47 177 865 mots. L’application de la méthode Extranéo au corpus a permis d’extraire un total de 519 néologismes (cf. Tableau 2). Les néologismes extraits sont notamment de type morphosémantique, morphologique et des néologismes par emprunt.


Tableau 2 – Nombre de néologismes formels après application de la méthode Extranéo au corpus

La description morpho-lexicologique de chaque néologisme a permis d’attribuer à chacun diverses informations morphosyntaxiques qui ont guidé l’analyse linguistique. Cela a permis d’aboutir aux résultats présentés dans la section suivante.

3. Résultats et discussion

Il ressort de l’analyse des néologismes extraits que dans le contexte multilingue et multiethnique du Burkina, les néologismes formels reflètent trois phénomènes spécifiques. Il s’agit de la centralité des langues africaines, du contact linguistique et de l’enrichissement du lexique du français pratiqué au Burkina.

3.1 Centralité des langues africaines

L’insertion des néologismes formels dans les textes attestent de la centralité des langues africaines dans l’expression des besoins communicationnels. Les néologismes répondant à cette fonction sont surtout ceux obtenus par emprunt ou utilisant un formant en langue africaine. En termes d’emprunts, nous pouvons relever les lexies mogoya « humanisme », biala « bienvenue », tazartché « continuité », akwaba « bienvenue », nangadèf « ça va bien » qui renvoient respectivement aux langues africaines jula, gulmacema, haousa, ashanti et wolof. Concernant les formants, les néologismes e-mousso « femme ayant un impact grâce à internet », tazartchiste « partisan d’un renouvellement continu de mandat politique », néo-koglwéogo « nouveau membre d’un groupe local d’autodéfense », ont été formés à partir de l’adjonction des formants français e-, -iste, néo- à des lexies issues des langues africaines jula (mousso « femme »), haousa (tazartché) et moore (koglwéogo). Au regard du contexte sociolinguistique burkinabè, l’étude de BALIMA (2005 : 208) montre que « l’usage des langues locales permet de donner une force au discours » dans la presse de façon générale, car les locuteurs francophones burkinabè éprouvent du plaisir à retrouver « les langues de leurs ancêtres » dans les médias. Ce faisant, nous déduisons à sa suite que l’insertion, dans la presse écrite burkinabè, de néologismes obtenus par emprunt aux langues burkinabè « constitue un facteur de participation des populations non seulement pour le développement, mais pour l’émergence d’une conscience identitaire et citoyenne ». Toutefois, l’insertion d’emprunts ou de néologismes formés à l’aide des langues africaines peut enrayer la communication. Il faudrait, pour comprendre le message transmis en français, comprendre également le terme issu de la langue africaine. Dans un tel contexte, la mise en relief ne concerne donc que les lettrés qui disposent à l’écrit d’un vaste répertoire linguistique, c’est-à-dire capables de comprendre plusieurs langues africaines. 

3.2 Contact linguistique

Les néologismes étudiés reflètent un phénomène de contact linguistique caractéristique du Burkina et de bien d’autres États africains. En effet, Extranéo nous a permis d’extraire dans la presse écrite burkinabè des néologismes obtenus par emprunt au bobo (kibi « arbre »), au jula (nansongo « argent de popote »), au fulfulde (gniiwa « éléphant »), au gulmacema (biala «bienvenue » ), au haousa (tazartché « continuité »), au moore (napaga « épouse du chef de l’État »), au san (gnontoro « bière de mil »), à l’arabe (doua « invocation »), à l’ashanti (akwaba « bienvenue »), au wolof (djeredjef « merci ») et à l’anglais (win-win « gagnant-gagnant). Au total, la description des emprunts relevés montre qu’ils ont été obtenus à partir de 11 langues, dont 7 langues africaines locales (bobo, jula, fulfulde, gulmacema, haousa, moore et san), 3 langues africaines non locales (ashanti, wolof et arabe) et 1 langue non africaine (anglais). Ce faisant, nous disons que la création ou l’usage des néologismes reflète un contact linguistique important entre ces différentes langues dans les textes rédigés en français du Burkina, octroyant ainsi une coloration singulière aux textes de la presse écrite burkinabè. La création des néologismes reflète également la cohésion et la cohabitation entre les groupes ethniques au Burkina. Ce faisant, la multiplicité des langues, loin d’être un handicap, constitue une richesse à préserver comme le souligne BOUGMA (2014 : 2) :


[...] la diversité des langues constitue une richesse qu’il convient de gérer avec le même soin que les autres ressources dont dispose l’État, car il est reconnu qu’aujourd’hui c’est la diversité linguistique et non le monolinguisme qui rend le plus service à l’humanité.

3.3 Enrichissement du lexique du français pratiqué au Burkina

Les néologismes détectés dans la presse écrite burkinabè finissent par enrichir le lexique du français. Ainsi, les néologismes qui se sont normalisés ou qui ont un nombre d’occurrences élevé peuvent finir par être adoptés par la communauté linguistique. À titre illustratif, nous pouvons citer les néologismes fasonaute « internaute du journal Lefaso.net » (20 occurrences de 2011 à 2018), gnontoro « bière de mil » (33 occurrences de 2011 à 2017), démocrature « une démocratie aux allures d’une dictature » (36 occurrences de 2011 à 2018), chitoumou « chenilles de karité » (66 occurrences de 2011 à 2017), doua « invocation » (202 occurrences de 2011 à 2018) et koglwéogo « groupe local d’autodéfense » (1345 occurrences de 2012 à 2019). SABLAYROLLES (2017 : 40) montre que la création de néologismes peut répondre à un désir, pour le locuteur, « de rendre service à la langue en l’enrichissant de potentialités qui lui étaient déniées ». Partant de là, nous notons que les néologismes étudiés, au-delà du fait qu’ils reflètent une centralité des langues africaines et un contact linguistique, permettent d’enrichir le lexique de la langue française. En effet, OUÉDRAOGO (2008 : 92) abonde dans ce sens lorsqu’il affirme que bon nombre de néologismes qui font leur apparition dans le français du Burkina « ont été forgés suivant la logique phonologique, morphologique, lexicale ou syntaxique du français » standard. Par exemple, le nom commun conférencette, est formé sur le modèle de « fillette » ou de « fourchette », c’est-à-dire que son processus de formation répond à l’adjonction du suffixe –ette au nom commun « conférence ». Le nom commun « conférence » figure dans la nomenclature des dictionnaires du français standard, mais ceux-ci n’intègrent pas son diminutif. De ce fait, et suivant la déduction de OUÉDRAOGO (2008 : 92), le néologisme conférencette « vient combler un vide ». En cela, les néologismes détectés dans la presse écrite burkinabè constituent une véritable source d’enrichissement du lexique du français pratiqué localement. Cet enrichissement peut d’ailleurs aller au-delà du cadre linguistique qui a conditionné la création du néologisme pour atteindre d’autres usagers de la langue. Dans cette optique, parlant des unités linguistiques issues du français pratiqué en Afrique, FREY (2004 : 139) stipule qu’


un certain nombre de termes recensés dans le français du Burundi et plus généralement dans le français d'Afrique, sont attestés plus sporadiquement en France, et finalement intégreront le français de référence : siester "faire la sieste", de toutes les façons "de toutes façons", sur le même pied d'égalité "sur le même pied, sur un pied d'égalité", etc.

Ainsi, dès leur apparition dans la langue, les néologismes manifestent une fonction d’enrichissement du lexique. 

Conclusion

Cette étude a permis de mettre en exergue des fonctions caractéristiques des néologismes formels dans le français pratiqué au Burkina. Il ressort que les néologismes formels reflètent une centralité des langues africaines dans la presse écrite burkinabè en ligne, un contact linguistique et un enrichissement du lexique du français du Burkina. Chaque fonction est illustrée par des néologismes obtenus à partir de procédés de création lexicale bien précis. Ainsi, la création des néologismes répond à une diversité de fonctions. Tous ces résultats constituent des informations supplémentaires permettant d’enrichir désormais la description des néologismes et de mieux caractériser le français pratiqué au Burkina. 


Bibliographie

Monographies 

DAÏLA B. M., Analyse sociolinguistique du français parlé au quotidien dans quelques villes du Burkina, Thèse de doctorat en Sciences du langage, Université Ouaga 1 Professeur Joseph KI-ZERBO, U.F.R. LAC, Ouagadougou, Sciences du langage, 2018.

BARRETEAU D., Système éducatif et multilinguisme au Burkina Faso, ORSTOM, Centre de Ouagadougou, 1998.

DUMONT P., Le français langue africaine, L’Harmattan, Paris, 1990.

FERRUCCIO R.-L., II linguaggio come lavoro e come mercato, Milan, 1968.

KEDREBEOGO G., YAGO Z., HIEN T., Burkina Faso. Carte linguistique, Ouagadougou, CNRST, 1988.

LABOV W., Sociolinguistique, Minuit, Paris, 1976.

MAX K., Critique de l 'économie politique, éditions Costes, Paris, 1954.

MENAPLN, Politique linguistique du Burkina Faso de 2021 à 2030, Ouagadougou, 2022.

PAVEAU M.-A. et SARFATI G.-E., Les grandes théories de la linguistique. De la grammaire comparée à la pragmatique, Armand Colin, Paris 2003.

SAUSSURE F. de, Cours de linguistique générale, édition de Mauro, Payot et Rivages, 1972.

SOMÉ M., Politique éducative et politique linguistique en Afrique : enseignement du français et valorisation des langues « nationales », le cas du Burkina Faso, L'Harmattan, Paris 2003.

STEUCKARDT A. et NIKLAS-SALMINEN A., Les marqueurs de glose, Aix-en Provence, Publications de l’Université de Provence, 2005.

TANGUY L. & HATHOUT N., Perl pour les linguistes. Programmes en Perl pour exploiter les données langagières, Lavoisier, Paris 2007.

TOURNEUX H., La communication technique en langues africaines, l'exemple de la lutte contre les ravageurs du cotonnier (Burkina Faso / Cameroun), Karthala, Paris 2006.

TOURNIER J., Introduction descriptive à la lexicogénique de l’anglais contemporain, Champion Books, Paris-Génève 1985.

TOURNIER J., Structures lexicales de l’anglais : guide alphabétique, Nathan, Paris 1991.

Articles de revues

ANDRÉ G., « Écoles, langues, cultures et développement. Une analyse des politiques éducatives, linguistiques et culturelles postcoloniales au Burkina Faso », in Cahiers d’études africaines, 2007/1, 186, pp. 221-248.

BALIMA S. T., « Médias et langues nationales au Burkina Faso », in Recherches en communication n°24, 2005, pp. 205-218.

BOULANGER J.-C., « Compte rendu de [Sablayrolles, J.-F. (2000) : La néologie en français contemporain. Examen du concept et analyse de productions néologiques récentes », Paris, Honoré Champion éditeur, coll. « Lexica », no 4, 589 p.], in Meta, 48(3), 2003, pp. 466–472.

CALVET L.-J., « Troc, marché et échange linguistique », In Langage et société, n°27, 1984. pp. 55-81; doi : https://doi.org/10.3406/lsoc.1984.1978

CARTIER E., « Néoveille, plateforme de repérage et de suivi de néologismes en corpus dynamique », in Neologica n°13, 2019, pp. 23-54.

COURTOIS B., « Buts et méthodes de l'élaboration des dictionnaires électroniques du LADL », dans Cahier du CIEL, 1995, pp. 89-108.

FREY C., « Particularismes lexicaux et variétés de français en Afrique francophone : autour des frontières », in Moreau, Langues de frontières et frontières de langues, GLOTTOPOL n°4, Revue de sociolinguistique en ligne, 2004, pp. 136-149.

KOAMA C., « L’amalgamation lexicale comme procédé satirique dans le Journal du jeudi », in Neologica n° 9, 2015, pp. 153-168.

OUÉDRAOGO Y. & DAÏLA B. M., « Analyse de quelques néographismes publicitaires au Burkina Faso », in Revue internationale de Linguistique appliquée, de Littérature et d’Education, 1(1), 2018, pp. 15‑21.

OUÉDRAOGO Y., « Les particularismes du français d’Afrique noire : entre écart et enrichissement », in Language, culture and littérature, Ghana, D. D. Kuupole, 2008, pp. 82-95.

RASCHI Nataša, « La langue française dans la presse du Burkina Faso », in Alternative Francophone 1,2, 2009, pp. 136-154.

SABLAYROLLES J.-F., « Les néologismes du français contemporain. Traitement théorique et analyse des données », Thèse de doctorat soutenue à Paris VIII le 13.1.1996 (Consultable sur microfiche), Linguistique, 1996.

SABLAYROLLES J.-F., « La néologie en français contemporain, examen du concept et analyse de productions néologiques récentes », in Lexica n°4, Mots et Dictionnaires, Champion, Paris 2000.

SABLAYROLLES J.-F., « La néologie aujourd’hui », in A la recherche du mot : De la langue au discours, sous la direction de Claude Gruaz, Lambert-Lucas, Limoges, 2006, pp. 141- 157.

SABLAYROLLES J.-F., « Néologie et classes d’objet », in Neologica : Revue internationale de la néologie n°3, Paris, Garnier, 2009, pp. 25-36.

SABLAYROLLES J.-F., « Néologismes ludiques : études morphologique et énonciativo-pragmatique », in WINTER-FROEMEL Esme et ZIRKER Angelika (eds) Enjeux du jeu de mots, Berlin, De Gruyter, DOI : https://doi.org/10.1515/9783110408348-009, 2015, pp. 189-216.

SABLAYROLLES J.-F., « Créativité lexicale en discours liée à l’existence de paradigmes », in Signata [En ligne], n°8, mis en ligne le 01 janvier 2018, consulté le 20 avril 2019. URL: http://journals.openedition.org/signata/1345, 2017, pp. 37-50.

SCHMID H., « Treetagger, a language independent part-of-speech tagger », in Institut für Maschinelle Sprachverarbeitung Universität Stuttgart, n°43, 1995, pp. 1-28. 

TARDY M., « Néologie et fonctions du langage », in Langages n°36, doi : https://doi.org/10.3406/lgge.1974.2278, 1974, pp. 95-102. 

Articles dans des ouvrages collectifs et actes de colloques  

BOUGMA, M., « Dynamique des différentes langues en présence au Burkina Faso : Les changements démo-linguistiques opérés au sein de la population burkinabè », in Actes du XVIIe colloque international de l’AIDELF sur Démographie et politiques sociales, Ouagadougou, novembre 2012, pp. 1-15.

HEIDEN S., MAGUÉ J.-P. & PINCEMIN B., « TXM : Une plateforme logicielle open-source pour la textométrie-conception et développement », in Processings of 10th International Conference on the Statistical Analysis of Textual Data, 2, 2010, pp. 1021-1032. 

SOMÉ Kogh Pascal, « Du latin langue gallo-romane au français langue africaine », Repères DoRiF,  n. 21 – Langues, linguistique et développement en milieu francophone. Des terrains africains, DoRiF Università, Roma, settembre 2020, https://www.dorif.it/reperes/3727/

PRIGNITZ G., « Place de l’argot dans la variation linguistique en Afrique : le cas du français à Ouagadougou », in Le français au Burkina Faso, sous la direction de Caïtucoli, C. (éd.), Cahiers de linguistique sociale, Rouen, Université de Rouen, Collection Bilans et perspectives, 1993, pp. 117-128.

ROMARY Laurent, SALMON-ALT Susanne, and FRANCOPOULO Gil, 2004, « Standards going concrete : from LMF to Morphalou », in COLING 2004 Workshop Enhancing and Using Electronic Dictionaries, Geneva, Switzerland, pp. 22-28.

SABLAYROLLES Jean-François, 2007, « Nomination, dénomination et néologie : intersection et différences symétriques », dans Néologica : revue internationale de la néologie, Paris, Garnier, pp. 87-99.

TARDY Michel, 1974, « Néologie et fonctions du langage », dans Langages n°36, doi : https://doi.org/10.3406/lgge.1974.2278, pp. 95-102.

THIBAULT A., « Lexicographie et variation diatopique : le cas du français », in : COLOMBO Maria et BARSI Monica, dir., Lexicographie et lexicologie historiques : Bilan et perspectives, Monza, Polimetrica, 2007, pp. 69-91.

ZOUMBARA, C., & TIENDRÉBÉOGO, J., « Étude des procédés de création lexicale humoristique dans le français du Burkina à travers le roman », in Arts et Développement en Afrique, LADIPA, 2020, pp. 103‑120.

ZOUMBARA, C., ROCHE, M., DIWERSY, S., OUÉDRAOGO, Y., & MARTIN, P., « Combinaison d’étiqueteurs morphosyntaxiques, de lexiques flexionnels et de marqueurs de glose pour détecter les néologismes en français du Burkina », in Actes des 15es Journées internationales d’analyse statistique des données textuelles (JADT), 16-19 juin 2020, Toulouse, France.



 

Dipartimento di Lingue e Culture Moderne - Università di Genova
Open Access Journal - ISSN électronique 1824-7482